x Télécharger l'application mobile Abidjan.net Abidjan.net partout avec vous
Télécharger l'application
INSTALLER
PUBLICITÉ

Politique Publié le vendredi 21 janvier 2011 | Le Patriote

Alphonse Djédjé Mady, à propos de l’opération « pays mort » - “Nous ne cherchons pas à rallier 100 % de la population ivoirienne ”

La Côte d’Ivoire est dans l’impasse depuis bientôt deux mois, par la faute de Laurent Gbagbo qui refuse de reconnaître sa défaite. Le RHDP, pour le faire plier, a initié une opération dénommée « pays mort » jusqu’à son départ. Le Patriote a rencontré le Pr. Alphonse Djédjé Mady. Le président du directoire du RHDP, dans cet entretien, parle de la crise postélectorale que connaît la Côte d’Ivoire, des raisons du recours au dialogue et de l’opération « pays mort ». Interview.

Le Patriote : Depuis le 28 novembre dernier, le peuple de Côte d’Ivoire s’est prononcé sur le choix de celui qui doit le diriger pour les cinq dernières années. Depuis près de deux mois, Laurent Gbagbo qui a perdu l’élection présidentielle refuse de céder le pouvoir au président Alassane Dramane Ouattara, vainqueur de cette élection. Quelle appréciation faites-vous de cette situation ?
Alphonse Djédjé Mady : Cette panne faite à la démocratie ne peut que désoler tous les acteurs de l’opération de sortie de crise. Nous avons engagé le processus depuis maintenant près de dix ans. Et tout le monde a souhaité en sortir par des élections crédibles et transparentes dont les résultats doivent être respectés par tous. Ce processus, malgré les difficultés par-ci et par-là, semblait tenir ses engagements jusqu’au premier tour où on a eu droit à des séquences démocratiques dont la Côte d’Ivoire pouvait être fière. Notamment le face-à-face qui a eu lieu avec les deux candidats du second tour. Et voici qu’avec les résultats du deuxième tour, la démocratie se trouve en être en panne et défigurée par le non respect de la vérité des urnes. Nous savons dans quelle condition la Commission électorale indépendante a travaillé. Le monde entier, malheureusement, a été témoin des images hideuses que nous avons tous vues à la télé. Tout le monde sait aujourd’hui, dans ces conditions, pourquoi la Commission électorale indépendante n’a pas pu proclamer les résultats dans le délai de trois jours. Au demeurant, il convient de dire que même pour le premier tour, le délai de 72 heures n’avait pas été respecté. Il faut rappeler que c’est à 2 h du matin que la Commission électorale indépendante a proclamé les résultats. Mais ce n’est qu’une parenthèse. Cette commission électorale indépendante, malgré ces conditions, a fini par proclamer les résultats. En principe, le Conseil constitutionnel se prononce sur les résultats provisoires donnés par la CEI. Et la loi dispose clairement que si le Conseil constitutionnel n’est pas d’accord avec les résultats, il les invalide et fait reprendre le scrutin. Au lieu de cela, le Conseil constitutionnel invalide les résultats dans sept départements et proclame des résultats qui ne sont pas légalement acceptables. Puisqu’en annulant les résultats dans les sept départements, le Conseil constitutionnel disposait de 45 jours pour faire reprendre les élections. Nous n’avons pas assisté à cela. Nous avons assisté plutôt à un scrutin du Conseil constitutionnel. Depuis cela, le pays est bloqué. La certification a fait le travail qu’elle avait à faire. Elle a proclamé les mêmes résultats donnés par la CEI. Bien sûr, vous ne pouvez pas demander à quelqu’un qui a perdu les élections d’être content. Mais il faut respecter la vérité des urnes et faire en sorte que celui que les urnes ont déclaré vainqueur, c’est-à-dire Alassane Ouattara, soit rétabli dans ses droits et pour que la Côte d’Ivoire puisse continuer sa réconciliation avec elle-même poursuivre ainsi son développement.

