Dans cette seconde partie de son importante contribution don’t la première partie a été publiée le 11 mars dernier, Guy Labertit, membre du Parti socialiste français, parle des implications de la crise ivoirienne telle qu’elle est entretenue par l’Occident.
La France a poursuivi son offensive en suscitant, sans préavis, la fermeture, les 14 et 18 février, de la Bicici et de la Sgbci, filiales ivoiriennes de la BNP/Paribas et de la Société générale. C’est que le président Gbagbo, malgré la rupture des liens entre la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et la Côte d’Ivoire, avait payé les salaires des fonctionnaires et agents de l’Etat en décembre 2010 et janvier 2011. Cette fermeture impromptue, tout à fait illégale, des principales places bancaires avait pour but d’empêcher les citoyens ivoiriens d’avoir accès à leurs propres fonds. Par ailleurs, cette initiative française a précipité la crise des PME françaises, le président de la Chambre de commerce franco-ivoirienne, peu suspect de sympathie pour Laurent Gbagbo, critiquant ouvertement la politique de Nicolas Sarkozy qui saborde les intérêts économiques français tant au niveau des PME que des grands groupes omniprésents en Côte d’Ivoire que sont Bolloré, Bouygues, Vinci et plus récemment Total. Ces mesures ont accentué les mises en chômage technique et frappent durement tant les salariés du privé que les fonctionnaires et agents de l’Etat. L’objectif, toujours vain de la politique française et européenne est d’essayer de soulever les populations contre la résistance du président Gbagbo en les précipitant dans la misère.
La riposte des autorités ivoiriennes a été immédiate avec la nationalisation de ces deux filiales de banques françaises. Les fonctionnaires et agents de l’Etat se sont vus attribuer des comptes dans les banques nationales ivoiriennes pour toucher leur salaire de février. La récupération des données sur l’état des comptes a permis à la Bicici de rouvrir ses principales agences dès le 3 mars. Les procédures, plus complexes pour la filiale de la Société générale, retardent encore la réouverture de son agence principale d’Abidjan qui est prévue à la mi-mars.
Cette désorganisation du secteur bancaire, provoquée de l’extérieur, a ralenti plus encore les activités du port d’Abidjan, les armateurs ne pouvant régler les droits d’escale. A partir de la mi-février, il n’accueillait plus que 2 à 3 bateaux par jour au lieu de 7 en période normale.
La tragique réalité du terrain
En occupant l’Hôtel du Golf à la fin du mois de novembre 2010, avant même l’annonce des résultats provisoires, le camp Ouattara, rejoint par des éléments des Forces nouvelles de l’ancienne rébellion, s’est en quelque sorte piégé. Cette présence d’éléments lourdement armés, comme l’a montré la première manifestation du 16 décembre 2010, explique l’organisation d’un blocus militaire autour de l’hôtel par l’armée ivoirienne restée loyale à Laurent Gbagbo. Depuis le mois de décembre, des forces de l’ONUCI entourent également l’hôtel et l’approvisionnement, les contacts médiatiques, voire politiques sont rendus possibles par l’usage d’hélicoptères de l’ONUCI.
Conscient que la pérennisation de cet état de « République hôtelière », qui témoigne de l’absence de prise d’Alassane Ouattara sur la réalité du pouvoir, enlève tout crédit à ce dernier, malgré les puissants appuis internationaux, Guillaume Soro, ancien chef rebelle, a voulu débloquer la situation, le 16 décembre 2010, comme nous l’avons vu, en projetant des manifestations vers la Radiodiffusion télévision ivoirienne et le Palais présidentiel. Les affrontements meurtriers entre hommes armés des deux camps ont tourné à l’avantage de l’armée ivoirienne. Ils ont révélé que l’ONUCI, sur le terrain, joue le jeu des Forces nouvelles fidèles à Alassane Ouattara, malgré les dénégations officielles de l’ONU affirmant qu’elles se comportent de façon impartiale en force d’interposition. Dans les deux mois qui ont suivi, jusqu’à l’opération « Révolution du 21 février », toujours lancée par Guillaume Soro, les mêmes hélicoptères de l’ONUCI ont permis l’exfiltration d’anciens soldats rebelles qui se sont réimplantés dans la commune d’Abobo, majoritairement favorable à Ouattara, au nord/est d’Abidjan.
