Dans un entretien accordé conjointement à RFI et France 24, hier, le Président sénégalais, Abdoulaye Wade jette un regard sur la situation en Côte d’Ivoire. Même s’il espère que Laurent Gbagbo accepte de céder le pouvoir à Alassane Ouattara, élu démocratiquement. Il redoute un affrontement entre les partisans de ces deux personnalités.
RFI-Fr 24 : L’Union Africaine, la CEDEAO, le Conseil de sécurité des Nations Unies ont condamné le président sortant Laurent Gbagbo. On ne vous a pas encore entendu sur le sujet. Que pensez-vous de cette situation ?
Abdoulaye Wade : Les Africains, la Communauté internationale, le Conseil de sécurité des Nations Unies, toutes les institutions qui dirigent ce monde, reconnaissent qu’Alassane Ouattara a gagné. Et tout le monde a demandé à Gbagbo de partir, mais lui, ne veut pas partir. Donc, vous me demandez ce qu’il faut faire ? Moi, je ne le sais pas. Il y a des dispositions en tout cas qui existent. Par exemple au niveau de la CEDEAO, nous n’avons pas de mesures de sanctions individuelles. Nous avons plutôt des mesures de sanctions contre les pays, qui changent les constitutions. Ce sont des mesures qui peuvent aller jusqu’à des suspensions. Mais, nous n’avons pas des mesures individuelles, cela est du ressort du Conseil de sécurité. Donc, nous attendons les décisions du Conseil de sécurité qui a sa propre compétence et n’a pas besoin de nous demander ce que nous pensons. Le Conseil de sécurité est régi par un certain nombre de principes qui lui donnent son indépendance. Mais, j’espère que nous pourrons éviter les mesures extrêmes que le Conseil de sécurité pourrait mettre en œuvre, c’est-à-dire la force. Nous espérons que d’ici là, certains amis de Gbagbo arrivent à la plier pour qu’il accepte de céder le pouvoir à celui qui a été élu par le peuple. Je crois que c’est le dernier espoir qu’on peut avoir, quoique certains de ses amis ont déjà essayé. J’espère qu’avec le temps, il acceptera.
RFI-Fr 24 : Craignez-vous que s’il n’accepte pas par le verdict reconnu par la Communauté internationale, la Côte d’Ivoire replonge dans la guerre civile?
A.W : C’est clair. Vous comprenez que celui qui a gagné ne peut pas rester dans cette situation de contemplation, d’inactivité devant un pouvoir qui est exercé par un autre. Ce n’est pas possible. Il est vrai que voila dix ans, cinq ans plus exactement après son premier mandat, que Gbagbo exerce les fonctions de président sans élection. Mais, ça ne peut pas durer indéfiniment. Ce qui va se passer, je crois, c’est que le président élu va demander à être installé, par les magistrats ou ceux qui sont chargés de le faire, pour exercer ses fonctions. Il va aussi réquisitionner l’armée pour qu’elle puisse protéger les institutions pour qu’elle puisse exercer en toute liberté. A partir de là, il peut y avoir une scission dans l’armée. C’est très possible, il y en a eu déjà. C’est une scission très formelle, parce que certains généraux ont manifesté leur désaccord avec ceux qui avaient voulu rester avec Gbagbo. Mais, on n’est pas allé jusqu’à un conflit au niveau du commandement. A partir du jour où le nouveau Président va désigner un nouveau général, lui demandant de prendre possession de l’armée, c’est là où on risque de se trouver devant une confrontation. Il faut alors souhaiter que cela ne débouche pas sur une confrontation entre les civils. C’est cela qu’il faut souhaiter.
RFI-Fr 24 : Au jour d’aujourd’hui, êtes-vous inquiet ?
A.W : Oui, je suis inquiet. Une situation comme celle-là est inquiétante. Lorsque l’ordre n’est pas établi et que d’autres sont en quête de faire respecter cet ordre, il faut s’inquiéter.
RFI-Fr 24 : Je veux revenir à votre situation au Sénégal. Votre parti vient d’approuver à une forte majorité votre candidature pour l’élection (présidentielle) de 2012. Vous avez aujourd’hui 84 ans. Est-ce que vous vous sentez la force d’y aller et certains tendent à remettre en cause la constitutionnalité de votre candidature ? Quelle est votre réponse ?
