Sommés de choisir entre Gbagbo et Ouattara, les chefs d’entreprise voient leurs affaires tourner au ralenti, en attendant le dénouement de la crise politique. L’interrogation est d’ordre pratique, mais elle a forcément des répercussions politiques: à quelles autorités faut-il payer ses impôts? Le président de la Chambre de commerce et d’industrie, Jean-Louis Billon, a cru trouver la solution. Dans une interview donnée à Rfi le 14 décembre 2010, il a indiqué qu’il fallait «faire les déclarations fiscales» et «retenir par-devers nous les chèques», pour «payer intégralement quand nous aurons un et un seul interlocuteur». Mal lui en a prit. Quelques jours plus tard, alors qu’il s’apprêtait à se rendre au Mali, il a été empêché de prendre l’avion, et son passeport ivoirien lui a été retiré par la police, qui reste contrôlée par Gbagbo. Il est accusé de prôner «l’incivisme fiscal». Aux dernières nouvelles, il résiderait actuellement à Paris. Lambert Feh Kessé, Directeur général des impôts, est monté au créneau pour marteler que «l’État de Côte d’Ivoire, incarné par le président Laurent Gbagbo constitutionnellement élu, ne saura tolérer les comportements antirépublicains». Jean-Louis Billon, à la tête de l’un des principaux fleurons industriels du pays, le groupe Sifca, est connu pour sa liberté de ton et ses critiques récurrentes des dysfonctionnements de l’administration ivoirienne, est-il allé trop loin? Président de la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (Cgeci), à la tête du groupe d’assurances Nsia et de la Biao, Jean Kacou Diagou a, de manière un peu moins claire, tenu le même discours, sans conséquences visibles. Affirmant que la Côte d’Ivoire court «inéluctablement à la catastrophe», il a invité «toutes les entreprises du secteur privé à être à l’écoute» des mots d’ordre concernant «le paiement des impôts, les mises en chômage technique, les licenciements». Frère du maire Fpi de Cocody, Jean-Baptiste Gomont Diagou, le président de la Cgeci, lui-même secrétaire national aux affaires financières du Pdci, bénéficie sans doute de passerelles avec les deux présidents proclamés… Dans la sourde bataille financière qui oppose Gbagbo et Ouattara, pour qui roulent les patrons? Les deux camps scrutent attentivement l’attitude des chefs d’entreprise. Un premier «test» a eu lieu fin décembre, au moment du paiement des salaires des fonctionnaires. Une partie des banques, notamment celles contrôlées par l’État (Bni, Bhci et Versus Bank), ont approvisionné, le 23 décembre, les comptes de leurs clients agents de l’État avant même de recevoir la confirmation de la Bceao. Plus prudentes, d’autres n’ont obtempéré que le lendemain. Les dirigeants d’entreprise estampillés pro-Gbagbo craignent, de leur côté, des représailles du camp Ouattara en cas de prise effective du pouvoir, mais aussi des sanctions internationales. Dans la liste des 59 personnes désormais interdites de visa pour l’UE figurent ainsi des directeurs généraux des régies financières de l’État – dont Simone Djédjé Mama (Trésor), Lambert Feh Kessé (Impôts), Alphonse Mangly (Douanes) –, mais aussi Kassoum Fadika, de la Petroci, et Laurent Ottro-Zirignon, de la Sir. Dans les milieux pétroliers proches de Laurent Gbagbo, on fait front. Ce qui n’empêche pas certaines inquiétudes de s’exprimer. Le Nigeria cessera-t-il d’approvisionner en brut la Sir? Les banques continueront-elles d’appuyer le secteur? Alors même que le président du conseil d’administration de Petroci, François Konan Banny, aurait d’ores et déjà écrit à ces dernières pour leur demander de «ne plus autoriser et accepter la signature de Kassoum Fadika sur tous les comptes de Petroci ». Des patrons du privé sont également sur la «liste des 59». Parmi eux, Abdoulaye Diallo, président de la Société générale d’importation et d’exportation de Côte d’Ivoire. Mais aussi, plus curieux, l’entrepreneur français Frédéric Lafont et son épouse Louise Esme Kado qui possèdent deux entreprises importantes dans le secteur de la sécurité privée, Risk et Vision, et une compagnie aérienne, Sophia Airlines, spécialisée dans les vols intérieurs et les locations d’avions. Ils seraient susceptibles «d’agir en violation de l’embargo».
Source Jeune Afrique
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