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Politique Publié le mercredi 9 mars 2011 | Le Nouveau Courrier

Lettre Ouverte à SEM Young-Jin Choi

© Le Nouveau Courrier Par DR
Politique nationale : Kahé Eric, président de l`Alliance ivoirienne pour la République et la démocratie (AIRD)
Excellence,

C'est en qualité de citoyen du village planétaire, avant d'être africain et ivoirien que je me permets, de vous écrire cette lettre dont je sais que vous me ferez l'immense honneur de la lecture.
Comme vous le savez, le pays de Laurent Gbagbo, de Konan Bedié, d'Alassane Ouattara et de 15 autres millions d'Ivoiriens, traverse, depuis septembre 2002, une grave crise militaro politique à la résolution de laquelle, vous avez été appelé à contribuer au nom et pour le compte de l'Organisation des Nations Unies (ONU), notre organisation commune dont vous êtes un fonctionnaire, la Côte d'Ivoire en étant un membre. En fait de crise, il s'agit de la tentative de coup d'état du 19 septembre 2002 qui s'est muée en une rébellion, que notre organisation commune, victime de son instrumentalisation par les grandes puissances, n'a pas condamnée clairement. D'accords en accords, sous l'égide de la communauté internationale, la crise n'a pas avancé dans sa résolution, jusqu'aux Accords Politiques de Ouagadougou (APO), fruits du Dialogue Direct imaginé par le Président Laurent Gbagbo et qui a judicieusement contourné l'ONU. Une fois parvenus à cet accord, les Ivoiriens, soucieux de ne pas de ne pas se mettre à dos l'Organisation, lui ont demandé de l'endosser, la maintenant ainsi dans le processus.
C'est alors que vous avez été choisi, Excellence, pour représenter le Secrétaire Général de l'ONU, votre compatriote SEM Ban KI-Moon. Parmi les prérogatives onusiennes des précédents accords qui sont morts de leur inefficacité pour manque d'esprit de justice, celle du Haut Commissaire aux Elections a fait l'objet de grandes manœuvres et batailles de votre part pour être conservée. Dans son rapport au Conseil de Sécurité de l'ONU, votre patron et compatriote, a cru devoir rassurer les membres du Conseil et les Ivoiriens en s'engageant sur un "mécanisme de certification qui ne remplacerait pas, mais viendrait compléter, le rôle qui revenait dans ces circonstances au Conseil Constitutionnel" (point 32 du rapport du SG au Conseil de Sécurité, en mai 2007). Ce rapport faisait suite à l'opposition du président Laurent Gbagbo au maintien du poste de M. Gérard Stoudman, Haut Représentant pour les Elections. Le SG de l'Onu, pour obtenir l'accord

