En Afrique, la semaine écoulée a été principalement marquée par le second tour de l’élection en Côte d’Ivoire et par ses suites. Nous en avons fait un dossier spécial pour vous.
Le fil des événements
Le second tour de l’élection présidentielle, précédé par des violences multiples ayant fait plusieurs morts et de nombreux blessés, s’est tenu dans une atmosphère à coupeau au couteau, le dimanche 28 novembre 2010.
Les résultats étaient attendus pour la soirée du dimanche, vu qu’il n’y avait plus que deux candidats en lice : Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. Mais le suspense va durer trois jours. La raison est que les deux camps ne tombaient pas d’accord sur les chiffres et il y avait des problèmes procéduriers que la Cei se devait de résoudre étant donné que dans ses attributions, il était bien précisé qu’elle devait veiller à ce que le scrutin soit transparent, juste, crédible. D’ailleurs, le camp de Laurent Gbagbo avait déposé ses recours au Conseil constitutionnel annonçant un hold-up électoral au vu des exactions multiples, des empêchements de voter, des bourrages d’urnes, particulièrement dans les parties Ouest et Nord du pays.
Le lundi soir, Bamba Yacouba, membre du Rdr, porte-parole de la Cei, va sur le plateau de la télévision pour proclamer les résultats de la diaspora, non encore consolidés et validés. Irritation pour ne pas dire plus du camp du Fpi.
Les choses traînent, les tensions sont extrêmes et on demande aux journalistes de quitter la Cei. Les divergences se font plus que jamais jour. Tout le mardi, on espère mais il n’y a rien jusqu’à ce qu’on annonce pour le lendemain des résultats à 11h. Mais en ce début de soirée du mardi, le même Yacouba Bamba tente de proclamer des résultats. Des membres du Fpi lui disent de ne pas le faire, les choses n’étant pas terminées mais il persiste, ce qui explique qu’il en soit physiquement empêché. Attitude dénoncée par M. Pascal Affi N’Guessan, président du Fpi, qui dira qu’il «ne peut pas user ou abuser de son rôle de porte-parole pour invalider les résultats de Paris et outrepasser le protocole interne à l’Institution».
Le lendemain, toute la journée passe et il n’y a rien. Le soir, à 23 h, Youssouf Bakayoko se rend à la télévision ivoirienne pour dire qu’il faut que les Ivoiriens comprennent que tout n’est pas fini, qu’il faudra encore du temps. Il lui est signifié qu’à minuit pourtant, le délai est de rigueur. Il répond : «Il n’est pas encore minuit». Minuit passe, la matinée du jeudi passe, et toujours rien.
A 15h 03, le Président du Conseil constitutionnel passe sur la Radiodiffusion télévision ivoirienne pour dire qu’il a dessaisi la Cei qui est forclose puisqu’elle n’a pas pu délivrer les chiffres. Il annonce qu’il prend tout le dossier en main et que, sous peu, les résultats définitifs tomberont.
C’est alors qu’à 15h 30, deux chaînes de télévision française, France 24 en particulier, annonce que Youssouf Bakayoko a déclaré en catastrophe, la victoire d’Alassane Ouattara, dans un Hôtel.
Le soir, le Président du Conseil constitutionnel, M. Yao Paul N’Dré, repasse à la télévision pour dire que ces résultats sont nuls et non avenus, que les seuls résultats seront ceux qu’il diffusera à la Rti.
Le vendredi après-midi, le même M. N’Dré annonce la victoire de Laurent Gbagbo qui a obtenu gain de cause au niveau de certaines de ses réclamations qui ont vu des bureaux annulés dans le Nord et l’Ouest notamment. Ce n’était pas une première : bien de pays l’ont fait. Ainsi, le Bénin a pu annuler plus d’un tiers des bureaux de vote à une élection présidentielle sans qu’on y ait trouvé à redire dans le monde au sujet de la monumentalité du fait.
A la suite de cette proclamation légale, les opposants et leurs amis, notamment de l’extérieur, se sont manifestés pour affirmer que jamais ils ne reconnaîtraient M. Gbagbo. M. Young Jin Choi, Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies en Côte d’Ivoire, prend fait et cause pour la proclamation non reconnue par les autorités ivoiriennes, soit celle de M. Bakayoko, semble-t-il, toujours enfermé à l’Hôtel, sans qu’on ne sache pourquoi. La police ivoirienne lance un avis de recherche. Sait-on jamais ! La France, les Usa, les médias opposés à Laurent Gbagbo s’activent pour dénigrer la déclaration définitive et sans appel du juge suprême. Tout le monde est appelé à la rescousse : l’Union africaine, la Cedeao… On tente un coup à l’Onu : faire accepter M. Ouattara comme président de la Côte d’Ivoire mais au Conseil de Sécurité, la Russie notamment s’y refuse.
