La lagune qui longe les localités de Songon, Jacqueville, Gran-Lahou et Dabou est de plus en plus envahie par une race de pêcheurs indélicats. Ces derniers utilisent des produits chimiques très toxiques qu’ils y déversent pour tuer les poissons et autres crevettes vendus ensuite sur les marchés locaux et ceux d’Abidjan, la capitale économique. Les conséquences sont tragiques sur les plans écologique, social, humanitaire et économique. Cette pratique n’est pas du tout du goût de la population de Dabou qui a décidé de déclarer la guerre à ces pêcheurs.
Le phénomène de la pêche avec les produits toxiques est une réalité très préoccupante dans les localités de la côtière, dans presque toutes les contrées qui donnent sur le plan lagunaire ouest. A Songon, à Jacquevile, à Grand-Lahou et à Dabou, cette pratique est entrée dans les mœurs de nombreux pêcheurs. A Dabou, on ne s’en cache plus. D’ailleurs sur le marché local, un site leur est réservé, notamment la gare des villages où des femmes, certainement des épouses de ces pêcheurs, écoulent aisément leurs « marchandises empoisonnées » aux gérantes des nombreux maquis qui jonchent cette gare, véritable lieu de convergence des villageois de ce département. C’est souvent avec ses poissons souillés qu’elles réalisent des mets accompagnés de foufou ou l’attiéké huilé qu’elles mettent ensuite à la disposition des nombreux clients. Mais une fois ces repas consommés, attendez vous à ses conséquences parfois irréparables.
Comment reconnaître les poissons intoxiqués
Les poissons pêchés à l’aide de produits chimiques, ce sont généralement des carpes blanches ou noires des crabes et des crevettes. Sur le marché, ces poissons en raison de leur état de décomposition très avancée et rapide, attirent beaucoup de mouches. Ils ont la tête affaissée, les yeux enfoncées et très pâles ; les écailles tombent au moindre contact avec les doigts. Aussi les bronches naturellement rouges prennent une coloration rouge pâle. Ces poissons, pour ceux qui font l’amère expérience de les goûter, ont une saveur assez fade ; aussi sa chair s’écrase facilement sous la dent. Ce sont généralement des pesticides et des herbicides que les pêcheurs utilisent pour tuer les poissons et les crabes. Ces produits connus sur le marché sont le Thiodan C 50, le Gamaline et le Gramoxone. Ces produits, selon un agent technique de l’Anader que nous avons rencontré, sont utilisés dans le traitement du cacao, du maïs et du riz. Il est parfois conseillé aux utilisateurs de ces produits phytosanitaires de pratiquer le traitement des plants un mois avant la récolte en raison de leur forte toxicité. « Si on utilise ces produits à d’autres fins notamment sur des produits consommables 24 heures avant, les consommateurs s’exposeront à des complications alimentaires qui peuvent entraîner la mort. Ce sont des produits qui tuent facilement», révèle l’agent technique de l’Anader. Ce sont des produits basics qui, une fois dans l’eau constituent l’équivalent d’un feu de brousse pour les poissons et toutes les autres espèces vivantes. Au contact de ces produits, ils meurent en moins de 2 heures. Mais comment ces pêcheurs utilisent-ils ces produits. Qui en sont les auteurs ? A Pass, à Gougbo (Dabou) et à Nigui Saff (Jacqueville) où nous avons mené nos investigations, la pratique est la même. Selon Naga Grah, un jeune pêcheur de Nigui Saff, c’est la nuit que les pêcheurs exercent leur activité. Ils vérifient d’abord si la zone est poissonneuse. La nuit, ils posent alors les filets sur un rayon de 50 mètres. Après quoi, ils déversent le produit chimique en petite quantité à la surface de l’eau, puis ils agitent la partie imbibée à l’aide de la pagaie ; ce qui propage le produit sur toute la surface. Les poissons et les crevettes désemparés se jettent dans