Guy Labertit, membre du Parti socialiste français, revient sur la crise ivoirienne telle qu’elle est entretenue par l’Occident. Pour confondre la communauté internationale qui veut imposer à tout prix Ouattara à la tête de la Côte d’Ivoire, Guy Labertit donne des chiffres et des statistiques sur les résultats du vote du 28 novembre 2010. Un document qui en dit long sur la fraude massive organisée par les suppôts du néo-colonialisme.
Avant la réunion au sommet de l’Union africaine qui doit définir, le 10 mars, les mesures contraignantes qui seront mises en œuvre pour une sortie politique de la crise post électorale en Côte d’Ivoire, quelques rappels s’imposent pour mieux comprendre pourquoi une simple élection présidentielle dans un Etat d’Afrique suscite l’engagement déterminé de la France, des Etats-Unis et du monde occidental en faveur d’un candidat, Alassane Ouattara, son adversaire Laurent Gbagbo étant diabolisé par les mêmes. Ce dernier peut compter sur les Etats africains les plus puissants de l’espace non francophone, à l’image de l’Afrique du Sud et de l’Angola, mais à la notoire exception du Nigeria dans l’orbite de Washington. La Russie et dans une moindre mesure la Chine traînent le plus souvent des pieds à l’ONU.
Mise en perspective de
la crise actuelle
A la fin des années 80, le premier président de la Côte d’Ivoire indépendante, Félix Houphouet-Boigny, très attaché à la France et au libéralisme économique, refusait, alors qu’il était sur le déclin, de vendre le cacao dont son pays était et demeure le premier producteur mondial, et de payer les échéances d’une très lourde dette extérieure. Haut cadre des institutions financières internationales, puis gouverneur de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’ouest (BCEAO), Alassane Ouattara a été imposé, en 1990, dans ce contexte historique, à Houphouet-Boigny, pour gérer la situation d’un pays dans lequel Laurent Gbagbo avait engagé, dès la fin des années soixante, une action résolue contre le système du parti unique. Son parti, le Front populaire ivoirien (FPI), parvenait à ses fins avec la légalisation du multipartisme le 30 avril de cette année 1990.
A cette époque, les chocolatiers américains voyaient en M. Ouattara le successeur espéré à Houphouet-Boigny, même s’il devait s’accommoder d’une parenthèse à la tête de l’Etat ivoirien en la personne de M. Bédié, l’héritier constitutionnel. La France, pour sa part, attaché aux dignitaires de l’ancien parti unique, redoutait avant tout l’émergence de Laurent Gbagbo. C’est finalement lui qui a été élu en 2000, alors que MM. Ouattara et Bédié avaient été écartés de la course à la magistrature suprême par le général Guéi qui avait endossé la responsabilité du coup d’Etat militaire de la Noël 1999. A peine élu, Laurent Gbagbo a dû faire face à des tentatives de déstabilisation et de coups d’Etat dont les auteurs étaient suspects de liens avec Alassane Ouattara. L’échec du coup d’Etat de septembre 2002 a entraîné la partition du pays et la permanence d’une rébellion empêchant toute action gouvernementale cohérente. Depuis 2003, à l’initiative de la France de Jacques Chirac, l’ONU et les organisations panafricaines ont imposé à Laurent Gbagbo un étrange partage du pouvoir avec ceux qui avaient voulu le renverser. Celui-ci, en 2005, a remis dans le jeu politique Alassane Ouattara en se fondant sur l’article 48 de la Constitution et a engagé un dialogue direct avec le chef de la rébellion Guillaume Soro, acceptant d’en faire son Premier ministre, en avril 2007, dans le cadre de l’Accord de Ouagadougou, signé un mois plus tôt au Burkina Faso.
Les difficultés pour dresser une liste électorale, sans doute émaillée de fraudeurs en tout genre, le non désarmement de la rébellion, tout cela semblait effacé par la bonne tenue de la campagne électorale de 2010 et le débat télévisé entre les deux candidats du second tour, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, unanimement salué par une communauté internationale au chevet de la Côte d’Ivoire. Nul doute que cette veille internationale a été maléfique pour la Côte d’Ivoire et le peuple ivoirien, car le vieux projet rappelé plus haut d’imposer Alassane Ouattara à la tête de l’Etat ivoirien et d’en écarter Laurent Gbagbo est d’une brûlante actualité en ce mois de mars 2011.
En effet, depuis plus de trois mois, la Côte d’Ivoire ne parvient pas à sortir de l’impasse politique dans laquelle l’ont engagée les résultats contestés du second tour de l’élection présidentielle tenu le 28 novembre 2010. Il opposait Laurent Gbagbo, candidat de La Majorité présidentielle (LMP), à Alassane Ouattara, candidat du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP).
Les origines de la crise post électorale
Cette crise de légitimité à la tête de l’Etat est née du non- respect dans la proclamation des résultats des règles légales et des institutions républicaines de la Côte d’Ivoire par les partisans d’Alassane Ouattara et ses appuis extérieurs.
En effet, le 2 décembre, les résultats provisoires, favorables à Alassane Ouattara (54,1 %), ont été annoncés, hors délai, par le seul président de la Commission électorale indépendante (CEI), que n’accompagnait aucun des commissaires, à l’Hôtel du Golf, devenu le siège du concurrent de M. Gbagbo, et, non au siège de la CEI. Le lendemain, 3 décembre, conformément à la loi électorale, le Conseil constitutionnel, seule juridiction habilitée à le faire, a proclamé les résultats définitifs, accordant la victoire au président sortant Laurent Gbagbo, avec 51,45 % des suffrages.
M. Choi, représentant spécial du secrétaire général de l’ONU dans ce pays, à peine annoncés les résultats du Conseil constitutionnel, a décidé de valider les résultats de la CEI, se prévalant de son rôle de certificateur qui en aucune façon ne le plaçait au-dessus des institutions ivoiriennes. Pourtant, les résultats provisoires choisis par M. Choi avalisent une fraude caractérisée. En effet, sur les 20 073 procès-verbaux de bureaux de vote, 1001 comportaient un nombre de votants supérieur au nombre d’inscrits, 807 comportaient plus de suffrages exprimés que d’inscrits, 1231 étaient dépourvus du sticker certifiant la validité du procès-verbal. Ces 3039 bureaux représentent 1 337 572 inscrits et 583 334 votants. Faut-il ajouter que, dans 1533 bureaux représentant 582 248 inscrits et 223 162 votants, le président sortant Laurent Gbagbo a obtenu 3 ou moins de 3 voix.
Les procès-verbaux douteux provenaient, pour l’essentiel, des cinq régions du nord du pays où le Conseil constitutionnel a annulé les résultats de 7 départements dans trois régions du nord (Vallée du Bandama, les Savanes et Worodougou) où des recours, portant sur 600 000 voix environ, avaient été déposés par la majorité présidentielle. A signaler que, faute de recours, le Conseil constitutionnel a validé les surprenants résultats de la région du Denguélé où Alassane Ouattara l’emporte avec 97,85 % des suffrages, soit 70 357 voix, contre 2,15 % à Laurent Gbagbo, soit 1151 voix.
Le scrutin a été entièrement faussé dans les cinq régions du nord représentant 17 % de l’électorat national, en raison de la sortie des Forces armées des Forces nouvelles, l’ancienne rébellion qui n’avait pas désarmé, comme l’imposait pourtant l’Accord de Ouagadougou. Cette pression militaire, écartant les représentants de la LMP des bureaux de vote afin d’y organiser une fraude massive et pourchassant les éventuels électeurs favorables à Laurent Gbagbo, enlève toute crédibilité au scrutin dans cette partie du pays. A noter que, dans les quatorze régions du reste du pays, représentant 83 % des inscrits, le candidat Ouattara n’a déposé aucun recours. Laurent Gbagbo y obtient 2 031 294 voix (53,86 %) contre 1739 945 (46,13 %) pour son adversaire.
Ces données, dont les treize experts et le panel des cinq chefs d’Etat mandatés par l’Union africaine ont pris connaissance lors de leur passage à Abidjan, ont sans doute suscité des divisions au sein du panel réuni auparavant à Nouakchot, le 20 février 2011, et le départ précipité pour Ouagadougou de l’ancien médiateur, le président burkinabé Blaise Compaoré, qui a choisi de ne pas se rendre en Côte d’Ivoire le 21 février, a révélé de réels désaccords. Le président sud africain Jacob Zuma et sa ministre des Affaires étrangères Maité Nkoana Mashabane ont publiquement pris leurs distances par rapport aux positions rabâchées par le camp occidental depuis le 3 décembre 2010.
