A quoi sert le journalisme ? Quel devrait être le rôle social du journaliste ? Ces questions n’en finissent pas d’alimenter des débats enfiévrés depuis que notre métier existe. Et c’est d’ailleurs ce qui fait sa particularité. Le médecin soigne, l’avocat plaide, le chauffeur conduit, le journaliste informe. Mais qu’est-ce que cela veut dire, informer ?
Certains critiques estiment que le journalisme doit rendre publiques de manière neutre les dernières nouvelles et s’en tenir là. Parmi eux, l’ancien Premier ministre français Michel Rocard, qui a reproché, dans une interview, à l’hebdomadaire Marianne (assez virulent contre Nicolas Sarkozy), de se comporter «non comme des journalistes d’information pure, mais comme des acteurs politiques». Ce reproche a souvent été fait à la presse ivoirienne.
L’on constate pourtant un paradoxe. Il arrive que la révélation de «l’information pure» crée encore plus de crises d’urticaires que des analyses ou des prises de position dans la presse. Qui d’entre nous a entendu parler de l’affaire Romuald Letondot, du nom de ce coopérant militaire français qui, pris en photo par un journaliste togolais lors de la répression d’une manifestation de l’opposition – où il se trouvait, semble-t-il par hasard, parce que son véhicule avait été lapidé – a choisi de le menacer de la manière la plus coloniale qui soit, menaçant de «mettre un coup sur son appareil» ou de le faire jeter «en taule» ? En tout cas, l’image de l’altercation entre les deux hommes a été filmée et diffusée sur YouTube, et a suscité une indignation internationale. Le gouvernement togolais s’en est en tout cas pris aux journalistes qui n’ont fait que mettre en ligne ce moment de vérité postcoloniale. «Sans ce soucier des conséquences graves que la vidéo pourrait avoir», argumente le ministère de la Défense, relié directement au président Faure Gnassingbé.
Qu’il se contente de rendre publics des faits ou qu’il prenne position, le journaliste dérange. Son rôle serait-il de déranger ? Non ! Son rôle est d’animer l’espace public, en étant l’endroit où des forces divergentes (pouvoirs, lobbies, etc…) s’expriment, sont contestées, applaudies ou surveillées. Et ce rôle, on ne peut pas l’exercer sans déranger. De temps en temps.
A quoi sert le journalisme ? Sans doute à entrouvrir les portes pour faire communiquer des mondes souvent clos, pour accroître le patrimoine de connaissances populaires sur le monde contemporain, tel qu’il va ou qu’il ne va pas. Arrivons-nous à accomplir cette tâche ? En tout cas, il me semble évident que, sous nos cieux, et dans la presse écrite en particulier, nous «sur-couvrons» un certain type d’actualité. Celle qui est liée à la politique, y compris dans sa dimension la plus politicienne et au people et au sport, des thèmes qui attirent un grand nombre de lecteurs au sein de notre petite classe moyenne qui peut se fournir de quoi acheter nos journaux. Nous négligeons des faits graves, dont le dévoilement pourrait édifier nos contemporains, et les pousser à agir pour un certain nombre de changements sociaux. Notre défaillance à nous, médias privés, est amplifiée par le fait que les médias publics, chez nous, demeurent des caisses de résonance du pouvoir ou des espaces de divertissement totalement vampirisés par la publicité.
Il est urgent de faire naître un journalisme d’utilité publique. Dans un contexte où la séparation des pouvoirs ressemble parfois à une vue de l’esprit, tant les réflexes d’allégeance et de connivence hérités du parti unique sont forts, notre rôle est, plus que jamais, de traquer les dysfonctionnements de la société, de venir au secours des citoyens sans voix victimes d’injustices cachées, d’enquêter patiemment sur des sujets d’intérêt général.
Quelques questions se posent. Notre société, prise aux pièges de l’analphabétisme des uns et de l’esprit outrancièrement partisan des autres, produit-elle une masse critique de lecteurs dont les achats cumulés peuvent financer une telle démarche journalistique ? Y a-t-il sous nos cieux ou ailleurs des mécènes pouvant financer un type de journalisme dont l’intérêt principal serait d’éveiller et de faire changer la société en lui révélant ses zones d’ombre ? En tout cas, ce type d’expérience fait son chemin ailleurs dans le monde. Aux Etats-Unis, le site d’information Propublica, à but non lucratif, financé par une fondation, a obtenu le prix Pulitzer pour une enquête sur les conséquences sociales du cyclone Katrina, traité un peu légèrement par l’administration Bush. Ce travail de longue haleine n’a pas pu être fait par des grands médias comme le New York Times ou le Washington Post. Et pour cause : il n’est pas assez «vendeur» au regard de ce qu’il coûte. Pas assez vendeur certes, mais salutaire pour la société américaine qui dispose désormais d’informations de première main sur ce qui s’est mal passé. Ce qui est absolument nécessaire quand on veut éviter la répétition de l’Histoire.