les filets où ils meurent aussitôt. On les ramasse alors comme des fruits pour les proposer ensuite sur le marché. Aux dires de nos témoins, cette pratique est plus courante dans presque tous les villages mais les plus ciblés sont Nigui Saff, Gbougbo, Tiaha, Layo et Allaba. Au marché de Dabou, Mme Manan Edwige et A. Marie Rose, vendeuses de poissons et originaires de Gbougbo, sont catégoriques quant aux auteurs de cette pratique. « Ce sont des pêcheurs maliens et ghanéens qui sont les premiers à pratiquer ce type de pêche dans la lagune. Avec ces produits, ils rasent tout ce qui vit dans l’eau en quelques minutes », accusent-elles. M. Assa Francis de Pass va plus loin en dénonçant un certain Farota, un Malien basé à Dabou. Mais Naga Grah de Nigui Saff et M. Gbari Kock de Pass accusent, eux, des jeunes Adioukrou et Alladjan d’utiliser aussi des produits chimiques dans la pêche. «Les premiers auteurs sont des Maliens et des Ghanéens mais de plus en plus les populations Adjoukrou, peut-être par effet de contagion, sont entrées dangereusement dans la danse. Ils pratiquent ce type de pêche pour amasser beaucoup de poissons en un temps record. La nuit, il faut éviter de s’aventurer sur la lagune de peur de se faire agresser par ces individus extrêmement dangereux », conseille le chef du village de Pass. Le phénomène touche presque tous les 16 villages Adjoukrou qui donnent sur la lagune. Cette pratique n’est pas sans conséquences fâcheuses.
Quand la pêche devient toxique
Les conséquences de cette pratique sont multiples et multiformes. Elles sont d’ordre écologique, social, humanitaire et économique. Selon toujours le jeune Naga Grah de Nigui Saff et le chef de Pass, lorsque ces pêcheurs utilisent ces produits dans l’eau, ce sont des milliers de carpes qui sont ainsi prises sans compter les crabes et les crevettes. Les alevins et les œufs de ces poissons n’échappent pas à ce drame. Mais pire les poissons non récupérés pourrissent dans cette eau produisant ainsi une odeur insupportable. Aussi les herbes à cet endroit meurent dans la zone fortement polluée. Il faudra alors au moins six mois pour que la zone soit fréquentable aux poissons et favorable à une régénérescence. Avec cette pratique devenue courante, la lagune se vide peu à peu. « Les populations meurent à petite eau », souligne un habitant de Ngatty. Au plan social et humanitaire, il convient de signaler que la pêche avec des produits toxiques est un véritable danger pour la population consommatrice de poisson. Car les vendeurs viennent déverser ces produits sur le marché de Dabou et même ceux d’Abidjan. Et compte tenu de la toxicité de ces poissons, les populations qui les consomment sont exposées à l’intoxication. Les cas sont fréquents à Dabou. Koffi Armel élève dans un collège de la place témoigne : « Au mois de novembre 2009, j’ai mangé ce genre de poisson ; la nuit j’ai fait une très forte diarrhée suivie d’un violent mal de ventre. J’ai eu de la chance car je n’ai pas été hospitalisé. J’ai alors décidé de ne plus manger de carpe ». Mme Manan Edwige, vendeuse de poisson au marché de Dabou, conseille de faire très attention à ce genre ces poissons pêchés avec des produits chimiques. «Des gens ont mangé ces poissons et ces crabes et se sont retrouvés par la suite à l’hôpital ; d’autres en sont morts. Ces poissons sont extrêmement dangereux. Quand vous achetez ces poissons, c’est comme si vous avez acheté la mort », fait-elle savoir. Au plan économique, la pêche avec les produits toxiques tue les activités économiques dans le département de Dabou. Le chef de Pass est très amer. « Le peuple Adjoukrou qui vit au bord de la lagune n’a d’autres ressources que le poisson. 95 % de cette population vit exclusivement des activités de la pêche. C’est notre cacao. C’est un héritage menacé car les eaux sont fortement polluée et les poissons rasés. Aussi, ces villages qui sont un véritable don de la lagune ne parviennent plus à pratiquer cette activité », se confie le chef. Sur le marché, il est difficile, en effet, de s’approvisionner en poisson aussi bien en quantité qu’en qualité parce que très chers. Pour M. Assa Francis, les pêcheurs joignent difficilement les deux bouts depuis que cette pratique a cours. « Nous n’allons pas baisser les bras ; nous devons quelque chose pour sauver cette lagune», lance-t-il
