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Politique Publié le vendredi 10 décembre 2010 | Le Patriote

Six jours qui ébranlèrent Abidjan...

Deux vainqueurs, donc un de trop, sont sortis des urnes: Alassane Ouattara puis Laurent Gbagbo.
Récit d’une semaine sous très haute tension.

En se rendant massivement aux urnes le 28 novembre, les Ivoiriens pensaient solder une fois pour toutes la guerre ouverte que se livrent, depuis plus de dix ans, Laurent Gbagbo et Alassane Dramane Ouattara (ADO). Cinq jours après le vote, à l’heure où nous bouclons cette édition, la Côte d’Ivoire compte deux présidents : l’un, le sortant, donné vainqueur par un Conseil constitutionnel aux ordres l’autre claquemuré au Golf Hôtel et protégé par une force onusienne, après une victoire reconnue par la Commission électorale indépendante (CEI). Les deux camps se vouent une haine viscérale. Les premiers ont pris fait et cause pour «Woudy» Gbagbo («le guerrier», en langue bété) et son épouse Simone : des opposants de la première heure au régime de Houphouët-Boigny, père et mère de tous les combats pour la démocratie et garants de l’indépendance. Et n’admettent pas qu’on vienne leur confisquer un pouvoir durement acquis. Les autres, dont la citoyenneté a été bafouée sur l’autel de l’ivoirité, voient dans leur champion celui qui va les restaurer dans leurs droits. Ces dernières années, la Côte d’Ivoire avait pourtant chassé ses vieux démons en faisant d’incontestables progrès sur le chemin de la paix. La semaine qui vient de s’écouler a ravivé les clivages, faisant craindre le pire.

Dimanche 28 novembre
JOUR DE VOTE

Sept heures du matin. Les premiers bureaux de vote ouvrent leurs portes dans toute la Côte d’Ivoire. Le climat est assez tendu dans certaines localités du Nord, de l’Ouest et dans les quartiers populaires d’Abidjan. La veille, des affrontements entre les forces de l’ordre et des jeunes manifestants contre le couvre-feu – instauré la veille par Laurent Gbagbo – ont provoqué la mort de trois personnes et fait plusieurs blessés graves. Des deux finalistes, Alassane Ouattara, le candidat de l’opposition, dépose le premier son bulletin dans une urne au lycée Sainte-Marie de Cocody, à Abidjan, sur le coup de 11 h 45. Devant les caméras, il demande à ses compatriotes de se mobiliser afin d’«être élu avec une grande majorité». Les médias se dirigent ensuite vers un autre bureau, à l’école primaire publique de la Riviera Golf, où est attendu son adversaire. Gbagbo ne viendra finalement que vers 15h30, après avoir fait un point avec ses collaborateurs. «Ce garçon est caillou [un résistant, NDLR] », clame des supportrices. Le président dénonce des cas de troubles dans le pays et justifie le couvre-feu.
Dans la soirée, les observateurs électoraux et les deux camps font le bilan des incidents. Les structures locales de campagne compilent les premiers résultats et les envoient à leur QG à Abidjan. Pour La Majorité présidentielle (LMP), Simone Gbagbo épluche les tendances depuis Abobo. Dans le même quartier, le maire, Adama Toungara, sort également sa calculette pour le candidat du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP).

