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Société Publié le jeudi 2 septembre 2010 | Nord-Sud

Carême musulman : Comment Odienné rompt le jeûne

Avec plus de 80 pour cent de musulmans, la capitale du Denguélé sacrifie pleinement au jeûne, 4ème pilier de l’islam. Depuis le 11août dernier, chaque soir, les familles se regroupent après l’appel du muezzin (prière du Maghreb) pour rompre le jeûne. Dans ce grand mouvement d’ensemble, chaque ménage se donne le repas de ses moyens.

Mardi 24 août, 18 heures 15 mn. Nous sommes au rond-point central de la cité du Kabadougou. Un silence déconcertant règne en ce lieu habituellement bruyant. Quelques rares motocyclistes passent en trombe. Les piétons, on en voit quelques uns qui marchent à grandes enjambées. Sylla Ousmane, un fidèle musulman qui habite derrière la «Chaîne avion» (boutique alimentaire) explique le calme. «Il est presque l’heure de la rupture du jeûne. Tout le monde est pressé. Il faut que je sois à la maison dans une quinzaine de minutes», lance-t-il avant de nous quitter à la hâte.

Festin chez M. Barry

L’heure dont parle M. Sylla, c’est 18 h 28 (pour ce 14ème jour du jeûne). A cette heure, les muezzins de nombreuses mosquées d’Odienné devraient appeler la prière. Nous sommes au quartier central de la capitale du Denguélé. Tout près du Chr (Centre hospitalier régional), nous appuyons sur la sonnette du portail d’une concession. Une jeune fille ouvre. C’est la villa de Barry Abdoul, un enseignant à la retraite. Après avoir répondu chaleureusement à notre «salamaleckoum», l’homme nous guide vers son grand salon, où trône une télévision à écran large. Juste derrière, une table à manger s’entoure de plusieurs chaises. Tout le monde est là. Le chef de famille Barry Abdoul, sa femme et quelques amis. «Bonne arrivée Nord-Sud quotidien (C’est comme cela que l’épouse du maître des lieux m’appelle). Puisqu’il est l’heure de la rupture du jeûne, tu vas ’’couper’’ ton carême chez nous», me taquine-t-elle. Le couvert déjà mis laisse présager effectivement qu’un repas s’annonce. A cet instant même, une jeune fille fait son entrée dans la maison. Avec sur la tête une cuvette recouverte d’une étoffe. Après une salutation d’usage, elle est déchargée par la maîtresse des lieux. Qui nous fait voir le contenu de la cuvette. C’est du «dèguè» (une bouillie de lait caillé et de poudre de mil). «Ce sont des amis, qui nous expriment ainsi leur affection par ces dons de vivres», explique M. Barry. «Nous aussi, faisons autant. Presque chaque jour, j’apporte une partie de ce que nous mangeons aux familles amies», renchérit l’épouse de cet ex-fonctionnaire de plus de 70 ans. Le «adzhan» (appel à la prière) du muezzin se fît entendre mettant fin à la conversation. On peut maintenant goûter au contenu des bols et cuvettes : étancher la soif et la faim supportés pendant environ 15 heures (de 4 heures à 19 heures).
On trouve presque tout au menu. Du lait chaud, de la boisson sucrée (bissap, gnamakoudji, jus de fruits), de la bouillie de riz et de mil. De copieux plats carnés, des crudités et autres décors de table abondent. Mme barri a certainement mis tout son savoir-faire culinaire en œuvre. De toute cette ripaille, le doyen entame par la moitié d’un verre de lait chaud. Il prend aussi quelques dattes. S’étant débarrassé de la noix ovale de ce petit fruit de couleur marron, il en mange une tranche. «Il faut se garder de manger trop lourd. Juste une boisson chaude pour moi», explique-t-il. Avant de prendre quelques autres fruits. Les ablutions déjà faites, (M. Barry a fait les siennes à l’intérieur de sa maison) l’on s’apprête pour la prière. Les trois raqats du maghreb sont accomplis sous la conduite de Oustaz Cissé. Après la prière, notre imam de circonstance improvise un prêche et dit des bénédictions. Puis on retourne à la maison pour un vrai repas du soir.