En projetant cette dernière opération, Guillaume Soro prétendait créer une situation semblable à celles vécues en Tunisie et en Egypte. On a vu dans ces pays combien la volonté populaire pouvait déplacer des montagnes. Las pour Soro, l’ancrage populaire de Laurent Gbagbo est une réalité. Malgré l’appui des principales forces du monde occidental, Ouattara ne parvient à imposer que quelques gesticulations diplomatiques que relaient ces forces. Depuis plus de trois mois, le président Gbagbo déjoue les sanctions qui lui sont imposées ainsi qu’à la Côte d’ivoire et ses populations. Cet ancrage populaire fait visiblement défaut à Alassane Ouattara qui ne peut rien face au poids des institutions civiles et armées restées fidèles à son adversaire.
En effet, l’échec des appels à la grève générale du 27 décembre ou celui, en janvier et février 2011, des opérations « villes mortes » jusqu’à ce que Laurent Gbagbo quitte le pouvoir, a révélé qu’en dehors de la commune d’Abobo ou de Bouaké, ancienne capitale de la rébellion, les mots d’ordre du RHDP mobilisent bien peu. Les divisions, toujours annoncées par le camp Ouattara, au sein des Forces de défense et de sécurité (FDS), ne se sont pas vraiment concrétisées. Les ralliements se sont limités à quelques dizaines d’officiers, dont le capitaine Alla Kouakou Léon qui rêva un temps d’être l’aide de camp du président Gbagbo avant de finir … porte-parole de Guillaume Soro. Cette alliance au grand jour entre Alassane Ouattara et la rébellion qui affronte durement, depuis septembre 2002, l’armée ivoirienne loyale au président Gbagbo n’est sans doute pas de nature à servir celui que le monde occidental veut imposer à la tête de la Côte d’Ivoire.
Les appels à la grève ou aux manifestations à hauts risques comme celle du 21 février ont été lancés juste avant la venue de missions diplomatiques, CEDEAO ou Union africaine. Il est indiscutable que, depuis le 21 février, les Forces nouvelles, réimplantées à Abobo et toujours présentes dans le nord et l’ouest du pays où elles n’ont jamais désarmé, sont véritablement passées à l’offensive. Au nord, jusqu’à Bouaké, les Forces nouvelles tiennent de nouveau le haut du pavé et leur porte-parole fait aujourd’hui de nouveau référence à « une zone de confiance » qui n‘existe plus depuis avril 2007… Tous les médias titrent sans discernement sur la reprise de la guerre civile, mais les zones d’affrontement entre forces armées sont assez bien circonscrites. A l’intérieur du pays, en dehors de quelques échanges de tir dans la capitale Yamoussoukro, c’est à l’ouest que la situation est préoccupante. En janvier 2011, à Duékoué, à 500 kilomètres au nord-ouest d’Abidjan, ce sont des familles des partisans du président Gbagbo qui ont été agressées par des partisans d’Alassane Ouattara : près d’une cinquantaine de victimes, des centaines de maisons brûlées et des milliers de déplacés. Plus récemment, près de Danané, la ville de Zouan-Hounien a résisté le 25 février et la descente de forces de « l’ancienne rébellion » vers Ity, où est exploitée une importante mine d’or, a été contenue par l’armée ivoirienne. La situation à Toulepleu et dans la région de Bloléquin reste toujours indécise au début du mois de mars.
Dans la capitale économique où les affrontements ont fait le plus de victimes, c’est la commune d’Abobo, et dans une moindre mesure la quartier Remblai de la commune de Koumassi et sporadiquement Treichville qui en sont le théâtre. Les bilans tragiques avancés par l’ONU font état d’une cinquantaine de morts pour le seul début du mois de mars et plus de trois cents depuis l’élection présidentielle. Au nombre de ces victimes figurent des dizaines de policiers et de militaires de l’armée ivoirienne, les pertes au sein des Forces nouvelles étant difficiles à évaluer. On compte hélas de nombreuses victimes civiles, car il s’agit d’une véritable guérilla urbaine, tout d’abord larvée en décembre et janvier, puis ouverte à partir du 21février, qui est livrée par les Forces nouvelles, réimplantées dans certains quartiers de la capitale économique ivoirienne avec la complicité de l’ONUCI, contre les forces armées ivoiriennes.