du président Gbagbo et du Conseil de Sécurité a recommandé dans ce même rapport qu'il soit " admis que le rôle de certification des Nations Unies ne saurait se substituer aux prérogatives qui appartiennent aux institutions nationales en ce qui concerne la certification des différents aspects du processus électoral, mais qu'il vient se greffer sur ces prérogatives". Sauf erreur de ma part et en raison de mes insuffisances juridiques que je confesse, cela signifie que le Conseil Constitutionnel, nommément cité dans le rapport est au-dessus de la Certification ou tout au moins présent dans le processus.
Malgré votre grande bataille, le Conseil de Sécurité a, dans par une sorte de désaveu, "décidé de mettre un terme au mandat du Haut Représentant pour les Elections, décidé en conséquence que le Représentant Spécial du Secrétaire général en Côte d'Ivoire certifiera que tous les stades du processus électoral fourniront toutes les garanties nécessaires pour la tenue d'élections Présidentielle et législatives ouvertes, libres, justes et transparentes, conformément aux normes internationales" (point 6 de la Résolution 1765).
Dans la feuille de route que vous avez publiée pour la conduite de cette mission, vous avez indiqué aux Ivoiriens, au point 7 de ladite feuille, les moyens d'action en cas de dysfonctionnement porté à votre connaissance. Ces actions se déclinent comme suit :
1) Le Certificateur discute avec les acteurs impliqués et/ou les autorités concernées afin d'attirer leur attention sur les éléments de risque; il les encourage à prendre toutes les mesures correctives nécessaires;
2)Si cette concertation n'aboutit pas, le Certificateur contacte les protagonistes ivoiriens afin de trouver des solutions au niveau national;
3)Si cette démarche n'aboutit pas, le Certificateur a la possibilité de faire appel au Facilitateur pour son arbitrage;
4) Si l'arbitrage n'aboutit pas, il fait rapport au Conseil de Sécurité pour les mesures appropriées.
Sans rentrer dans le débat de ce que qu'est la certification telle que décrite dans la résolution 1765, je me demande, Excellence, si vous avez réellement usé des moyens sur lesquels vous vous étiez engagé envers la communauté internationale et plus particulièrement envers les Ivoiriens ou si vous vous êtes substitué au Conseil de sécurité.
Des voix plus autorisées que la mienne ont déjà dénoncé la dévotion partisane de votre mission qui a abouti à la grave crise que traverse un pays dont le seul tort est d'avoir eu la naïveté de croire en vous et en l'ONU. Je citerai la voix du président Angolais, Eduardo Dos-Santos qui, en janvier dernier, au Palais présidentiel angolais et devant tous les ambassadeurs accrédités en Angola, a soutenu que "le Président de la Commission électorale a diffusé les résultats du deuxième tour de l´élection présidentielle quand il n´était plus compétent : le délai prévu par la loi pour le faire était déjà dépassé et le dossier avait été transmis, pour le traitement nécessaire, au Conseil constitutionnel ; Le représentant des Nations unies en Côte d’Ivoire, dans une attitude précipitée, a certifié et annoncé ces résultats, alors que la résolution ad hoc des Nations unies dit que la certification doit s’appliquer aux résultats électoraux validés par le Conseil constitutionnel, lequel ne s´était pas encore prononcé ; Cette déclaration du représentant des Nations unies a induit en erreur toute la communauté internationale,…".
Alors que l'Afrique se mobilise pour réparer vos gros dégâts, vous continuez, Excellence, de jeter continuellement de l'huile sur le feu, refusant toute solution autre que celle de votre certification, à savoir l'installation de M. Alassane Ouattara au pouvoir.
J'ai la faiblesse de continuer de croire en la mission de paix de l'ONU dans le monde. J'ai donc du mal à comprendre vos positions qui consistent à prendre le contre pied des solutions de paix. En effet,
1) Fin janvier, au lendemain de la mise en place, par l'UA, "du Groupe de haut niveau pour le règlement de la crise, dans des conditions qui préservent la démocratie et la paix", le secrétaire général de l`ONU, votre compatriote Ban Ki-moon estimait qu'un recompte des voix de l`élection présidentielle en Côte d`Ivoire serait "une grave injustice", préférant ainsi compter des morts que de compter des voix c'est-à-dire de compter de simples bulletins. En quoi donc, Excellence, compter des bulletins pour établir ou rétablir la vérité des urnes, serait-elle une injustice pour vous dont le succès du mandat passe par une paix durable en Côte d'Ivoire? Au moment de cette déclaration et même maintenant, croyez-vous vraiment que Monsieur Alassane Ouattara soit en mesure de gouverner librement ce pays ou voulez-vous insinuer que l'Onuci va vaincre les ivoiriens sans les convaincre? Ne donnez-vous pas ainsi raison à ceux qui pensent que certains fonctionnaires des nations Unies ne vivent que des crises?
2) Dans une interview à l'occasion d'une visite à l'hebdomadaire "Jeune Afrique" (N° 2614 du 13 au 19 février 2011) à Paris, vous avez considéré le président Laurent Gbagbo comme votre ennemi au motif qu'il refuserait de vous revoir. Du simple point de vue du citoyen, n'ayant pas eu le privilège d'une formation de diplomate, je me demande si une telle accusation, contre productive sert réellement votre mission, si tant est que nous avons la même vision de cette mission? Pourquoi avoir choisi de faire coïncider ces déclarations avec la mission des experts du panel à Abidjan, experts que vous avez astucieusement évités? Sabotage ou pure coïncidence?