Ingérences internationales et pressions extérieures
En effet, quelques heures à peine après la décision arbitraire de M. Choi bafouant le Conseil constitutionnel de Côte d’Ivoire, le président des Etats-Unis, Barack Obama, et celui de la France, Nicolas Sarkozy, ont reconnu Alassane Ouattara comme président élu, avalisant précipitamment des résultats frauduleux. Dans son discours aux Africains prononcé au Ghana le 12 juillet 2009, le président américain avait pourtant affirmé que «l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions»… Mais, quand les Etats-Unis et la France veulent imposer un homme-, en l’occurrence Alassane Ouattara, que pèsent les institutions d’un Etat souverain et l’article 2 de la Charte de l’ONU reconnaissant le principe de la souveraineté de ses membres?
Bras de fer avec l’ONU
Par leur prise de position immédiate, dès les 3 et 4 décembre, pratique bien inhabituelle par rapport à un scrutin organisé dans un pays d’Afrique, les Etats-Unis et la France, entraînant l’Union européenne, ont pesé de tout leur poids sur la diplomatie africaine. C’est en fait la France qui a orchestré la partition européenne et celle de l’ONU, comme elle l’a fait depuis janvier 2003 avec la Conférence internationale sur la Côte d’Ivoire tenue à Paris, les 25 et 26 janvier 2003, au Centre de conférences international de l’avenue Kléber.
Un véritable bras de fer s’est engagé entre l’ONU et le président Gbagbo. Dès la décision arbitraire prise le 3 décembre par le représentant du secrétaire général de l’ONU, Young-jin Choi, intervenant en visioconférence devant le Conseil de sécurité de l’ONU, la France a préparé tous les communiqués ou déclarations à la presse du Conseil. C’était le cas, le 8 décembre, et en particulier le 16, jour des manifestations à hauts risques appelées par Guillaume Soro et les partisans d’Alassane Ouattara pour investir la Radio diffusion télévision ivoirienne (RTI) et le Palais présidentiel. Au regard du comportement des forces de l’ONUCI, ce jour-là ouvertement alliées aux éléments armés des Forces nouvelles stationnés à l’Hôtel du Golf avec Alassane Ouattara, et au regard de l’ultimatum du président Sarkozy, le 17, l’ enjoignant de quitter le pouvoir dans les 48 heures, le président Gbagbo a demandé le départ de la mission onusienne, ainsi que celui de la force française Licorne le 18 décembre. Le 20 décembre, après audition du secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix, le Français Alain Le Roy, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1962 prorogeant de six mois le mandat de l’ONUCI. Dès le 21 décembre, malgré les réticences de la Russie, l’ONU a reconnu l’ambassadeur Youssouf Bamba nommé par Alassane Ouattara, Alcide Djédjé qui occupait ce poste étant ministre des Affaires étrangères dans le nouveau gouvernement ivoirien.
Les réserves de la Russie étant levées, l’ONU, par sa résolution 1967, a autorisé, le 19 janvier 2011, le déploiement de 2000 militaires supplémentaires dans le cadre des forces de l’ONUCI jusqu’au 30 juin 2011, et elle a prolongé le déploiement des trois compagnies d’infanterie et d’une unité aérienne de la MINUL venue du Libéria en fin de période électorale pour renforcer l’ONUCI. La résolution 1968 du 16 février a prorogé de trois mois ce déploiement de la MINUL (trois bataillons et cinq hélicoptères, dont trois MI 24 de combat). Une nouvelle déclaration à la presse a été faite le 3 mars, après audition d’Alain Le Roy, stigmatisant l’escalade de la violence sans mentionner parmi les fauteurs de troubles l’ancien chef de la rébellion, Guillaume Soro, bras droit d’Alassane Ouattara qui avait appelé les populations d’Abidjan à la «révolution du 21 février » se référant aux mouvements démocratiques bouleversant le monde arabe !
La diplomatie africaine (CEDEAO et Union africaine)
Au lendemain de l’investiture du président Gbagbo, le 4 décembre 2010, par le Conseil constitutionnel, tandis qu’Alassane Ouattara prêtait serment par lettre à une juridiction anonyme, l’Union africaine a mandaté l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki pour une médiation à Abidjan les 5 et 6 décembre. Avant même que n’en soient donnés les résultats, un premier sommet extraordinaire des chefs d’Etat de la CEDEAO sur la Côte d’Ivoire s’est réuni à Abuja, le 7 décembre, et a reconnu Alassane Ouattara comme président. Pour enfoncer le clou, le vendredi 17 décembre, le président français Nicolas Sarkozy, à l’issue du sommet de l’Union européenne, a lancé, depuis Bruxelles, comme nous l’avons déjà mentionné, un ultimatum au président Gbagbo l’enjoignant de quitter le pouvoir avant le dimanche soir 19 décembre.
Un deuxième sommet de la CEDEAO, toujours réuni à Abuja, le 24 décembre, a accentué la pression. Reconnaissant Alassane Ouattara président légitime de la Côte d’Ivoire, il demandait à Laurent Gbagbo de transmettre pacifiquement le pouvoir. Il soutenait les sanctions prises par les institutions régionales et la communauté internationale et décidait d’envoyer une délégation de haut niveau en Côte d’Ivoire comme dernier geste à l’endroit de Laurent Gbagbo pour l’exhorter à une sortie pacifique du pouvoir. En cas de refus de sa part, la CEDEAO prendrait toutes mesures nécessaires, y compris «le recours à la force légitime» pour le contraindre à se retirer. Dans cette perspective, instruction avait été donnée au président de la Commission de la CEDEAO, le Ghanéen James Victor Gbeho, de convoquer une réunion des chefs d’Etat-major de la CEDEAO pour planifier les actions futures. Cette réunion, organisée le 17 janvier 2011 à Bamako, a traité des affaires courantes, mais n’a pas véritablement abordé la situation ivoirienne, l’option militaire chère au Nigeria, au Burkina Faso et au Sénégal n’ayant visiblement pas l’assentiment des autres membres de l’organisation régionale.
Entre-temps, composée des présidents du Cap Vert, Pedro Pires, de la Sierra Leone, Ernest Baï Koroma, et du Bénin, Yayi Boni, la délégation de la CEDEAO s’est rendue à deux reprises à Abidjan, les 28 décembre 2010 et 3 janvier 2011, épaulée, lors de la seconde visite, par le Premier ministre kényan Raïla Odinga qui s’était illustré, le 16 décembre, par un appel à «déloger» par la force militaire le président Gbagbo. Cette médiation de la CEDEAO, traversée par de premières dissensions sur les options politique et militaire proposées, a échoué.
L’Union africaine, à partir de son Conseil de paix et de sécurité, a repris le relais en mandatant, sans plus de succès, Raïla Odinga qui s’est rendu à Abidjan, le 17 janvier. Après l’échec de cette tentative, les chefs d’Etat de l’Union africaine, lors de leur sommet du 31 janvier, en présence de Nicolas Sarkozy, étrangement invité au titre de président du G 20, ont décidé d’envoyer des experts chargés de préparer la venue d’une délégation de haut niveau regroupant, sous la présidence du Mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, cinq chefs d‘Etat issus de l’ensemble du continent, à savoir le Sud africain Jacob Zuma pour l’Afrique australe, le Tanzanien Jakaya Kikwete pour l’Afrique orientale, le Tchadien Idriss Déby pour l’Afrique centrale et le Burkinabé Blaise Compaoré pour l’Afrique de l’Ouest. Les cinq chefs d’Etat avaient un mois pour proposer des mesures contraignantes permettant au pays de sortir de l’impasse.
Après leur passage, du 7 au 11 février à Abidjan, les experts ont remis leurs propositions au panel des cinq chefs d’Etat qui se sont rendus à Abidjan du 21 au 23 février pour y rencontrer M. Gbagbo au Palais présidentiel, M. Ouattara à l’Hôtel du Golf, M. Youn-jin Choi à la tête de l’ONUCI et le Conseil constitutionnel à l’Hôtel Pullman.
