Le doyen Samba DIARRA est mort le dimanche 25 juillet dernier. Paix à son âme ! Depuis, beaucoup de salive et d’encre ont coulé dans les différentes cérémonies qui l’ont conduit à AL-A’RÂF, c’est- à- dire les Demeures intermédiaires selon le Saint Coran. J’interviens ici simplement pour rendre ses devoirs à un homme que j’ai assidument fréquenté et qui m’aura profondément marqué sur différents registres de la vie. Les contraintes éditoriales ne me permettent pas de les développer tous ; je choisirai donc quelques aspects sur lesquels je m’arrêterai en promettant que ma subjectivité ne nuira pas à la vérité.
Qui est Samba DIARRA ? C’est une question qui intéresse le biographe. En ce qui me concerne, depuis son rappel au Créateur, quand je me remémore les longs moments passés en sa compagnie, c’est une suite d’images qui défilent dans mon esprit. La première est celle d’un homme ouvert à la culture au double sens du terme, académique et anthropologique. Dans le premier, Samba DIARRA maîtrisait parfaitement la langue française, et son ouverture d’esprit se pliait avec aisance à toutes les éventualités. Son goût et sa sensibilité ( étonnamment lyrique quelquefois) qui le guidaient toujours dans son jugement indiquaient que, bien que médecin, l’homme avait brillamment fait ses classes dans les Humanités.
L’autre sens révèle quelqu’un qui vivait avec lucidité et tranquillité sa culture de base. Quand il voulait exprimer sa surprise devant une situation, il affirmait en malinké : « Ahéwaa ! » Et puis, il y a autre chose dont il m’est bien difficile de parler, mais dont il me serait plus difficile encore de ne pas parler. C’est que le doyen- c’est ainsi que je l’appelais avec respect- informait le fiston que je suis des sacrifices que quelques devins lui recommandaient. Parfois, il n’écoutait pas…
Un autre aspect de sa personnalité est sa relation à ses proches dans la quotidienneté de l’existence. Le doyen leur apparaissait comme tatillon, et bien souvent « gueulard » pour rien. Il menaçait souvent son chauffeur : « Zacharia, quand je te confie une mission, tu dois me remettre la monnaie au retour. Tu oublies souvent de le faire :je n’aime pas ça ! » .
Je m’en voudrais de ne pas évoquer l’écrivain qui a livré à la postérité un livre dense, puissant dont le succès réside en premier lieu dans le titre : Les faux complots d’Houphouët-Boigny. Fracture dans le destin d’une nation. Son style, reflet de son tempérament entier, est riche, fougueux et plaisant. Globalement, il n’use pas des mots de liaison habituels : les paragraphes se suivent en bloc ( pp. 146 à 150 par exemple ). Pour changer de paragraphes ou de chapitres, il procède par questionnement comme à la p. 149 pour passer à un autre paragraphe : « Ces trois hommes[ Séry Kouassi, Jean- Baptiste Mockey, Jérôme Alloh Batafoué] ne symbolisent-ils pas aux yeux des condamnés d’avril, la lâcheté, la démission et la cupidité » ? C’est également une interrogation qui met fin au chapitre 4, le complot des jeunes, pour annoncer le prochain, le complot des anciens : « Tout ce monde protéiforme, composite, peut-il partager un projet politique aussi périlleux que celui de l’assassinat d’Houphouët-Boigny » ? (p.144)
Je le redis, son style est plaisant comme l’illustrent ces portraits contrastés de Kwame N’Krumah et d’Houphouët-Boigny : « Ils ont des tempéraments opposés et sont de niveaux de culture différents. Houphouët-Boigny est d’un niveau plutôt primaire, et il en fait un certain complexe. C’est un introverti qui cultive le secret, le gbrè. N’Krumah, lui, est un universitaire rompu à la réflexion théorique, la conceptualisation et la systématisation. Très communicatif, il ne répugne point à livrer ce qu’il pense et croit. » (p.87).
Cependant, le véritable intérêt de l’ouvrage est d’avoir introduit dans le débat national un pan de l’ histoire contemporaine de notre pays que l’on avait essayé d’occulter. Bernard DADIE, le préfacier en précisait l’enjeu dans un article paru en mai 1997 dans le journal, Le Jour : « […] Notre histoire va commencer avec le livre de Samba DIARRA. Maintenant nous allons nous poser des questions sur notre itinéraire, notre avenir ; nous allons sortir du grand sommeil historique. L’histoire se racontera à voix plurielles. Pourquoi tant de gens balancés dans les abîmes et une minorité sortie du trou ? Pourquoi et pourquoi ? »
Je le qualifiais d’historien du PDCI. Il en connaissait les dignitaires jusqu’au bout des ongles. Dans son salon, plus d’un est passé le voir pour préciser une référence, pour retrouver un repère ou pour corriger un souvenir. Un sentiment élevé du travail bien accompli ( la chirurgie, la gynécologie, l’AIBF, le syndicat, l’histoire) fait reconnaître en lui l’homme du monde accompli : courageux, généreux et… impertinent. Il aura mérité le meilleur. Dans un monde futile , Samba DIARRA aura vécu utile.