3) La semaine dernière, vous avez accusé le président Laurent Gbagbo d'avoir reçu, du Bélaruss, trois hélicoptères de combat de type MI-24, au point de demander une réunion d'urgence du Conseil de Sécurité à l'effet de corser l'addition des sanctions contre le peuple ivoirien. Là encore, cette fausse information a été transmise en pleine réunion du Groupe de haut niveau du CPS de l'UA. L'erreur reconnue, des excuses ont été présentées au Bélaruss, dans l'ignorance totale du préjudice causé au président Laurent Gbagbo qui n'a eu droit à aucune courtoisie. Est-ce parce que Laurent Gbagbo est à la tête d'un état de Noirs alors que le Bélaruss est en Europe de l'Est? Auriez-vous, Excellence, des relents racistes à importer au cœur de l'ONU, notre organisation commune?
4) Ce lundi 7 mars, dans une interview que vous avez accordée au quotidien français Libération, votre sentence est sans appel car pour vous "il sera très difficile de trouver un terrain d'entente entre Gbagbo et Ouattara". Encore une fois de plus, cette déclaration intervient à la veille de la rencontre prévue à Addis-Abeba entre les deux personnalités, à l'invitation du Groupe de haut niveau du Conseil de Paix et de Sécurité de l'Union Africaine. Refusant, Excellence, toute issue politique à la crise dont on vous soupçonne d'être l'auteur ou l'exécuteur, vous n'envisagez qu'une chose voie de sortie de crise car pour vous "il suffit que Laurent Gbagbo accepte sa défaite et demain la crise est terminée". Comment comptez-vous alors passer en pertes et profits, toutes ces tueries et ces morts de soldats ivoiriens auxquelles il n'est pas sûr que vous soyez étranger?
Excellence, vos propos me donnent froid au dos. Agir de la sorte au nom de notre Organisation commune, dépasse mon entendement car je continue de croire en des valeurs dans ce village planétaire. Vous me donnez l'impression, que votre unique obstination est de ne pas perdre la face, même si cela doit vous amener à faire perdre des dizaines de milliers de vies. Si vous n'agissiez et ne parliez au nom de l'ONU, j'aurais été moins choqué. Si vous et votre compatriote n'étiez d'un pays, la Corée, qui a souffert et souffre peut-être encore de la guerre et de la division, j'aurais pu comprendre. Je n'ose vraiment pas céder aux réflexions de ceux qui voudraient conclure, dans le prisme des motifs psychanalystes, les raisons d'un tel acharnement. Non, pas ça de la part d'un diplomate. De surcroît, d'un diplomate Onusien.
Excellence, et si nous admettions tous que l'erreur est humaine et que vous n'êtes pas au-dessus des Humains. Excellence, et si vous preniez le temps du recul pour envisager autre chose que votre unique et peut-être sincère conviction? Et si, du fond de vous-même vous faisiez vôtre cette réflexion de Philippe Bouvard, pour qui "Les ultimes chances de réconciliation et d’harmonie sociales reposent sur ceux qui n’entendent plus et sur ceux qui ne se souviennent pas" afin de la faire partager aux Ivoiriens, plutôt que de les opposer et de ne leur apprendre que la haine et l'intolérance?
Excellence, je sais que tout cela est du domaine de la morale puérile devant les puissances d'argent et les réseaux. Mais l'Asie, votre continent d'origine, n'est-elle pas un modèle de vertus et d'honneur? Votre honneur n'est peut-être pas de sauver la face par une solution imposée, qui, de toutes les façons n'a plus aucune chance de convaincre plus d'un intellectuel objectif. Votre honneur, réside peut-être dans votre capacité au sursaut pour embrasser la voie de l'humilité. Cette voie conduit à la gloire. La déclaration du président Nicolas Sarkozy, à la fin de la visite du président Zuma à Paris est une perche tendue aux Ivoiriens qui peut les conduire à la paix des braves. Ne brûlez pas cette perche. Ne la cassez pas non plus.
Excellence, même s'il faut passer pour un bouc émissaire afin de sauver des vies humaines, soyez ce bouc émissaire avec l'excuse et l'honneur de vous être trompé de bonne foi. En s'imposant un fonctionnement par consensus alors qu'elle est une commission de partis politiques, donc de candidats, la CEI (Commission Electorale Indépendante) s'était, dès le départ, tirée une balle dans le pied. Comment peut-on vous demander de certifier un consensus qui n'a été obtenu que pour 14 régions sur 19? Comment peut-on vous demander de certifier l'incertifiable différence des 94.873 voix attribuées par erreur à un candidat dans la région de la Vallée du Bandama?
Les soutiens mécaniques des puissances occidentales ne doivent pas vous faire oublier la mobilisation de l'immense majorité des intellectuels africains parmi lesquels se comptent les dirigeants de demain. Vouloir sauver la face sur des cimetières est un leurre. Vous pouvez encore choisir l'image que les africains devront garder de vous, et au-delà de votre pays, le destin ayant choisi deux Coréens pour être en première ligne d'un combat qui n'est pas le leur.

Eric KAHE Ancien Ministre
Président de l'Alliance Ivoirienne
pour la démocratie et la Paix (AIRD)
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