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Art et Culture Publié le mardi 30 novembre 2010 | L’intelligent d’Abidjan

Interview / Yapi Yapo Charles, chef du village d’Agouahin - ‘’Le multipartisme a tué l’autorité coutumière en Côte d’Ivoire’’

Connu pour son intransigeance, Nanan Yapi Yapo Charles est le plus contesté de la localité d’Agouahin, village à quelques encablures de Grand Morié. Lors de notre passage dans ce village pour la fête Djidja 2010, nous l’avons rencontré. Le fonctionnaire de l’EECI (Energie électrique de Côte d’Ivoire) à la retraite donne les raisons de la déliquescence de la société ivoirienne.

Pouvez-vous donner l’historique du village d’Agouahin?
Selon la tradition, le village est un havre de paix. Si l’on se réfère au mot ‘’Agouahin’’, il signifie le dernier ressort dans le règlement d’un conflit. Lorsque l’on a finit de régler un différend, ‘’Agouahin’’ est le dernier recours. Ce village est le plus ancien du département d’Agboville. Il regroupe deux (2) grandes familles : Wanyi et Mondoko. Si vous vous référez aux cent villages du département d’Agboville, c’est au minimum trois ou quatre familles, etc. et à Grand Morié, il en compte dix-neuf (19) familles.

Qui est le dépositaire du village?
Le village a été créé par le chef de la famille Wanyi. Chez le peuple Abbey, celui qui crée la famille est le chef de terre. C’est le chef Wanyi qui est le fondateur de ce village. C’est ce dernier qui est le dépositaire de la tradition. C’est irrévocable ! C’est dans cette famille que le choix à la succession au poste de chef de terre se fait dans la lignée de la famille Wanyi.

Quel est l’état des relations entre les autochtones et les communautés, allogènes et étrangères ?
Au nombre des communautés étrangères, nous avons les Bron, les Mossi et les Dagari (Ndlr : un affluent du peuple Lobi). Ces peuples ont intégré le village, donc, il n’y a pas de problème entre les autochtones et les allogènes. Le village a sa petite histoire de l’intégration. En 1934, mon grand-père a recueilli une famille burkinabé. Vous savez, les Mossi sont venus en Côte d’Ivoire par deux vagues. Il y a un premier groupe, arrivé en 1932, que le Président Félix Houphouët-Boigny a bloqué à Dimbokro. Et ce sont ceux qu’il a envoyé dans sa plantation à Dimbokro. En 1934, la 2ème vague est arrivée à Agboville. Ce sont ceux-là qui ont commencé à travailler dans les plantations de bananes poyo. Après la guerre entre les Abbey et les colons, tous les jeunes bras-valides ont fui la guerre pour s’installer à M’batto, Daoukro, etc. Donc, ils ne restaient que les vieilles personnes d’où l’urgence de faire appel aux burkinabés pour les aider à travailler. Ce peuple a été adopté par les peuples Abbey. En 1934, il n’y avait pas de frontières donc, pas de nationalité. Du coup, par le droit de sol, leurs enfants sont devenus des Ivoiriens. Ce qui fait qu’à l’intérieur des différents villages, on dénombre des burkinabés qui sont des propriétaires terriers par rapport aux Abbey.

Comment arrivez-vous à juguler les conflits fonciers ?
Il y a même des Européens à qui nos parents ont cédé des lopins de terre moyennant deux feuilles de tabac. Et ils se sont installés, pour créer des plantations. Aujourd’hui, le problème du litige foncier se pose avec acuité. Nous avons dénoncé le fait que c’est à Agboville que tous les ministres viennent acheter des plantations. Aujourd’hui, on a tout vendu, les jeunes Abbey n’ont plus de terres cultivables. Pis, les gens achètent les forêts et ils ne les mettent pas en valeur : ils établissent des titres fonciers. C’est un problème qui va bientôt éclater. Pour l’instanct, on essaie de gérer mais cela va être compliqué plus tard.

Quelle est l’activité économique du village d’Agouahin ?
On n’a plus de forêts. Nos forêts sont devenues des jachères. Donc, une bonne partie de la population du canton Morié s’est exilée sur les terres de Setchi, Anoumanba et Rubino. Parce qu’il y avait des terres cultivables. Il n’existe plus de plantations de café. Celles de cacao sont devenues pratiquement des jachères que nos administrés entretiennent pour survivre. En ce moment, il est impossible de créer une plantation de cacao et de café. La seule activité qui rapporte de l’argent est le vivrier. D’ici aux 50 prochaines années, nous nous demandons ce que sera le village de Grand Morié. Dans les années 90, le village comptait plus de huit mille habitants. Aujourd’hui, le dernier recensement indiquait deux mille habitants. Tout le monde est parti. Parce qu’il n’y a plus de forêts. Quand vous prenez la sous-préfecture de Setchi, ce sont les populations du canton Morié qui y sont ou y vivent. Les gens ont traversé l’Agnéby pour aller de l’autre côté de l’Agnéby à Setchi.

50 ans après les indépendances, quel bilan faites-vous de l’existence des valeurs culturelles ?
C’est dommage ! Nos jeunes gens abandonnent la culture. Aujourd’hui, nos enfants boudent notre culture. Nous sommes en train de perdre notre culture. Si vous ne venez pas au village, comment pouvez-vous savoir ce qui s’y déroule ? Tout le monde veut aller en ville, c’est l’exode rural. Mais, il faut faire comprendre que la culture, notre tradition est le socle de notre existence. Nous essayons de la leur inculquer. Il faut qu’à leur tour, ils l’enseignent à leurs enfants. Pour que la tradition se perpétue. Que les jeunes fassent un effort pour s’intéresser à nos traditions.

Que fait l’autorité coutumière face à cette espèce de déni de nos valeurs culturelles ?
La déchéance de l’autorité coutumière est advenue lorsque le multipartisme est arrivé en Côte d’Ivoire. Quand on a dit que la parole est libérée. Tout est arrivé avec l’école télévisuelle en 1970. Les enfants voient des réalités qu’ils apprennent à la télévision pour des paroles d’évangile, et ce, au détriment de l’éducation que leur inculque leurs parents. Moi, quand j’ai vu cela, j’ai dit ça y est! Nous-les Africains sommes perdus.
Réalisé à Agouahin (Grand Morié) par Krou Patrick :
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