Et le samedi, c’est, croit-on, l’épilogue : à 14 h, M. Laurent Gbagbo prête serment devant le Conseil constitutionnel à 13 heures devant des représentants d’organisations internationales, de Chancelleries, devant tous les Généraux de l’Armée ivoirienne (venus, il faut le souligner, la veille le féliciter au palais) devant une foule de supporters très heureux. La boucle est-elle bouclée ? Que nenni ! M. Alassane Ouattara, de son côté, prête serment par courrier envoyé au Président du Conseil constitutionnel. Une prestation surréaliste à inscrire dans le Guiness des exploits, avec cette candide explication : «Les circonstances exceptionnelles que vit la Côte d'Ivoire en ce moment ne me permettent pas de prêter serment en personne devant le Conseil constitutionnel». (in Le Figaro du 05 12 2010). Il nomme Guillaume Soro, Premier ministre, après que ce dernier a déposé sa démission entre ses mains.
Face à ce grand «souk», on apprend que Thabo Mbeki a été dépêché par l’Union africaine pour tenter de trouver une issue au nouveau problème posé à la Côte d’Ivoire.
C’est un cirque abracadabrantesque qui continue après l’adoubement de la rébellion ivoirienne par la communauté internationale au lendemain du 19 septembre 2002. Mais c’est bien connu, depuis longtemps, la raison du plus fort est souvent la meilleure !
Proclamation des résultats par la Cei. Nulle dans la forme et dans le fond
Il n’est pas besoin d’être docteur en Droit pour reconnaître que la proclamation des résultats par le Président de la Commission électorale indépendante (Cei), M. Issouf Bakayoko, est nulle et de nul effet.
En premier lieu, on voit que dans la forme, il y a quelque chose de choquant.
En règle générale, les organes et Institutions de ce genre prennent leurs décisions dans leurs sièges. Dans le cas de la Cei, c’est dans un hôtel où se trouvaient les responsables de l’opposition (dont le candidat Alassane Ouattara) que le Président de l’Institution a procédé à sa proclamation. Même la journaliste de France 24, Tatiana Mossot, sur place à Abidjan, n’a pas manqué de relever l’incongruité de la prestation. Et c’est tout seul, escorté par deux militaires, sans être entouré de tout son staff qu’il a livré à la dérobée quelques résultats avant de conclure rapidement qu’Alassane Ouattara est vainqueur.
Toujours dans la forme, les Ivoiriens et autres Africains auront remarqué avec un sentiment d’humiliation que c’est devant des chaînes de télévision françaises que la déclaration a été lue par M. Bakayoko, comme si la légitimation du pouvoir en Côte d’Ivoire était le fait de l’étranger et notamment de l’Hexagone.
Dans le fond, il suffit de relever la forclusion de la Cei puisque le mercredi 1er décembre à minuit, elle devait avoir impérativement proclamé les résultats provisoires, ce qu’elle ne fit pas. Sa parole n’avait donc plus d’effet, et lorsque le Conseil constitutionnel s’est saisi du dossier, la Cei était par le fait disqualifiée pour prononcer les résultats. Ca, ce sont des principes qui valent un peu partout et qui fondent le droit. Or, on veut faire avaler des choses contraires à la loi en décidant contre les lois de la République ivoirienne, contre la constitution ivoirienne, que c’est la Cei qui a raison à la place du Conseil constitutionnel.
Pourquoi ce qu’on ne pourra jamais accepter aux Usa, en France, en Allemagne…, on veut l’imposer en Afrique ?
Conseils constitutionnels africains. Qui peut faire la leçon à qui ?
Depuis que le Conseil constitutionnel ivoirien, évoquant le dossier des élections face à la forclusion de la Cei a tranché dans les délais, on en entend des vertes et des pas mûres sur cette Institution.
Aux yeux d’un Antoine Glaser (Patron de «La Lettre du Continent») ou d’un Jean-Baptiste Placca (Chroniqueur à Rfi), le Conseil constitutionnel ivoirien ne serait composé que d’un ramassis de complices de Laurent Gbagbo. Ce point de vue, relayé dans bien de médias, est partagé jusqu’aux plus hautes sphères par nombre de puissances étrangères. On se repaît de cette «anomalie», faisant grâce de cette autre bien réelle qui nous offre une Cei dans laquelle, le déséquilibre joue de façon injurieuse en faveur de l’opposition ivoirienne. Mais soit !