Mise sur pied d’un comté de surveillance
Pour traquer les pêcheurs indélicats, certains villageois de Pass, Gbougbo, Ngatty ont mis en place un comité de surveillance depuis 2007. Les membres de ce comité, notamment des jeunes, sillonnent nuitamment le plan lagunaire à l’effet de dissuader ces criminels. Mais leur tâche n’est pas toujours aisée. Ils sont l’objet d’agressions sauvages de la part de ces pêcheurs. En 2007, en effet, trois décès ont été déplorés à Pass. Il s’agit entres autres de Essoh Lath, Okpo Kouakou et un troisième tombés sous les coups de machette des pêcheurs avec des produits toxiques. Trois autres à savoir Bosso Assa François, Esso Loess et Akpa Théophile s’en sortiront avec des blessures. Mais ces pêcheurs vont plus loin en volant les filets et autres matériels de pêche des villageois. « Lorsqu’on tente de traquer ces pêcheurs, ils nous tendent des embuscades pour nous tuer», confie Assa François. Malgré ces difficultés, leur œuvre porte ses fruits. « En 2007, nous avons mis le grappin sur un pêcheur malien, un certain Farota. Nous l’avons mis à la disposition de la police qui l’a relaxé. En 2009, un autre du nom de Philippe originaire de Gbougbo est interpellé. On découvre sur cet individu des filets volés à un pêcheur nommé Gnagne Djipro. Plus près de nous, soit dans la nuit du 28 au 29 mai 2010, Yed Armel et ses deux frères sont agressés par des pêcheurs avec des produits toxiques à 2 heures du matin sur la lagune près du village de Pass. A l’issue d’une lutte acharnée, ils parviennent à maîtriser l’un des agresseurs le nommé Essoh Jérôme originaire de Tiaha quand le second réussit à se fondre dans la nuit. Mais une fois mis à la disposition des autorités policières ou judiciaires, ces bandits sont aussitôt relaxés », indique le témoin. « On a l’impression que nous sommes livrés à nous-mêmes car nos efforts butent sur l’indifférence des autorités. Fort de cette impunité, les pêcheurs continuent d’empoisonner la lagune. Nous mourons à petite eau comme les poissons, les crabes et les crevettes parce que nous mangeons du poison empoissonne », déplore le chef du village de Pass M. Gbari Kock.
Le ministère de tutelle interpellé
Les populations du Léboutou lancent un appel pathétique au ministre de la Production animale et des Ressources halieutiques afin qu’il jette un regard sur le drame qu’elles vivent avec les pécheurs avec des produits toxiques. Ils sollicitent par exemple la mise en place d’une brigade maritime pour traquer et décourager les utilisateurs des produits toxiques dans les activités de la pêche. « Nous demandons au gouvernement de nous aider à sauver le seul patrimoine dont nous disposons. Il y va de notre vie de celle de nos enfants. S’ils deviennent oisifs, ils constitueront un danger pour nous-mêmes parce que chez les Adjoukrou on ne parle pas de retour à la terre mais de retour à la lagune », appelle un habitant de Dabou. Si des textes existent dans ce sens, il serait alors louable de les appliquer et condamner avec la plus grande fermeté les auteurs de cette activité criminelle qu’est la pêche avec des produits toxiques. Car les populations de Dabou disent être fatigués de cohabiter avec la mort à ciel ouvert qu’ils achètent tous les matins dans leurs marchés.