La prière commune

Pomme de terre frite, poulet, salades, sauces à la viande de bœufs, bref, une bombance ! Nous mangeons avec appétit. Après cette partie de gastronomie, nous prenons congé de nos hôtes tout en leur exprimant notre reconnaissance.
Le lendemain, C’est Koné Brahima, vigile dans un établissement de l’administration, et sa famille qui nous reçoivent à 18 h. Cette importante heure dont l’approche, pendant ce mois de ramadan rassemble tous les Odiennékas à domicile. Nous sommes au quartier Yankafissa, dans la dernière concession située à la sortie de la ville par la route de Gbéléban. M. Koné, contrairement à M. Barry (qui coule relativement des vieux jours heureux), pourrait être présenté comme le prototype du père de famille à revenu très moyen dans le Denguélé. Il a fait un pare-feu autour de sa maison en banco. Les hautes herbes sont loin d’une dizaine de mètres du bâtiment recouvert de paille. Cette maison est doublée d’une case où sa femme fait la cuisine. Dans cette cuisine noircie à l’intérieur par la fumée, les marmites sont au feu. Le bois de chauffe que l’épouse de Koné Brahima utilise pour la cuisson est emmagasiné dans un coin de la case. Une étagère pour ustensiles est visible, accrochée dans un autre coin du mur peint de bouse de vache séchée. Tout ce décor est éclairé par une lampe tempête. Après avoir salué Mme Koné dans sa cuisine, nous prenons place sur un tabouret dehors, au milieu de la concession, en face de nous, le chef de famille est couché dans un hamac tenu par deux fourches solidement enfouies dans le sol. Après les civilités, on passe à la rupture du jeûne. Au menu, des bouillies de maïs, de mil et du riz-sauce. Le tout venait d’être successivement posé à même le sol sur une natte, par la femme de celui qui assure la sécurité de l’un des bâtiments les plus importants de la cité du Kabadougou. Ses deux enfants, l’un de cinq ans et une fillette de deux ans assis, les jambes croisées se délectent, tout comme nous, de la bouillie de mil avec des cuillères. On rompt le jeûne tout en dégustant des dattes que nous avons apportées.

Dans une famille modeste

«La bouillie de mil que tu vois, m’a été apportée par la femme d’un ami. Et c’est comme ça ici chez nous, ceux qui en ont plus, du moins la plupart d’entre eux partagent avec les autres. Moi aussi, j’attends d’avoir un peu de sou pour en faire autant. Je souhaite que d’ici la fin du mois de jeûne, je réussisse à apporter un peu de ma nourriture aux autres. C’est ça l’islam», confie le vigile qui soutient n’avoir reçu aucun salaire depuis huit mois. Pour lui, ce mois de jeûne est une grande épreuve. Après la rupture du jeûne, on passe à l’ablution pour accomplir la prière.
Le lendemain, jeudi 25 août, c’est dans la grande concession du chef de canton d’Odienné que nous assistons à une rupture collective du jeûne. Les quatre couples qui cohabitent cette cour apportent leur «sounacari» (Ndlr : plats confectionnés pour la rupture) au grand salon du chef de canton. Les assiettes contiennent, pour la plupart, de la bouillie, des beignets, des tartines de mil. Dans tous les foyers d’Odienné, voire dans tout le Denguélé, vous trouverez de la bouillie ou «baca» pour la rupture du jeûne. Fait de céréale, le «baca» s’accompagne forcément de sucre. De telle sorte que manquer de sucre durant le mois de carême est senti comme une grande douleur. Dans la région, comme partout ailleurs, les enfants (s’ils en ont les moyens) s’investissent pour pourvoir leurs parents en sucre. Après avoir mangé, les habitants de la cour du chef de canton prient sous la conduite d’un imam de la famille des Savané, comme il est de coutume dans le Denguélé. Dans le cas d’espèce, c’est Sy Savané Abdoulaye qui conduira toutes les séances de prières durant tout le mois de carême dans la concession de el hadj Gaoussou Touré, chef de canton.
Les boissons font l’unanimité dans les préférences des fidèles quant à la première nourriture pour la rupture du jeûne. Quand certains optent pour des boissons chaudes, d’autres préfèrent des boissons fraîches. Le secrétaire général 2 de la préfecture d’Odienné, Chérif Ibrahim, ne cache pas son penchant pour le gnamakoudji glacé. «Tout juste un petit verre de gnamakoudji suffit pour rompre le jeûne», explique le fidèle pour qui ce mois doit être un moment d’expression de la solidarité. En la matière, Mme Chérif met le meilleur d’elle-même pour apporter des plats à plusieurs de ses amis. «Des grillades de poulet sont offertes aux amis, et voisins», soutient Mme Chérif. Au total, le ramadan est un mois de répentence, de piété, de dévouement à Allah, de pénitence mais de partage aussi.

Ténin Bè Ousmane à Odienné


Quatrième pilier !
Le ramadan, neuvième mois du calendrier musulman, est entré depuis lundi dans sa dernière décade. Nous avons voulu savoir comment les populations des villes de l’intérieur du pays vivent ce mois saint. Pendant lequel, les musulmans adultes ne mangent pas, ne boivent pas, et n'entretiennent pas de relations sexuelles de l'aube au crépuscule. Les malades, les femmes enceintes ou qui allaitent, les femmes ou jeunes filles qui sont dans leur période menstruelle, ou toute personne dont ce jeûne pourrait mettre la santé en péril en sont exemptés. Avec pour but d'enseigner aux musulmans la patience, la modestie et la spiritualité, le jeûne, quatrième pilier de l’Islam, est pleinement observé à l’intérieur du pays. Comme ont pu le relever nos correspondants. Aujourd’hui, nous vous présentons la situation dans le Denguélé. Demain, suivront les régions de Bondoukou, Gagnoa…

Djama Stanislas
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