Cependant, si l’on doit mener le débat sur la crédibilité des Conseils constitutionnels ou autres Institutions du genre en Afrique, qu’on le fasse clairement, sur la base d’un débat objectif. On verra alors que le Conseil constitutionnel ivoirien, s’il est «critiquable» est loin de faire plus mauvaise figure que bien d’Institutions du même type, ici et là, sur le continent.
Il suffit pour cela de se souvenir de ces exemples centrafricain, tchadien, togolais…, pour se rendre compte que là-bas, dans des conditions carrément injurieuses pour le Droit, ils ont tranché en faveur des autorités en place. Même dans la patrie des Droits de l’Homme, le Conseil constitutionnel, à ce qu’on sache, est composé de gens nommés par le chef de l’Etat et les présidents des chambres parlementaires. Le fait que le Président puisse y envoyer des personnalités qui ne sont pas notoirement inscrits à l’Ump ne change pas au fait que c’est lui qui les nomme.
Il n’est pas insignifiant de rafraîchir ici les mémoires en rappelant le front que Jacques Chirac a eu de s’aménager des immunités perpétuelles via cette même cour.
Chez nous, même soumission de l’organe suprême, même modus operandi pour en tirer le meilleur profit. Les candidats malheureux à la dernière présidentielle ont obtenu un jugement faisant droit à leurs dénonciations portant sur les cartes d’électeurs illégales mais cela n’a pas empêché le Conseil constitutionnel de rejeter leur demande d’invalidation du scrutin. Tradition oblige puisque le même Conseil constitutionnel, sur d’autres sujets de droit capitaux, n’a pas hésité à rendre des décisions qui resteront dans l’histoire de notre justice, comme des hérésies juridiques fondamentales. Où a-t-on vu que cela ait le moins du monde ému les bien pensants de la communauté internationale ?
Alors, arrêtons ces débats sélectifs, discriminatoires au cours desquels, sur des bases subjectives, on délivre des satisfécits aux uns et des blâmes aux autres.
Observateurs internationaux et observateurs africains. Les pires ne sont pas forcément ceux qu’on croit !
Bien qu’ils essaiment les pays africains en période électorale comme des sautereaux en hivernage malgré les critiques croissantes dont ils font l’objet, les observateurs internationaux sont toujours là. Ils gagnent même en puissance puisque finalement, leur jugement participe de plus en plus grandement à la validation des processus électoraux en Afrique. Le fait devient de plus en plus irritant lorsque l’on voit des appréciations sentencieuses se faire en faveur d’un scrutin pendant que les faits démontrent à l’excès, son caractère injuste, non transparent, anti-démocratique.
Tout aussi énervant et insultant pour les Africains, est cette façon de donner un label au constat des observateurs internationaux quand ceux africains sont cantonnés dans le bas de gamme.
Dans ce pays, les observateurs africains, qui étaient déployés sur l’ensemble du territoire, ont relevé dans le Nord et l’Ouest du pays, des faits de violences, de fraudes, d’empêchement de voter, de bourrages d’urnes, de vols d’urnes, portant atteinte lourde à la sincérité de la votation et en ont conséquemment préconisé l’invalidation. Mal leur en a prit. On a estimé, au niveau des observateurs internationaux, que tout cela n’était qu’affabulations venant de personnes à la crédibilité douteuse pour avoir surgi du néant.
Ce point de vue déconsidérant pour les Africains, relayé notamment par le Représentant spécial des Nations unies M. Choi et le journaliste Jean-Baptiste Placca (qui pourtant, si on ne s’abuse, se plaisait à critiquer le travail des observateurs internationaux venus comme en villégiature en Afrique en contrepartie de certification de scrutins cabalistiques), doit inviter les démocrates africains à le dénoncer comme étant une survivance de pratiques coloniales et néocoloniales qu’un certain Albert Memmi a décrit comme un processus de néantisation du colonisé.
Les observateurs internationaux sont d’autant moins fondés à se targuer d’une supériorité dans l’observation des élections qu’ils ne peuvent pas mieux connaître l’Afrique que les Africains et qu’en nombre insuffisant pour couvrir l’entièreté d’un territoire national, leur jugement est forcément exposé à l’arbitraire. Ce n’est pas pour rien que dans l’opinion commune, on considère que, pas plus que les adeptes du tourisme sexuel, ces partisans du tourisme électoral ne valent pas chipette.
