Alors que la Commission Electorale Indépendante avait donné Alassane OUATTARA vainqueur du scrutin du 28 novembre 2010 à 54,10 % contre 45,90 % à son adversaire, Laurent GBAGBO, le Conseil Constitutionnel, on ne sait par quel mystère, a déclaré ce dernier élu Président de la République à 51%. Ni la Constitution, ni aucune loi de la République ne permet au Conseil Constitutionnel de changer les résultats des urnes. Son pouvoir, au plus, est un pouvoir d’annulation des élections, la Commission Electorale Indépendante reprenant son empire pour appeler le peuple à un nouveau vote dans un délai maximum de 45 jours.
S’étant cru, sans doute, investi d’un pouvoir sans borne par l’article 98 de la Constitution qui affirme que ses décisions sont sans recours et s’imposent à tous, le Conseil Constitutionnel a cru pouvoir imposer au peuple un Président. C’était sans compter avec la certification de l’élection et la souveraineté du peuple.
Dans une auto-justification, le Président du Conseil Constitutionnel explique que l’ONUCI certifie le déroulement, le dépouillement, la proclamation de l’élection, sans juger, ni valider, alors que le Conseil Constitutionnel juge, valide et proclame les résultats définitifs de l’élection présidentielle (Fraternité-Matin du 06/12/2010). C’est ne rien comprendre à la certification dont le verbe certifier est défini au Grand Robert, comme,« donner pour vrai », « donner pour certain , « affirmer », « attester », « confirmer », « garantir », ce qui veut dire valider, qui appelle, naturellement, une appréciation, donc un jugement.
La certification a donc bien pour objet la validation de l’élection, par rapport aux critères de transparence, justice, et crédibilité, choix des parties ivoiriennes pour caractériser les élections de « sortie de crise ».
Les Accords, de Marcoussis à Ouagadougou en passant par Accra, Pretoria, particulièrement Pretoria, ne laissent aucun doute sur leurs intentions. On y lit en effet : « les parties signataires du présent Accord sont conscientes des difficultés et sensibilités liées aux élections. En vue d’assurer l’organisation d’élections libres, justes et transparentes, elles ont admis que les Nations Unies soient invitées à prendre part aux travaux de la Commission Electorale Indépendante. A cet effet, elles ont donné mandat au Médiateur THABO M’BEKI d’adresser une requête aux Nations Unies, au nom du peuple ivoirien, en vue de leur participation dans l’organisation des élections générales. Les parties demandent que la même requête soit adressée aux Nations Unies en ce qui concerne le Conseil Constitutionnel. »
La sollicitation des Nations Unies pour co-organiser les élections découle de la forte méfiance des ivoiriens à l’égard des acteurs du processus électoral : le Conseil Constitutionnel et la Commission Electorale Indépendante. Au premier, on a retiré le pouvoir d’apprécier les conditions d’éligibilité à la Présidence de la République de certains candidats, confié directement à une « Décision présidentielle », sans doute en souvenir de l’élection de 2000, avant de le chapeauter d’un Haut Représentant aux Elections, doté d’un statut de tuteur.
Au second, on a reformulé la composition, l’organisation, et le fonctionnement dans le sens d’une meilleure représentation des élus des formations politiques signataires de l’Accord de Linas Marcoussis.
La conclusion qui se dégage est que les différents Accords inter-ivoiriens ont donné naissance à une législation spéciale qui a fini par déboucher sur la certification de l’élection, clef de voûte du processus électoral de sortie de crise.
En effet, suite à l’Accord de Pretoria, le Gouvernement ivoirien a demandé à l’ONU de procéder à la certification des élections et ce, afin d’éviter les risques de « contestation non démocratique et les compromissions ». Dans sa résolution 1765, le Conseil de Sécurité de l’ONU, après avoir rappelé ce qui suit : « Toutes les parties ivoiriennes, acceptant la nécessité de maintenir la responsabilité des Nations Unies pour ce qui est de la certification internationale du processus électoral conformément aux Accords de Pretoria afin de garantir la transparence et la crédibilité des élections et de réduire au minimum les risques d’une crise politique au cas où certains contesteraient le processus électoral », a accepté la mission de certification demandée par le Gouvernement ivoirien.
Loin de constituer donc une ingérence, la certification, demandée et acceptée par les autorités ivoiriennes, apparaît comme l’instrument juridique de validation en dernier recours de l’élection en toutes ses phases, ce que la pratique confirme : la liste électorale définitive, en effet, et non la provisoire, a été certifiée et cette opération a clos cette phase. Il en est de même du premier tour du scrutin qui a été certifié après la proclamation des résultats définitifs par le Conseil Constitutionnel. Il n’y a pas de raison de concevoir différemment le deuxième tour.