Le plus récent rapport d’Amnesty international, publié le 22 février 2011, fait un dramatique état des lieux qui semble renvoyer dos à dos les deux camps en conflit. Mais ce conflit de légitimité, quoi qu’on en dise, oppose un homme, Alassane Ouattara que le monde occidental veut imposer à la Côte d’Ivoire sur la base de résultats frauduleux, à un président sortant, Laurent Gbagbo, attaché à la souveraineté des institutions républicaines ivoiriennes, persuadé qu’il n’a pas perdu l’élection, et qui déjoue les sanctions internationales en prenant des mesures qui visent à conforter l’indépendance économique et financière du pays. Il peut compter, dans ce bras de fer, dont l’enjeu historique ne peut échapper à personne, sur la détermination d’une majorité de la jeunesse, de la galaxie patriotique toujours animée par Charles Blé Goudé, désormais ministre de la Jeunesse et de l’Emploi, mais aussi de simples citoyens lassés par les ingérences internationales.
Quelques conclusions provisoires
Quelles que soient les décisions prises par l’Union africaine à Addis-Abeba, le 10 mars, il apparaît que toute solution politique reposant sur le partage du pouvoir entre les deux camps ne peut que maintenir le pays dans l’ornière sous couvert d’équité. Depuis 2003, c’est l’ensemble des partis qui ont géré le pays et cette formule n’a ni contribué à rassembler véritablement le pays ni à le développer. Au contraire, ce système a multiplié les réseaux de détournements et entretenu la défiance et la duplicité politiques.
Pour écarter le président Gbagbo, c’est un pays clé de l’Afrique de l’ouest que l’on veut mettre à genoux pour lui imposer un nouveau président dont on voit mal comment il pourrait le diriger tant il a multiplié les gestes complices contre le pays et sa population active. Le peuple ivoirien est la première victime des sanctions imposées par la France et l’Union européenne. Pourtant, il résiste et ne se soulève pas contre les autorités en place malgré des conditions de survie de plus en plus dures. Les institutions de l’Etat, l’armée et la police en particulier, restent loyales au président Gbagbo et appuient son action y compris contre la représentation de l’ONU qui est sortie de son rôle d’arbitre.
Sous le couvert éculé de la défense de la démocratie, l’interventionnisme de la France et de son président Nicolas Sarkozy au profit d’Alassane Ouattara repose plus prosaïquement sur une vieille amitié nouée en 1991 par l’intermédiaire de Martin Bouygues. On sait les positions dominantes, non remises en cause depuis l’élection de Laurent Gbagbo en 2000, des groupes Bouygues et Bolloré en Côte d’Ivoire. Cette proximité entre Alassane Ouattara et les responsables politique et économiques français guide une diplomatie élyséenne à la hussarde dont on a pu juger le peu de cas qu’elle fait des revendications démocratiques dans le monde arabe. Par ailleurs, la politique des sanctions et la désorganisation du système bancaire qui affectent gravement la vie quotidienne de populations réduites au chômage et à la misère ont remis en cause la viabilité de l’ensemble des PME françaises en Côte d’Ivoire.
Les Etats-Unis, qui font chorus à la politique de la France et de l’Union européenne, viennent d’essuyer un revers économique sérieux par la mise en place d’un nouveau système de commercialisation du cacao jusque-là contrôlé par des groupes américains, au premier rang desquels le groupe Cargill. Le suivisme de Washington par rapport à la politique de la France en Côte d’Ivoire cache mal son intérêt pour le pétrole du Golfe de Guinée où il peut compter sur un allié de poids, le Nigéria. Par ailleurs, l’opposition frontale du président Sarkozy au président Gbagbo ne peut qu’affaiblir l’influence de la France sur le continent africain au profit des Etats-Unis, mais aussi de la Chine et de la Russie, en particulier sur la question des sources d’énergie et des mines.