LP : Laurent Gbagbo demande à ce qu’on recompte les voix. Que pensez-vous de cette proposition ?
ADM : C’est une perte de temps. Les éléments qu’il met dans sa commission pour recompter les voix, ce sont ceux qui se sont prononcés sur le second tour. Puisqu’il cite les Nations unies, l’Union africaine, la CEDEAO, le Facilitateur et d’autres structures. Le représentant du facilitateur et celui du secrétaire général des Nations unies ont suivi ces élections. Il faut, en démocratie, reconnaître sa défaite quand ça n’a pas marché. On attend les élections à venir et on se prépare en conséquence. La majorité présidentielle a perdu les élections. Elle faut qu’elle accepte de laisser la Côte d’Ivoire se retrouver autour de celui que les Ivoiriens ont choisi pour qu’elle amorce son développement avec la sous-région dans la paix, la fraternité et dans un esprit démocratique. On nous parle de la Constitution. Mais, la Constitution tire sa légitimité de l’expression du suffrage universel. L’élection du président de la République relève du même électorat qui donne la légitimité suprême. Je pense qu’il faut respecter le choix de la majorité du peuple de Côte d’Ivoire.

LP : Il y a eu plusieurs médiateurs qui se sont succédé à Abidjan depuis le début de la crise. Notamment, ceux envoyés par la CEDEAO et l’Union africaine. Ces médiations qui visaient à faire partir Laurent Gbagbo du pouvoir n’ont rien donné. La dernière en date n’a pas donné non plus un résultat probant. Pour vous, que faut-il maintenant faire pour permettre à la Côte d’Ivoire de sortir de cette impasse ?
ADM : Le président Ouattara l’a dit. Il préfère la solution pacifique à toute solution de violence. Les Houphouétistes ne peuvent que conseiller cela de prime abord ; à savoir : faire en sorte que le dialogue triomphe et que la raison habite tout le monde. Car la violence ne peut ni arranger un camp ni la Côte d’Ivoire. Mais si à l’impossible nul n’est tenu, il faut que force reste à la loi, à la légitimité démocratique. Nous pensons, avant qu’il ne soit nécessaire, comme l’a indiqué le président Blaise Compaoré à la sortie de son entretien avec le président Nicolas Sarkozy, qu’on peut donner encore une chance au dialogue. Mais si ce dialogue n’est plus possible, peut-être l’ingérence humanitaire est une nécessité pour permettre à la Côte d’Ivoire de se retrouver avec tous ses enfants pour aller de l’avant. Mais personne, de prime abord, ne peut conseiller une solution violente. Mais si cela s’avère nécessaire, il faut une solution violente qui tienne dans les limites de la légalité. Et c’est ce terme que couvre l’ingérence humanitaire. Mais nous espérons que d’ici là, le président Gbagbo qui sait qu’il a perdu les élections, entendra raison et que sans violence, le président Ouattara désigné par le suffrage universel direct, pourra assurer ses responsabilités.

LP : Les chefs d’Etat de l’UEMOA se réunissent ce week-end à Bamako pour plancher sur le cas de la Côte d’Ivoire. Mais déjà, le Conseil des ministres réuni en Guinée Bissau le mois dernier avait décidé que l’Union ne reconnaisse comme seule signature que celle du président Ouattara. Et pourtant, le gouverneur de la BCEAO a autorisé avec la complicité du directeur national, des décaissements en faveur du camp Gbagbo. Comment qualifiez-vous l’attitude du gouverneur ?
ADM : Ecoutez, la hiérarchie doit être respectée dans ces décisions. Quand les ministres de l’UEMOA ont pris une décision, le gouverneur de la BCEAO doit se soumettre. Toute autre attitude est condamnable. Le Conseil des ministres a décidé. Les présidents vont encore décider. Ces décisions doivent être respectées par la hiérarchie de la BCEAO, à commencer par le gouverneur.