Norbert Nkaka
(Correspondant régional)
Légende : De nombreux poissons sont pris dans des conditions illicites
Le phénomène de la pêche avec les produits toxiques est une réalité très préoccupante dans les localités de la côtière, dans presque toutes les contrées qui donnent sur le plan lagunaire ouest. A Songon, à Jacquevile, à Grand-Lahou et à Dabou, cette pratique est entrée dans les mœurs de nombreux pêcheurs. A Dabou, on ne s’en cache plus. D’ailleurs sur le marché local, un site leur est réservé, notamment la gare des villages où des femmes, certainement des épouses de ces pêcheurs, écoulent aisément leurs « marchandises empoisonnées » aux gérantes des nombreux maquis qui jonchent cette gare, véritable lieu de convergence des villageois de ce département. C’est souvent avec ses poissons souillés qu’elles réalisent des mets accompagnés de foufou ou l’attiéké huilé qu’elles mettent ensuite à la disposition des nombreux clients. Mais une fois ces repas consommés, attendez vous à ses conséquences parfois irréparables.
Comment reconnaître les poissons intoxiqués
Les poissons pêchés à l’aide de produits chimiques, ce sont généralement des carpes blanches ou noires des crabes et des crevettes. Sur le marché, ces poissons en raison de leur état de décomposition très avancée et rapide, attirent beaucoup de mouches. Ils ont la tête affaissée, les yeux enfoncées et très pâles ; les écailles tombent au moindre contact avec les doigts. Aussi les bronches naturellement rouges prennent une coloration rouge pâle. Ces poissons, pour ceux qui font l’amère expérience de les goûter, ont une saveur assez fade ; aussi sa chair s’écrase facilement sous la dent. Ce sont généralement des pesticides et des herbicides que les pêcheurs utilisent pour tuer les poissons et les crabes. Ces produits connus sur le marché sont le Thiodan C 50, le Gamaline et le Gramoxone. Ces produits, selon un agent technique de l’Anader que nous avons rencontré, sont utilisés dans le traitement du cacao, du maïs et du riz. Il est parfois conseillé aux utilisateurs de ces produits phytosanitaires de pratiquer le traitement des plants un mois avant la récolte en raison de leur forte toxicité. « Si on utilise ces produits à d’autres fins notamment sur des produits consommables 24 heures avant, les consommateurs s’exposeront à des complications alimentaires qui peuvent entraîner la mort. Ce sont des produits qui tuent facilement», révèle l’agent technique de l’Anader. Ce sont des produits basics qui, une fois dans l’eau constituent l’équivalent d’un feu de brousse pour les poissons et toutes les autres espèces vivantes. Au contact de ces produits, ils meurent en moins de 2 heures. Mais comment ces pêcheurs utilisent-ils ces produits. Qui en sont les auteurs ? A Pass, à Gougbo (Dabou) et à Nigui Saff (Jacqueville) où nous avons mené nos investigations, la pratique est la même. Selon Naga Grah, un jeune pêcheur de Nigui Saff, c’est la nuit que les pêcheurs exercent leur activité. Ils vérifient d’abord si la zone est poissonneuse. La nuit, ils posent alors les filets sur un rayon de 50 mètres. Après quoi, ils déversent le produit chimique en petite quantité à la surface de l’eau, puis ils agitent la partie imbibée à l’aide de la pagaie ; ce qui propage le produit sur toute la surface. Les poissons et les crevettes désemparés se jettent dans les filets où ils meurent aussitôt. On les ramasse alors comme des fruits pour les proposer ensuite sur le marché. Aux dires de nos témoins, cette pratique est plus courante dans presque tous les villages mais les plus ciblés sont Nigui Saff, Gbougbo, Tiaha, Layo et Allaba. Au marché de Dabou, Mme Manan Edwige et A. Marie Rose, vendeuses