Tant qu’à juger l’efficience de l’observation sur la loyauté des scrutins électoraux en Afrique, qu’on le fasse sur des bases crédibles, sans volonté de privilégier les uns au détriment des autres parce qu’on sert des intérêts inavouables.
De la crédibilité du vote en zones rebelles
Extraits d’un point de vue de M. Eric Kahé, président de l'Alliance ivoirienne pour la République et la démocratie (Aird). A méditer !
«Les scores régionaux (nous disons bien régionaux et non dans quelques bureaux de vote) obtenus par le candidat du Rdr dans ces régions atteignent un pic de 93.42% avec une moyenne de 85%, ce que ne réalise aucun autre candidat nulle part ailleurs.
Ces scores rappellent ainsi l'ancienne époque soviétique ou celle des partis uniques africains ou des Républiques bananières. Le candidat Alassane Ouattara ne gagne donc que dans les zones contrôlées et administrées par des commandants de zone (Com'zones).
Non seulement elles sont dirigées par l'ex (?) rébellion qui n'a ni désarmé, ni concédé aux Préfets la moindre autorité, mais ces zones ont la particularité d'être alimentées en informations par des radios pirates aux ordres du Rdr et qui assurent à son mentor une propagande exclusive depuis plus de 8 ans. Malgré les Accords de Ouagadougou qui prévoient la cessation de leurs activités au profit de la Radiodiffusion télévision nationale, la situation n'a guère évolué. Il apparaît donc évident une grave atteinte au droit à l'information au profit de la propagande et cela pose la cruciale question de l'équité et de l'équilibre. Sans compter les conditions dans lesquelles a été réalisé l'enrôlement en zones dites Cno.
Les Forces nouvelles (Fn) n'ayant pas désarmé, les populations n'ont-elles pas voté avec la peur de représailles pour le village qui ne voterait pas majoritairement l'allié de l'ex-rébellion ? Peut-on parler, dans ces conditions, de sincérité du scrutin ?
Les résultats du Nord en faveur du candidat Ouattara sont choquants pour la démocratie et l'unité nationale, et ils rappellent ces films Western dans lesquels le brave fermier est obligé de vendre ‘légalement’ ses terres pour ne pas avoir à subir les représailles du chef bandit si ce n'est du chef-rebelle. On comprend maintenant pourquoi l'on tenait tant à des élections sans désarmement».
Sus à l’instrumentalisation de la Cour penal internationale !
On a coutume d’imputer la crédibilité relative de la Cour pénale internationale (Cpi) au fait que nombre d’Etats au premier rang desquels les Usa, la Chine, n’ont pas signé le Traité constitutif et que certains autres comme la France l’ont ratifié en prenant soin de s’aménager quelques réserves. Ça, c’est vrai. On ne peut pas construire un ordre public international avec une justice pénale fonctionnant à deux vitesses exemptant certains de ses sanctions et s’abattant sur d’autres à bras raccourcis. Soit, tous les Etats du monde sont justiciables au même titre, soit il n’y a pas de justice pénale internationale !
Mais la bataille de la justice est un long combat qui a pris des siècles pour s’imposer dans le cadre des Etats de droit. On peut s’estimer déjà heureux par conséquent qu’un Tribunal pénal international (Tpi) ait été mis en place, à la suite du Traité de Rome et attendre qu’il fasse son œuvre à force de persuasion et d’efficacité dans l’administration de la justice.
Cependant, il y a un autre fait qui contribue encore plus grandement à rogner la crédibilité du Tpi : c’est sa récupération comme instrument de domination par des Etats, par des puissances parfois même non signataires du Traité pour faire plier les Etats, les contraindre au respect d’un certain ordre mondial. C’est précisément le cas pour la Côte d’Ivoire.
On agite ainsi l’épouvantail du Tpi comme on l’a fait hier, en Guinée Conakry pour contraindre les autorités ivoiriennes à sortir du lit de la légalité républicaine.
Ces menaces sont ici d’autant plus exaspérantes que nombre de ces puissances qui les agitent se gardent bien de le faire s’agissant d’Etats comme la Birmanie -qui pourtant le mérite-, et qu’ils ont eux-mêmes les mains tachées du sang d’innocentes victimes africaines et qu’ils sont de ce fait, disqualifiés à parler de comparution d’autorités ivoiriennes à la barre de la Haye !