Par le Dr CISSE IDRISS,
enseignant au Département de Lettres modernes.
Université de COCODY
Qui est Samba DIARRA ? C’est une question qui intéresse le biographe. En ce qui me concerne, depuis son rappel au Créateur, quand je me remémore les longs moments passés en sa compagnie, c’est une suite d’images qui défilent dans mon esprit. La première est celle d’un homme ouvert à la culture au double sens du terme, académique et anthropologique. Dans le premier, Samba DIARRA maîtrisait parfaitement la langue française, et son ouverture d’esprit se pliait avec aisance à toutes les éventualités. Son goût et sa sensibilité ( étonnamment lyrique quelquefois) qui le guidaient toujours dans son jugement indiquaient que, bien que médecin, l’homme avait brillamment fait ses classes dans les Humanités.
L’autre sens révèle quelqu’un qui vivait avec lucidité et tranquillité sa culture de base. Quand il voulait exprimer sa surprise devant une situation, il affirmait en malinké : « Ahéwaa ! » Et puis, il y a autre chose dont il m’est bien difficile de parler, mais dont il me serait plus difficile encore de ne pas parler. C’est que le doyen- c’est ainsi que je l’appelais avec respect- informait le fiston que je suis des sacrifices que quelques devins lui recommandaient. Parfois, il n’écoutait pas…
Un autre aspect de sa personnalité est sa relation à ses proches dans la quotidienneté de l’existence. Le doyen leur apparaissait comme tatillon, et bien souvent « gueulard » pour rien. Il menaçait souvent son chauffeur : « Zacharia, quand je te confie une mission, tu dois me remettre la monnaie au retour. Tu oublies souvent de le faire :je n’aime pas ça ! » .
Je m’en voudrais de ne pas évoquer l’écrivain qui a livré à la postérité un livre dense, puissant dont le succès réside en premier lieu dans le titre : Les faux complots d’Houphouët-Boigny. Fracture dans le destin d’une nation. Son style, reflet de son tempérament entier, est riche, fougueux et plaisant. Globalement, il n’use pas des mots de liaison habituels : les paragraphes se suivent en bloc ( pp. 146 à 150 par exemple ). Pour changer de paragraphes ou de chapitres, il procède par questionnement comme à la p. 149 pour passer à un autre paragraphe : « Ces trois hommes[ Séry Kouassi, Jean- Baptiste Mockey, Jérôme Alloh Batafoué] ne symbolisent-ils pas aux yeux des condamnés d’avril, la lâcheté, la démission et la cupidité » ? C’est également une interrogation qui met fin au chapitre 4, le complot des jeunes, pour annoncer le prochain, le complot des anciens : « Tout ce monde protéiforme, composite, peut-il partager un projet politique aussi périlleux que celui de l’assassinat d’Houphouët-Boigny » ? (p.144)
Je le redis, son style est plaisant comme l’illustrent ces portraits contrastés de Kwame N’Krumah et d’Houphouët-Boigny : « Ils ont des tempéraments opposés et sont de niveaux de culture différents. Houphouët-Boigny est d’un niveau plutôt primaire, et il en fait un certain complexe. C’est un introverti qui cultive le secret, le gbrè. N’Krumah, lui, est un universitaire rompu à la réflexion théorique, la conceptualisation et la systématisation. Très communicatif, il ne répugne point à livrer ce qu’il pense et croit. » (p.87).
Cependant, le véritable intérêt de l’ouvrage est d’avoir introduit dans le débat national un pan de l’ histoire contemporaine de notre pays que l’on avait essayé d’occulter. Bernard DADIE, le préfacier en précisait l’enjeu dans un article paru en mai 1997 dans le journal, Le Jour : « […] Notre histoire va commencer avec le livre de Samba DIARRA. Maintenant nous allons nous poser des questions sur notre itinéraire, notre avenir ; nous allons sortir du grand sommeil historique. L’histoire se racontera à voix plurielles. Pourquoi tant de gens balancés dans les abîmes et une minorité sortie du trou ? Pourquoi et pourquoi ? »
Je le qualifiais d’historien du PDCI. Il en connaissait les dignitaires jusqu’au bout des ongles. Dans son salon, plus d’un est passé le voir pour préciser une référence, pour retrouver un repère ou pour corriger un souvenir. Un sentiment élevé du travail bien accompli ( la chirurgie, la gynécologie, l’AIBF, le syndicat, l’histoire) fait reconnaître en lui l’homme du monde accompli : courageux, généreux et… impertinent. Il aura mérité le meilleur. Dans un monde futile , Samba DIARRA aura vécu utile.
Par le Dr CISSE IDRISS,
enseignant au Département de Lettres modernes.
Université de COCODY