Contre le Conseil Constitutionnel qui, se limitant à l’article 98 de la Constitution, croit sa décision sans recours, on affirme que la certification de l’élection, issue de la Résolution 1765, qui a valeur supranationale, en est précisément un (d’un genre particulier, peut-être, sui generis, pourrait-on dire, mais qui se comprend au regard de la législation spéciale qui régit l’élection de sortie de crise), dès lors qu’elle intervient en dernier recours, donc après le Conseil Constitutionnel, pour valider l’élection et la consacrer définitivement.
Les faits démontrent aujourd’hui, s’il en était besoin, que la certification par l’ONU était nécessaire. Son refus de valider les résultats du Conseil Constitutionnel, au contraire de ceux de la Commission Electorale Indépendante est justifié par, outre ses propres constatations en tant que co-organisatrice de l’élection, les rapports concordants des observateurs crédibles sur le terrain, mais encore et surtout ceux, tout aussi concordants des représentants qualifiés de l’Etat, les préfets des zones alléguées litigieuses.
Il suit de là que la décision, non validée, donc non confirmée du Conseil Constitutionnel, a contrario infirmée, suit le sort des décisions de cette nature : elle perd toute autorité, et n’a donc plus vocation à s’imposer.
Cette décision peut d’autant moins s’imposer, que l’élection, par son caractère démocratique, fait intervenir le peuple en dernier. Ce qui signifie que l’élu procède du peuple, rien que du peuple, mais de tout le peuple, à qui appartient la souveraineté. La Constitution, à cet égard, et c’est le cœur du vivre ensemble ivoirien, édicte en son article 31 qu’aucune section du peuple, ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice.
En décidant de passer par pertes et profits cette autre partie du peuple, évincée du corps électoral, le Conseil Constitutionnel (en a-t-il conscience ?) attribue l’exercice de la souveraineté à une seule partie du peuple, une section selon le terme de la Constitution. Se faisant, il divise le peuple. Le président par lui ainsi proclamé peut-il se dire le président de tout le peuple, et reprendre la formule sacramentelle du serment : « Devant le peuple souverain de Côte d’Ivoire, je jure.. », sans se demander lequel ?
La décision du Conseil Constitutionnel peut, au plus, concerner une section du peuple, mais sûrement pas le peuple de Côte d’Ivoire, un et indivisible.
Entre certification et souveraineté du peuple, sa décision n’a pas fini de faire parler.
Me Emmanuel Assi
(Avocat et ancien Bâtonnier)
S’étant cru, sans doute, investi d’un pouvoir sans borne par l’article 98 de la Constitution qui affirme que ses décisions sont sans recours et s’imposent à tous, le Conseil Constitutionnel a cru pouvoir imposer au peuple un Président. C’était sans compter avec la certification de l’élection et la souveraineté du peuple.
Dans une auto-justification, le Président du Conseil Constitutionnel explique que l’ONUCI certifie le déroulement, le dépouillement, la proclamation de l’élection, sans juger, ni valider, alors que le Conseil Constitutionnel juge, valide et proclame les résultats définitifs de l’élection présidentielle (Fraternité-Matin du 06/12/2010). C’est ne rien comprendre à la certification dont le verbe certifier est défini au Grand Robert, comme,« donner pour vrai », « donner pour certain , « affirmer », « attester », « confirmer », « garantir », ce qui veut dire valider, qui appelle, naturellement, une appréciation, donc un jugement.
La certification a donc bien pour objet la validation de l’élection, par rapport aux critères de transparence, justice, et crédibilité, choix des parties ivoiriennes pour caractériser les élections de « sortie de crise ».
Les Accords, de Marcoussis à Ouagadougou en passant par Accra, Pretoria, particulièrement Pretoria, ne laissent aucun doute sur leurs intentions. On y lit en effet : « les parties signataires du présent Accord sont conscientes des difficultés et sensibilités liées aux élections. En vue d’assurer l’organisation d’élections libres, justes et transparentes, elles ont admis que les Nations Unies soient invitées à prendre part aux travaux de la Commission Electorale Indépendante. A cet effet, elles ont donné mandat au Médiateur THABO M’BEKI d’adresser une requête aux Nations Unies, au nom du peuple ivoirien, en vue de leur participation dans l’organisation des élections générales. Les parties demandent que la même requête soit adressée aux Nations Unies en ce qui concerne le Conseil Constitutionnel. »
La sollicitation des Nations Unies pour co-organiser les élections découle de la forte méfiance des ivoiriens à l’égard des acteurs du processus électoral : le Conseil Constitutionnel et la Commission Electorale Indépendante. Au premier, on a retiré le pouvoir d’apprécier les conditions d’éligibilité à la Présidence de la République de certains candidats, confié directement à une « Décision présidentielle », sans doute en souvenir de l’élection de 2000, avant de le chapeauter d’un Haut Représentant aux Elections, doté d’un statut de tuteur.