de poissons et originaires de Gbougbo, sont catégoriques quant aux auteurs de cette pratique. « Ce sont des pêcheurs maliens et ghanéens qui sont les premiers à pratiquer ce type de pêche dans la lagune. Avec ces produits, ils rasent tout ce qui vit dans l’eau en quelques minutes », accusent-elles. M. Assa Francis de Pass va plus loin en dénonçant un certain Farota, un Malien basé à Dabou. Mais Naga Grah de Nigui Saff et M. Gbari Kock de Pass accusent, eux, des jeunes Adioukrou et Alladjan d’utiliser aussi des produits chimiques dans la pêche. «Les premiers auteurs sont des Maliens et des Ghanéens mais de plus en plus les populations Adjoukrou, peut-être par effet de contagion, sont entrées dangereusement dans la danse. Ils pratiquent ce type de pêche pour amasser beaucoup de poissons en un temps record. La nuit, il faut éviter de s’aventurer sur la lagune de peur de se faire agresser par ces individus extrêmement dangereux », conseille le chef du village de Pass. Le phénomène touche presque tous les 16 villages Adjoukrou qui donnent sur la lagune. Cette pratique n’est pas sans conséquences fâcheuses.
Quand la pêche devient toxique
Les conséquences de cette pratique sont multiples et multiformes. Elles sont d’ordre écologique, social, humanitaire et économique. Selon toujours le jeune Naga Grah de Nigui Saff et le chef de Pass, lorsque ces pêcheurs utilisent ces produits dans l’eau, ce sont des milliers de carpes qui sont ainsi prises sans compter les crabes et les crevettes. Les alevins et les œufs de ces poissons n’échappent pas à ce drame. Mais pire les poissons non récupérés pourrissent dans cette eau produisant ainsi une odeur insupportable. Aussi les herbes à cet endroit meurent dans la zone fortement polluée. Il faudra alors au moins six mois pour que la zone soit fréquentable aux poissons et favorable à une régénérescence. Avec cette pratique devenue courante, la lagune se vide peu à peu. « Les populations meurent à petite eau », souligne un habitant de Ngatty. Au plan social et humanitaire, il convient de signaler que la pêche avec des produits toxiques est un véritable danger pour la population consommatrice de poisson. Car les vendeurs viennent déverser ces produits sur le marché de Dabou et même ceux d’Abidjan. Et compte tenu de la toxicité de ces poissons, les populations qui les consomment sont exposées à l’intoxication. Les cas sont fréquents à Dabou. Koffi Armel élève dans un collège de la place témoigne : « Au mois de novembre 2009, j’ai mangé ce genre de poisson ; la nuit j’ai fait une très forte diarrhée suivie d’un violent mal de ventre. J’ai eu de la chance car je n’ai pas été hospitalisé. J’ai alors décidé de ne plus manger de carpe ». Mme Manan Edwige, vendeuse de poisson au marché de Dabou, conseille de faire très attention à ce genre ces poissons pêchés avec des produits chimiques. «Des gens ont mangé ces poissons et ces crabes et se sont retrouvés par la suite à l’hôpital ; d’autres en sont morts. Ces poissons sont extrêmement dangereux. Quand vous achetez ces poissons, c’est comme si vous avez acheté la mort », fait-elle savoir. Au plan économique, la pêche avec les produits toxiques tue les activités économiques dans le département de Dabou. Le chef de Pass est très amer. « Le peuple Adjoukrou qui vit au bord de la lagune n’a d’autres ressources que le poisson. 95 % de cette population vit exclusivement des activités de la pêche. C’est notre cacao. C’est un héritage menacé car les eaux sont fortement polluée et les poissons rasés. Aussi, ces villages qui sont un véritable don de la lagune ne parviennent plus à pratiquer cette activité », se confie le chef. Sur le marché, il est difficile, en effet, de s’approvisionner en poisson aussi bien en quantité qu’en qualité parce que très chers. Pour M. Assa Francis, les pêcheurs joignent difficilement les deux bouts depuis que cette pratique a cours. « Nous n’allons pas baisser les bras ; nous devons quelque chose pour sauver cette lagune», lance-t-il
