Président par intérim d'un FPI aux abois et président de l'Assemblée nationale ivoirienne, Mamadou Koulibaly revient, dans un entretien exclusif accordé à RFI, sur cinq mois de crise en Côte d'Ivoire vue de l'intérieur du camp Gbagbo. Présent lors de l'investiture d'Alassane Ouattara, il reconnaît la pleine autorité de ce dernier. Et lui promet un candidat du FPI « à sa taille » dans cinq ans, s'il parvient à reconstituer une opposition républicaine.
RFI : Pourquoi êtes-vous allé à la cérémonie d’investiture d’Alassane Ouattara samedi dernier ?
Mamadou Koulibaly : Par devoir républicain. La Côte d’Ivoire s’est donné un président de la République et en tant que président de l’Assemblée nationale, je devais y être.
Est-ce que ça veut dire que vous, personnellement, reconnaissez Alassane Ouattara comme le président de Côte d’Ivoire ?
Oui et ça ne date pas d’aujourd’hui. J’ai déjà signé pour le compte du Front populaire ivoirien une déclaration qui le disait.
A quel moment avez-vous compris que Laurent Gbagbo avait perdu l’élection ?
Après la décision du panel. Le panel ayant conclu que le vainqueur était Ouattara, il fallait que tous les partisans de Gbagbo se rendent compte de l’évidence, que Ouattara était président.
C’est le sommet du 10 mars à Addis-Abeba. A ce moment-là, vous vous êtes dit, c’est fini ?
Je n’ai pas les dates exactes, mais c’est cela.
Au premier tour, Laurent Gbagbo est arrivé premier avec six points d’avance sur Alassane Ouattara. A ce moment-là, est-ce qu’il pouvait encore gagner ?
Oui, il était encore possible de gagner. Si nous avions eu un discours plus rassembleur, si nous ne nous étions pas focalisés sur les discours qui divisent, qui affaiblissent, c’était un moment clé.
Et le FPI (le Front populaire ivoirien) n’a pas su obtenir le ralliement du PDCI (l’ancien parti unique) de Henri Konan Bédié ?
Pas du PDCI, mais de l’électorat du PDCI. Mauvaise stratégie.
On a souvent dit que Laurent Gbagbo était un boulanger, qu’il roulait ses adversaires dans la farine, mais ne s’est-il pas laissé rouler lui-même dans la farine par Guillaume Soro ?
Nous sommes obligés de le constater. Je me suis battu pour que Laurent Gbagbo gagne.
Nous avons perdu et on ne va pas pleurer éternellement.
L’échec du FPI, est-ce que ce n’est pas aussi l’échec d’une expérience socialiste en Afrique de l’Ouest ?
Est-ce qu’elle était vraiment socialiste ? Est-ce que nous avons vraiment appliqué notre programme de gouvernement ou est-ce que nous avons fait autre chose ? Je me pose des questions.
Et est-ce que, au cours de ces dix dernières années, votre parti n’a pas fonctionné en double-commande, c’est-à-dire une direction officielle et disons un cabinet plus secret ?
Oui, disons que nous sommes tombés dans le piège des partis qui accèdent au pouvoir et qui se laissent entraîner par l’ivresse du pouvoir. C’est vrai. La personnalité de Laurent Gbagbo était telle que bien qu’ayant cédé le fauteuil de président du FPI à Pascal Affi N'guessan et même s'il ne décidait pas directement des choses, chaque fois que nous avions des décisions importantes à prendre pour le parti, nous lui posions la question d’abord de savoir si cette décision ne gênait pas sa politique générale.
Le rôle de l’armée française dans la chute de Laurent Gbagbo, ça vous choque ?
Non, c’était dans la logique des choses. A partir du moment où nous avions signé l’accord politique de Ouagadougou, il était évident que les choses allaient se terminer de cette façon-là.
Donc, vous ne dites pas comme certains partisans de Laurent Gbagbo qu’on assiste à une recolonisation de la Côte d’Ivoire ?
Non, on assiste à une remise en ordre de la Côte d’Ivoire là où nous, FPI, avons été incapables. On aurait eu notre gouvernement à nous, on aurait peut-être mieux géré la situation, il n’y aurait pas eu de rébellion et on n’en serait pas là aujourd’hui. Mais dans le gouvernement mélangé, on a pensé que tout baignait dans l’huile. Or, l’adversaire nous attendait au tournant. Et on a été victime de notre grande naïveté.
Le maintien d’une base militaire française à Port-Bouët à Abidjan, comme l’a annoncé Nicolas Sarkozy, le président français, et comme l’a confirmé Alassane Ouattara, qu’est-ce que vous en pensez ?