In San Finna N°594 du 06 au 12 décembre 2010
Le fil des événements
Le second tour de l’élection présidentielle, précédé par des violences multiples ayant fait plusieurs morts et de nombreux blessés, s’est tenu dans une atmosphère à coupeau au couteau, le dimanche 28 novembre 2010.
Les résultats étaient attendus pour la soirée du dimanche, vu qu’il n’y avait plus que deux candidats en lice : Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. Mais le suspense va durer trois jours. La raison est que les deux camps ne tombaient pas d’accord sur les chiffres et il y avait des problèmes procéduriers que la Cei se devait de résoudre étant donné que dans ses attributions, il était bien précisé qu’elle devait veiller à ce que le scrutin soit transparent, juste, crédible. D’ailleurs, le camp de Laurent Gbagbo avait déposé ses recours au Conseil constitutionnel annonçant un hold-up électoral au vu des exactions multiples, des empêchements de voter, des bourrages d’urnes, particulièrement dans les parties Ouest et Nord du pays.
Le lundi soir, Bamba Yacouba, membre du Rdr, porte-parole de la Cei, va sur le plateau de la télévision pour proclamer les résultats de la diaspora, non encore consolidés et validés. Irritation pour ne pas dire plus du camp du Fpi.
Les choses traînent, les tensions sont extrêmes et on demande aux journalistes de quitter la Cei. Les divergences se font plus que jamais jour. Tout le mardi, on espère mais il n’y a rien jusqu’à ce qu’on annonce pour le lendemain des résultats à 11h. Mais en ce début de soirée du mardi, le même Yacouba Bamba tente de proclamer des résultats. Des membres du Fpi lui disent de ne pas le faire, les choses n’étant pas terminées mais il persiste, ce qui explique qu’il en soit physiquement empêché. Attitude dénoncée par M. Pascal Affi N’Guessan, président du Fpi, qui dira qu’il «ne peut pas user ou abuser de son rôle de porte-parole pour invalider les résultats de Paris et outrepasser le protocole interne à l’Institution».
Le lendemain, toute la journée passe et il n’y a rien. Le soir, à 23 h, Youssouf Bakayoko se rend à la télévision ivoirienne pour dire qu’il faut que les Ivoiriens comprennent que tout n’est pas fini, qu’il faudra encore du temps. Il lui est signifié qu’à minuit pourtant, le délai est de rigueur. Il répond : «Il n’est pas encore minuit». Minuit passe, la matinée du jeudi passe, et toujours rien.
A 15h 03, le Président du Conseil constitutionnel passe sur la Radiodiffusion télévision ivoirienne pour dire qu’il a dessaisi la Cei qui est forclose puisqu’elle n’a pas pu délivrer les chiffres. Il annonce qu’il prend tout le dossier en main et que, sous peu, les résultats définitifs tomberont.
C’est alors qu’à 15h 30, deux chaînes de télévision française, France 24 en particulier, annonce que Youssouf Bakayoko a déclaré en catastrophe, la victoire d’Alassane Ouattara, dans un Hôtel.
Le soir, le Président du Conseil constitutionnel, M. Yao Paul N’Dré, repasse à la télévision pour dire que ces résultats sont nuls et non avenus, que les seuls résultats seront ceux qu’il diffusera à la Rti.
Le vendredi après-midi, le même M. N’Dré annonce la victoire de Laurent Gbagbo qui a obtenu gain de cause au niveau de certaines de ses réclamations qui ont vu des bureaux annulés dans le Nord et l’Ouest notamment. Ce n’était pas une première : bien de pays l’ont fait. Ainsi, le Bénin a pu annuler plus d’un tiers des bureaux de vote à une élection présidentielle sans qu’on y ait trouvé à redire dans le monde au sujet de la monumentalité du fait.
A la suite de cette proclamation légale, les opposants et leurs amis, notamment de l’extérieur, se sont manifestés pour affirmer que jamais ils ne reconnaîtraient M. Gbagbo. M. Young Jin Choi, Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies en Côte d’Ivoire, prend fait et cause pour la proclamation non reconnue par les autorités ivoiriennes, soit celle de M. Bakayoko, semble-t-il, toujours enfermé à l’Hôtel, sans qu’on ne sache pourquoi. La police ivoirienne lance un avis de recherche. Sait-on jamais ! La France, les Usa, les médias opposés à Laurent Gbagbo s’activent pour dénigrer la déclaration définitive et sans appel du juge suprême. Tout le monde est appelé à la rescousse : l’Union africaine, la Cedeao… On tente un coup à l’Onu : faire accepter M. Ouattara comme président de la Côte d’Ivoire mais au Conseil de Sécurité, la Russie notamment s’y refuse.