Aucune proposition n’a filtré jusqu’à leur réunion en Mauritanie, le 4 mars, à Nouakchott, après la visite officielle du président sud africain Jacob Zuma à Paris, les 2 et 3 mars, où la question ivoirienne a été à l’ordre du jour des échanges avec Nicolas Sarkozy qui a tout fait pour infléchir les positions de son hôte. Toutefois, le panel s’est donné un mois supplémentaire pour achever sa mission et le 5 mars, le Gabonais Jean Ping, président de la Commission de l’UA, a été reçu à Abidjan porteur d’un message adressé au président Gbagbo et à M. Ouattara. Il a été proposé à ces derniers, ainsi qu’au président du Conseil constitutionnel de se rendre à Addis-Abeba pour un sommet du Conseil de paix et de sécurité de l’UA, le 10 mars. Le président Gbagbo y a envoyé l’ancien Premier ministre Affi N’Guessan, président du FPI, et son ministre des Affaires étrangères, Alcide Djédjé, pour le représenter. M. Ouattara a, pour la première fois depuis la fin du mois de novembre 2010, quitté l’Hôtel du Golf. Ce 9 mars, le président Gbagbo a interdit le survol de l’espace ivoirien à l’ONUCI et à la Force française Licorne.
Sanctions économiques contre de la Côte d’Ivoire et le peuple ivoirien
Outre ces ingérences et pressions diplomatiques extérieures, une première série de sanctions a été prise par le Conseil européen dès le 22 décembre 2010. Elles ont été renforcées et élargies, le 14 janvier 2011, à l’encontre de quatre vingt cinq personnalités du monde politique, juridique, économique et médiatique restées fidèles au président Gbagbo. Dans le but d’asphyxier l’économie du pays, mais par là même de s’en prendre à l’ensemble des populations vivant en Côte d’Ivoire, onze entités économiques ont été l’objet de sanctions de l’UE. Qu’on en juge ! Ce sont les ports d’Abidjan et de San Pedro, la Petroci et la SIR dans le domaine de l’approvisionnement en énergie, la Société de gestion du patrimoine de l’électricité, les banques nationales ivoiriennes (Banque nationale d’investissement –BNI-, Banque pour le financement de l’agriculture –BFA-, et Versus Bank), le Comité de gestion de la filière café et cacao, l’Association des producteurs de caoutchouc et, enfin, la Radio diffusion télévision ivoirienne (RTI) ! Cette forme de blocus européen, tout à fait inédit pour réagir à un contentieux électoral en Afrique, a aujourd’hui des effets scandaleux sur la vie des populations, en passe d’être privées de médicaments après l’épuisement des stocks.
Depuis l’Hôtel du Golf, où il s’est établi à la fin du mois de novembre 2010, Alassane Ouattara n’a pratiquement pas de prise sur les réalités du pays. Les ambassadeurs nommés par lui règnent sur des ambassades fantômes à l’image d’Ally Coulibaly à Paris qui bénéficie pourtant d’un soutien inconditionnel, tant politique que médiatique, de Nicolas Sarkozy. Alassane Ouattara a pu compter sur l’appui des chefs d’Etat de l’Union économique et monétaire de l’ouest africain (UEMOA). Depuis leur sommet du 22 janvier 2011, réuni à Bamako, la BCEAO ne reconnaît plus la signature du président Gbagbo. Uniquement préoccupé par l’asphyxie économique de la Côte d’Ivoire pour faire chuter Laurent Gbagbo, quelles qu’en soient les conséquences pour le peuple ivoirien, Alassane Ouattara a annoncé, le 24 janvier, l’interdiction de toute exportation de cacao pour un mois; interdiction prolongée jusqu’au 15 mars. Cela a eu pour effet de mécontenter les planteurs, mais aussi de satisfaire les spéculateurs qui ont pu profiter d’un regain des cours du produit. Dans le même temps, le trafic du cacao, depuis la région de Vavoua vers Ouagadougou, au Burkina, et le port de Lomé, au Togo, se poursuit au plus grand profit des anciens dignitaires de la rébellion du nord sans que l’UE n’y trouve à redire malgré ses mesures d’embargo…
L’ensemble de ces sanctions n’est pas resté sans réponse des autorités ivoiriennes. Si elles sont maintenues, il semble inéluctable que la Côte d’Ivoire quitte la zone franc et se dote d’une monnaie nationale avec la bienveillance de banques centrales en Afrique. Vu le poids économique et financier, environ 40 %, de la Côte d’Ivoire au sein de l’UEMOA, ses sept partenaires vont en subir de lourdes conséquences, et c’est l’avenir du franc CFA, vestige de l’empire colonial, qui va être remis en cause. Au niveau du cacao, un nouveau circuit de commercialisation est mis en place. C’est l’Etat ivoirien qui va désormais contrôler l’achat et la circulation du produit depuis les plantations jusqu’aux ports de San Pedro et d’Abidjan, mettant un terme aux activités des groupes essentiellement américains qui s’en chargeaient jusque-là. Au fond, la volonté affichée par le monde occidental d’asphyxier une Côte d’Ivoire dirigée par Laurent Gbagbo a stimulé l’inventivité des cadres et des autorités ivoiriennes pour jeter les bases d’une souveraineté plus affirmée en matière économique, financière et monétairen
Paris, 9 mars 2011.
La France a poursuivi son offensive en suscitant, sans préavis, la fermeture, les 14 et 18 février, de la Bicici et de la Sgbci, filiales ivoiriennes de la BNP/Paribas et de la Société générale. C’est que le Président Gbagbo, malgré la rupture des liens entre la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et la Côte d’Ivoire, avait payé les salaires des fonctionnaires et agents de l’Etat en décembre 2010 et janvier 2011. Cette fermeture impromptue, tout à fait illégale, des principales places bancaires avait pour but d’empêcher les citoyens ivoiriens d’avoir accès à leurs propres fonds. Par ailleurs, cette initiative française a précipité la crise des PME françaises, le président de la Chambre de commerce franco-ivoirienne, peu suspect de sympathie pour L. Gbagbo, critiquant ouvertement la politique de Nicolas Sarkozy qui saborde les intérêts économiques français tant au niveau des PME que des grands groupes omniprésents en Côte d’Ivoire que sont Bolloré, Bouygues, Vinci et plus récemment Total. Ces mesures ont accentué les mises en chômage technique et frappent durement tant les salariés du privé que les fonctionnaires et agents de l’Etat. L’objectif, toujours vain de la politique française et européenne, est d’essayer de soulever les populations contre la résistance du Président Gbagbo en les précipitant dans la misère.
La riposte des autorités ivoiriennes a été immédiate avec la nationalisation de ces deux filiales de banques françaises. Les fonctionnaires et agents de l’Etat se sont vus attribuer des comptes dans les banques nationales ivoiriennes pour toucher leur salaire de février. La récupération des données sur l’état des comptes a permis à la Bicici de rouvrir ses principales agences dès le 3 mars. Les procédures, plus complexes pour la filiale de la Société générale, retardent encore la réouverture de son agence principale d’Abidjan qui est prévue à la mi-mars.
Cette désorganisation du secteur bancaire, provoquée de l’extérieur, a ralenti plus encore les activités du port d’Abidjan, les armateurs ne pouvant régler les droits d’escale. A partir de la mi-février, il n’accueillait plus que 2 à 3 bateaux par jour au lieu de 7 en période normale.
La tragique réalité du terrain
En occupant l’Hôtel du Golf à la fin du mois de novembre 2010, avant même l’annonce des résultats provisoires, le camp Ouattara, rejoint par des éléments des Forces nouvelles de l’ancienne rébellion, s’est en quelque sorte piégé. Cette présence d’éléments lourdement armés, comme l’a montré la première manifestation du 16 décembre 2010, explique l’organisation d’un blocus militaire autour de l’hôtel par l’armée ivoirienne restée loyale à Laurent Gbagbo. Depuis le mois de décembre, des forces de l’ONUCI entourent également l’hôtel et l’approvisionnement, les contacts médiatiques, voire politiques sont rendus possibles par l’usage d’hélicoptères de l’ONUCI.
Conscient que la pérennisation de cet état de « République hôtelière », qui témoigne de l’absence de prise d’A. Ouattara sur la réalité du pouvoir, enlève tout crédit à ce dernier malgré les puissants appuis internationaux, Guillaume Soro, ancien chef rebelle, a voulu débloquer la situation, le 16 décembre 2010, comme nous l’avons vu, en projetant des manifestations vers la Radio télévision ivoirienne et le Palais présidentiel.