Certains critiques estiment que le journalisme doit rendre publiques de manière neutre les dernières nouvelles et s’en tenir là. Parmi eux, l’ancien Premier ministre français Michel Rocard, qui a reproché, dans une interview, à l’hebdomadaire Marianne (assez virulent contre Nicolas Sarkozy), de se comporter «non comme des journalistes d’information pure, mais comme des acteurs politiques». Ce reproche a souvent été fait à la presse ivoirienne.
L’on constate pourtant un paradoxe. Il arrive que la révélation de «l’information pure» crée encore plus de crises d’urticaires que des analyses ou des prises de position dans la presse. Qui d’entre nous a entendu parler de l’affaire Romuald Letondot, du nom de ce coopérant militaire français qui, pris en photo par un journaliste togolais lors de la répression d’une manifestation de l’opposition – où il se trouvait, semble-t-il par hasard, parce que son véhicule avait été lapidé – a choisi de le menacer de la manière la plus coloniale qui soit, menaçant de «mettre un coup sur son appareil» ou de le faire jeter «en taule» ? En tout cas, l’image de l’altercation entre les deux hommes a été filmée et diffusée sur YouTube, et a suscité une indignation internationale. Le gouvernement togolais s’en est en tout cas pris aux journalistes qui n’ont fait que mettre en ligne ce moment de vérité postcoloniale. «Sans ce soucier des conséquences graves que la vidéo pourrait avoir», argumente le ministère de la Défense, relié directement au président Faure Gnassingbé.
Qu’il se contente de rendre publics des faits ou qu’il prenne position, le journaliste dérange. Son rôle serait-il de déranger ? Non ! Son rôle est d’animer l’espace public, en étant l’endroit où des forces divergentes (pouvoirs, lobbies, etc…) s’expriment, sont contestées, applaudies ou surveillées. Et ce rôle, on ne peut pas l’exercer sans déranger. De temps en temps.
A quoi sert le journalisme ? Sans doute à entrouvrir les portes pour faire communiquer des mondes souvent clos, pour accroître le patrimoine de connaissances populaires sur le monde contemporain, tel qu’il va ou qu’il ne va pas. Arrivons-nous à accomplir cette tâche ? En tout cas, il me semble évident que, sous nos cieux, et dans la presse écrite en particulier, nous «sur-couvrons» un certain type d’actualité. Celle qui est liée à la politique, y compris dans sa dimension la plus politicienne et au people et au sport, des thèmes qui attirent un grand nombre de lecteurs au sein de notre petite classe moyenne qui peut se fournir de quoi acheter nos journaux. Nous négligeons des faits graves, dont le dévoilement pourrait édifier nos contemporains, et les pousser à agir pour un certain nombre de changements sociaux. Notre défaillance à nous, médias privés, est amplifiée par le fait que les médias publics, chez nous, demeurent des caisses de résonance du pouvoir ou des espaces de divertissement totalement vampirisés par la publicité.
Il est urgent de faire naître un journalisme d’utilité publique. Dans un contexte où la séparation des pouvoirs ressemble parfois à une vue de l’esprit, tant les réflexes d’allégeance et de connivence hérités du parti unique sont forts, notre rôle est, plus que jamais, de traquer les dysfonctionnements de la société, de venir au secours des citoyens sans voix victimes d’injustices cachées, d’enquêter patiemment sur des sujets d’intérêt général.
Quelques questions se posent. Notre société, prise aux pièges de l’analphabétisme des uns et de l’esprit outrancièrement partisan des autres, produit-elle une masse critique de lecteurs dont les achats cumulés peuvent financer une telle démarche journalistique ? Y a-t-il sous nos cieux ou ailleurs des mécènes pouvant financer un type de journalisme dont l’intérêt principal serait d’éveiller et de faire changer la société en lui révélant ses zones d’ombre ? En tout cas, ce type d’expérience fait son chemin ailleurs dans le monde. Aux Etats-Unis, le site d’information Propublica, à but non lucratif, financé par une fondation, a obtenu le prix Pulitzer pour une enquête sur les conséquences sociales du cyclone Katrina, traité un peu légèrement par l’administration Bush. Ce travail de longue haleine n’a pas pu être fait par des grands médias comme le New York Times ou le Washington Post. Et pour cause : il n’est pas assez «vendeur» au regard de ce qu’il coûte. Pas assez vendeur certes, mais salutaire pour la société américaine qui dispose désormais d’informations de première main sur ce qui s’est mal passé. Ce qui est absolument nécessaire quand on veut éviter la répétition de l’Histoire.