Et le samedi, c’est, croit-on, l’épilogue : à 14 h, M. Laurent Gbagbo prête serment devant le Conseil constitutionnel à 13 heures devant des représentants d’organisations internationales, de Chancelleries, devant tous les Généraux de l’Armée ivoirienne (venus, il faut le souligner, la veille le féliciter au palais) devant une foule de supporters très heureux. La boucle est-elle bouclée ? Que nenni ! M. Alassane Ouattara, de son côté, prête serment par courrier envoyé au Président du Conseil constitutionnel. Une prestation surréaliste à inscrire dans le Guiness des exploits, avec cette candide explication : «Les circonstances exceptionnelles que vit la Côte d'Ivoire en ce moment ne me permettent pas de prêter serment en personne devant le Conseil constitutionnel». (in Le Figaro du 05 12 2010). Il nomme Guillaume Soro, Premier ministre, après que ce dernier a déposé sa démission entre ses mains.
Face à ce grand «souk», on apprend que Thabo Mbeki a été dépêché par l’Union africaine pour tenter de trouver une issue au nouveau problème posé à la Côte d’Ivoire.
C’est un cirque abracadabrantesque qui continue après l’adoubement de la rébellion ivoirienne par la communauté internationale au lendemain du 19 septembre 2002. Mais c’est bien connu, depuis longtemps, la raison du plus fort est souvent la meilleure !
Proclamation des résultats par la Cei. Nulle dans la forme et dans le fond
Il n’est pas besoin d’être docteur en Droit pour reconnaître que la proclamation des résultats par le Président de la Commission électorale indépendante (Cei), M. Issouf Bakayoko, est nulle et de nul effet.
En premier lieu, on voit que dans la forme, il y a quelque chose de choquant.
En règle générale, les organes et Institutions de ce genre prennent leurs décisions dans leurs sièges. Dans le cas de la Cei, c’est dans un hôtel où se trouvaient les responsables de l’opposition (dont le candidat Alassane Ouattara) que le Président de l’Institution a procédé à sa proclamation. Même la journaliste de France 24, Tatiana Mossot, sur place à Abidjan, n’a pas manqué de relever l’incongruité de la prestation. Et c’est tout seul, escorté par deux militaires, sans être entouré de tout son staff qu’il a livré à la dérobée quelques résultats avant de conclure rapidement qu’Alassane Ouattara est vainqueur.
Toujours dans la forme, les Ivoiriens et autres Africains auront remarqué avec un sentiment d’humiliation que c’est devant des chaînes de télévision françaises que la déclaration a été lue par M. Bakayoko, comme si la légitimation du pouvoir en Côte d’Ivoire était le fait de l’étranger et notamment de l’Hexagone.
Dans le fond, il suffit de relever la forclusion de la Cei puisque le mercredi 1er décembre à minuit, elle devait avoir impérativement proclamé les résultats provisoires, ce qu’elle ne fit pas. Sa parole n’avait donc plus d’effet, et lorsque le Conseil constitutionnel s’est saisi du dossier, la Cei était par le fait disqualifiée pour prononcer les résultats. Ca, ce sont des principes qui valent un peu partout et qui fondent le droit. Or, on veut faire avaler des choses contraires à la loi en décidant contre les lois de la République ivoirienne, contre la constitution ivoirienne, que c’est la Cei qui a raison à la place du Conseil constitutionnel.
Pourquoi ce qu’on ne pourra jamais accepter aux Usa, en France, en Allemagne…, on veut l’imposer en Afrique ?
Conseils constitutionnels africains. Qui peut faire la leçon à qui ?
Depuis que le Conseil constitutionnel ivoirien, évoquant le dossier des élections face à la forclusion de la Cei a tranché dans les délais, on en entend des vertes et des pas mûres sur cette Institution.
Aux yeux d’un Antoine Glaser (Patron de «La Lettre du Continent») ou d’un Jean-Baptiste Placca (Chroniqueur à Rfi), le Conseil constitutionnel ivoirien ne serait composé que d’un ramassis de complices de Laurent Gbagbo. Ce point de vue, relayé dans bien de médias, est partagé jusqu’aux plus hautes sphères par nombre de puissances étrangères. On se repaît de cette «anomalie», faisant grâce de cette autre bien réelle qui nous offre une Cei dans laquelle, le déséquilibre joue de façon injurieuse en faveur de l’opposition ivoirienne. Mais soit !