Les affrontements meurtriers entre hommes armés des deux camps ont tourné à l’avantage de l’armée ivoirienne. Ils ont révélé que l’ONUCI, sur le terrain, joue le jeu des Forces nouvelles fidèles à A. Ouattara, malgré les dénégations officielles de l’ONU affirmant qu’elles se comportent de façon impartiale en force d’interposition. Dans les deux mois qui ont suivi, jusqu’à l’opération « révolution du 21 février », toujours lancée par Guillaume Soro, les mêmes hélicoptères de l’ONUCI ont permis l’exfiltration d’anciens soldats rebelles qui se sont réimplantés dans la commune d’Abobo, majoritairement favorable à Ouattara, au Nord/est d’Abidjan.
En projetant cette dernière opération, G. Soro prétendait créer une situation semblable à celles vécues en Tunisie et en Egypte. On a vu dans ces pays combien la volonté populaire pouvait déplacer des montagnes. Las pour Soro, l’ancrage populaire de Laurent Gbagbo est une réalité. Malgré l’appui des principales forces du monde occidental, Ouattara ne parvient à imposer que quelques gesticulations diplomatiques que relaient ces forces. Depuis plus de trois mois, le Président Gbagbo déjoue les sanctions qui lui sont imposées ainsi qu’à la Côte d’ivoire et ses populations. Cet ancrage populaire fait visiblement défaut à A. Ouattara qui ne peut rien face au poids des institutions civiles et armées restées fidèles à son adversaire.
En effet, l’échec des appels à la grève générale du 27 décembre ou celui, en janvier et février 2011, des opérations « villes mortes » jusqu’à ce que L. Gbagbo quitte le pouvoir, a révélé qu’en dehors de la commune d’Abobo ou de Bouaké, ancienne capitale de la rébellion, les mots d’ordre du RHDP mobilisent bien peu. Les divisions, toujours annoncées par le camp Ouattara, au sein des Forces de défense et de sécurité (FDS), ne se sont pas vraiment concrétisées. Les ralliements se sont limités à quelques dizaines d’officiers dont le capitaine Alla Kouakou Léon qui rêva un temps d’être l’aide de camp du Président Gbagbo avant de finir …porte-parole de G. Soro. Cette alliance au grand jour entre Alassane Ouattara et la rébellion qui affronte durement, depuis septembre 2002, l’armée ivoirienne loyale au Président Gbagbo, n’est sans doute pas de nature à servir celui que le monde occidental veut imposer à la tête de la Côte d’Ivoire.
Les appels à la grève ou aux manifestations à hauts risques comme celle du 21 février ont été lancés juste avant la venue de missions diplomatiques, CEDEAO ou Union africaine. Il est indiscutable que depuis le 21 février, les Forces nouvelles, réimplantées à Abobo, et toujours présentes dans le Nord et l’Ouest du pays où elles n’ont jamais désarmé, sont véritablement passées à l’offensive. Au Nord, jusqu’à Bouaké, les Forces nouvelles tiennent de nouveau le haut du pavé et leur porte-parole fait aujourd’hui de nouveau référence à « une zone de confiance » qui n‘existe plus depuis avril 2007…Tous les médias titrent sans discernement sur la reprise de la guerre civile, mais les zones d’affrontement entre forces armées sont assez bien circonscrites. A l’intérieur du pays, en dehors de quelques échanges de tir dans la capitale Yamoussoukro, c’est à l’Ouest que la situation est préoccupante. En janvier 2011, à Duékoué, à 500 kilomètres au Nord-Ouest d’Abidjan, ce sont des familles des partisans du Président Gbagbo qui ont été agressées par des partisans d’A. Ouattara : près d’une cinquantaine de victimes, des centaines de maisons brûlées et des milliers de déplacés. Plus récemment, près de Danané, la ville de Zouhan Hounien a résisté le 25 février et la descente de forces de « l’ancienne rébellion » vers Ity, où est exploitée une importante mine d’or, a été contenue par l’armée ivoirienne. La situation à Toulepleu et dans la région de Blolequin reste toujours indécise au début du mois de mars.
Dans la capitale économique où les affrontements ont fait le plus de victimes, c’est la commune d’Abobo, et dans une moindre mesure la quartier Remblai de la commune de Koumassi et sporadiquement Treichville qui en sont le théâtre. Les bilans tragiques avancés par l’ONU font état d’une cinquantaine de morts pour le seul début du mois de mars et plus de trois cents depuis l’élection présidentielle. Au nombre de ces victimes figurent des dizaines de policiers et de militaires de l’armée ivoirienne, les pertes au sein des Forces nouvelles étant difficiles à évaluer. On compte hélas de nombreuses victimes civiles car il s’agit d’une véritable guérilla urbaine, tout d’abord larvée en décembre et janvier, puis ouverte à partir du 21février, qui est livrée par les Forces nouvelles, réimplantées dans certains quartiers de la capitale économique ivoirienne avec la complicité de l’ONUCI, contre les forces armées ivoiriennes.
Le plus récent rapport d’Amnesty international, publié le 22 février 2011, fait un dramatique état des lieux qui semblent renvoyer dos à dos les deux camps en conflit. Mais ce conflit de légitimité, quoi qu’on en dise, oppose un homme A. Ouattara que le monde occidental veut imposer à la Côte d’Ivoire sur la base de résultats frauduleux, à un Président sortant L. Gbagbo, attaché à la souveraineté des institutions républicaines ivoiriennes, persuadé qu’il n’a pas perdu l’élection, et qui déjoue les sanctions internationales en prenant des mesures qui visent à conforter l’indépendance économique et financière du pays. Il peut compter, dans ce bras de fer, dont l’enjeu historique ne peut échapper à personne, sur la détermination d’une majorité de la jeunesse, de la galaxie patriotique toujours animée par Charles Blé Goudé, désormais ministre de la Jeunesse et de l’Emploi, mais aussi de simples citoyens lassés par les ingérences internationales.
Quelques conclusions provisoires
Quelles que soient les décisions prises par l’Union africaine à Addis Abeba, le 10 mars, il apparaît que toute solution politique reposant sur le partage du pouvoir entre les deux camps ne peut que maintenir le pays dans l’ornière sous couvert d’équité. Depuis 2003, c’est l’ensemble des partis qui ont géré le pays et cette formule n’a ni contribué à rassembler véritablement le pays ni à le développer. Au contraire, ce système a multiplié les réseaux de détournements et entretenu la défiance et la duplicité politiques.
Pour écarter le Président Gbagbo, c’est un pays clé de l’Afrique de l’Ouest que l’on veut mettre à genoux pour lui imposer un nouveau président dont on voit mal comment il pourrait le diriger tant il a multiplié les gestes complices contre le pays et sa population active. Le peuple ivoirien est la première victime des sanctions imposées par la France et l’Union européenne. Pourtant, il résiste et ne se soulève pas contre les autorités en place malgré des conditions de survie de plus en plus dures. Les institutions de l’Etat, l’armée et la police en particulier, restent loyales au Président Gbagbo et appuient son action y compris contre la représentation de l’ONU qui est sortie de son rôle d’arbitre.
Sous le couvert éculé de la défense de la démocratie, l’interventionnisme de la France et de son Président Nicolas Sarkozy au profit d’Alassane Ouattara repose plus prosaïquement sur une vieille amitié nouée en 1991 par l’intermédiaire de Martin Bouygues. On sait les positions dominantes, non remises en cause depuis l’élection de L. Gbagbo en 2000, des groupes Bouygues et Bolloré en Côte d’Ivoire. Cette proximité entre A. Ouattara et les responsables politique et économiques français guide une diplomatie élyséenne à la hussarde dont on a pu juger le peu de cas qu’elle fait des revendications démocratiques dans le monde arabe. Par ailleurs, la politique des sanctions et la désorganisation du système bancaire qui affectent gravement la vie quotidienne de populations réduites au chômage et à la misère, a remis en cause la viabilité de l’ensemble des PME françaises en Côte d’Ivoire.
