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Politique Publié le samedi 12 février 2011 | Le Patriote

Enquête : pendant qu’ils mettent le feu au pays / Les Refondateurs préparent leurs arrières au Ghana

© Le Patriote
Nommé premier ministre par le président Laurent Gbagbo: Pr Aké N`Gbo forme son gouvernement
Photo: Ministre de la jeunesse, de la formation professionnelle et de l`emploi: Charles Blé Goudé
En décidant de s’accrocher au pouvoir, en dépit de leur revers dans les urnes le 28 novembre dernier, Laurent Gbagbo et son clan conduisent inexorablement le pays dans le gouffre. Entre-temps, alors qu’ils se disent prêts à tout pour faire face à la pression qui vient de partout, ils se préparent à fuir le pays. Plusieurs destinations sont choisies, avec des préférences. La plus prisée semble être le Ghana. Au pays de Nkrumah, beaucoup de proches de Gbagbo ont déjà mis à l’abri, femmes et enfants. Et aussi des valises bourrées d’argent dans des résidences dont l’insolence du luxe injurie la misère des Ivoiriens. Notre enquête.

Ils n’aiment pas vraiment la Côte d’Ivoire. Depuis deux mois, les refondateurs, font souffrir les Ivoiriens avec leur putsch électoral, qui plonge le pays dans une situation à la fois ubuesque et grave. Et chaque jour, sur les antennes de la télé « LMP », ou encore dans leurs journaux, ils bandent leurs muscles. Ils disent être prêts à tout, y compris même à faire la guerre contre l’Ecomog, la force que la CEDEAO envisage d’envoyer pour déloger Laurent Gbagbo au cas où il s’entêterait à s’accrocher au fauteuil présidentiel, contre la volonté de la majorité des Ivoiriens. Et pourtant, sournoisement, alors qu’ils enrôlent à la pelle les enfants des pauvres dans les milices pour défendre leur régime vermoulu, ils préparent leurs arrières au Ghana, pays voisin.
Depuis la fin du second tour de la présidentielle, les pontes de la Refondation se rendent régulièrement au pays de Kwame N’Krumah, soit par les airs, soit par la route. Objectif : y mettre à l’abri leur famille et leurs biens. « Peu après le scrutin du 28 novembre, ils étaient nombreux ici. Mais, ils viennent et repartent », confie N’Zi Faustin, jeune ivoirien vivant à Accra.

La plupart d’entre eux choisissent la voie terrestre pour rallier le Ghana. Et l’itinéraire est bien classique et connu de tous ceux qui fréquentent ce pays.

Dès qu’ils franchissent le poste frontalier de Noé, en territoire ivoirien, et d’Ellubo, au Ghana, ils se dirigent vers Takoradi. A bord, généralement de grosses cylindrées, parfois des rutilants et luxueux véhicules 4X4. « On voit beaucoup de grosses voitures passer ici. Souvent des boss s’arrêtent pour échanger le CFA contre des Cedis », confirme, Abraham Teteh, jeune débrouillard d’Ellubo, qui hèle les éventuels voyageurs en direction d’Accra ou Aflao, la ville frontalière du Ghana avec le Togo, très prisée par les commerçants et commerçantes.

Certains, à en croire ce garçon et aussi quelques commerçants, y font souvent quelques emplettes. Essentiellement des friandises, de la boisson… bref, de quoi se mettre sous la dent, durant le trajet. Puis, c’est le départ pour Accra. Autre remarque : ces voyageurs particuliers prennent en général la route après le coucher du soleil.
Sur la voie qui conduit dans la capitale ghanéenne, aperçoit-on en effet, dans la pénombre entre deux jeux de phares, des véhicules portant l’immatriculation de Côte d’Ivoire. Comme par exemple, cette Passat grise avec le siège arrière surmonté de valises et autres effets personnels. Des engins à quatre roues, imposants et visiblement luxueux. Le voyage est manifestement tranquille, pas de barrages intempestifs comme en Côte d’Ivoire, où les forces de l’ordre rendent nos routes périlleuses et épuisantes.

Première grande ville après Ellubo, Takoradi, à une centaine de kilomètres de la frontière ivoiro-ghanéenne. Cette cité, qui abrite le second port du pays, est quelque peu bouillante. Certes, à cause des activités du port, mais aussi du flux de voyageurs qui y transitent. Surtout ceux qui viennent de Côte d’Ivoire. « Nous recevons des grands hommes de chez vous ici. Mais ils ne restent pas longtemps. En général, ils restent un jour, pas plus de deux, puis reprennent leur route », témoigne, Stanley, employé d’un hôtel huppé de Takoradi. Avant d’ajouter : « On en a reçus en décembre, mais très peu en janvier ».