De mon point de vue, il n’est pas admissible qu’aujourd’hui encore, les choses se passent entre Paris et Abidjan comme elles se sont passées en 45-46 ou en 1960. L’assistance permanente de la France en matière monétaire, financière, politique, est de nature à infantiliser ces Etats. Mais pour moi, ce n’est qu’une période passagère. Le moment viendra où les mêmes Etats responsables s’assiéront autour d’une table pour renégocier et signer d’autres accords.
Quelle est la dernière fois où vous avez parlé avec Laurent Gbagbo ?
Le lendemain du jour où Pascal Affi N'guessan est rentré d’Addis-Abeba avec les conclusions du panel. Nous nous sommes rencontrés et on a parlé de ces conclusions-là.
Et là, vous avez peut-être dit à Laurent Gbagbo, « c’est fichu », non ?
Il le pensait lui aussi. Et puis, nous nous sommes dit qu’il fallait réfléchir pour savoir quelle attitude adopter. Et depuis, je n’ai plus eu de nouvelles.
Mais lui avez-vous conseillé, à ce moment-là, de renoncer et de reconnaître la victoire de son adversaire ?
Je garde ça pour moi.
Et depuis, plus aucun contact ?
Par la suite, je suis allé à Accra (Ghana) jusqu’au 11 avril.
Quand vous lui avez dit cela, il n’a pas dû apprécier ?
Quand je lui ai dit quoi ? (rires). Quand j’ai eu des démarches auprès des principaux responsables politiques, je me faisais taper dessus de part et d’autre. J’ai préféré m’installer à Accra et attendre la fin pour revenir lorsque l’accalmie serait arrivée ou lorsqu’ils auraient conclu leur jeu.
Est-ce que vous avez été menacé par les durs du régime de Laurent Gbagbo?
De part et d’autre. Les dieux des deux camps. Ce n’est pas facile de se tenir au milieu avec des tirs croisés de part et d’autre.
Avez-vous tenté une médiation dans le courant du mois de mars ?
Même avant le mois de mars, tout début décembre. Nous n’étions encore qu’à dix ou quinze morts. Justement après l’investiture du président Gbagbo, j’ai suggéré cette idée aux deux camps, comme ça se passe en Afrique en général : lorsqu’il y a une crise post-électorale et que l'on est à cinq cents, six cents morts, on utilise ces morts comme moyen de pression pour rapprocher les camps et aller vers un gouvernement d’union. Des amis à moi ont contacté les cadres autour de Ouattara et Ouattara nous a reçus à l’hôtel du Golf. Nous y sommes allés nuitamment…
Secrètement ?
Secrètement et je lui ai demandé si ce ne serait pas bien que Gbagbo et lui se rencontrent secrètement, se parlent pour éviter à la Côte d’Ivoire le chaos. On était dans un jeu de bras de fer. Personne ne m’a vraiment écouté.
Que pensez-vous des camarades FPI qui sont exilés aujourd’hui, notamment au Ghana, et qui rêvent de revanche ?
J’en ai rencontré très peu qui rêvent de revanche. Je les ai vus arriver presque tous. Nous n’avons pas beaucoup de contacts physiques mais nous nous parlons au téléphone. Tous ne rêvent que d’une chose, revenir rapidement en Côte d’Ivoire. Et ils ont une peur, la peur de se faire arrêter ou de se faire tuer. Ils sont désargentés avec leur famille, des enfants qui ne vont pas à l’école, mais ils n’ont pas l’intention de revanche ou d’un coup d’Etat.
Avez-vous des nouvelles de Charles Blé Goudé ?
Non, aucune nouvelle.
Demain, si Alassane Ouattara vous demande d’entrer dans un gouvernement d’union nationale. Qu’est-ce que vous répondrez ?
Si j’arrive à organiser, avec l’appui du secrétaire général du FPI, une réunion du comité central du FPI et si ce comité central décide que nous devons répondre positivement à l’invitation du président de la République à entrer au gouvernement, j’aviserai. Mais ma propre position, c’est que l’Afrique n’a pas besoin de gouvernement d’union. Et lorsque l’on va aux élections et qu’il y en a un qui gagne, ma philosophie c’est qu’il prenne l’entièreté du pouvoir, qu’il l’assume complètement pendant la durée de son mandat.
Est-ce qu’exceptionnellement, vu la crise, la guerre qui s’est produite, il ne faut pas faire un geste de réconciliation et faire entrer dans un gouvernement les principaux partis du pays ?
