Longtemps considérée comme un havre de paix et un modèle de stabilité, la Côte d’Ivoire à partir des années 1990, a connu de nombreux soubresauts. Le point culminant de cette « décennie chaude » est incontestablement le coup d’Etat du 24 décembre 1999. Ce coup d’Etat qu’on a qualifié de « coup d’Etat du père Noël », a vu l’avènement du général Robert Guéi au pouvoir. Dès sa prise de pouvoir, la junte militaire dirigée par l’ancien chef d’état-major des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire, abroge la Constitution, dissous les institutions de la République et met en place le Comité national de Salut public (CNSP) pour gérer les affaires courantes de l’Etat. Le général Robert Guéi, le nouvel homme fort, promet de « balayer la maison » avant de redonner le pouvoir aux civils. Son discours séduit le peuple et la classe politique. Dans la foulée, un nouveau gouvernement est mis sur pied au début de l’année 2000. Il est composé de militaires membres du CNSP et de cadres de partis politiques. Mais, dès sa formation, un premier clash survient. Le Front populaire ivoirien qui hérite de deux postes ministériels dans le nouveau gouvernement crie au loup. « Si c’est un gouvernement RDR, qu’on nous le dise ! », crie Laurent Gbagbo dès l’annonce du gouvernement le 5 janvier 2000. Une attaque frontale qui ne manque pas de perturber sérieusement le nouveau régime. Le général Robert Guéi sonné par cet uppercut verbal, décide de rencontrer le président du Front populaire ivoirien. A l’issue de cette rencontre, il réussit à arracher du nouvel homme fort d’Abidjan, un autre poste ministériel. Celui du Budget qui sera occupé par l’actuel président de l’Assemblée nationale, le Pr. Mamadou Koulibaly. Ce gouvernement essaye tant bien que mal à conduire la Côte d’Ivoire aux élections prévues pour octobre 2000. Pour remplacer la Constitution de 1960, une constituante est mise en place : la CCCE. Cette commission est chargée de rédiger la nouvelle Constitution. Mais déjà les débats dans les sous-commissions font rage. Les débats sur les critères d’éligibilité cristallisent les passions. Les ONG proches du FPI qui ont noyauté les sous-commissions essayent de faire rédiger une Constitution à leur convenance. Dans la sous-commission « Constitution », les partisans de Laurent Gbagbo réussissent à faire adopter la notion « ne s’est jamais prévalu d’une autre nationalité » ainsi que le « et » qui veut que le candidat à la présidence de la République ait forcément les deux parents ivoiriens. La CCCE ne suit pas la sous-commission et planche plutôt pour le « ou » qui accepte qu’un seul des parents soit ivoirien pour être éligible. Une position qui met le FPI et ses satellites en branle. Ces derniers rendent nuitamment visite au général Guéi et lui mettent la pression. Celui-ci hésite et décide d’organiser une tournée nationale pour trancher. Finalement, c’est le « ou » qui est choisi. Mais à quelques heures du référendum constitutionnel en août le « ou » est remplacé par le « et ». Avant cela, en avril, le discours de celui qui a déclaré être venu « balayer » la maison change, victime du discours tribal des « sous marins » de Gbagbo. Le chef de la junte affiche de plus en plus sa volonté de se présenter à l’élection présidentielle. Désormais, il troque le treillis pour le costume. Il est encouragé en cela par le FPI. Mais le Rassemblement des Républicains exprime clairement sa désapprobation. Ses ministres sont priés de quitter le gouvernement. Ils sont aussitôt remplacés par des ministres proches du FPI. Ce retournement crée des remous au sein de l’armée qui se transforment en des mutineries parfois sanglantes. Il s’ensuit alors des purges au sein de la grande muette et de la garde du général Guéi. Diomandé Souleymane dit « la Grenade », Ouattara Aboudrahamani et Sansan Kambiré, tous des acteurs du coup d’Etat, sont mis aux arrêts et exécutés à la poudrière d’Akouédo. Le sergent-chef Ibrahim Coulibaly dit « IB », l’un des meneurs du mouvement de décembre 1999, est muté comme attaché militaire à l’Ambassade de la Côte d’Ivoire au Canada. Désormais, la voie semble libre pour le chef de la junte et ses nouveaux alliés pour confisquer le pouvoir. Le 2 septembre 2000, la nouvelle Constitution est adoptée. Avec la mention « ne s’est jamais prévalu d’une autre nationalité ». Avant d’appeler quelques jours à la voter, le docteur Alassane Dramane Ouattara avait déjà prévenu au cours d’une déclaration : « Je suis visé, mais pas concerné ». En novembre 2000, la Cour suprême donne la liste des candidats à la prochaine élection présidentielle. Tous les ténors de la politique ivoirienne, y compris le docteur Alassane Dramane Ouattara, sont écartés de la course. Excepté Laurent Gbagbo, le général Robert Guéi, le Pr. Francis Wodié, le ministre Mel Théodore et d’autre candidats peu connus des Ivoiriens. Le général Robert Guéi se résout de battre seulement campagne à Abidjan. Tandis que Laurent Gbagbo, lui, écume les villes de Côte d’Ivoire. Le 24 octobre 2000, les élections ont lieu. Les résultats sont proclamés dans la confusion. Laurent Gbagbo et le général Guéi réclament chacun la victoire. Le président du FPI lance une insurrection populaire contre le chef de la junte militaire. Dans la rue, ses militants vont retrouver ceux du RDR et du PDCI réclamant la reprise di scrutin avec l’inclusion de leurs leaders. A l’issue de ce mouvement, le général Robert Guéi est éjecté du pouvoir. Le candidat FPI profite de la confusion pour se faire investir comme président de la République. Les militants et sympathisants du RDR décident de s’opposer à cette forfaiture. Mais le mouvement est maté dans le sang. Le lendemain de son investiture le 26 octobre prochain, 53 corps sont retrouvés non loin de la Maison d’arrêt et de Correction d’Abidjan. C’est le charnier de Yopougon. La parenthèse militaire venait ainsi de se fermer. Une autre plus sanglante, portant civile, venait de s’ouvrir.
JCC
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