La question identitaire n’a jamais autant exacerbé les passions en Côte d’Ivoire qu’à la veille des périodes électorales. Et demeure sans contexte l’essence même des conflits politiques entre leaders politiques, au pouvoir et dans l’opposition. De Henri Konan Bédié à Laurent Gbagbo, en passant par le général Robert Guéi et Alassane Ouattara, la question identitaire reléguée aux calendes grecques ressurgit à l’approche d’un scrutin présidentiel à haute tension. Radiations par-ci, protestations par-là.
En défendant ce qu’on peut considérer comme une conception élargie de la nationalité ivoirienne, l’opposition se positionne comme un camp disposé à l’ouverture. Elle se pose comme une force politique influencée par des «idéaux houphouétistes», notamment l’ouverture à l’extérieur, l’intégration des peuples, l’hospitalité, la fraternité. Des valeurs qui ont valu à la Côte d’Ivoire jadis, une stabilité politique, ainsi qu’une prospérité économique. En se réclamant de cette idéologie de l’ouverture, l’opposition voudrait également s’attirer quelques faveurs à l’intérieur du pays et surtout à l’international, dans un contexte de mondialisation. Est-elle sincère ? L’ex-Premier Ministre Alassane Ouattara et le président Henri Konan Bedié, les deux leaders de premier plan du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) étaient au pouvoir avant le président Gbagbo. La régularisation de la situation des non nationaux aurait pu se faire sous leurs « régimes », l’un, Premier ministre de 1989 à 1993, l’autre, président de la République de 1993 à 1999. L’on retiendra que le mandat du Premier ministre Allasane Ouattara a été marqué par l’instauration de la carte de séjour pour les étrangers. Une situation qui avait été ouvertement critiquée par l’opposition d’alors qui y percevait les germes de la catégorisation des populations vivant en Côte d’Ivoire. Laurent Gbagbo considérait aussi, sous l’ère Bédié, «l’ivoirité» comme une apologie des «liens du sang» et une idéologie de la stigmatisation. Elu président de la République, son gouvernement et lui optent en 2002 pour une politique d’identification contestée parce qu’elle serait, selon l’opposition, fondée sur l’appartenance de chaque Ivoirien d’origine à un village, à un terroir ancestral.
Henri Konan Bedié a été successivement président de l’Assemblée nationale et président de la République. Il aurait pu régler le problème de la naturalisation des étrangers, si telle était sa conviction. Par ailleurs, le concept d’«ivoirité» forgé par lui et tendancieusement ( ?) interprété est loin d’être étranger à la crise qui secoue le pays. En réalité, l’opposition semble avoir trouvé dans la régularisation des non- nationaux et anciens bénéficiaires du droit de vote (sous le parti unique), un instrument de conquête du pouvoir politique. En effet, une régularisation au forceps de la situation des non-nationaux, garantirait à Ouattara et Bédié l’estime de ces derniers, mais aussi sûrement leurs voix.
Si l’on regarde de près les luttes idéologiques qui se manifestent dans le conflit ivoirien, il est facile de se rendre compte des difficultés auxquels la classe politique fait face dans le processus de construction d’une société moderne. Qu’est-ce que l’identité nationale ? Que renferme la notion de patrie ? Quels rapports notre classe politique, souvent plus accrochée aux intérêts immédiats qu’à la construction d’une vraie modernité politique, entretiennent avec ces concepts ? Il est évident, et beaucoup d’acteurs l’ont déjà affirmé, que la citoyenneté ivoirienne reste encore à construire.
Dans une société marquée par une grande diversité culturelle et avec une population étrangère estimée à au moins 26%, il est important de mettre en débat – autour d’un forum national impliquant toutes les forces vives de la nation, pourquoi pas – une telle question. Une véritable bombe à retardement nous pend au nez.
Il est urgent de dépassionner le débat… électoraliste. De passer au tamis de façon objective la liste électorale. Mais surtout d’initier très vite après les élections un forum des forces vives de la nation pour désamorcer la bombe identitaire. Une fois pour toutes.
