Censure. Dans sa folle course contre la liberté de la presse, l'ancien régime ivoirien balaie tout sur son passage. Après avoir suspendu les émissions des chaînes de télés et radios internationales, l'ancien Président Laurent Gbagbo a ordonné l'interdiction de la vente de l'hebdomadaire panafricain Jeune Afrique. Ainsi, le public ivoirien a-t-il été privé du N°2604 du 5 au 11 décembre 2010. "Coup d'Etat contre la démocratie", a titré en manchette l'hebdomadaire le plus ancien d'Afrique. Nous publions des articles de cette édition, relatifs à la crise ivoirienne. Voici les révélations que Gbagbo veut vous cacher.
Le scénario que chacun redoutait, s’est produit au soir du 3 décembre. Laurent Gbagbo est parvenu à se faire proclamer vainqueur de la présidentielle. Au risque de replonger son pays dans la crise, voire dans la guerre.
“Un chef, ça se bat, ça résiste, quitte à y laisser la vie », nous avait confié Laurent Gbagbo lors d’une de ces audiences nocturnes qu’il affectionne, quelques jours avant le second tour de la présidentielle du 28 novembre. Nul doute qu’en matière de pugnacité Gbagbo soit médaille d’or. Mais lui qui, jusqu’ici, se présentait volontiers comme « un fils des élections », voire « un enfant de la démocratie », aura désormais le plus grand mal à incarner cette image d’Épinal. Coûte que coûte, il a décidé d’aller au bout d’une démarche qui n’a plus rien à voir avec les urnes. Quitte à replonger la Côte d’Ivoire dans les affres de la crise et de la guerre. Les résultats du premier tour – taux de participation record, déroulement relativement serein, présence de trois candidats don les scores oscillaient entre 38%et 25% des suffrages exprimés – laissaient pourtant augurer la fin d’une interminable descente aux enfers et, peut-être, la naissance d’un modèle de démocratie dans cette Afrique de l’Ouest si tourmentée. L’atmosphère apaisée de l’entre-deux-tours n’aura été qu’un leurre.
Au premier, Laurent Gbagbo n’avait pas grand-chose à perdre. Au second, c’est le pouvoir, son pouvoir, qui était en jeu. La raison n’est plus de mise. Désormais, tous les moyens sont bons pour se maintenir au sommet.
Il lui a quand même fallu invoquer quelques arguments aux allures d’arguties juridiques. La Commission électorale indépendante (CEI), dont le président, Youssouf Bakayoko, a fait face trois jours durant à de multiples menaces et pressions, a déclaré, le 2 décembre, son rival Alassane Ouattara vainqueur avec 54,1 % des voix, contre 45,9 % pour lui-même? L’annonce en a, paraît-il, été faite hors délais. Même si les images de Damana Pickass, le commissaire représentant le Front populaire ivoirien (FPI), déchirant les résultats sur le point d’être annoncés, le 30 novembre au soir, par Bamba Yacouba, le porte- parole de la commission, ont fait le tour de la planète. Et si cette même commission a été empêchée de fonctionner normalement par les manœuvres dilatoires des partisans du chef de l’État. Objectif : donner au Conseil constitutionnel, présidé par un proche parmi les proches du président sortant, l’occasion d’annuler les résultats de la CEI, dont la composition fit pourtant jadis l’objet d’âpres batailles. Et non pas pour recompter les voix dans le Nord, encore moins pour y refaire l’élection, mais, purement et simplement, pour déclarer le candidat du FPI vainqueur, avec 51,45 % des voix !
Les accusations de fraude dans le Nord? Elles sont vraisemblables au moins autant que celles dénoncées, en sens inverse, par le RHDP dans l’Ouest. Mais elles n’ont certainement pas été aussi «massives» que l’a clamé le FPI ,et encore moins de nature à expliquer l’écart de huit points entre les deux candidats. Il suffit d’examiner les scores réalisés par « ADO » dans ces régions au premier tour, qui n’avaient par ailleurs pas été contestés par le FPI… La communauté internationale et, en premier lieu, les Nations unies, qui ont dépensé plusieurs centaines de millions d’euros dans cette élection «historique», ont estimé que l’ensemble du processus électoral ne pouvait être remis en question. Et que les opérations de vote s’étaient déroulées démocratiquement.
