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Politique Publié le samedi 11 décembre 2010 | Le Mandat

Gbagbo, De Villepin, Blé Goudé, Bombardement de Bouaké - Les revélations troublantes de WikiLeaks

Depuis 2002, Charles Blé Goudé, surnomamé "ministre de la rue" de Laurent Gbagbo, a mené ses groupes de "patriotes" dans des démonstrations de rue pour assurer la protection du régime. Lundi 6 décembre, il est devenu ministre dans le gouvernement mis sur pied en toute hâte dans la situation d'exception où se trouve la Côte d'Ivoire, avec Laurent Gbagbo qui continue d'affirmer qu'il a gagné l'élection présidentielle du 28 novembre, et le reste du monde, à commencer par l'Afrique soutenant la légitimité d'Alassane Ouattara.
Avant l'élection, les diplomates américains s'étaient intéressés au cas de Charles Blé Goudé. Dans un télégramme de juin 2008, il est précisé que ce dernier "a adopté un profil bas depuis qu'il a été frappé par des sanctions". Ces sanctions ont été mises en place le 7 février 2006, "pour des déclarations répétées appelant à la violence contre des installations des Nations unies, des personnels des Nations unies et des étrangers, mais aussi pour avoir organisé et participé à des actes de violences commis par des milices de rue, incluant des passages à tabac, des viols et des exécutions extrajudiciaires", résume le télégramme américain obtenu par WikiLeaks et révélé par Le Monde.
"Depuis quelques temps, remarquent les diplomates, Charles Blé Goudé s'efforce de "transformer son image de chef de milice en celle d'homme d'Etat". Mais, comme l'assurent des sources diplomatiques françaises à leurs homologues américains, "Blé Goudé est devenu un homme d'affaires très prospère, avec des intérêts conséquents dans des hôtels, boîtes de nuit, restaurants, stations service et dans l'immobilier en Côte d'Ivoire".

MOINS D'INFLUENCE
SUR LES JEUNES
Le télégramme poursuit : "Blé Goudé demande un paiement pour toutes les activités qu'il entreprend au nom de la présidence et du parti au pouvoir, le FPI." Le leader du Cojep (Congrès des jeunes et des patriotes), évaluent les diplomates américains, "semble ne plus avoir l'autorité [sur les masses de jeunes] qui était la sienne il y a quelques années, mais il peut toujours mobilier ses fidèles. Il exerce aussi toujours une influence sur la Fesci [Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire, proche de la présidence ivoirienne et dont Blé Goudé est l'ancien responsable]".
Entre Charles Blé Goudé et le président Gbagbo, la proximité semble évidente aux auteurs du télégramme. "Le président Gbagbo a fait des demandes répétées aux Nations unies pour qu'ils lèvent les sanctions contre Blé Goudé", notent les diplomates américains, qui remarquent à quel point il est "gênant" de voir que le leader des patriotes semble être "préparé [par la présidence] pour de futures responsabilités au sein du parti et-ou dans le gouvernement au lieu que soient prises des distances avec une personne faisant l'objet de sanction des Nations unies et qui demeure une personnalité source de divisions dans son pays."
L'ambassade des Etats-Unis se dit également "convaincue" que le pouvoir ivoirien "finance la totalité des activités de Blé Goudé, ce qui soulève des questions au sujet de la sincérité de l'engagement de Gbagbo en faveur de l'accord de paix de Ouagadougou".

L'ENTHOUSIASME DE LAURENT GBAGBO AU SOUVENIR DE DOMINIQUE DE VILLEPIN
La complexité des relations entre la France et la Côte d'Ivoire est de nature à plonger dans la perplexité un ambassadeur des Etats-Unis. Reçu à l'ambassade américaine à Abidjan, le président ivoirien sortant, Laurent Gbagbo, qui "adore parler", "saute du coq à l'âne si on ne l'amène pas avec toute la courtoisie requise à revenir au sujet principal de la conversation".
Ce jour-là, rapporte un télégramme diplomatique obtenu par WikiLeaks et révélé par Le Monde, M. Gbagbo "ne cesse de s'engager dans des digressions pour s'emporter contre le gouvernement français". Le diplomate ajoute que "la seule nouveauté est constituée par ses relations avec l'ancien premier ministre Dominique de Villepin".
M. de Villepin, alors ministre des affaires étrangères, a été l'âme des accords de Linas-Marcoussis, destinés à résoudre la crise ivoirienne en 2002. Ces accords, dira M. de Villepin, auraient dû transformer le président Gbagbo en "reine d'Angleterre" en le dépouillant de ses pouvoirs.
Mais M. Gbagbo manœuvrera pour se débarrasser de ce carcan, en jouant notamment avec les groupes de "patriotes" qui vont user de l'arme de l'intimidation contre la présence française.

"LA PERSONNE PARFAITE"
Mais si la relation était aussi mauvaise, pourquoi alors Laurent Gbagbo décrit-il Dominique de Villepin avec tant d'enthousiasme ? Face à ses interlocuteurs américains visiblement interloqués, M. Gbagbo affirme que M. de Villepin "en est venu à réaliser que la politique du président Chirac d'essayer de se débarrasser de Gbagbo ne marcherait pas".
Et Laurent Gbagbo fait des confidences à ses interlocuteurs américains. Il "a révélé, indique le télégramme, que de Villepin lui avait demandé d'intervenir auprès du président Chirac pour qu'il le nomme premier ministre [en 2005], et Gbagbo s'était exécuté. Chirac avait réagi en disant que de Villepin était du genre nerveux, mais Gbagbo avait donné la garantie à Chirac que de Villepin était la personne parfaite pour cette fonction".
Pure invention ou plongée dans les ambiguïtés des relations entre la France et ses anciennes colonies ? Le même télégramme aborde aussi le rôle dans ce dossier du président gabonais Omar Bongo, alors en vie, très influent parmi les présidents des pays francophones du continent : "Le président Bongo s'était arrangé pour que Gbagbo et de Villepin se rencontrent à Libreville pour trouver un cadre d'entente dans les relations franco-ivoiriennes."
Et Laurent Gbagbo de conclure : "Contrairement au président Chirac, de Villepin montrait de temps en temps de la compréhension."