Les Etats-Unis, qui font chorus à la politique de la France et de l’Union européenne, viennent d’essuyer,
Guy LABERTIT
Ancien délégué national Afrique du PS (1993-2006)
Auteur aux Editions Autres Temps de
«Adieu, Abidjan sur Seine «ou les Coulisses du conflit ivoirien (oct 2008)
Côte d’Ivoire, sur le sentier de la paix (juin 2010)
Avant la réunion au sommet de l’Union africaine qui doit définir, le 10 mars, les mesures contraignantes qui seront mises en œuvre pour une sortie politique de la crise post électorale en Côte d’Ivoire, quelques rappels s’imposent pour mieux comprendre pourquoi une simple élection présidentielle dans un Etat d’Afrique suscite l’engagement déterminé de la France, des Etats-Unis et du monde occidental en faveur d’un candidat, Alassane Ouattara, son adversaire Laurent Gbagbo étant diabolisé par les mêmes. Ce dernier peut compter sur les Etats africains les plus puissants de l’espace non francophone, à l’image de l’Afrique du Sud et de l’Angola, mais à la notoire exception du Nigeria dans l’orbite de Washington. La Russie et dans une moindre mesure la Chine traînent le plus souvent des pieds à l’ONU.
Mise en perspective de
la crise actuelle
A la fin des années 80, le premier président de la Côte d’Ivoire indépendante, Félix Houphouet-Boigny, très attaché à la France et au libéralisme économique, refusait, alors qu’il était sur le déclin, de vendre le cacao dont son pays était et demeure le premier producteur mondial, et de payer les échéances d’une très lourde dette extérieure. Haut cadre des institutions financières internationales, puis gouverneur de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’ouest (BCEAO), Alassane Ouattara a été imposé, en 1990, dans ce contexte historique, à Houphouet-Boigny, pour gérer la situation d’un pays dans lequel Laurent Gbagbo avait engagé, dès la fin des années soixante, une action résolue contre le système du parti unique. Son parti, le Front populaire ivoirien (FPI), parvenait à ses fins avec la légalisation du multipartisme le 30 avril de cette année 1990.
A cette époque, les chocolatiers américains voyaient en M. Ouattara le successeur espéré à Houphouet-Boigny, même s’il devait s’accommoder d’une parenthèse à la tête de l’Etat ivoirien en la personne de M. Bédié, l’héritier constitutionnel. La France, pour sa part, attaché aux dignitaires de l’ancien parti unique, redoutait avant tout l’émergence de Laurent Gbagbo. C’est finalement lui qui a été élu en 2000, alors que MM. Ouattara et Bédié avaient été écartés de la course à la magistrature suprême par le général Guéi qui avait endossé la responsabilité du coup d’Etat militaire de la Noël 1999. A peine élu, Laurent Gbagbo a dû faire face à des tentatives de déstabilisation et de coups d’Etat dont les auteurs étaient suspects de liens avec Alassane Ouattara. L’échec du coup d’Etat de septembre 2002 a entraîné la partition du pays et la permanence d’une rébellion empêchant toute action gouvernementale cohérente. Depuis 2003, à l’initiative de la France de Jacques Chirac, l’ONU et les organisations panafricaines ont imposé à Laurent Gbagbo un étrange partage du pouvoir avec ceux qui avaient voulu le renverser. Celui-ci, en 2005, a remis dans le jeu politique Alassane Ouattara en se fondant sur l’article 48 de la Constitution et a engagé un dialogue direct avec le chef de la rébellion Guillaume Soro, acceptant d’en faire son Premier ministre, en avril 2007, dans le cadre de l’Accord de Ouagadougou, signé un mois plus tôt au Burkina Faso.
Les difficultés pour dresser une liste électorale, sans doute émaillée de fraudeurs en tout genre, le non désarmement de la rébellion, tout cela semblait effacé par la bonne tenue de la campagne électorale de 2010 et le débat télévisé entre les deux candidats du second tour, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, unanimement salué par une communauté internationale au chevet de la Côte d’Ivoire. Nul doute que cette veille internationale a été maléfique pour la Côte d’Ivoire et le peuple ivoirien, car le vieux projet rappelé plus haut d’imposer Alassane Ouattara à la tête de l’Etat ivoirien et d’en écarter Laurent Gbagbo est d’une brûlante actualité en ce mois de mars 2011.
En effet, depuis plus de trois mois, la Côte d’Ivoire ne parvient pas à sortir de l’impasse politique dans laquelle l’ont engagée les résultats contestés du second tour de l’élection présidentielle tenu le 28 novembre 2010. Il opposait Laurent Gbagbo, candidat de La Majorité présidentielle (LMP), à Alassane Ouattara, candidat du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP).
Les origines de la crise post électorale
Cette crise de légitimité à la tête de l’Etat est née du non- respect dans la proclamation des résultats des règles légales et des institutions républicaines de la Côte d’Ivoire par les partisans d’Alassane Ouattara et ses appuis extérieurs.
En effet, le 2 décembre, les résultats provisoires, favorables à Alassane Ouattara (54,1 %), ont été annoncés, hors délai, par le seul président de la Commission électorale indépendante (CEI), que n’accompagnait aucun des commissaires, à l’Hôtel du Golf, devenu le siège du concurrent de M. Gbagbo, et, non au siège de la CEI. Le lendemain, 3 décembre, conformément à la loi électorale, le Conseil constitutionnel, seule juridiction habilitée à le faire, a proclamé les résultats définitifs, accordant la victoire au président sortant Laurent Gbagbo, avec 51,45 % des suffrages.
M. Choi, représentant spécial du secrétaire général de l’ONU dans ce pays, à peine annoncés les résultats du Conseil constitutionnel, a décidé de valider les résultats de la CEI, se prévalant de son rôle de certificateur qui en aucune façon ne le plaçait au-dessus des institutions ivoiriennes. Pourtant, les résultats provisoires choisis par M. Choi avalisent une fraude caractérisée. En effet, sur les 20 073 procès-verbaux de bureaux de vote, 1001 comportaient un nombre de votants supérieur au nombre d’inscrits, 807 comportaient plus de suffrages exprimés que d’inscrits, 1231 étaient dépourvus du sticker certifiant la validité du procès-verbal. Ces 3039 bureaux représentent 1 337 572 inscrits et 583 334 votants. Faut-il ajouter que, dans 1533 bureaux représentant 582 248 inscrits et 223 162 votants, le président sortant Laurent Gbagbo a obtenu 3 ou moins de 3 voix.
Les procès-verbaux douteux provenaient, pour l’essentiel, des cinq régions du nord du pays où le Conseil constitutionnel a annulé les résultats de 7 départements dans trois régions du nord (Vallée du Bandama, les Savanes et Worodougou) où des recours, portant sur 600 000 voix environ, avaient été déposés par la majorité présidentielle. A signaler que, faute de recours, le Conseil constitutionnel a validé les surprenants résultats de la région du Denguélé où Alassane Ouattara l’emporte avec 97,85 % des suffrages, soit 70 357 voix, contre 2,15 % à Laurent Gbagbo, soit 1151 voix.
Le scrutin a été entièrement faussé dans les cinq régions du nord représentant 17 % de l’électorat national, en raison de la sortie des Forces armées des Forces nouvelles, l’ancienne rébellion qui n’avait pas désarmé, comme l’imposait pourtant l’Accord de Ouagadougou. Cette pression militaire, écartant les représentants de la LMP des bureaux de vote afin d’y organiser une fraude massive et pourchassant les éventuels électeurs favorables à Laurent Gbagbo, enlève toute crédibilité au scrutin dans cette partie du pays. A noter que, dans les quatorze régions du reste du pays, représentant 83 % des inscrits, le candidat Ouattara n’a déposé aucun recours. Laurent Gbagbo y obtient 2 031 294 voix (53,86 %) contre 1739 945 (46,13 %) pour son adversaire.
Ces données, dont les treize experts et le panel des cinq chefs d’Etat mandatés par l’Union africaine ont pris connaissance lors de leur passage à Abidjan, ont sans doute suscité des divisions au sein du panel réuni auparavant à Nouakchot, le 20 février 2011, et le départ précipité pour Ouagadougou de l’ancien médiateur, le président burkinabé Blaise Compaoré, qui a choisi de ne pas se rendre en Côte d’Ivoire le 21 février, a révélé de réels désaccords. Le président sud africain Jacob Zuma et sa ministre des Affaires étrangères Maité Nkoana Mashabane ont publiquement pris leurs distances par rapport aux positions rabâchées par le camp occidental depuis le 3 décembre 2010.