En bref, la cécité politique du monde occidental stimule l’inventivité des autorités ivoiriennes et des cadres du pays pour jeter les bases d’une véritable indépendance au lendemain de la mascarade mémorielle du cinquantenaire orchestrée à Paris, le 14 juillet dernier n
Guy LABERTIT
Ancien délégué national Afrique du PS (1993-2006)
Auteur aux Editions Autres Temps de
«Adieu, Abidjan sur Seine «ou les Coulisses du conflit ivoirien (oct 2008)
Côte d’Ivoire, sur le sentier de la paix (juin 2010)
La France a poursuivi son offensive en suscitant, sans préavis, la fermeture, les 14 et 18 février, de la Bicici et de la Sgbci, filiales ivoiriennes de la BNP/Paribas et de la Société générale. C’est que le président Gbagbo, malgré la rupture des liens entre la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et la Côte d’Ivoire, avait payé les salaires des fonctionnaires et agents de l’Etat en décembre 2010 et janvier 2011. Cette fermeture impromptue, tout à fait illégale, des principales places bancaires avait pour but d’empêcher les citoyens ivoiriens d’avoir accès à leurs propres fonds. Par ailleurs, cette initiative française a précipité la crise des PME françaises, le président de la Chambre de commerce franco-ivoirienne, peu suspect de sympathie pour Laurent Gbagbo, critiquant ouvertement la politique de Nicolas Sarkozy qui saborde les intérêts économiques français tant au niveau des PME que des grands groupes omniprésents en Côte d’Ivoire que sont Bolloré, Bouygues, Vinci et plus récemment Total. Ces mesures ont accentué les mises en chômage technique et frappent durement tant les salariés du privé que les fonctionnaires et agents de l’Etat. L’objectif, toujours vain de la politique française et européenne est d’essayer de soulever les populations contre la résistance du président Gbagbo en les précipitant dans la misère.
La riposte des autorités ivoiriennes a été immédiate avec la nationalisation de ces deux filiales de banques françaises. Les fonctionnaires et agents de l’Etat se sont vus attribuer des comptes dans les banques nationales ivoiriennes pour toucher leur salaire de février. La récupération des données sur l’état des comptes a permis à la Bicici de rouvrir ses principales agences dès le 3 mars. Les procédures, plus complexes pour la filiale de la Société générale, retardent encore la réouverture de son agence principale d’Abidjan qui est prévue à la mi-mars.
Cette désorganisation du secteur bancaire, provoquée de l’extérieur, a ralenti plus encore les activités du port d’Abidjan, les armateurs ne pouvant régler les droits d’escale. A partir de la mi-février, il n’accueillait plus que 2 à 3 bateaux par jour au lieu de 7 en période normale.
La tragique réalité du terrain
En occupant l’Hôtel du Golf à la fin du mois de novembre 2010, avant même l’annonce des résultats provisoires, le camp Ouattara, rejoint par des éléments des Forces nouvelles de l’ancienne rébellion, s’est en quelque sorte piégé. Cette présence d’éléments lourdement armés, comme l’a montré la première manifestation du 16 décembre 2010, explique l’organisation d’un blocus militaire autour de l’hôtel par l’armée ivoirienne restée loyale à Laurent Gbagbo. Depuis le mois de décembre, des forces de l’ONUCI entourent également l’hôtel et l’approvisionnement, les contacts médiatiques, voire politiques sont rendus possibles par l’usage d’hélicoptères de l’ONUCI.
Conscient que la pérennisation de cet état de « République hôtelière », qui témoigne de l’absence de prise d’Alassane Ouattara sur la réalité du pouvoir, enlève tout crédit à ce dernier, malgré les puissants appuis internationaux, Guillaume Soro, ancien chef rebelle, a voulu débloquer la situation, le 16 décembre 2010, comme nous l’avons vu, en projetant des manifestations vers la Radiodiffusion télévision ivoirienne et le Palais présidentiel. Les affrontements meurtriers entre hommes armés des deux camps ont tourné à l’avantage de l’armée ivoirienne. Ils ont révélé que l’ONUCI, sur le terrain, joue le jeu des Forces nouvelles fidèles à Alassane Ouattara, malgré les dénégations officielles de l’ONU affirmant qu’elles se comportent de façon impartiale en force d’interposition. Dans les deux mois qui ont suivi, jusqu’à l’opération « Révolution du 21 février », toujours lancée par Guillaume Soro, les mêmes hélicoptères de l’ONUCI ont permis l’exfiltration d’anciens soldats rebelles qui se sont réimplantés dans la commune d’Abobo, majoritairement favorable à Ouattara, au nord/est d’Abidjan.