Quand on lui demande si certains ont acheté récemment des résidences à Takoradi, il répond : « je ne crois pas. Les Ivoiriens qui résident à Takoradi sont ceux qui y travaillent. Ils sont là, il y a longtemps ». En revanche, il estime que les « big people » de Côte d’Ivoire préfèrent plutôt Accra ou Cape Coast et ses stations balnéaires.

Même si elle ne manque pas de charme, Takoradi ne semble pas avoir un attrait pour les pontes de la refondation.

Un peu plus de 100 km plus loin, voici Cape Coast. Une ville, moins économique que Takoradi, mais plus touristique. Avec ses stations balnéaires et les bungalows à extasier n’importe quelle âme. Là, un tour d’horizon des grands hôtels (Matlat, Hacienda, Golden…) permet de constater que les Ivoiriens n’y sont pas présents, en tout cas, lors de notre passage, un week-end. Même constat dans les « Beach Resort », malgré ses somptueuses stations balnéaires d’Elmina, à quelques encablures de Cape Coast, comme Mabels hotel ou encore One Africa, point d’Ivoiriens.

Entre hôtels luxueux et somptueuses résidences

Renseignements pris, certains y étaient, il y a peu, mais sont repartis. D’importantes personnalités ? « Oui, ils étaient dans des grosses voitures et ils ont pris les chambres les plus chères. L’un d’entre eux m’a confié qu’il travaillait avec le président Gbagbo », confie un réceptionniste. Des Ivoiriens ? « On a en reçu une dizaine ici il y a quelques jours. Mais ils sont repartis en Côte d’Ivoire », renchérit Maria qui s’occupe de la clientèle au Guest House du Mabels hotel. Sans toutefois savoir s’ils étaient des frontistes ou pas. La jeune dame, la vingtaine environ, ne sachant pas grand-chose de la vie politique en Côte d’Ivoire.

Dans la sympathique ville de Cape Coast, les Ivoiriens sont quasi absents dans les restaurants et autres lieux publics. Toutefois, avoue Prince, chauffeur de taxi, « ils viennent souvent à Cape Coast, mais sont en général de passage ».

De toute évidence, leur destination prisée est Accra, la grande métropole ghanéenne, qui, à l’inverse de Cape Coast et Takoradi, offre un standing de vie proche de celui d’Abidjan.

A Accra, les traces des refondateurs sont indélébiles. « Ils viennent régulièrement. Peu après le scrutin du 28 novembre, ils étaient beaucoup présents », souffle Ignace Kouao K., homme d’affaires ivoirien, basé à Accra. Les collaborateurs de Gbagbo comme Paul Antoine-Bohoun Bouabré, Mel Théodore, le maire de Cocody, Gomont Diagou et bien d’autres, ont été aperçus ici à Accra, depuis l’éclatement de la crise postélectorale. Même Nadiana Bamba, plus connue sous le pseudonyme de Nady, la seconde épouse de l’ancien chef d’Etat y a séjourné avec son fils Koudou Ismaël. Ils avaient pris leurs quartiers dans la résidence présidentielle de l’Etat de Côte d’Ivoire. Avec à leurs petits soins, l’ambassadeur de Côte d’Ivoire à Accra, Aka Emmanuel, réputé pour son militantisme et surtout son excès de zèle pour Laurent Gbagbo.

Des visages connus aux illustres anonymes, les proches de Gbagbo ont plusieurs fois rallié Accra durant ces deux derniers mois. « Ils viennent mais certains ne sont pas connus du grand public, c’est donc difficile de les repérer », fait remarque N’Zi Faustin, jeune Ivoirien vivant dans la capitale ghanéenne.

Selon des sources bien introduites au sein de la communauté ivoirienne, quand les pontes du régime FPI débarquent dans la ville, ils se dirigent vers le prestigieux et très coûteux hôtel qui a accueilli Barack Obama il y a deux ans, Holyday Inn, situé à deux pas de l’aéroport international Kotoka d’Accra. Là, ils s’offrent des suites à plus de 2500 dollars la nuit, soit au moins, 1million 250 mille FCFA. « Et ils ne lésinent pas sur les moyens. Certains peuvent louer jusqu’à 3 chambres voire plus, pour femmes, enfants et accompagnateurs », révèle un autre résident d’Accra. C’est dans cet hôtel qu’était descendu Al Moustapha, président du mouvement J’aime Gbagbo, aujourd’hui en rupture de ban avec son ancien mentor.