Mise sur pied d’un comté de surveillance
Pour traquer les pêcheurs indélicats, certains villageois de Pass, Gbougbo, Ngatty ont mis en place un comité de surveillance depuis 2007. Les membres de ce comité, notamment des jeunes, sillonnent nuitamment le plan lagunaire à l’effet de dissuader ces criminels. Mais leur tâche n’est pas toujours aisée. Ils sont l’objet d’agressions sauvages de la part de ces pêcheurs. En 2007, en effet, trois décès ont été déplorés à Pass. Il s’agit entres autres de Essoh Lath, Okpo Kouakou et un troisième tombés sous les coups de machette des pêcheurs avec des produits toxiques. Trois autres à savoir Bosso Assa François, Esso Loess et Akpa Théophile s’en sortiront avec des blessures. Mais ces pêcheurs vont plus loin en volant les filets et autres matériels de pêche des villageois. « Lorsqu’on tente de traquer ces pêcheurs, ils nous tendent des embuscades pour nous tuer», confie Assa François. Malgré ces difficultés, leur œuvre porte ses fruits. « En 2007, nous avons mis le grappin sur un pêcheur malien, un certain Farota. Nous l’avons mis à la disposition de la police qui l’a relaxé. En 2009, un autre du nom de Philippe originaire de Gbougbo est interpellé. On découvre sur cet individu des filets volés à un pêcheur nommé Gnagne Djipro. Plus près de nous, soit dans la nuit du 28 au 29 mai 2010, Yed Armel et ses deux frères sont agressés par des pêcheurs avec des produits toxiques à 2 heures du matin sur la lagune près du village de Pass. A l’issue d’une lutte acharnée, ils parviennent à maîtriser l’un des agresseurs le nommé Essoh Jérôme originaire de Tiaha quand le second réussit à se fondre dans la nuit. Mais une fois mis à la disposition des autorités policières ou judiciaires, ces bandits sont aussitôt relaxés », indique le témoin. « On a l’impression que nous sommes livrés à nous-mêmes car nos efforts butent sur l’indifférence des autorités. Fort de cette impunité, les pêcheurs continuent d’empoisonner la lagune. Nous mourons à petite eau comme les poissons, les crabes et les crevettes parce que nous mangeons du poison empoissonne », déplore le chef du village de Pass M. Gbari Kock.
Le ministère de tutelle interpellé
Les populations du Léboutou lancent un appel pathétique au ministre de la Production animale et des Ressources halieutiques afin qu’il jette un regard sur le drame qu’elles vivent avec les pécheurs avec des produits toxiques. Ils sollicitent par exemple la mise en place d’une brigade maritime pour traquer et décourager les utilisateurs des produits toxiques dans les activités de la pêche. « Nous demandons au gouvernement de nous aider à sauver le seul patrimoine dont nous disposons. Il y va de notre vie de celle de nos enfants. S’ils deviennent oisifs, ils constitueront un danger pour nous-mêmes parce que chez les Adjoukrou on ne parle pas de retour à la terre mais de retour à la lagune », appelle un habitant de Dabou. Si des textes existent dans ce sens, il serait alors louable de les appliquer et condamner avec la plus grande fermeté les auteurs de cette activité criminelle qu’est la pêche avec des produits toxiques. Car les populations de Dabou disent être fatigués de cohabiter avec la mort à ciel ouvert qu’ils achètent tous les matins dans leurs marchés.
Norbert Nkaka
(Correspondant régional)
Légende : De nombreux poissons sont pris dans des conditions illicites