Cependant, si l’on doit mener le débat sur la crédibilité des Conseils constitutionnels ou autres Institutions du genre en Afrique, qu’on le fasse clairement, sur la base d’un débat objectif. On verra alors que le Conseil constitutionnel ivoirien, s’il est «critiquable» est loin de faire plus mauvaise figure que bien d’Institutions du même type, ici et là, sur le continent.
Il suffit pour cela de se souvenir de ces exemples centrafricain, tchadien, togolais…, pour se rendre compte que là-bas, dans des conditions carrément injurieuses pour le Droit, ils ont tranché en faveur des autorités en place. Même dans la patrie des Droits de l’Homme, le Conseil constitutionnel, à ce qu’on sache, est composé de gens nommés par le chef de l’Etat et les présidents des chambres parlementaires. Le fait que le Président puisse y envoyer des personnalités qui ne sont pas notoirement inscrits à l’Ump ne change pas au fait que c’est lui qui les nomme.
Il n’est pas insignifiant de rafraîchir ici les mémoires en rappelant le front que Jacques Chirac a eu de s’aménager des immunités perpétuelles via cette même cour.
Chez nous, même soumission de l’organe suprême, même modus operandi pour en tirer le meilleur profit. Les candidats malheureux à la dernière présidentielle ont obtenu un jugement faisant droit à leurs dénonciations portant sur les cartes d’électeurs illégales mais cela n’a pas empêché le Conseil constitutionnel de rejeter leur demande d’invalidation du scrutin. Tradition oblige puisque le même Conseil constitutionnel, sur d’autres sujets de droit capitaux, n’a pas hésité à rendre des décisions qui resteront dans l’histoire de notre justice, comme des hérésies juridiques fondamentales. Où a-t-on vu que cela ait le moins du monde ému les bien pensants de la communauté internationale ?
Alors, arrêtons ces débats sélectifs, discriminatoires au cours desquels, sur des bases subjectives, on délivre des satisfécits aux uns et des blâmes aux autres.
Observateurs internationaux et observateurs africains. Les pires ne sont pas forcément ceux qu’on croit !
Bien qu’ils essaiment les pays africains en période électorale comme des sautereaux en hivernage malgré les critiques croissantes dont ils font l’objet, les observateurs internationaux sont toujours là. Ils gagnent même en puissance puisque finalement, leur jugement participe de plus en plus grandement à la validation des processus électoraux en Afrique. Le fait devient de plus en plus irritant lorsque l’on voit des appréciations sentencieuses se faire en faveur d’un scrutin pendant que les faits démontrent à l’excès, son caractère injuste, non transparent, anti-démocratique.
Tout aussi énervant et insultant pour les Africains, est cette façon de donner un label au constat des observateurs internationaux quand ceux africains sont cantonnés dans le bas de gamme.
Dans ce pays, les observateurs africains, qui étaient déployés sur l’ensemble du territoire, ont relevé dans le Nord et l’Ouest du pays, des faits de violences, de fraudes, d’empêchement de voter, de bourrages d’urnes, de vols d’urnes, portant atteinte lourde à la sincérité de la votation et en ont conséquemment préconisé l’invalidation. Mal leur en a prit. On a estimé, au niveau des observateurs internationaux, que tout cela n’était qu’affabulations venant de personnes à la crédibilité douteuse pour avoir surgi du néant.
Ce point de vue déconsidérant pour les Africains, relayé notamment par le Représentant spécial des Nations unies M. Choi et le journaliste Jean-Baptiste Placca (qui pourtant, si on ne s’abuse, se plaisait à critiquer le travail des observateurs internationaux venus comme en villégiature en Afrique en contrepartie de certification de scrutins cabalistiques), doit inviter les démocrates africains à le dénoncer comme étant une survivance de pratiques coloniales et néocoloniales qu’un certain Albert Memmi a décrit comme un processus de néantisation du colonisé.
Les observateurs internationaux sont d’autant moins fondés à se targuer d’une supériorité dans l’observation des élections qu’ils ne peuvent pas mieux connaître l’Afrique que les Africains et qu’en nombre insuffisant pour couvrir l’entièreté d’un territoire national, leur jugement est forcément exposé à l’arbitraire. Ce n’est pas pour rien que dans l’opinion commune, on considère que, pas plus que les adeptes du tourisme sexuel, ces partisans du tourisme électoral ne valent pas chipette.