Que dire, enfin, de l’instauration d’un couvre-feu, sans véritable raison? De la fermeture des frontières, de la suspension des médias étrangers ou de la présence menaçante de forces de sécurité dans les rues de la capitale économique, en particulier devant la CEI et la Radio Télévision ivoirienne (cette dernière a clairement fait le choix de verser dans la propagande pro-Gbagbo) ? Autant de moyens mis en œuvre dans un unique but : conserver ce pouvoir chèrement conquis en 2000, puis, depuis 2005, préservé au prix de mille contorsions destinées à repousser l’échéance.
Désormais à la tête d’un pays au bord du gouffre, Gbagbo reste serein. Cet animal politique hors du commun, véritable Machiavel des lagunes dont il faut bien reconnaître qu’il a su conserver jusqu’au bout un (mauvais) coup d’avance sur ses adversaires, utilise la même stratégie et les mêmes armes que celles qui lui ont permis de résister depuis dix ans, contre vents et marées, à des adversaires, intérieurs comme extérieurs, toujours plus nombreux Il se soucie comme d’une guigne des pressions et des menaces de la communauté internationale. Tel feu son voisin guinéen Lansana Conté en son temps, il ne prend plus aucun chef d’État au téléphone. Il éloigne ceux de ses proches qui ont tenté de le convaincre de jeter l’éponge et de quitter la scène la tête haute, en acceptant une défaite rendue inéluctable par le report des voix, beaucoup plus important qu’il ne l’avait prévu, des électeurs du PDCI sur Ouattara. Il n’a cure de rester à la tête d’un pays coupé en deux ; d’avoir contre lui la quasi-totalité des communautés dioula et baoulé, voire tous ceux qui, sympathisants sans être de fervents militants, ne supportent plus de le voir prendre toute une nation en otage. Et d’avoir gâché leur rendez-vous avec l’Histoire.
Dans cette détestable partie de poker menteur, Gbagbo a, pour l’instant, les meilleures cartes en mains. Il contrôle l’appareil d’État et peut s’appuyer sur les troupes les mieux équipées du pays.
La perspective d’une nouvelle partition, d’un nouvel embrasement Nord-Sud, ne l’inquiète pas: la plupart des ressources (cacao, café, pétrole) se trouvent dans le Centre ou le Sud; et les récoltes sont exportées par le port de San Pedro. Sa Côte d’Ivoire fonctionne ainsi depuis 2002. Pourquoi ne serait-ce pas le ca à l’avenir? Recroquevillé sur son clan de «faucons» et disposant de moyens importants, le vrai Gbagbo, après ces élections finalement inutiles, est de retour. Les armes à la main, prêt à soutenir du haut de sa citadelle le siège de l’« ennemi extérieur », comme il aime à le répéter. La Côte d’Ivoire, elle, est revenue à la case départ…
Épreuve de force
Sûr de son fait et de ses soutiens intérieurs, Laurent Gbagbo n_a pas cédé. Malgré une intense pression internationale.
Rarement la communauté internationale aura été aussi unanime dans son rejet d’un coup de force électoral. Dès la veille du second tour, les premières difficultés apparaissent. Ce jour-là, le 27 novembre, le facilitateur burkinabè, Blaise Compaoré, vient à Abidjan pour essayer de convaincre Laurent Gbagbo de lever le couvre-feu. Son argument : «En Afghanistan, c’est la guerre. Pourtant, lors des dernières élections, il n’ya pas eu de couvre-feu. » Le président ivoirien lui promet-il de rapporter la mesure ? En tout cas, quand Blaise Compaoré reprend son avion, il est persuadé que son homologue ivoirien va le faire. Or, rien ne se passe. Le lendemain, jour du vote, le chef de l’État burkinabè essaie de joindre au téléphone Laurent Gbagbo. En vain. Le facilitateur se sent roulé. Le 30 au matin, le président sortant lui envoie son ministre de l’Intérieur, Désiré Tagro, et sa seconde épouse, Nady Bamba, pour tenter de recoller les morceaux.