Lundi 29 novembre
DÉBUT D’UNE LONGUE ATTENTE

Au petit matin, selon les premières fuites, ADO possède une avance de 50000 voix dans ce quartier populaire d’Abidjan. L’optimisme est perceptible autour de l’ancien Premier ministre. Les Ivoiriens commencent à sortir. À 11 heures, le Coréen Choi Young-jin, patron de l’Onuci, organise une conférence de presse à l’hôtel Sebroko, le quartier général onusien. «Malgré des incidents dans le Nord et dans l’Ouest, le scrutin a été démocratique», explique-t-il. Ce n’est pas l’avis de Pascal Affi N’Guessan, porte-parole du candidat Gbagbo, qui dénonce de nombreuses irrégularités dans le Nord, favorable à l’opposition. Les premières rumeurs commencent à circuler. «Le général Philippe Mangou, chef d’état-major, a disparu. » Finalement, il fait une apparition sur les écrans de la Radio Télévision ivoirienne (RTI). Dans les QG, la bataille de la communication est lancée. À ce jeu, le RHDP est mieux organisé. Réunions à l’heure, nombreux porte- parole récitant avec application «les éléments de langage», sourires et tapes dans le dos… L’organisation est méthodique et structurée. Entre les réunions, ADO décroche son cellulaire pour appeler ses fidèles soutiens. Il téléphone aussi à son adversaire. L’échange est cordial, les deux hommes évoquent le couvre-feu.
Gbagbo promet un allègement : «On ne va empêcher les militants du vainqueur de fêter la victoire.» Et de plaisanter sur leur victoire respective: «Tu m’appelleras pour me féliciter.» Par presse partisane interposée, en revanche, on se renvoie la balle en comptant les morts, les urnes volées, les intimidations, les agressions… Tandis que le RHDP se félicite d’une forte mobilisation des électeurs de l’ex-président Henri Konan Bédié, arrivé troisième le 31 octobre, le parti au pouvoir voit une désertion dans les bureaux de vote. Les premiers résultats de la diaspora sont attendus pour 15 heures, finalement ils sont annoncés à 17h30. ADO est en tête. Ceux de l’intérieur du pays sont remis au lendemain. Vingt-trois heures, Choi demande aux diplomates d’entrer dans la danse. Une délégation – avec en tête les ambassadeurs français, américain et belge – rencontre Alassane Ouattara au Golf Hôtel gardé par les troupes onusiennes, où il s’est installé avec ses équipes pour plus de sécurité. ADO est sûr de sa victoire. La délégation se rend alors dans la suite de Guillaume Soro, le Premier ministre, pour prendre le pouls de la situation.

Mardi 30 novembre
LE BAL DES VISITEURS

Deux heures du matin. À l a demande du Premier ministre, les mêmes diplomates poursuivent leur ballet à la résidence du chef de l’État, à Cocody. De bonne humeur, Laurent Gbagbo, les assure, lui aussi, de sa victoire. Les représentants des organisations religieuses rendent également visite au président. Dix heures trente. Choi et Soro évoquent les points de blocage. Alors que l’Onuci dispose d’un jeu des PV de dépouillement, les diplomates en poste à Abidjan accréditent le succès d’ADO et dénonce «l’illusion de la victoire» entretenue dans l’entourage de Gbagbo. Le camp Ouattara multiplie les conférences de presse. «Il faut vite arrêter et présenter les résultats afin de ne pas s’installer dans la chienlit», affirme un cadre du Rassemblement des républicains (RDR). La veille, Konan Bédié et Ouattara avaient même abordé la composition de leur gouvernement. Du côté de La Majorité présidentielle, on organise la résistance en multipliant des rencontres avec les médias. La seconde épouse du président, Nadiana Bamba, et le ministre de l’Intérieur, Désiré Tagro, sont dépêchés à Ouagadougou auprès du facilitateur Blaise Compaoré. Ils dénoncent les résultats dans le Nord.
Le président burkinabè se montre ferme. Il exhorte les émissaires à expliquer au président qu’il sortirait grandi en reconnaissant sa défaite. Au siège de la CEI, à 19 heures, le porte-parole de l’institution s’apprête à donner les premiers résultats de l’intérieur. En vain (voir ci-dessus).

