Prudence et discrétion. Par ces temps de crise postélectorale, les personnes relativement aisées qui habitent la riche commune de Cocody, à Abidjan, semblent s'être passé ces mots. En attendant la paix tant espérée, l'heure est à l'enfermement et à la dissimulation des richesses. Se barricader et faire le pauvre, petite histoire de la mise en œuvre opérationnelle d'un mot d'ordre.
Pierre Kouamé est un homme d'affaires prospère. Ce fils de paysan, aujourd'hui âgé de 60 ans, vit depuis son retour de France, où il a fait ses études supérieures, à Cocody, " le quartier des riches". Depuis trente ans, il est le Directeur Général d'une entreprise d'Import-export basée au Port autonome d'Abidjan (PAA).
"J'habite Cocody depuis 1980. Avant, on n'entendait pas parler de braquage. Aujourd'hui, avec la guerre, il ne se passe pas un jour sans qu'un voisin vienne nous signaler un braquage chez un ami ou chez un parent", s'inquiète le Directeur.
L'info avant la messe
En ce dimanche 9 janvier, ce chrétien catholique et pratiquant s'apprête à se rendre à la messe avec sa famille. Son épouse, ses 2 petits-enfants de moins de 6 ans, et un neveu musclé grand comme un basketteur, qui fait office de chauffeur et de garde du corps, tous sont prêts pour prendre le chemin de l'église. A 9h30, Pierre regarde encore le journal Afrique de TV5. Pendant que le journaliste commente l'actualité ivoirienne, lui ne cesse de secouer la tête.
Pierre est l'un des rares privilégiés qui puisse encore regarder les journaux télévisés des chaînes étrangères à la télévision. Il dispose d'une antenne parabolique.
Sept mètres de sécurité
"C'est une situation très fâcheuse, d'autant plus que depuis quelques jours, l'on parle de plus en plus d'embargo économique si Gbagbo ne quitte pas le pouvoir", commente Pierre.
L'homme craint pour son entreprise, mais aussi pour sa sécurité. Alors, il a érigé un mur haut de sept mètres, surmonté de barbelés et électrifié, autour de sa maison. Il a aussi fait installer un système de vidéo surveillance de sa résidence, une grosse bâtisse de deux niveaux. "Je sais que cela ne suffit pas, mais au moins cela me donne un sentiment de sécurité", fait observer Pierre.
Avant la crise militaro-politique de 2002, ses deux premières filles aujourd'hui mariées et mamans et ses deux garçons qui étudient dans des universités françaises, habitaient chez lui à Cocody. Dans ce chic quartier des Ambassades, à quelques pas de la résidence présidentielle, la vie était paisible et douce. Tous les dimanches, la famille sortait du domicile situé entre l'hôtel Ivoire et la permanence locale de la Banque Mondiale, pour se rendre à la messe. Le trajet jusqu'à l'église catholique Saint Jean de Cocody se faisait en cortège restreint de trois véhicules. Ce dimanche, le cousin, neveu et chauffeur a apprêté une Toyota Carina. "Ce véhicule est beaucoup plus discret qu'un 4X4 flambant neuf, qui aurait pour seul mérite d'attirer des braqueurs de véhicule de luxe", fait remarquer le chef de famille.
Un seul vœu
Assise sur le siège arrière du véhicule, son épouse, la cinquantaine, habillée d'un ensemble en pagne hollandais, discrètement maquillée et ne portant pour seul bijou que son alliance, est encadrée de ses deux petits-enfants, étonnement calmes. A la fin de la messe, la famille se rend dans une pâtisserie, pour acheter des viennoiseries aux enfants. Aujourd'hui, le couple n'ira pas écouter, en fin de soirée, du jazz au café théâtre de Cocody. La veille, il n'est pas allé non plus à Dabou (ville située à 40km à l'ouest d'Abidjan) pour manger de l'attiéké à la langouste et boire des vins importés.
"J'espère que la raison va enfin habiter les uns et les autres. Quoiqu'il en soit, le président qui sortira vainqueur de ce bras de fer devra non seulement désarmer les ex-combattants, pour que la sécurité des personnes et des biens soit normalement assurée, mais aussi et surtout désarmer les cœurs remplis par des années de haine". Tel est le vœu que Pierre souhaite voir exhaussé pour la nouvelle année.