En projetant cette dernière opération, Guillaume Soro prétendait créer une situation semblable à celles vécues en Tunisie et en Egypte. On a vu dans ces pays combien la volonté populaire pouvait déplacer des montagnes. Las pour Soro, l’ancrage populaire de Laurent Gbagbo est une réalité. Malgré l’appui des principales forces du monde occidental, Ouattara ne parvient à imposer que quelques gesticulations diplomatiques que relaient ces forces. Depuis plus de trois mois, le président Gbagbo déjoue les sanctions qui lui sont imposées ainsi qu’à la Côte d’ivoire et ses populations. Cet ancrage populaire fait visiblement défaut à Alassane Ouattara qui ne peut rien face au poids des institutions civiles et armées restées fidèles à son adversaire.
En effet, l’échec des appels à la grève générale du 27 décembre ou celui, en janvier et février 2011, des opérations « villes mortes » jusqu’à ce que Laurent Gbagbo quitte le pouvoir, a révélé qu’en dehors de la commune d’Abobo ou de Bouaké, ancienne capitale de la rébellion, les mots d’ordre du RHDP mobilisent bien peu. Les divisions, toujours annoncées par le camp Ouattara, au sein des Forces de défense et de sécurité (FDS), ne se sont pas vraiment concrétisées. Les ralliements se sont limités à quelques dizaines d’officiers, dont le capitaine Alla Kouakou Léon qui rêva un temps d’être l’aide de camp du président Gbagbo avant de finir … porte-parole de Guillaume Soro. Cette alliance au grand jour entre Alassane Ouattara et la rébellion qui affronte durement, depuis septembre 2002, l’armée ivoirienne loyale au président Gbagbo n’est sans doute pas de nature à servir celui que le monde occidental veut imposer à la tête de la Côte d’Ivoire.
Les appels à la grève ou aux manifestations à hauts risques comme celle du 21 février ont été lancés juste avant la venue de missions diplomatiques, CEDEAO ou Union africaine. Il est indiscutable que, depuis le 21 février, les Forces nouvelles, réimplantées à Abobo et toujours présentes dans le nord et l’ouest du pays où elles n’ont jamais désarmé, sont véritablement passées à l’offensive. Au nord, jusqu’à Bouaké, les Forces nouvelles tiennent de nouveau le haut du pavé et leur porte-parole fait aujourd’hui de nouveau référence à « une zone de confiance » qui n‘existe plus depuis avril 2007… Tous les médias titrent sans discernement sur la reprise de la guerre civile, mais les zones d’affrontement entre forces armées sont assez bien circonscrites. A l’intérieur du pays, en dehors de quelques échanges de tir dans la capitale Yamoussoukro, c’est à l’ouest que la situation est préoccupante. En janvier 2011, à Duékoué, à 500 kilomètres au nord-ouest d’Abidjan, ce sont des familles des partisans du président Gbagbo qui ont été agressées par des partisans d’Alassane Ouattara : près d’une cinquantaine de victimes, des centaines de maisons brûlées et des milliers de déplacés. Plus récemment, près de Danané, la ville de Zouan-Hounien a résisté le 25 février et la descente de forces de « l’ancienne rébellion » vers Ity, où est exploitée une importante mine d’or, a été contenue par l’armée ivoirienne. La situation à Toulepleu et dans la région de Bloléquin reste toujours indécise au début du mois de mars.
Dans la capitale économique où les affrontements ont fait le plus de victimes, c’est la commune d’Abobo, et dans une moindre mesure la quartier Remblai de la commune de Koumassi et sporadiquement Treichville qui en sont le théâtre. Les bilans tragiques avancés par l’ONU font état d’une cinquantaine de morts pour le seul début du mois de mars et plus de trois cents depuis l’élection présidentielle. Au nombre de ces victimes figurent des dizaines de policiers et de militaires de l’armée ivoirienne, les pertes au sein des Forces nouvelles étant difficiles à évaluer. On compte hélas de nombreuses victimes civiles, car il s’agit d’une véritable guérilla urbaine, tout d’abord larvée en décembre et janvier, puis ouverte à partir du 21février, qui est livrée par les Forces nouvelles, réimplantées dans certains quartiers de la capitale économique ivoirienne avec la complicité de l’ONUCI, contre les forces armées ivoiriennes.