Le scénario que chacun redoutait, s’est produit au soir du 3 décembre. Laurent Gbagbo est parvenu à se faire proclamer vainqueur de la présidentielle. Au risque de replonger son pays dans la crise, voire dans la guerre.
“Un chef, ça se bat, ça résiste, quitte à y laisser la vie », nous avait confié Laurent Gbagbo lors d’une de ces audiences nocturnes qu’il affectionne, quelques jours avant le second tour de la présidentielle du 28 novembre. Nul doute qu’en matière de pugnacité Gbagbo soit médaille d’or. Mais lui qui, jusqu’ici, se présentait volontiers comme « un fils des élections », voire « un enfant de la démocratie », aura désormais le plus grand mal à incarner cette image d’Épinal. Coûte que coûte, il a décidé d’aller au bout d’une démarche qui n’a plus rien à voir avec les urnes. Quitte à replonger la Côte d’Ivoire dans les affres de la crise et de la guerre. Les résultats du premier tour – taux de participation record, déroulement relativement serein, présence de trois candidats don les scores oscillaient entre 38%et 25% des suffrages exprimés – laissaient pourtant augurer la fin d’une interminable descente aux enfers et, peut-être, la naissance d’un modèle de démocratie dans cette Afrique de l’Ouest si tourmentée. L’atmosphère apaisée de l’entre-deux-tours n’aura été qu’un leurre.
Au premier, Laurent Gbagbo n’avait pas grand-chose à perdre. Au second, c’est le pouvoir, son pouvoir, qui était en jeu. La raison n’est plus de mise. Désormais, tous les moyens sont bons pour se maintenir au sommet.
Il lui a quand même fallu invoquer quelques arguments aux allures d’arguties juridiques. La Commission électorale indépendante (CEI), dont le président, Youssouf Bakayoko, a fait face trois jours durant à de multiples menaces et pressions, a déclaré, le 2 décembre, son rival Alassane Ouattara vainqueur avec 54,1 % des voix, contre 45,9 % pour lui-même? L’annonce en a, paraît-il, été faite hors délais. Même si les images de Damana Pickass, le commissaire représentant le Front populaire ivoirien (FPI), déchirant les résultats sur le point d’être annoncés, le 30 novembre au soir, par Bamba Yacouba, le porte- parole de la commission, ont fait le tour de la planète. Et si cette même commission a été empêchée de fonctionner normalement par les manœuvres dilatoires des partisans du chef de l’État. Objectif : donner au Conseil constitutionnel, présidé par un proche parmi les proches du président sortant, l’occasion d’annuler les résultats de la CEI, dont la composition fit pourtant jadis l’objet d’âpres batailles. Et non pas pour recompter les voix dans le Nord, encore moins pour y refaire l’élection, mais, purement et simplement, pour déclarer le candidat du FPI vainqueur, avec 51,45 % des voix !
Les accusations de fraude dans le Nord? Elles sont vraisemblables au moins autant que celles dénoncées, en sens inverse, par le RHDP dans l’Ouest. Mais elles n’ont certainement pas été aussi «massives» que l’a clamé le FPI ,et encore moins de nature à expliquer l’écart de huit points entre les deux candidats. Il suffit d’examiner les scores réalisés par « ADO » dans ces régions au premier tour, qui n’avaient par ailleurs pas été contestés par le FPI… La communauté internationale et, en premier lieu, les Nations unies, qui ont dépensé plusieurs centaines de millions d’euros dans cette élection «historique», ont estimé que l’ensemble du processus électoral ne pouvait être remis en question. Et que les opérations de vote s’étaient déroulées démocratiquement.