Ingérences internationales et pressions extérieures
En effet, quelques heures à peine après la décision arbitraire de M. Choi bafouant le Conseil constitutionnel de Côte d’Ivoire, le président des Etats-Unis, Barack Obama, et celui de la France, Nicolas Sarkozy, ont reconnu Alassane Ouattara comme président élu, avalisant précipitamment des résultats frauduleux. Dans son discours aux Africains prononcé au Ghana le 12 juillet 2009, le président américain avait pourtant affirmé que «l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions»… Mais, quand les Etats-Unis et la France veulent imposer un homme-, en l’occurrence Alassane Ouattara, que pèsent les institutions d’un Etat souverain et l’article 2 de la Charte de l’ONU reconnaissant le principe de la souveraineté de ses membres?
Bras de fer avec l’ONU
Par leur prise de position immédiate, dès les 3 et 4 décembre, pratique bien inhabituelle par rapport à un scrutin organisé dans un pays d’Afrique, les Etats-Unis et la France, entraînant l’Union européenne, ont pesé de tout leur poids sur la diplomatie africaine. C’est en fait la France qui a orchestré la partition européenne et celle de l’ONU, comme elle l’a fait depuis janvier 2003 avec la Conférence internationale sur la Côte d’Ivoire tenue à Paris, les 25 et 26 janvier 2003, au Centre de conférences international de l’avenue Kléber.
Un véritable bras de fer s’est engagé entre l’ONU et le président Gbagbo. Dès la décision arbitraire prise le 3 décembre par le représentant du secrétaire général de l’ONU, Young-jin Choi, intervenant en visioconférence devant le Conseil de sécurité de l’ONU, la France a préparé tous les communiqués ou déclarations à la presse du Conseil. C’était le cas, le 8 décembre, et en particulier le 16, jour des manifestations à hauts risques appelées par Guillaume Soro et les partisans d’Alassane Ouattara pour investir la Radio diffusion télévision ivoirienne (RTI) et le Palais présidentiel. Au regard du comportement des forces de l’ONUCI, ce jour-là ouvertement alliées aux éléments armés des Forces nouvelles stationnés à l’Hôtel du Golf avec Alassane Ouattara, et au regard de l’ultimatum du président Sarkozy, le 17, l’ enjoignant de quitter le pouvoir dans les 48 heures, le président Gbagbo a demandé le départ de la mission onusienne, ainsi que celui de la force française Licorne le 18 décembre. Le 20 décembre, après audition du secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix, le Français Alain Le Roy, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1962 prorogeant de six mois le mandat de l’ONUCI. Dès le 21 décembre, malgré les réticences de la Russie, l’ONU a reconnu l’ambassadeur Youssouf Bamba nommé par Alassane Ouattara, Alcide Djédjé qui occupait ce poste étant ministre des Affaires étrangères dans le nouveau gouvernement ivoirien.
Les réserves de la Russie étant levées, l’ONU, par sa résolution 1967, a autorisé, le 19 janvier 2011, le déploiement de 2000 militaires supplémentaires dans le cadre des forces de l’ONUCI jusqu’au 30 juin 2011, et elle a prolongé le déploiement des trois compagnies d’infanterie et d’une unité aérienne de la MINUL venue du Libéria en fin de période électorale pour renforcer l’ONUCI. La résolution 1968 du 16 février a prorogé de trois mois ce déploiement de la MINUL (trois bataillons et cinq hélicoptères, dont trois MI 24 de combat). Une nouvelle déclaration à la presse a été faite le 3 mars, après audition d’Alain Le Roy, stigmatisant l’escalade de la violence sans mentionner parmi les fauteurs de troubles l’ancien chef de la rébellion, Guillaume Soro, bras droit d’Alassane Ouattara qui avait appelé les populations d’Abidjan à la «révolution du 21 février » se référant aux mouvements démocratiques bouleversant le monde arabe !
La diplomatie africaine (CEDEAO et Union africaine)
Au lendemain de l’investiture du président Gbagbo, le 4 décembre 2010, par le Conseil constitutionnel, tandis qu’Alassane Ouattara prêtait serment par lettre à une juridiction anonyme, l’Union africaine a mandaté l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki pour une médiation à Abidjan les 5 et 6 décembre. Avant même que n’en soient donnés les résultats, un premier sommet extraordinaire des chefs d’Etat de la CEDEAO sur la Côte d’Ivoire s’est réuni à Abuja, le 7 décembre, et a reconnu Alassane Ouattara comme président. Pour enfoncer le clou, le vendredi 17 décembre, le président français Nicolas Sarkozy, à l’issue du sommet de l’Union européenne, a lancé, depuis Bruxelles, comme nous l’avons déjà mentionné, un ultimatum au président Gbagbo l’enjoignant de quitter le pouvoir avant le dimanche soir 19 décembre.
Un deuxième sommet de la CEDEAO, toujours réuni à Abuja, le 24 décembre, a accentué la pression. Reconnaissant Alassane Ouattara président légitime de la Côte d’Ivoire, il demandait à Laurent Gbagbo de transmettre pacifiquement le pouvoir. Il soutenait les sanctions prises par les institutions régionales et la communauté internationale et décidait d’envoyer une délégation de haut niveau en Côte d’Ivoire comme dernier geste à l’endroit de Laurent Gbagbo pour l’exhorter à une sortie pacifique du pouvoir. En cas de refus de sa part, la CEDEAO prendrait toutes mesures nécessaires, y compris «le recours à la force légitime» pour le contraindre à se retirer. Dans cette perspective, instruction avait été donnée au président de la Commission de la CEDEAO, le Ghanéen James Victor Gbeho, de convoquer une réunion des chefs d’Etat-major de la CEDEAO pour planifier les actions futures. Cette réunion, organisée le 17 janvier 2011 à Bamako, a traité des affaires courantes, mais n’a pas véritablement abordé la situation ivoirienne, l’option militaire chère au Nigeria, au Burkina Faso et au Sénégal n’ayant visiblement pas l’assentiment des autres membres de l’organisation régionale.
Entre-temps, composée des présidents du Cap Vert, Pedro Pires, de la Sierra Leone, Ernest Baï Koroma, et du Bénin, Yayi Boni, la délégation de la CEDEAO s’est rendue à deux reprises à Abidjan, les 28 décembre 2010 et 3 janvier 2011, épaulée, lors de la seconde visite, par le Premier ministre kényan Raïla Odinga qui s’était illustré, le 16 décembre, par un appel à «déloger» par la force militaire le président Gbagbo. Cette médiation de la CEDEAO, traversée par de premières dissensions sur les options politique et militaire proposées, a échoué.
L’Union africaine, à partir de son Conseil de paix et de sécurité, a repris le relais en mandatant, sans plus de succès, Raïla Odinga qui s’est rendu à Abidjan, le 17 janvier. Après l’échec de cette tentative, les chefs d’Etat de l’Union africaine, lors de leur sommet du 31 janvier, en présence de Nicolas Sarkozy, étrangement invité au titre de président du G 20, ont décidé d’envoyer des experts chargés de préparer la venue d’une délégation de haut niveau regroupant, sous la présidence du Mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, cinq chefs d‘Etat issus de l’ensemble du continent, à savoir le Sud africain Jacob Zuma pour l’Afrique australe, le Tanzanien Jakaya Kikwete pour l’Afrique orientale, le Tchadien Idriss Déby pour l’Afrique centrale et le Burkinabé Blaise Compaoré pour l’Afrique de l’Ouest. Les cinq chefs d’Etat avaient un mois pour proposer des mesures contraignantes permettant au pays de sortir de l’impasse.
Après leur passage, du 7 au 11 février à Abidjan, les experts ont remis leurs propositions au panel des cinq chefs d’Etat qui se sont rendus à Abidjan du 21 au 23 février pour y rencontrer M. Gbagbo au Palais présidentiel, M. Ouattara à l’Hôtel du Golf, M. Youn-jin Choi à la tête de l’ONUCI et le Conseil constitutionnel à l’Hôtel Pullman.