A.W : Si je devais vous donner une brève réponse, je vous dirais qu’il faut laisser aux Sénégalais le droit et la liberté de s’exprimer. Si les Sénégalais s’aperçoivent que je n’arrive plus à gouverner, croyez-vous qu’ils vont voter pour moi ? Donc, il faut nous laisser l’appréciation. Peut-être que dans certains pays, il y a la limitation d’âge. Mais dans d’autres, cela n’existe pas. Il faut laisser les Sénégalais qui ont le droit de voter pour n’importe quel président sans considération d’âge. Comme vous le dites vous-mêmes, on a l’âge de ses artères. Je me porte très bien. Mais si je me sentais malade, je ne vois pas pourquoi j’aurais insisté davantage. Je me sens en forme à tout point de vue. Je n’ai pas de problème pour ça. Et je n’ai pas non plus de complexe quand on me parle de mon âge. Ma grand-mère a vécu 121 ans, c’est dommage que je n’ai pas la photo. Mais de l’autre côté, je vous la montrerai. Mon père est mort à 101 ans en gardant toutes ses facultés. Donc, je n’ai pas de problème, c’est peut-être une question de longévité. Votre président Sarkozy me demande de tout temps « comment tu fais ? » Je lui réponds que je ne fais rien du tout. Je suis donc candidat à cette élection et mon parti a décidé de me présenter et de me soutenir, des Sénégalais aussi. Mais comme je suis un démocrate, il faut laisser les Sénégalais décider et point final.
RFI-Fr 24 : Est-ce qu’un troisième mandat est constitutionnel ?
A.W : Il n’y a pas de problème de constitution. Au demeurant, admettons qu’il y en a, mais laissez les juges constitutionnels décider. Je suis juriste, il n’y a pas de problème constitutionnel.
RFI-FR 24 : Votre fils Karim, ne le préparez-vous pas à être Président du Sénégal ?
A.W : Absolument pas. Je ne le prépare pas à être le Président de la République du Sénégal. Mais soyons bien d’accord, je ne l’empêcherai pas d’être candidat. Le jour où je prendrai la décision de soutenir mon fils, on ne me fera pas la morale. Je commencerai par retourner chez moi tranquillement, remettre les lieux à quelqu’un d’autre conformément à la constitution et maintenant il ira se présenter. Mais, ce n’est pas le cas du tout. Si j’ai demandé un nouveau mandat, c’est pour l’exercer, parce que j’ai commencé à faire de très bonnes choses, excusez-moi ce n’est pas très modeste, mais c’est la vérité. Vous le constatez partout au Sénégal, et ce que je fais est approuvé par les Africains. Si j’ai le sentiment que ce programme n’est pas terminé, je dois rester ici. Et le jour où ce sera terminé, je saurai partir tout simplement.
RFI-Fr 24 : M. Le Président, un mot sur le procès d’Hissène Habré. La Cour de justice de la CEDEAO a décidé que le Sénégal seul ne peut pas juger l’ancien président tchadien. Que comptez-vous faire maintenant ?
A.W : Moi, je suis décisif. C’est l’Union Africaine qui m’avait confié ce dossier. Je regrette d’ailleurs et franchement de l’avoir accepté. Parce que je n’ai pas obtenu le minimum de sujets que je cherchais. Actuellement, je veux que l’Union Africaine reprenne son dossier. Et ça, je ne le pourrai que le leur dire qu’en janvier lors du prochain sommet. Sinon Hissène Habré, je vais l’envoyer quelque part. Je sais très bien où je vais l’envoyer.
RFI-Fr 24 : En Belgique ?
A.W : Je ne sais pas. C’est un Tchadien.
RFI-Fr 24 : Allez-vous vous débarrasser d’Hissène Habré ?
A.W : Ah oui. Absolument. Maintenant, j’en ai assez. Je n’ai pas eu le minimum de compréhension. Et pourtant juger un homme comme celui-là c’est vous faire des ennemis. Et moi je n’ai pas peur de mes responsabilités. Maintenant, je vous le dis très clairement, je veux m’en débarrasser. Point final.
RFI-Fr 24 : L’extradition vers la Belgique est-elle une solution possible au jour d’aujourd’hui?
A.W : J’ai reprouvé cette solution. J’ai dit que ce n’est pas possible qu’un grand continent comme l’Afrique n’arrive pas à trouver un pays pour juger un Africain. Pourquoi pas ? J’ai tout fait pour l’éviter, mais je ne l’exclus plus maintenant.
RFI-Fr 24 :: Revenons à la Côte d’Ivoire. Vous êtes en contact fréquent avec Alassane Ouattara. Vous l’avez reçu pendant les deux tours. Quels conseils lui donnez-vous ? De résister ou de tendre la main à Laurent Gbagbo ?
A.W : Je n’ai pas besoin de lui demander de résister, parce qu’en fait il résiste déjà et jusqu’où ça va aller ? Vous savez, je ne conseille jamais la confrontation. J’ai conseillé à Celloun Dallein Diallo de plutôt chercher à s’entendre avec Alpha Condé, parce qu’il faut toujours avoir les moyens de sa politique. Quant à Ouattara, pressé par la majorité qu’il a obtenue, je ne suis pas sûr qu’il ait la possibilité de céder trop longtemps devant Gbagbo. Le conseil que je pourrais lui donner, c’est d’être toujours en phase avec la position de la CEDEAO, l’UA et le Conseil de sécurité.