Mercredi 1er décembre
L’ENLISEMENT

Une vil le endormie. Telle est l’image qu’offre la grande métropole en ce début de matinée. Rares sont les Ivoiriens qui s’aventurent au Plateau, le quartier des affaires. L’administration tourne au ralenti, la plupart des écoles et commerces sont fermés et les véhicules de transport sont rares. Le suspense électoral est aussi intenable que pesant. À 11 heures, citant les quatre régions du Nord où ADO est largement en tête, Affi N’Guessan annonce le dépôt de requêtes pour que le vote de «toutes les localités où les élections se sont déroulées de façon frauduleuse» soit annulé. «Quand un élève a réussi par la tricherie, faut-il lui donner son diplôme ?» explique-t-il. Le visage fatigué par des semaines de campagne, Charles Blé Goudé, le leader des Patriotes, promet que la jeunesse n’ira pas à l’affrontement. Personne ne semble trop y croire. L’après-midi, au Golf Hôtel, les conférences de presse s’enchaînent : porte-parole d’ADO, représentants des Forces nouvelles… Dehors, les jeunes militants affichent leur souffrance. «On a faim, on veut un avenir, on est prêts à mourir en martyr car notre cause est juste.» Tout le monde se presse alors à la CEI. À 17 heures, soit trois jours exactement après la fermeture des bureaux de vote, le délai pour annoncer les résultats est normalement forclos. On le repousse à minuit. Le président de l’institution, Youssouf Bakayoko, anime une improbable conférence de presse durant laquelle il affiche son désarroi face à la situation de blocage. Le bel édifice de «sortie de crise» est à un point de rupture. Les ultimes négociations nocturnes entre les deux camps ne donnent rien.

Jeudi 2 décembre 2010
COURSE DE VITESSE

Abidjan se réveille avec une odeur de sang. La veille, à l’approche de minuit, le QG du RHDP a été attaqué à Yopougon. Légitime défense, clame l’armée. Assassinat, proteste l’opposition. Selon les sources, le bilan est de quatre à huit morts. En représailles, les militants d’ADO ont mis à sac le siège de La Majorité présidentielle, dans le même quartier. L’angoisse est palpable. Sur le terrain de la diplomatie nocturne, rien n’avance. Les derniers émissaires, religieux ou politiques, qui ont tenté de convaincre le président d’accepter sa défaite ont échoué. Le camp Gbagbo reporte au dernier moment une conférence de presse de 11 heures à 15 heures. Curieusement, les médias sont conviés à un autre rendez-vous du candidat Ouattara, à 14 h 30, au Golf Hôtel. On leur demande d’attendre. Certains journalistes filent au Conseil constitutionnel. Paul Yao-N’Dré, son président, affirme devant les caméras de la RTI que le délai imparti à la CEI est expiré, qu’il reprend la main et qu’il se donne sept jours pour trancher. Face à l’urgence de la situation, le camp Ouattara et les équipes du Premier ministre obtiennent une réaction de Youssouf Bakayoko. Face à la presse, dans une intervention laconique, il annonce les résultats provisoires : Alassane Dramane Ouattara arrive en tête avec 54,1 % des voix, contre 45,9 % pour Laurent Gbagbo. À 18h05, la RTI interrompt un dessin animé. Paul Yao-N’Dré réapparaît sur les écrans pour indiquer que le Conseil constitutionnel, qui travaille déjà sur les recours, serait en mesure d’annoncer ses résultats dans les heures qui viennent. Dans la soirée, on annonce la fermeture des frontières, l’interruption des chaînes et radios internationales… La ville s’enferme dans le silence alors que s’installe la nuit abidjanaise. Pas une âme qui vive au Plateau.

Vendredi 3 décembre
DERNIER SPRINT

Dans l’attente du verdict du Conseil constitutionnel, les rumeurs vont bon train. ADO envisagerait de prêter serment à Yamoussoukro. En début d’après-midi, le RHDP avait de toute façon prévenu : il n’est pas question de «reconnaître les résultats programmés par le Conseil constitutionnel». Le directeur de campagne, Amadou Gon Coulibaly, évoque un «putsch» en préparation. Un peu avant, le Premier ministre, Guillaume Soro, avait pris acte des résultats de la CEI. Les lignes de fracture sont limpides. Les Ivoiriens cloîtrés chez eux attendent devant leur écran de télévision, mais la teneur de l’allocution de Paul Yao-N’Dré ne fait plus guère de doute. Peu après 15 heures, le président du Conseil constitutionnel fait son apparition et lit une déclaration : Gbagbo, 51,45 % des voix ; Ouattara, 48,55 %. Les votes dans sept départements du Nord sont annulés. Moins d’une heure après, Choi Young-jin apporte sa caution aux résultats de la CEI. Dans une déclaration officielle, Alassane Ouattara se présente en vainqueur… _
PASCAL AIRAULT, envoyé spécial à Abidjan (avec BAUDELAIRE MIEU)

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