LP : M. le président du directoire du RHDP, on parle de plus en plus de l’option militaire. Et à ce sujet, les chefs d’état-major de la CEDEAO se sont réunis depuis lundi dernier à Bamako pour étudier les modalités d’une opération. Pensez-vous que cette option se fera ?
ADM : C’est le dernier recours. Tout homme épris de paix ne peut souhaiter que ce soit le dernier recours. Si elle était inévitable, cette option militaire se ferait. Parce que lorsqu’on rentre dans une association, on renonce à une partie de sa souveraineté pour que l’association à laquelle on a adhéré ait le dernier mot. Tous les juristes savent que les traités internationaux sont au-dessus des lois nationales. La CEDEAO, l’Union africaine, l’organisation des nations unies auxquelles nous avons adhéré ont des principes auxquels la Côte d’Ivoire doit se soumettre. Si le recours à la force était inévitable, cela se fera. Mais faisons en sorte que cela ne se fasse pas. Sinon la force demeure le dernier recours.

LP : Depuis le mardi dernier, le RHDP a lancé l’opération « pays mort » jusqu’au départ de Laurent Gbagbo du pouvoir. Pouvez-vous nous dire à quoi répond une telle opération ?
ADM : Cette opération répond à un comportement citoyen de personnes qui veulent que les résultats des urnes soient respectés. Et qui ne veulent pas d’affrontements sanglants. Nous aurions pu organiser des marches dans les rues. Mais, on connaît les conséquences. Ce serait encore des pertes en vie humaine que nous avions déjà déplorées. Par l’opération « pays mort », nous pensons que l’opinion nationale et internationale pourra se rendre compte de la volonté des Ivoiriens de voir respecter le choix qu’ils ont opéré dans les urnes. Nous pensons que cette opération est une protestation pacifique et démocratique qui permettra de faire comprendre à l’opinion nationale et internationale la volonté des Ivoiriens de voir la démocratie respectée en Côte d’Ivoire comme ailleurs dans le monde.

LP : Hormis l’intérieur du pays où l’opération est bien suivie, à Abidjan, dans certaines communes, elle a du mal à décoller. Pensez-vous que c’est cette méthode qu’il faut utiliser pour faire partir Laurent Gbagbo ?
ADM : Nous connaissons les pourcentages obtenus par les deux candidats au second tour. Le président Gbagbo a été accrédité de 45,90 % des voix. Personne ne peut rêver que l’opération « pays mort » va mobiliser 100 % des Ivoiriens. Il ne s’agit pas de cela. Ceux qui ont voté pour Laurent Gbagbo et qui disent que le Conseil constitutionnel l’a déclaré vainqueur, ne peuvent pas s’associer à cette opération. Il ne s’agit donc pas d’atteindre 100 % de la population ivoirienne. Nous cherchons à rallier la majorité de la population ivoirienne. C’est ainsi comme vous-même vous l’avez dit, il y a des quartiers où ça marche à 100 %, certains où ça marche à 20 % et d’autres où ça marche à 10 %. En faisant la moyenne, honnêtement aujourd’hui, même ceux qui sortent, est-ce quelqu’un peut dire que l’Administration fonctionne, que les gens vont au bureau et qu’ils travaillent effectivement et qu’ils descendent aux heures où ils devaient descendre ? Ou est-ce que c’est simplement un acte de présence que font certains ? Nous ne cherchons pas, pour cette opération, à rallier 100 %, mais la majorité des Ivoiriens qui ont voté pour Alassane Dramane Ouattara.

LP : Que pouvez-vous dire à vos militants qui s’impatientent et qui pensent que la crise dure un peu trop ?
ADM : Ils ont entendu plusieurs messages du président Alassane Ouattara qui en appelle à la patience et à la nécessité de la recherche d’une solution de paix. Parce que pour quiconque aime le bonheur de la Côte d’Ivoire, personne ne peut se précipiter dans une attitude de violence. Quel que soit au monde auquel on appartient, on est d’abord tous des Ivoiriens, tous des frères et sœurs. On a un patrimoine commun qui est la Côte d’Ivoire. Personne ne peut se précipiter à engager une méthode qui ne peut qu’entraîner des désagréments à la Côte d’Ivoire et aux Ivoiriens. C’est pourquoi, nous demandons à nos militants de prendre leur mal en patience. Si on peut sortir de la crise par le triomphe du dialogue et de la démocratie, tant mieux. La solution de la force ne doit être qu’une solution de désespoir et de dernier recours. Que les Ivoiriens comprennent où se trouve l’intérêt de la Côte d’Ivoire et que l’apprentissage que nous faisons de la démocratie soit respecté. Parce qu’en démocratie, ou on gagne ou on perd. Mais on ne peut ou gagner ou gagner. Les élections se sont tenues, il y a eu un vainqueur proclamé par la Commission électorale indépendante et certifié par le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU. Ce sont les Ivoiriens eux-mêmes qui ont décidé que ce soit la communauté internationale, par le biais du représentant du secrétaire des Nations unies in fine, qui certifie les élections. Nous devons donc respecter les règles que nous nous sommes nous-mêmes données. Que ces règles nous conviennent ou pas, ce sera faire preuve de grandeur si nous nous s’y soumettons.