* NB : Cet édito publié le 19 août dernier dans Le Nouveau Courrier contient de larges extraits d’une réflexion de Fahiraman Rodrigue Koné, responsable du Laboratoire de prospective sociale au CERAP. Pour des raisons techniques, cette mention en fin de cet édito, que nous republions avait été omise. Toutes nos excuses à l’intéressé et au CERAP.
http://www.ascleiden.nl/pdf/synth%A8sedesrapportsCoted’Ivoire.pdf.
En défendant ce qu’on peut considérer comme une conception élargie de la nationalité ivoirienne, l’opposition se positionne comme un camp disposé à l’ouverture. Elle se pose comme une force politique influencée par des «idéaux houphouétistes», notamment l’ouverture à l’extérieur, l’intégration des peuples, l’hospitalité, la fraternité. Des valeurs qui ont valu à la Côte d’Ivoire jadis, une stabilité politique, ainsi qu’une prospérité économique. En se réclamant de cette idéologie de l’ouverture, l’opposition voudrait également s’attirer quelques faveurs à l’intérieur du pays et surtout à l’international, dans un contexte de mondialisation. Est-elle sincère ? L’ex-Premier Ministre Alassane Ouattara et le président Henri Konan Bedié, les deux leaders de premier plan du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) étaient au pouvoir avant le président Gbagbo. La régularisation de la situation des non nationaux aurait pu se faire sous leurs « régimes », l’un, Premier ministre de 1989 à 1993, l’autre, président de la République de 1993 à 1999. L’on retiendra que le mandat du Premier ministre Allasane Ouattara a été marqué par l’instauration de la carte de séjour pour les étrangers. Une situation qui avait été ouvertement critiquée par l’opposition d’alors qui y percevait les germes de la catégorisation des populations vivant en Côte d’Ivoire. Laurent Gbagbo considérait aussi, sous l’ère Bédié, «l’ivoirité» comme une apologie des «liens du sang» et une idéologie de la stigmatisation. Elu président de la République, son gouvernement et lui optent en 2002 pour une politique d’identification contestée parce qu’elle serait, selon l’opposition, fondée sur l’appartenance de chaque Ivoirien d’origine à un village, à un terroir ancestral.
Henri Konan Bedié a été successivement président de l’Assemblée nationale et président de la République. Il aurait pu régler le problème de la naturalisation des étrangers, si telle était sa conviction. Par ailleurs, le concept d’«ivoirité» forgé par lui et tendancieusement ( ?) interprété est loin d’être étranger à la crise qui secoue le pays. En réalité, l’opposition semble avoir trouvé dans la régularisation des non- nationaux et anciens bénéficiaires du droit de vote (sous le parti unique), un instrument de conquête du pouvoir politique. En effet, une régularisation au forceps de la situation des non-nationaux, garantirait à Ouattara et Bédié l’estime de ces derniers, mais aussi sûrement leurs voix.
Si l’on regarde de près les luttes idéologiques qui se manifestent dans le conflit ivoirien, il est facile de se rendre compte des difficultés auxquels la classe politique fait face dans le processus de construction d’une société moderne. Qu’est-ce que l’identité nationale ? Que renferme la notion de patrie ? Quels rapports notre classe politique, souvent plus accrochée aux intérêts immédiats qu’à la construction d’une vraie modernité politique, entretiennent avec ces concepts ? Il est évident, et beaucoup d’acteurs l’ont déjà affirmé, que la citoyenneté ivoirienne reste encore à construire.
Dans une société marquée par une grande diversité culturelle et avec une population étrangère estimée à au moins 26%, il est important de mettre en débat – autour d’un forum national impliquant toutes les forces vives de la nation, pourquoi pas – une telle question. Une véritable bombe à retardement nous pend au nez.
Il est urgent de dépassionner le débat… électoraliste. De passer au tamis de façon objective la liste électorale. Mais surtout d’initier très vite après les élections un forum des forces vives de la nation pour désamorcer la bombe identitaire. Une fois pour toutes.
* NB : Cet édito publié le 19 août dernier dans Le Nouveau Courrier contient de larges extraits d’une réflexion de Fahiraman Rodrigue Koné, responsable du Laboratoire de prospective sociale au CERAP. Pour des raisons techniques, cette mention en fin de cet édito, que nous republions avait été omise. Toutes nos excuses à l’intéressé et au CERAP.
http://www.ascleiden.nl/pdf/synth%A8sedesrapportsCoted’Ivoire.pdf.