Au second, on a reformulé la composition, l’organisation, et le fonctionnement dans le sens d’une meilleure représentation des élus des formations politiques signataires de l’Accord de Linas Marcoussis.
La conclusion qui se dégage est que les différents Accords inter-ivoiriens ont donné naissance à une législation spéciale qui a fini par déboucher sur la certification de l’élection, clef de voûte du processus électoral de sortie de crise.
En effet, suite à l’Accord de Pretoria, le Gouvernement ivoirien a demandé à l’ONU de procéder à la certification des élections et ce, afin d’éviter les risques de « contestation non démocratique et les compromissions ». Dans sa résolution 1765, le Conseil de Sécurité de l’ONU, après avoir rappelé ce qui suit : « Toutes les parties ivoiriennes, acceptant la nécessité de maintenir la responsabilité des Nations Unies pour ce qui est de la certification internationale du processus électoral conformément aux Accords de Pretoria afin de garantir la transparence et la crédibilité des élections et de réduire au minimum les risques d’une crise politique au cas où certains contesteraient le processus électoral », a accepté la mission de certification demandée par le Gouvernement ivoirien.
Loin de constituer donc une ingérence, la certification, demandée et acceptée par les autorités ivoiriennes, apparaît comme l’instrument juridique de validation en dernier recours de l’élection en toutes ses phases, ce que la pratique confirme : la liste électorale définitive, en effet, et non la provisoire, a été certifiée et cette opération a clos cette phase. Il en est de même du premier tour du scrutin qui a été certifié après la proclamation des résultats définitifs par le Conseil Constitutionnel. Il n’y a pas de raison de concevoir différemment le deuxième tour.
Contre le Conseil Constitutionnel qui, se limitant à l’article 98 de la Constitution, croit sa décision sans recours, on affirme que la certification de l’élection, issue de la Résolution 1765, qui a valeur supranationale, en est précisément un (d’un genre particulier, peut-être, sui generis, pourrait-on dire, mais qui se comprend au regard de la législation spéciale qui régit l’élection de sortie de crise), dès lors qu’elle intervient en dernier recours, donc après le Conseil Constitutionnel, pour valider l’élection et la consacrer définitivement.
Les faits démontrent aujourd’hui, s’il en était besoin, que la certification par l’ONU était nécessaire. Son refus de valider les résultats du Conseil Constitutionnel, au contraire de ceux de la Commission Electorale Indépendante est justifié par, outre ses propres constatations en tant que co-organisatrice de l’élection, les rapports concordants des observateurs crédibles sur le terrain, mais encore et surtout ceux, tout aussi concordants des représentants qualifiés de l’Etat, les préfets des zones alléguées litigieuses.
Il suit de là que la décision, non validée, donc non confirmée du Conseil Constitutionnel, a contrario infirmée, suit le sort des décisions de cette nature : elle perd toute autorité, et n’a donc plus vocation à s’imposer.
Cette décision peut d’autant moins s’imposer, que l’élection, par son caractère démocratique, fait intervenir le peuple en dernier. Ce qui signifie que l’élu procède du peuple, rien que du peuple, mais de tout le peuple, à qui appartient la souveraineté. La Constitution, à cet égard, et c’est le cœur du vivre ensemble ivoirien, édicte en son article 31 qu’aucune section du peuple, ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice.
En décidant de passer par pertes et profits cette autre partie du peuple, évincée du corps électoral, le Conseil Constitutionnel (en a-t-il conscience ?) attribue l’exercice de la souveraineté à une seule partie du peuple, une section selon le terme de la Constitution. Se faisant, il divise le peuple. Le président par lui ainsi proclamé peut-il se dire le président de tout le peuple, et reprendre la formule sacramentelle du serment : « Devant le peuple souverain de Côte d’Ivoire, je jure.. », sans se demander lequel ?
La décision du Conseil Constitutionnel peut, au plus, concerner une section du peuple, mais sûrement pas le peuple de Côte d’Ivoire, un et indivisible.
Entre certification et souveraineté du peuple, sa décision n’a pas fini de faire parler.
Me Emmanuel Assi
(Avocat et ancien Bâtonnier)