YS
Source : tvr)
Propos retranscrits par Y. Sangaré
RFI-Fr 24 : L’Union Africaine, la CEDEAO, le Conseil de sécurité des Nations Unies ont condamné le président sortant Laurent Gbagbo. On ne vous a pas encore entendu sur le sujet. Que pensez-vous de cette situation ?
Abdoulaye Wade : Les Africains, la Communauté internationale, le Conseil de sécurité des Nations Unies, toutes les institutions qui dirigent ce monde, reconnaissent qu’Alassane Ouattara a gagné. Et tout le monde a demandé à Gbagbo de partir, mais lui, ne veut pas partir. Donc, vous me demandez ce qu’il faut faire ? Moi, je ne le sais pas. Il y a des dispositions en tout cas qui existent. Par exemple au niveau de la CEDEAO, nous n’avons pas de mesures de sanctions individuelles. Nous avons plutôt des mesures de sanctions contre les pays, qui changent les constitutions. Ce sont des mesures qui peuvent aller jusqu’à des suspensions. Mais, nous n’avons pas des mesures individuelles, cela est du ressort du Conseil de sécurité. Donc, nous attendons les décisions du Conseil de sécurité qui a sa propre compétence et n’a pas besoin de nous demander ce que nous pensons. Le Conseil de sécurité est régi par un certain nombre de principes qui lui donnent son indépendance. Mais, j’espère que nous pourrons éviter les mesures extrêmes que le Conseil de sécurité pourrait mettre en œuvre, c’est-à-dire la force. Nous espérons que d’ici là, certains amis de Gbagbo arrivent à la plier pour qu’il accepte de céder le pouvoir à celui qui a été élu par le peuple. Je crois que c’est le dernier espoir qu’on peut avoir, quoique certains de ses amis ont déjà essayé. J’espère qu’avec le temps, il acceptera.
RFI-Fr 24 : Craignez-vous que s’il n’accepte pas par le verdict reconnu par la Communauté internationale, la Côte d’Ivoire replonge dans la guerre civile?
A.W : C’est clair. Vous comprenez que celui qui a gagné ne peut pas rester dans cette situation de contemplation, d’inactivité devant un pouvoir qui est exercé par un autre. Ce n’est pas possible. Il est vrai que voila dix ans, cinq ans plus exactement après son premier mandat, que Gbagbo exerce les fonctions de président sans élection. Mais, ça ne peut pas durer indéfiniment. Ce qui va se passer, je crois, c’est que le président élu va demander à être installé, par les magistrats ou ceux qui sont chargés de le faire, pour exercer ses fonctions. Il va aussi réquisitionner l’armée pour qu’elle puisse protéger les institutions pour qu’elle puisse exercer en toute liberté. A partir de là, il peut y avoir une scission dans l’armée. C’est très possible, il y en a eu déjà. C’est une scission très formelle, parce que certains généraux ont manifesté leur désaccord avec ceux qui avaient voulu rester avec Gbagbo. Mais, on n’est pas allé jusqu’à un conflit au niveau du commandement. A partir du jour où le nouveau Président va désigner un nouveau général, lui demandant de prendre possession de l’armée, c’est là où on risque de se trouver devant une confrontation. Il faut alors souhaiter que cela ne débouche pas sur une confrontation entre les civils. C’est cela qu’il faut souhaiter.
RFI-Fr 24 : Au jour d’aujourd’hui, êtes-vous inquiet ?
A.W : Oui, je suis inquiet. Une situation comme celle-là est inquiétante. Lorsque l’ordre n’est pas établi et que d’autres sont en quête de faire respecter cet ordre, il faut s’inquiéter.
RFI-Fr 24 : Je veux revenir à votre situation au Sénégal. Votre parti vient d’approuver à une forte majorité votre candidature pour l’élection (présidentielle) de 2012. Vous avez aujourd’hui 84 ans. Est-ce que vous vous sentez la force d’y aller et certains tendent à remettre en cause la constitutionnalité de votre candidature ? Quelle est votre réponse ?
