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Art et Culture Publié le vendredi 1 octobre 2010 | Le Nouveau Courrier

Conflit Notre Voie/CNP - Qui veut une presse de seconde zone en Côte d’Ivoire ?

La sentence est tombée. Le Conseil national de la presse (CNP) a condamné le quotidien Notre Voie, organe quasi-officiel du Front populaire ivoirien (FPI), à payer une amende de cinq millions de FCFA. Pour avoir publié et commenté, dans son édition du mardi 21 septembre 2010, les résultats du dernier sondage TNS-Sofres relatifs aux intentions de vote en faveur des candidats à la prochaine élection présidentielle. Il faut rappeler que le 20 novembre 2009, le CNP, s’inspirant notamment de l’ordonnance n° 2008-133 du 14 avril portant ajustements au code électoral pour les élections de sortie de crise, a publié un communiqué «portant interdiction de publication de sondage à compter de l’affichage de la liste électorale provisoire».
Les responsables du quotidien n’ont pas tardé à réagir à la décision du «gendarme de la presse écrite», en dénonçant ce qu’ils considèrent comme «la guerre du CNP contre Notre Voie». «Nous ne pouvons (…) pas commanditer un sondage sur les élections en Côte d’Ivoire à un institut français comme Tns-Sofres. Et nous ne l’avons pas fait. Nous n’avons pas non plus publié ou diffusé les résultats d’un quelconque sondage. Ce que nous avons fait dans notre édition du mardi 21 septembre 2010 est ce qui se fait partout dans le monde de la presse. Nous avons commenté l’information mise sur le marché ivoirien depuis le dimanche 19 septembre dernier par l’hebdomadaire parisien Jeune Afrique. Comme le CNP tient coûte que coûte à nous condamner parce qu’il croit que nous sommes tombés enfin dans son piège, il omet volontairement de souligner, dans sa décision, qu’il nous a fait parvenir que les «résultats du dernier sondage Tns-Sofres relatifs aux intentions de vote en faveur des candidats à l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire» ont été publiés par Jeune Afrique. Non, messieurs du CNP, nous n’avons pas analysé les résultats du dernier sondage Tns-Sofres. Nous avons plutôt commenté l’information donnée par Jeune Afrique qui concerne les intentions de vote en Côte d’Ivoire», se défend le plus ancien des journaux «bleus».
Face à ce conflit dont le fond concerne tous les médias, Le Nouveau Courrier ne saurait se taire. Naturellement, nous soutenons Notre Voie. Mais nous ne le faisons pas par corporatisme aveugle. Nous soutenons Notre Voie mais nous ne partageons pas totalement son analyse de la situation. Nous pensons que l’honnêteté exige de dire qu’en condamnant nos confrères, le CNP a appliqué les dispositions légales. Qui n’interdisent pas la publication exclusive des sondages mais répriment toute diffusion de leurs résultats.
Au lieu de contester cette décision – qui n’est pas la première du genre –, nous devrions dénoncer d’une seule voix le statut de «demi-journaliste» ou de «simili-journaliste» que la loi actuelle impose aux animateurs de la presse ivoirienne. Une loi qui entérine le deux poids deux mesures, en opposant des dispositions à la presse nationale dont la presse éditée à l’étranger et distribuée dans le pays est dispensée. Si des journaux comme Notre Voie et Le Temps n’avaient pas courageusement défié ces dispositions, l’on se retrouverait dans une situation d’une loufoquerie inouïe : une information de première importance serait ainsi publiée dans la presse internationale, reprise par les sites Internet, commentée dans les blogs, photocopiée et vendue dans les rues… mais totalement absente de la presse écrite nationale. On se serait alors retrouvé dans une situation s’apparentant à celle de l’Union soviétique des années de plomb… Ce n’est pas sérieux ! Et le rôle du CNP, parce qu’il est dirigé par un doyen de la presse, est justement de relever ce type d’anomalie, et de plaider pour une évolution de la loi, précédée d’une application symbolique des sanctions, dans la mesure où le «crime» commis relève exclusivement des règles élémentaires du journalisme, qui sont universelles.
Le Nouveau Courrier a exploité, en juillet dernier, le réquisitoire définitif du procureur de la République Raymond Tchimou. Et ses responsables se sont retrouvés condamnés à des peines pécuniaires, après avoir été jetés dans les pires cachots de la République, au milieu des brigands. Ni les humiliations, ni la prison, ni les sanctions pécuniaires n’auraient été appliquées si le journal qui avait diffusé ce «scoop» était édité à Paris ou à New York. Demain, si ce document se retrouve sur Internet – sur le site Wikileaks, qui s’est fait une spécialité de diffuser des «fuites» –, que fera monsieur le procureur ? Rien.
On ne peut pas affaiblir la presse nationale et se plaindre de ce qu’elle n’est pas crédible. En refusant de mettre notre loi sur la presse à niveau, le législateur et le CNP font le jeu de la presse étrangère mais aussi – et surtout – de la rumeur et des tracts, qui pourraient faire leur réapparition. Est-ce bien l’effet recherché ?

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