Toutefois, certains refondateurs ont simplement choisi de s’enraciner à Accra. Pour eux, il est clair, le Ghana sera la « porte de secours » en cas de déflagration en Côte d’Ivoire. Ils y ont acquis d’imposantes demeures dans les quartiers huppés d’Accra. C’est le cas du président de l’Assemblée nationale, le Pr. Mamadou Koulibaly qui a acquis, à hauteur de plusieurs centaines de millions de FCFA, une coquette villa dans la très chic cité « Regimanuel Gray », à Spintex Road, quartier cossu d’Accra. Tenez-vous bien, l’apôtre du CFA « flottant » est voisin de …John Atta-Mills, président du Ghana, qui y possède sa résidence privée. On raconte même que l’opérateur immobilier a eu peur des liasses de billets présentés par l’économiste de Laurent Gbagbo qui voulait acheter « cash » sa maison. Il lui a conseillé de déposer l’argent sur un compte en banque pour effectuer la transaction. Précision utile : M. Koulibaly a acheté son habitation bien longtemps avant le putsch électoral de Laurent Gbagbo. Mais, il a été « rejoint », à en croire des sources crédibles, dans cette cité par d’autres gros bonnets de la refondation, à la faveur ou en prélude au coup d’Etat constitutionnel du candidat du FPI lors de la récente présidentielle, par Emile Guiriéoulou, ex-ministre de la Fonction publique, Ahoua Don Mello, ex-Directeur général du BNETD, Philippe Attey, ex-Dg de la Sotra…

A Regimmanuel Gray, n’entre pas qui veut ! L’endroit est hyper sécurisé, avec deux grands portiques de sécurité et des agents très méfiants surveillant, comme de l’huile sur le feu, les moindres entrées et sorties dans ce quartier, fruit d’une vaste opération immobilière de haut standing. Car, les maisons, sans exception, présentent la même architecture et arborent presque les mêmes couleurs. Elles ont, sans doute, toutes, le même plan. Tout est donc uniforme.

A Regimmanuel Gray n’habite pas également qui veut. C’est un endroit pour « billionnaires », autrement dit milliardaires. La villa coûte en moyenne entre 800 et 900 000 dollars, soit environ 400 à 450 millions de nos francs. Pour des maisons de 4 à 10 chambres. Pour le ramassage des ordures, il faut payer 50 000 FCFA…par semaine ! Oui, vous aviez lu, par semaine, soit 200 000 FCFA par mois. Naturellement, des résidences y nécessitent plus de 500 millions de FCFA, surtout à Platinium Place, une partie de Regimmanuel Gray.

Mais, les refondateurs ne se « cachent » pas qu’à Regimmanuel Gray. Quelques-uns, sans doute plus fortunés, se sont procurés des villas plus imposantes et plus luxueuses à Trasaco, situé à East Legon Ajringamon, autre quartier huppé d’Accra.

A Trasaco, les villas sont incroyablement belles. On tombe d’admiration devant leur éclat et leur charmante architecture. On se croirait à Beverly Hills, une ville du comté de Los Angeles, en Californie aux Etats-Unis, avec ses somptueuses résidences des stars hollywoodiennes. Cette similitude, il est vrai, n’est pas fortuite, car à Trasaco habitent également des stars, singulièrement du football, qui ont acquis des demeures de rêve. Notamment Michael Essien et Stephen Appiah, deux internationaux ghanéens. A Trasaco, les prix des maisons donnent le tournis. « Il faut débourser entre 300 et 600 millions de FCFA pour une villa », fait remarquer M. Ignace Kouao. C’est à Trasaco que le général Mathias Doué a atterri après ses déboires avec le régime frontiste, suite à l’échec de l’opération Dignité. Il y a séjourné pendant quelques mois avant de partir vers d’autres destinations.

Comme à Regimmanuel Gray, la sécurité est quasi-permanente, à la limite obsessionnelle à Trasaco. Les agents veillent au grain. Les entrées sont minutieusement contrôlées. Et à l’intérieur de la Cité, les vigiles ont constamment, l’esprit en alerte. Le moindre regard suspect attire leur attention. Des pontes de la refondation y ont acquis des résidences. Ainsi murmure-t-on, les noms de Charles Blé Goudé ou encore du général Dogbo Blé Brunot, patron de la Garde républicaine. D’autres proches de Laurent Gbagbo ont décidé d’aller se « cacher » à Akosombo, une ville située à l’Est du Ghana, plus connue pour son barrage hydroélectrique. « Il y a de très belles maisons là-bas et c’est plus discret. C’est pourquoi, certains refondateurs préfèrent s’y installer », fait remarquer M. Kouao.

On le voit, pendant qu’ils mettent le feu au pays, les refondateurs assurent tranquillement leurs arrières, au Ghana.

Y. Sangaré (Envoyé spécial)
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