Tant qu’à juger l’efficience de l’observation sur la loyauté des scrutins électoraux en Afrique, qu’on le fasse sur des bases crédibles, sans volonté de privilégier les uns au détriment des autres parce qu’on sert des intérêts inavouables.
De la crédibilité du vote en zones rebelles
Extraits d’un point de vue de M. Eric Kahé, président de l'Alliance ivoirienne pour la République et la démocratie (Aird). A méditer !
«Les scores régionaux (nous disons bien régionaux et non dans quelques bureaux de vote) obtenus par le candidat du Rdr dans ces régions atteignent un pic de 93.42% avec une moyenne de 85%, ce que ne réalise aucun autre candidat nulle part ailleurs.
Ces scores rappellent ainsi l'ancienne époque soviétique ou celle des partis uniques africains ou des Républiques bananières. Le candidat Alassane Ouattara ne gagne donc que dans les zones contrôlées et administrées par des commandants de zone (Com'zones).
Non seulement elles sont dirigées par l'ex (?) rébellion qui n'a ni désarmé, ni concédé aux Préfets la moindre autorité, mais ces zones ont la particularité d'être alimentées en informations par des radios pirates aux ordres du Rdr et qui assurent à son mentor une propagande exclusive depuis plus de 8 ans. Malgré les Accords de Ouagadougou qui prévoient la cessation de leurs activités au profit de la Radiodiffusion télévision nationale, la situation n'a guère évolué. Il apparaît donc évident une grave atteinte au droit à l'information au profit de la propagande et cela pose la cruciale question de l'équité et de l'équilibre. Sans compter les conditions dans lesquelles a été réalisé l'enrôlement en zones dites Cno.
Les Forces nouvelles (Fn) n'ayant pas désarmé, les populations n'ont-elles pas voté avec la peur de représailles pour le village qui ne voterait pas majoritairement l'allié de l'ex-rébellion ? Peut-on parler, dans ces conditions, de sincérité du scrutin ?
Les résultats du Nord en faveur du candidat Ouattara sont choquants pour la démocratie et l'unité nationale, et ils rappellent ces films Western dans lesquels le brave fermier est obligé de vendre ‘légalement’ ses terres pour ne pas avoir à subir les représailles du chef bandit si ce n'est du chef-rebelle. On comprend maintenant pourquoi l'on tenait tant à des élections sans désarmement».
Sus à l’instrumentalisation de la Cour penal internationale !
On a coutume d’imputer la crédibilité relative de la Cour pénale internationale (Cpi) au fait que nombre d’Etats au premier rang desquels les Usa, la Chine, n’ont pas signé le Traité constitutif et que certains autres comme la France l’ont ratifié en prenant soin de s’aménager quelques réserves. Ça, c’est vrai. On ne peut pas construire un ordre public international avec une justice pénale fonctionnant à deux vitesses exemptant certains de ses sanctions et s’abattant sur d’autres à bras raccourcis. Soit, tous les Etats du monde sont justiciables au même titre, soit il n’y a pas de justice pénale internationale !
Mais la bataille de la justice est un long combat qui a pris des siècles pour s’imposer dans le cadre des Etats de droit. On peut s’estimer déjà heureux par conséquent qu’un Tribunal pénal international (Tpi) ait été mis en place, à la suite du Traité de Rome et attendre qu’il fasse son œuvre à force de persuasion et d’efficacité dans l’administration de la justice.
Cependant, il y a un autre fait qui contribue encore plus grandement à rogner la crédibilité du Tpi : c’est sa récupération comme instrument de domination par des Etats, par des puissances parfois même non signataires du Traité pour faire plier les Etats, les contraindre au respect d’un certain ordre mondial. C’est précisément le cas pour la Côte d’Ivoire.
On agite ainsi l’épouvantail du Tpi comme on l’a fait hier, en Guinée Conakry pour contraindre les autorités ivoiriennes à sortir du lit de la légalité républicaine.
Ces menaces sont ici d’autant plus exaspérantes que nombre de ces puissances qui les agitent se gardent bien de le faire s’agissant d’Etats comme la Birmanie -qui pourtant le mérite-, et qu’ils ont eux-mêmes les mains tachées du sang d’innocentes victimes africaines et qu’ils sont de ce fait, disqualifiés à parler de comparution d’autorités ivoiriennes à la barre de la Haye !
In San Finna N°594 du 06 au 12 décembre 2010