Le plus récent rapport d’Amnesty international, publié le 22 février 2011, fait un dramatique état des lieux qui semble renvoyer dos à dos les deux camps en conflit. Mais ce conflit de légitimité, quoi qu’on en dise, oppose un homme, Alassane Ouattara que le monde occidental veut imposer à la Côte d’Ivoire sur la base de résultats frauduleux, à un président sortant, Laurent Gbagbo, attaché à la souveraineté des institutions républicaines ivoiriennes, persuadé qu’il n’a pas perdu l’élection, et qui déjoue les sanctions internationales en prenant des mesures qui visent à conforter l’indépendance économique et financière du pays. Il peut compter, dans ce bras de fer, dont l’enjeu historique ne peut échapper à personne, sur la détermination d’une majorité de la jeunesse, de la galaxie patriotique toujours animée par Charles Blé Goudé, désormais ministre de la Jeunesse et de l’Emploi, mais aussi de simples citoyens lassés par les ingérences internationales.
Quelques conclusions provisoires
Quelles que soient les décisions prises par l’Union africaine à Addis-Abeba, le 10 mars, il apparaît que toute solution politique reposant sur le partage du pouvoir entre les deux camps ne peut que maintenir le pays dans l’ornière sous couvert d’équité. Depuis 2003, c’est l’ensemble des partis qui ont géré le pays et cette formule n’a ni contribué à rassembler véritablement le pays ni à le développer. Au contraire, ce système a multiplié les réseaux de détournements et entretenu la défiance et la duplicité politiques.
Pour écarter le président Gbagbo, c’est un pays clé de l’Afrique de l’ouest que l’on veut mettre à genoux pour lui imposer un nouveau président dont on voit mal comment il pourrait le diriger tant il a multiplié les gestes complices contre le pays et sa population active. Le peuple ivoirien est la première victime des sanctions imposées par la France et l’Union européenne. Pourtant, il résiste et ne se soulève pas contre les autorités en place malgré des conditions de survie de plus en plus dures. Les institutions de l’Etat, l’armée et la police en particulier, restent loyales au président Gbagbo et appuient son action y compris contre la représentation de l’ONU qui est sortie de son rôle d’arbitre.
Sous le couvert éculé de la défense de la démocratie, l’interventionnisme de la France et de son président Nicolas Sarkozy au profit d’Alassane Ouattara repose plus prosaïquement sur une vieille amitié nouée en 1991 par l’intermédiaire de Martin Bouygues. On sait les positions dominantes, non remises en cause depuis l’élection de Laurent Gbagbo en 2000, des groupes Bouygues et Bolloré en Côte d’Ivoire. Cette proximité entre Alassane Ouattara et les responsables politique et économiques français guide une diplomatie élyséenne à la hussarde dont on a pu juger le peu de cas qu’elle fait des revendications démocratiques dans le monde arabe. Par ailleurs, la politique des sanctions et la désorganisation du système bancaire qui affectent gravement la vie quotidienne de populations réduites au chômage et à la misère ont remis en cause la viabilité de l’ensemble des PME françaises en Côte d’Ivoire.
Les Etats-Unis, qui font chorus à la politique de la France et de l’Union européenne, viennent d’essuyer un revers économique sérieux par la mise en place d’un nouveau système de commercialisation du cacao jusque-là contrôlé par des groupes américains, au premier rang desquels le groupe Cargill. Le suivisme de Washington par rapport à la politique de la France en Côte d’Ivoire cache mal son intérêt pour le pétrole du Golfe de Guinée où il peut compter sur un allié de poids, le Nigéria. Par ailleurs, l’opposition frontale du président Sarkozy au président Gbagbo ne peut qu’affaiblir l’influence de la France sur le continent africain au profit des Etats-Unis, mais aussi de la Chine et de la Russie, en particulier sur la question des sources d’énergie et des mines.
En bref, la cécité politique du monde occidental stimule l’inventivité des autorités ivoiriennes et des cadres du pays pour jeter les bases d’une véritable indépendance au lendemain de la mascarade mémorielle du cinquantenaire orchestrée à Paris, le 14 juillet dernier n
Guy LABERTIT
Ancien délégué national Afrique du PS (1993-2006)
Auteur aux Editions Autres Temps de
«Adieu, Abidjan sur Seine «ou les Coulisses du conflit ivoirien (oct 2008)
Côte d’Ivoire, sur le sentier de la paix (juin 2010)