A.W : Si je devais vous donner une brève réponse, je vous dirais qu’il faut laisser aux Sénégalais le droit et la liberté de s’exprimer. Si les Sénégalais s’aperçoivent que je n’arrive plus à gouverner, croyez-vous qu’ils vont voter pour moi ? Donc, il faut nous laisser l’appréciation. Peut-être que dans certains pays, il y a la limitation d’âge. Mais dans d’autres, cela n’existe pas. Il faut laisser les Sénégalais qui ont le droit de voter pour n’importe quel président sans considération d’âge. Comme vous le dites vous-mêmes, on a l’âge de ses artères. Je me porte très bien. Mais si je me sentais malade, je ne vois pas pourquoi j’aurais insisté davantage. Je me sens en forme à tout point de vue. Je n’ai pas de problème pour ça. Et je n’ai pas non plus de complexe quand on me parle de mon âge. Ma grand-mère a vécu 121 ans, c’est dommage que je n’ai pas la photo. Mais de l’autre côté, je vous la montrerai. Mon père est mort à 101 ans en gardant toutes ses facultés. Donc, je n’ai pas de problème, c’est peut-être une question de longévité. Votre président Sarkozy me demande de tout temps « comment tu fais ? » Je lui réponds que je ne fais rien du tout. Je suis donc candidat à cette élection et mon parti a décidé de me présenter et de me soutenir, des Sénégalais aussi. Mais comme je suis un démocrate, il faut laisser les Sénégalais décider et point final.
RFI-Fr 24 : Est-ce qu’un troisième mandat est constitutionnel ?
A.W : Il n’y a pas de problème de constitution. Au demeurant, admettons qu’il y en a, mais laissez les juges constitutionnels décider. Je suis juriste, il n’y a pas de problème constitutionnel.
RFI-FR 24 : Votre fils Karim, ne le préparez-vous pas à être Président du Sénégal ?
A.W : Absolument pas. Je ne le prépare pas à être le Président de la République du Sénégal. Mais soyons bien d’accord, je ne l’empêcherai pas d’être candidat. Le jour où je prendrai la décision de soutenir mon fils, on ne me fera pas la morale. Je commencerai par retourner chez moi tranquillement, remettre les lieux à quelqu’un d’autre conformément à la constitution et maintenant il ira se présenter. Mais, ce n’est pas le cas du tout. Si j’ai demandé un nouveau mandat, c’est pour l’exercer, parce que j’ai commencé à faire de très bonnes choses, excusez-moi ce n’est pas très modeste, mais c’est la vérité. Vous le constatez partout au Sénégal, et ce que je fais est approuvé par les Africains. Si j’ai le sentiment que ce programme n’est pas terminé, je dois rester ici. Et le jour où ce sera terminé, je saurai partir tout simplement.
RFI-Fr 24 : M. Le Président, un mot sur le procès d’Hissène Habré. La Cour de justice de la CEDEAO a décidé que le Sénégal seul ne peut pas juger l’ancien président tchadien. Que comptez-vous faire maintenant ?
A.W : Moi, je suis décisif. C’est l’Union Africaine qui m’avait confié ce dossier. Je regrette d’ailleurs et franchement de l’avoir accepté. Parce que je n’ai pas obtenu le minimum de sujets que je cherchais. Actuellement, je veux que l’Union Africaine reprenne son dossier. Et ça, je ne le pourrai que le leur dire qu’en janvier lors du prochain sommet. Sinon Hissène Habré, je vais l’envoyer quelque part. Je sais très bien où je vais l’envoyer.
RFI-Fr 24 : En Belgique ?
A.W : Je ne sais pas. C’est un Tchadien.
RFI-Fr 24 : Allez-vous vous débarrasser d’Hissène Habré ?
A.W : Ah oui. Absolument. Maintenant, j’en ai assez. Je n’ai pas eu le minimum de compréhension. Et pourtant juger un homme comme celui-là c’est vous faire des ennemis. Et moi je n’ai pas peur de mes responsabilités. Maintenant, je vous le dis très clairement, je veux m’en débarrasser. Point final.
RFI-Fr 24 : L’extradition vers la Belgique est-elle une solution possible au jour d’aujourd’hui?
A.W : J’ai reprouvé cette solution. J’ai dit que ce n’est pas possible qu’un grand continent comme l’Afrique n’arrive pas à trouver un pays pour juger un Africain. Pourquoi pas ? J’ai tout fait pour l’éviter, mais je ne l’exclus plus maintenant.
RFI-Fr 24 :: Revenons à la Côte d’Ivoire. Vous êtes en contact fréquent avec Alassane Ouattara. Vous l’avez reçu pendant les deux tours. Quels conseils lui donnez-vous ? De résister ou de tendre la main à Laurent Gbagbo ?
A.W : Je n’ai pas besoin de lui demander de résister, parce qu’en fait il résiste déjà et jusqu’où ça va aller ? Vous savez, je ne conseille jamais la confrontation. J’ai conseillé à Celloun Dallein Diallo de plutôt chercher à s’entendre avec Alpha Condé, parce qu’il faut toujours avoir les moyens de sa politique. Quant à Ouattara, pressé par la majorité qu’il a obtenue, je ne suis pas sûr qu’il ait la possibilité de céder trop longtemps devant Gbagbo. Le conseil que je pourrais lui donner, c’est d’être toujours en phase avec la position de la CEDEAO, l’UA et le Conseil de sécurité.
YS
Source : tvr)
Propos retranscrits par Y. Sangaré