André Silver Konan
kandresilver@yahoo.fr
Pierre Kouamé est un homme d'affaires prospère. Ce fils de paysan, aujourd'hui âgé de 60 ans, vit depuis son retour de France, où il a fait ses études supérieures, à Cocody, " le quartier des riches". Depuis trente ans, il est le Directeur Général d'une entreprise d'Import-export basée au Port autonome d'Abidjan (PAA).
"J'habite Cocody depuis 1980. Avant, on n'entendait pas parler de braquage. Aujourd'hui, avec la guerre, il ne se passe pas un jour sans qu'un voisin vienne nous signaler un braquage chez un ami ou chez un parent", s'inquiète le Directeur.
L'info avant la messe
En ce dimanche 9 janvier, ce chrétien catholique et pratiquant s'apprête à se rendre à la messe avec sa famille. Son épouse, ses 2 petits-enfants de moins de 6 ans, et un neveu musclé grand comme un basketteur, qui fait office de chauffeur et de garde du corps, tous sont prêts pour prendre le chemin de l'église. A 9h30, Pierre regarde encore le journal Afrique de TV5. Pendant que le journaliste commente l'actualité ivoirienne, lui ne cesse de secouer la tête.
Pierre est l'un des rares privilégiés qui puisse encore regarder les journaux télévisés des chaînes étrangères à la télévision. Il dispose d'une antenne parabolique.
Sept mètres de sécurité
"C'est une situation très fâcheuse, d'autant plus que depuis quelques jours, l'on parle de plus en plus d'embargo économique si Gbagbo ne quitte pas le pouvoir", commente Pierre.
L'homme craint pour son entreprise, mais aussi pour sa sécurité. Alors, il a érigé un mur haut de sept mètres, surmonté de barbelés et électrifié, autour de sa maison. Il a aussi fait installer un système de vidéo surveillance de sa résidence, une grosse bâtisse de deux niveaux. "Je sais que cela ne suffit pas, mais au moins cela me donne un sentiment de sécurité", fait observer Pierre.
Avant la crise militaro-politique de 2002, ses deux premières filles aujourd'hui mariées et mamans et ses deux garçons qui étudient dans des universités françaises, habitaient chez lui à Cocody. Dans ce chic quartier des Ambassades, à quelques pas de la résidence présidentielle, la vie était paisible et douce. Tous les dimanches, la famille sortait du domicile situé entre l'hôtel Ivoire et la permanence locale de la Banque Mondiale, pour se rendre à la messe. Le trajet jusqu'à l'église catholique Saint Jean de Cocody se faisait en cortège restreint de trois véhicules. Ce dimanche, le cousin, neveu et chauffeur a apprêté une Toyota Carina. "Ce véhicule est beaucoup plus discret qu'un 4X4 flambant neuf, qui aurait pour seul mérite d'attirer des braqueurs de véhicule de luxe", fait remarquer le chef de famille.
Un seul vœu
Assise sur le siège arrière du véhicule, son épouse, la cinquantaine, habillée d'un ensemble en pagne hollandais, discrètement maquillée et ne portant pour seul bijou que son alliance, est encadrée de ses deux petits-enfants, étonnement calmes. A la fin de la messe, la famille se rend dans une pâtisserie, pour acheter des viennoiseries aux enfants. Aujourd'hui, le couple n'ira pas écouter, en fin de soirée, du jazz au café théâtre de Cocody. La veille, il n'est pas allé non plus à Dabou (ville située à 40km à l'ouest d'Abidjan) pour manger de l'attiéké à la langouste et boire des vins importés.
"J'espère que la raison va enfin habiter les uns et les autres. Quoiqu'il en soit, le président qui sortira vainqueur de ce bras de fer devra non seulement désarmer les ex-combattants, pour que la sécurité des personnes et des biens soit normalement assurée, mais aussi et surtout désarmer les cœurs remplis par des années de haine". Tel est le vœu que Pierre souhaite voir exhaussé pour la nouvelle année.
André Silver Konan
kandresilver@yahoo.fr