LES MYSTERES DU BOMBARDEMENT DU CAMP FRANÇAIS DE BOUAKE EN COTE D'IVOIRE
Abidjan, envoyé spécial - Le pic de la tension entre la France et la Côte d'Ivoire a sans doute été atteint en novembre 2004. Alors que le pays était scindé entre le Sud, contrôlé par Laurent Gbagbo, et le Nord, aux mains des Forces Nouvelles, l'opération "Dignité" devait permettre aux troupes loyalistes de reprendre le contrôle de l'ensemble du territoire aux Forces nouvelles. L'offensive avait débuté par des attaques de l'aviation ivoirienne contre des villes rebelles grâce à l'acquisition d'hélicoptères de combat et d'avions de chasse achetés par la Côte d'Ivoire malgré un embargo des Nations Unies.
L'opération "Dignité" a tourné à la catastrophe, le 6 novembre, lorsque deux de ces Soukhoï, pilotés par des Biélorusses (avec des copilotes ivoiriens) ont attaqué un camp de soldats français (installé au lycée Descartes de Bouaké) de la force Licorne, déployée pour tenir une "zone de confiance" entre le Sud et le Nord.
Neuf soldats français et un civil américain réfugiés dans le camp pour se protéger des attaques aériennes avaient été tués. Des militaires français avaient ensuite détruit l'aviation ivoirienne, déclenchant à Abidjan de gigantesques émeutes antifrançaises, conduisant à plus de 8 000 évacuations. Dans le chaos, l'armée française avait ouvert le feu à plusieurs reprises sur des foules hostiles. Ce dossier demeure un des grands contentieux entre les deux pays.
Or, les pilotes des Soukhoï impliqués dans l'attaque du camp français, arrêtés à Abidjan, ont été détenus quatre jours par l'armée française avant d'être autorisés à quitter la Côte d'Ivoire et se rendre au Togo. Là, le gouvernement les a arrêtés avant de proposer aux Français de les interroger.

SURPRISE
Un peu plus d'un an plus tard, l'ex-ministre de l'intérieur du Togo, François Boko, est reçu "à sa demande" dans une ambassade américaine pour y raconter le passage des pilotes dans son pays, dossier sur lequel il avait toute autorité à l'époque. Il confirme alors aux diplomates américains que "les six pilotes et les techniciens" impliqués dans le pilotage et la maintenance des Soukhoï ont bien été détenus à Lomé.
Auparavant, les avions de chasse étaient aussi passés par là. C'est par le Togo que la Côte d'Ivoire avait importé ce matériel, en violation de l'embargo de l'ONU : "Les deux Soukhoï 25 utilisés dans le bombardement ont été fournis au GCI [gouvernement de Côte d'Ivoire] par l'ex-gendarme français Robert Montoya. [Il] se les était procurés, ainsi que d'autres avions et d'autres types de matériel, en Biélorussie. Il avait aussi engagé des pilotes et des techniciens biélorusses. Les avions sont arrivés en pièces détachées au Togo, où ils ont été assemblés avant de voler jusqu'à la Côte d'Ivoire."
François Boko insiste : "Les responsables togolais étaient informés de la présence des avions et des pilotes-techniciens au Togo. (…) Les forces françaises aussi devaient être au courant de cette présence puisque les avions biélorusses étaient garés dans la partie de l'aéroport de Lomé utilisée par les Français pour leurs propres missions aériennes de soutien des troupes françaises en Côte d'Ivoire."
Plus étrange est le refus des autorités françaises d'interroger les pilotes, comme François Boko le leur propose après leur avoir "communiqué leur identité et leurs activités via l'ambassade de France à Lomé, mais aussi par l'intermédiaire du général Poncet, qui commandait alors l'opération Licorne en Côte d'Ivoire".

LE CAS DE ROBERT MONTOYA ÉVOQUÉ
L'ex-ministre de l'intérieur togolais exprime ensuite sa surprise : "Après avoir gardé les neuf Biélorusses environ deux semaines, Boko se voit demander par les Français (y compris par le général Poncet, qui a communiqué directement avec Boko) de les relâcher. La seule explication qu'on lui ait fourni (à nouveau, en incluant celle du général Poncet), a été que la France 'ne cherchait pas à compliquer ses relations avec la Biélorussie'", conclut l'auteur du télégramme.
François Boko poursuit sur le cas de Robert Montoya, ancien membre de la cellule antiterroriste de l'Elysée compromis dans les années 1980 dans une affaire d'écoutes téléphoniques, et installé entre le Togo et plusieurs autres pays. M. Montoya conseillait alors la présidence ivoirienne.
François Boko ajoute que "depuis que la presse française a commencé à écrire [à son] sujet, sa femme s'est rendue chez un notaire au Togo qui (...) a liquidé toutes [ses] sociétés avant d'en créer de nouvelles, avec des propriétaires différents". Depuis, Robert Montoya a été poursuivi mais l'essentiel des interrogations sur l'épisode franco-ivoirien de novembre 2004 demeurent.
Lu pour vous par Guy Tressia
Source: lemonde.fr
NB : Le surtitre et le titre sont de la rédaction
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