Aucune proposition n’a filtré jusqu’à leur réunion en Mauritanie, le 4 mars, à Nouakchott, après la visite officielle du président sud africain Jacob Zuma à Paris, les 2 et 3 mars, où la question ivoirienne a été à l’ordre du jour des échanges avec Nicolas Sarkozy qui a tout fait pour infléchir les positions de son hôte. Toutefois, le panel s’est donné un mois supplémentaire pour achever sa mission et le 5 mars, le Gabonais Jean Ping, président de la Commission de l’UA, a été reçu à Abidjan porteur d’un message adressé au président Gbagbo et à M. Ouattara. Il a été proposé à ces derniers, ainsi qu’au président du Conseil constitutionnel de se rendre à Addis-Abeba pour un sommet du Conseil de paix et de sécurité de l’UA, le 10 mars. Le président Gbagbo y a envoyé l’ancien Premier ministre Affi N’Guessan, président du FPI, et son ministre des Affaires étrangères, Alcide Djédjé, pour le représenter. M. Ouattara a, pour la première fois depuis la fin du mois de novembre 2010, quitté l’Hôtel du Golf. Ce 9 mars, le président Gbagbo a interdit le survol de l’espace ivoirien à l’ONUCI et à la Force française Licorne.
Sanctions économiques contre de la Côte d’Ivoire et le peuple ivoirien
Outre ces ingérences et pressions diplomatiques extérieures, une première série de sanctions a été prise par le Conseil européen dès le 22 décembre 2010. Elles ont été renforcées et élargies, le 14 janvier 2011, à l’encontre de quatre vingt cinq personnalités du monde politique, juridique, économique et médiatique restées fidèles au président Gbagbo. Dans le but d’asphyxier l’économie du pays, mais par là même de s’en prendre à l’ensemble des populations vivant en Côte d’Ivoire, onze entités économiques ont été l’objet de sanctions de l’UE. Qu’on en juge ! Ce sont les ports d’Abidjan et de San Pedro, la Petroci et la SIR dans le domaine de l’approvisionnement en énergie, la Société de gestion du patrimoine de l’électricité, les banques nationales ivoiriennes (Banque nationale d’investissement –BNI-, Banque pour le financement de l’agriculture –BFA-, et Versus Bank), le Comité de gestion de la filière café et cacao, l’Association des producteurs de caoutchouc et, enfin, la Radio diffusion télévision ivoirienne (RTI) ! Cette forme de blocus européen, tout à fait inédit pour réagir à un contentieux électoral en Afrique, a aujourd’hui des effets scandaleux sur la vie des populations, en passe d’être privées de médicaments après l’épuisement des stocks.
Depuis l’Hôtel du Golf, où il s’est établi à la fin du mois de novembre 2010, Alassane Ouattara n’a pratiquement pas de prise sur les réalités du pays. Les ambassadeurs nommés par lui règnent sur des ambassades fantômes à l’image d’Ally Coulibaly à Paris qui bénéficie pourtant d’un soutien inconditionnel, tant politique que médiatique, de Nicolas Sarkozy. Alassane Ouattara a pu compter sur l’appui des chefs d’Etat de l’Union économique et monétaire de l’ouest africain (UEMOA). Depuis leur sommet du 22 janvier 2011, réuni à Bamako, la BCEAO ne reconnaît plus la signature du président Gbagbo. Uniquement préoccupé par l’asphyxie économique de la Côte d’Ivoire pour faire chuter Laurent Gbagbo, quelles qu’en soient les conséquences pour le peuple ivoirien, Alassane Ouattara a annoncé, le 24 janvier, l’interdiction de toute exportation de cacao pour un mois; interdiction prolongée jusqu’au 15 mars. Cela a eu pour effet de mécontenter les planteurs, mais aussi de satisfaire les spéculateurs qui ont pu profiter d’un regain des cours du produit. Dans le même temps, le trafic du cacao, depuis la région de Vavoua vers Ouagadougou, au Burkina, et le port de Lomé, au Togo, se poursuit au plus grand profit des anciens dignitaires de la rébellion du nord sans que l’UE n’y trouve à redire malgré ses mesures d’embargo…
L’ensemble de ces sanctions n’est pas resté sans réponse des autorités ivoiriennes. Si elles sont maintenues, il semble inéluctable que la Côte d’Ivoire quitte la zone franc et se dote d’une monnaie nationale avec la bienveillance de banques centrales en Afrique. Vu le poids économique et financier, environ 40 %, de la Côte d’Ivoire au sein de l’UEMOA, ses sept partenaires vont en subir de lourdes conséquences, et c’est l’avenir du franc CFA, vestige de l’empire colonial, qui va être remis en cause. Au niveau du cacao, un nouveau circuit de commercialisation est mis en place. C’est l’Etat ivoirien qui va désormais contrôler l’achat et la circulation du produit depuis les plantations jusqu’aux ports de San Pedro et d’Abidjan, mettant un terme aux activités des groupes essentiellement américains qui s’en chargeaient jusque-là. Au fond, la volonté affichée par le monde occidental d’asphyxier une Côte d’Ivoire dirigée par Laurent Gbagbo a stimulé l’inventivité des cadres et des autorités ivoiriennes pour jeter les bases d’une souveraineté plus affirmée en matière économique, financière et monétairen
Paris, 9 mars 2011.
La France a poursuivi son offensive en suscitant, sans préavis, la fermeture, les 14 et 18 février, de la Bicici et de la Sgbci, filiales ivoiriennes de la BNP/Paribas et de la Société générale. C’est que le Président Gbagbo, malgré la rupture des liens entre la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et la Côte d’Ivoire, avait payé les salaires des fonctionnaires et agents de l’Etat en décembre 2010 et janvier 2011. Cette fermeture impromptue, tout à fait illégale, des principales places bancaires avait pour but d’empêcher les citoyens ivoiriens d’avoir accès à leurs propres fonds. Par ailleurs, cette initiative française a précipité la crise des PME françaises, le président de la Chambre de commerce franco-ivoirienne, peu suspect de sympathie pour L. Gbagbo, critiquant ouvertement la politique de Nicolas Sarkozy qui saborde les intérêts économiques français tant au niveau des PME que des grands groupes omniprésents en Côte d’Ivoire que sont Bolloré, Bouygues, Vinci et plus récemment Total. Ces mesures ont accentué les mises en chômage technique et frappent durement tant les salariés du privé que les fonctionnaires et agents de l’Etat. L’objectif, toujours vain de la politique française et européenne, est d’essayer de soulever les populations contre la résistance du Président Gbagbo en les précipitant dans la misère.
La riposte des autorités ivoiriennes a été immédiate avec la nationalisation de ces deux filiales de banques françaises. Les fonctionnaires et agents de l’Etat se sont vus attribuer des comptes dans les banques nationales ivoiriennes pour toucher leur salaire de février. La récupération des données sur l’état des comptes a permis à la Bicici de rouvrir ses principales agences dès le 3 mars. Les procédures, plus complexes pour la filiale de la Société générale, retardent encore la réouverture de son agence principale d’Abidjan qui est prévue à la mi-mars.
Cette désorganisation du secteur bancaire, provoquée de l’extérieur, a ralenti plus encore les activités du port d’Abidjan, les armateurs ne pouvant régler les droits d’escale. A partir de la mi-février, il n’accueillait plus que 2 à 3 bateaux par jour au lieu de 7 en période normale.
La tragique réalité du terrain
En occupant l’Hôtel du Golf à la fin du mois de novembre 2010, avant même l’annonce des résultats provisoires, le camp Ouattara, rejoint par des éléments des Forces nouvelles de l’ancienne rébellion, s’est en quelque sorte piégé. Cette présence d’éléments lourdement armés, comme l’a montré la première manifestation du 16 décembre 2010, explique l’organisation d’un blocus militaire autour de l’hôtel par l’armée ivoirienne restée loyale à Laurent Gbagbo. Depuis le mois de décembre, des forces de l’ONUCI entourent également l’hôtel et l’approvisionnement, les contacts médiatiques, voire politiques sont rendus possibles par l’usage d’hélicoptères de l’ONUCI.
Conscient que la pérennisation de cet état de « République hôtelière », qui témoigne de l’absence de prise d’A. Ouattara sur la réalité du pouvoir, enlève tout crédit à ce dernier malgré les puissants appuis internationaux, Guillaume Soro, ancien chef rebelle, a voulu débloquer la situation, le 16 décembre 2010, comme nous l’avons vu, en projetant des manifestations vers la Radio télévision ivoirienne et le Palais présidentiel.