Que dire, enfin, de l’instauration d’un couvre-feu, sans véritable raison? De la fermeture des frontières, de la suspension des médias étrangers ou de la présence menaçante de forces de sécurité dans les rues de la capitale économique, en particulier devant la CEI et la Radio Télévision ivoirienne (cette dernière a clairement fait le choix de verser dans la propagande pro-Gbagbo) ? Autant de moyens mis en œuvre dans un unique but : conserver ce pouvoir chèrement conquis en 2000, puis, depuis 2005, préservé au prix de mille contorsions destinées à repousser l’échéance.
Désormais à la tête d’un pays au bord du gouffre, Gbagbo reste serein. Cet animal politique hors du commun, véritable Machiavel des lagunes dont il faut bien reconnaître qu’il a su conserver jusqu’au bout un (mauvais) coup d’avance sur ses adversaires, utilise la même stratégie et les mêmes armes que celles qui lui ont permis de résister depuis dix ans, contre vents et marées, à des adversaires, intérieurs comme extérieurs, toujours plus nombreux Il se soucie comme d’une guigne des pressions et des menaces de la communauté internationale. Tel feu son voisin guinéen Lansana Conté en son temps, il ne prend plus aucun chef d’État au téléphone. Il éloigne ceux de ses proches qui ont tenté de le convaincre de jeter l’éponge et de quitter la scène la tête haute, en acceptant une défaite rendue inéluctable par le report des voix, beaucoup plus important qu’il ne l’avait prévu, des électeurs du PDCI sur Ouattara. Il n’a cure de rester à la tête d’un pays coupé en deux ; d’avoir contre lui la quasi-totalité des communautés dioula et baoulé, voire tous ceux qui, sympathisants sans être de fervents militants, ne supportent plus de le voir prendre toute une nation en otage. Et d’avoir gâché leur rendez-vous avec l’Histoire.
Dans cette détestable partie de poker menteur, Gbagbo a, pour l’instant, les meilleures cartes en mains. Il contrôle l’appareil d’État et peut s’appuyer sur les troupes les mieux équipées du pays.
La perspective d’une nouvelle partition, d’un nouvel embrasement Nord-Sud, ne l’inquiète pas: la plupart des ressources (cacao, café, pétrole) se trouvent dans le Centre ou le Sud; et les récoltes sont exportées par le port de San Pedro. Sa Côte d’Ivoire fonctionne ainsi depuis 2002. Pourquoi ne serait-ce pas le ca à l’avenir? Recroquevillé sur son clan de «faucons» et disposant de moyens importants, le vrai Gbagbo, après ces élections finalement inutiles, est de retour. Les armes à la main, prêt à soutenir du haut de sa citadelle le siège de l’« ennemi extérieur », comme il aime à le répéter. La Côte d’Ivoire, elle, est revenue à la case départ…
Épreuve de force
Sûr de son fait et de ses soutiens intérieurs, Laurent Gbagbo n_a pas cédé. Malgré une intense pression internationale.
Rarement la communauté internationale aura été aussi unanime dans son rejet d’un coup de force électoral. Dès la veille du second tour, les premières difficultés apparaissent. Ce jour-là, le 27 novembre, le facilitateur burkinabè, Blaise Compaoré, vient à Abidjan pour essayer de convaincre Laurent Gbagbo de lever le couvre-feu. Son argument : «En Afghanistan, c’est la guerre. Pourtant, lors des dernières élections, il n’ya pas eu de couvre-feu. » Le président ivoirien lui promet-il de rapporter la mesure ? En tout cas, quand Blaise Compaoré reprend son avion, il est persuadé que son homologue ivoirien va le faire. Or, rien ne se passe. Le lendemain, jour du vote, le chef de l’État burkinabè essaie de joindre au téléphone Laurent Gbagbo. En vain. Le facilitateur se sent roulé. Le 30 au matin, le président sortant lui envoie son ministre de l’Intérieur, Désiré Tagro, et sa seconde épouse, Nady Bamba, pour tenter de recoller les morceaux.