LP : Vous demandez à la population ivoirienne de faire preuve de patience, alors que chaque jour, il y a des violations graves des droits de l’Homme qui sont perpétrées partout en Côte d’Ivoire. La journée d’aujourd’hui (NDLR : hier) a encore enregistré des morts. On parle de quatre morts. Ne pensez-vous pas que vous demandez un peu trop à la population ?
ADM : La situation est vraiment dramatique et préoccupante. Le tableau de peintre, le décompte macabre ne peut que pousser à l’impatience. Un affrontement sanglant fera plus de morts ou moins. Pouvons-nous faire en sorte que ce temps qu’on donne au dialogue soit sans mort ? C’est vers cela que nous devons tendre. Et c’est parce qu’on déplore ces pertes en vie humaine, ce manque de libertés individuelles que nous devons être habités par la raison pour qu’on ne soit pas obligé d’avoir recours à la force parce que ce n’est pas la meilleure des solutions. Nous déplorons la situation que nous vivons. Vivement qu’elle s’arrête et qu’effectivement la décision démocratique soit respectée ! Les Ivoiriens doivent se donner encore quelques jours, une ou deux semaines pour voir quelles seront les limites de la négociation. Mais une fois encore, tous pour que la violence d’où qu’elle vienne soit écartée du schéma ivoirien et que si elle devait intervenir que cela soit en désespoir de cause.

LP : Vous qui êtes un proche collaborateur des présidents Ouattara et Bédié, pouvez-vous nous dire si les rumeurs qui courent en ce moment qu’ils seraient mal en point sont vraies ?
ADM : Ces rumeurs ne devraient atteindre que le moral de ceux qui les font courir. Je pense qu’en politique, quand on pense qu’on a raison, on doit souhaiter longue vie à son adversaire pour qu’il vive longtemps et qu’il ait le temps de se rendre compte que vous aviez raison. Ce n’est pas par la disparition de l’adversaire politique qu’on finit par avoir raison. Ne souhaitons donc la mort de personne, mais longue vie à tout le monde ! Et que celui qui a gagné donne la preuve du bien-fondé de son programme de gouvernement à tous les Ivoiriens y compris à ceux avec qui nous sommes allés en compétition. Pour répondre à votre question, c’est regrettable que cette rumeur coure. Puisque les présidents Ouattara et Bédié se portent bien. Ils ne souffrent d’aucun mal. Pour finir, j’aimerais souhaiter la paix à la Côte d’Ivoire. Il faut comprendre qu’en démocratie, on ne partage pas tous les mêmes opinions. On peut être d’opinion différente et bâtir un pays où chacun a sa place, où la force de chacun est nécessaire. Comprendre que dans une vraie démocratie, ceux qui ont gagné gouvernent, ceux qui ont perdu critiquent pour permettre à ceux qui sont au pouvoir d’améliorer leur action ; le président Félix Houphouët-Boigny l’a dit très souvent: « La majorité doit gouverner en tenant compte des remarques de la minorité. Car le gouvernant est responsable de toute la population dans son entièreté ». Je souhaite la paix et un esprit démocratique, une diversité d’opinions à la Côte d’Ivoire qui soit source de coexistence pacifique.
Réalisée par Jean-Claude Coulibaly

PUBLICITÉ
PUBLICITÉ

Playlist Politique

Toutes les vidéos Politique à ne pas rater, spécialement sélectionnées pour vous

PUBLICITÉ