Les affrontements meurtriers entre hommes armés des deux camps ont tourné à l’avantage de l’armée ivoirienne. Ils ont révélé que l’ONUCI, sur le terrain, joue le jeu des Forces nouvelles fidèles à A. Ouattara, malgré les dénégations officielles de l’ONU affirmant qu’elles se comportent de façon impartiale en force d’interposition. Dans les deux mois qui ont suivi, jusqu’à l’opération « révolution du 21 février », toujours lancée par Guillaume Soro, les mêmes hélicoptères de l’ONUCI ont permis l’exfiltration d’anciens soldats rebelles qui se sont réimplantés dans la commune d’Abobo, majoritairement favorable à Ouattara, au Nord/est d’Abidjan.
En projetant cette dernière opération, G. Soro prétendait créer une situation semblable à celles vécues en Tunisie et en Egypte. On a vu dans ces pays combien la volonté populaire pouvait déplacer des montagnes. Las pour Soro, l’ancrage populaire de Laurent Gbagbo est une réalité. Malgré l’appui des principales forces du monde occidental, Ouattara ne parvient à imposer que quelques gesticulations diplomatiques que relaient ces forces. Depuis plus de trois mois, le Président Gbagbo déjoue les sanctions qui lui sont imposées ainsi qu’à la Côte d’ivoire et ses populations. Cet ancrage populaire fait visiblement défaut à A. Ouattara qui ne peut rien face au poids des institutions civiles et armées restées fidèles à son adversaire.
En effet, l’échec des appels à la grève générale du 27 décembre ou celui, en janvier et février 2011, des opérations « villes mortes » jusqu’à ce que L. Gbagbo quitte le pouvoir, a révélé qu’en dehors de la commune d’Abobo ou de Bouaké, ancienne capitale de la rébellion, les mots d’ordre du RHDP mobilisent bien peu. Les divisions, toujours annoncées par le camp Ouattara, au sein des Forces de défense et de sécurité (FDS), ne se sont pas vraiment concrétisées. Les ralliements se sont limités à quelques dizaines d’officiers dont le capitaine Alla Kouakou Léon qui rêva un temps d’être l’aide de camp du Président Gbagbo avant de finir …porte-parole de G. Soro. Cette alliance au grand jour entre Alassane Ouattara et la rébellion qui affronte durement, depuis septembre 2002, l’armée ivoirienne loyale au Président Gbagbo, n’est sans doute pas de nature à servir celui que le monde occidental veut imposer à la tête de la Côte d’Ivoire.
Les appels à la grève ou aux manifestations à hauts risques comme celle du 21 février ont été lancés juste avant la venue de missions diplomatiques, CEDEAO ou Union africaine. Il est indiscutable que depuis le 21 février, les Forces nouvelles, réimplantées à Abobo, et toujours présentes dans le Nord et l’Ouest du pays où elles n’ont jamais désarmé, sont véritablement passées à l’offensive. Au Nord, jusqu’à Bouaké, les Forces nouvelles tiennent de nouveau le haut du pavé et leur porte-parole fait aujourd’hui de nouveau référence à « une zone de confiance » qui n‘existe plus depuis avril 2007…Tous les médias titrent sans discernement sur la reprise de la guerre civile, mais les zones d’affrontement entre forces armées sont assez bien circonscrites. A l’intérieur du pays, en dehors de quelques échanges de tir dans la capitale Yamoussoukro, c’est à l’Ouest que la situation est préoccupante. En janvier 2011, à Duékoué, à 500 kilomètres au Nord-Ouest d’Abidjan, ce sont des familles des partisans du Président Gbagbo qui ont été agressées par des partisans d’A. Ouattara : près d’une cinquantaine de victimes, des centaines de maisons brûlées et des milliers de déplacés. Plus récemment, près de Danané, la ville de Zouhan Hounien a résisté le 25 février et la descente de forces de « l’ancienne rébellion » vers Ity, où est exploitée une importante mine d’or, a été contenue par l’armée ivoirienne. La situation à Toulepleu et dans la région de Blolequin reste toujours indécise au début du mois de mars.
Dans la capitale économique où les affrontements ont fait le plus de victimes, c’est la commune d’Abobo, et dans une moindre mesure la quartier Remblai de la commune de Koumassi et sporadiquement Treichville qui en sont le théâtre. Les bilans tragiques avancés par l’ONU font état d’une cinquantaine de morts pour le seul début du mois de mars et plus de trois cents depuis l’élection présidentielle. Au nombre de ces victimes figurent des dizaines de policiers et de militaires de l’armée ivoirienne, les pertes au sein des Forces nouvelles étant difficiles à évaluer. On compte hélas de nombreuses victimes civiles car il s’agit d’une véritable guérilla urbaine, tout d’abord larvée en décembre et janvier, puis ouverte à partir du 21février, qui est livrée par les Forces nouvelles, réimplantées dans certains quartiers de la capitale économique ivoirienne avec la complicité de l’ONUCI, contre les forces armées ivoiriennes.
Le plus récent rapport d’Amnesty international, publié le 22 février 2011, fait un dramatique état des lieux qui semblent renvoyer dos à dos les deux camps en conflit. Mais ce conflit de légitimité, quoi qu’on en dise, oppose un homme A. Ouattara que le monde occidental veut imposer à la Côte d’Ivoire sur la base de résultats frauduleux, à un Président sortant L. Gbagbo, attaché à la souveraineté des institutions républicaines ivoiriennes, persuadé qu’il n’a pas perdu l’élection, et qui déjoue les sanctions internationales en prenant des mesures qui visent à conforter l’indépendance économique et financière du pays. Il peut compter, dans ce bras de fer, dont l’enjeu historique ne peut échapper à personne, sur la détermination d’une majorité de la jeunesse, de la galaxie patriotique toujours animée par Charles Blé Goudé, désormais ministre de la Jeunesse et de l’Emploi, mais aussi de simples citoyens lassés par les ingérences internationales.
Quelques conclusions provisoires
Quelles que soient les décisions prises par l’Union africaine à Addis Abeba, le 10 mars, il apparaît que toute solution politique reposant sur le partage du pouvoir entre les deux camps ne peut que maintenir le pays dans l’ornière sous couvert d’équité. Depuis 2003, c’est l’ensemble des partis qui ont géré le pays et cette formule n’a ni contribué à rassembler véritablement le pays ni à le développer. Au contraire, ce système a multiplié les réseaux de détournements et entretenu la défiance et la duplicité politiques.
Pour écarter le Président Gbagbo, c’est un pays clé de l’Afrique de l’Ouest que l’on veut mettre à genoux pour lui imposer un nouveau président dont on voit mal comment il pourrait le diriger tant il a multiplié les gestes complices contre le pays et sa population active. Le peuple ivoirien est la première victime des sanctions imposées par la France et l’Union européenne. Pourtant, il résiste et ne se soulève pas contre les autorités en place malgré des conditions de survie de plus en plus dures. Les institutions de l’Etat, l’armée et la police en particulier, restent loyales au Président Gbagbo et appuient son action y compris contre la représentation de l’ONU qui est sortie de son rôle d’arbitre.
Sous le couvert éculé de la défense de la démocratie, l’interventionnisme de la France et de son Président Nicolas Sarkozy au profit d’Alassane Ouattara repose plus prosaïquement sur une vieille amitié nouée en 1991 par l’intermédiaire de Martin Bouygues. On sait les positions dominantes, non remises en cause depuis l’élection de L. Gbagbo en 2000, des groupes Bouygues et Bolloré en Côte d’Ivoire. Cette proximité entre A. Ouattara et les responsables politique et économiques français guide une diplomatie élyséenne à la hussarde dont on a pu juger le peu de cas qu’elle fait des revendications démocratiques dans le monde arabe. Par ailleurs, la politique des sanctions et la désorganisation du système bancaire qui affectent gravement la vie quotidienne de populations réduites au chômage et à la misère, a remis en cause la viabilité de l’ensemble des PME françaises en Côte d’Ivoire.
Les Etats-Unis, qui font chorus à la politique de la France et de l’Union européenne, viennent d’essuyer,
Guy LABERTIT
Ancien délégué national Afrique du PS (1993-2006)
Auteur aux Editions Autres Temps de
«Adieu, Abidjan sur Seine «ou les Coulisses du conflit ivoirien (oct 2008)
Côte d’Ivoire, sur le sentier de la paix (juin 2010)