C’est le raisonnement que nous avons tenu en 2000 quand Laurent Gbagbo a gagné les élections. Ça s’est terminé par une guerre. Aujourd’hui, si l’on veut aller à la réconciliation, le gouvernement d’union n’est pas forcément la solution. Il faut déjà renoncer à la vengeance justicière et permettre que l’opposition s’organise et que l’opposition ait le droit d’exister. En étant dans l’opposition, nous pouvons contribuer à la réconciliation.
Il faut renoncer à la vengeance justicière ? Est-ce que vous voulez dire qu’il faut libérer Laurent Gbagbo ?
Je pense qu’on peut lui reprocher tout ce qu’on veut, mais il faut reconnaître qu’il n’est pas le seul à avoir commis toutes les fautes. Je ne dis pas au président de la République Ouattara de ne pas faire la justice, mais je dis qu’un bon geste de réconciliation serait aussi de montrer qu’il est capable de pardonner à Gbagbo et à tous les militants de son parti qui sont en ce moment incarcérés à la Pergola, à Odienné, à Korhogo. Se venger n’est pas forcément bon signe.
Est-ce que la libération de Laurent Gbagbo et tous vos anciens camarades qui sont en résidence surveillée est votre priorité ?
Non, le FPI n’est pas en mesure aujourd’hui de poser des préalables. Ce n’est pas la priorité.
Mais si vous ne pouvez pas juger tous les criminels, alors pourquoi ne pas renoncer à cette vengeance et établir un processus qui libérera tout le monde, mais en donnant quand même des leçons à tout le monde. Ou bien vous prenez tout le monde, ou bien vous ne faites rien.
Et si vous faites les choses à moitié, ce serait créer des injustices et cela peut être source de nouvelles haines et de nouvelles frustrations qui sont des moteurs très puissants d’instabilité politique, surtout en Afrique.
Est-ce que vous ne dites pas ça aussi parce qu’actuellement le FPI est décapité et que vous n’êtes peut-être pas en mesure de réunir un comité central parce qu’il y a trop de monde en prison ?
Oui, c’est possible. Décapité et surtout apeuré. Les cadres et les militants qui sont à l’étranger ne sont pas chauds pour revenir maintenant, ils ont peur. Ceux qui sont à Abidjan n’osent pas sortir. Et puis, les cadres ne comprennent pas toujours pourquoi certaines personnes sont harcelées et d’autres pas. Quels sont les critères qui permettent d’arrêter un tel plutôt que tel autre. Et lorsque des réunions sont prévues, de très nombreux cadres militants promettent de venir. Mais aux heures de réunion, on ne les voit pas. Ils me disent tous, est-ce que Mamadou, tu nous garantis la sécurité ? Je leur dis que je suis incapable puisque le ministre de l’Intérieur lui-même me dit que pour le moment, il doit avouer qu’il ne maîtrise pas complètement tous ceux qui sont en ville.
Est-ce que le FPI est mort ou est-ce qu’il pourra revenir au pouvoir un jour?
Le FPI n’est pas mort. Le FPI est très affaibli.
Vous vous donnez combien de temps dans l’opposition. Cinq ans ? Dix ans ? Peut-être plus ?
A court terme, cinq ans. C’est quasiment sûr que les législatives à venir vont être catastrophiques pour nous, mais je pense que dans cinq ans, le président Ouattara trouvera en face de lui un candidat FPI de taille.
Vous êtes président par intérim. Etes-vous prêt à devenir le président du nouveau FPI ?
Le président du FPI est pour le moment incarcéré. Je me bats pour qu’il puisse retrouver la liberté et c’est le congrès qui décidera. Ça ne fait pas partie de mes plans à moyen et long terme pour le moment.
Si le prochain congrès du FPI vous demande de prendre la présidence du parti, est-ce que vous irez ?
Oui, j’irai si le congrès le demande et si je suis candidat, mais ce n’est pas encore dans mes priorités. La priorité, c’est d’abord de reconstituer cette opposition républicaine face à Ouattara. Il n’est pas question que l’on retombe dans un régime de parti unique. Si dans cette dynamique, je réussissais, alors Ouattara pourrait avoir en face de lui une bonne opposition et ce serait ma contribution à la réconciliation. Mais si j’échouais sur ce terrain, que le FPI disparaissait, alors monsieur Ouattara aurait en face des factions dispersées sur l’ensemble du territoire et organisées n’importe comment, qui lui rendraient la vie très difficile. Et cela n’est pas souhaitable.
Il y a des velléités au sein du RHDP (Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix) de pérenniser la structure RHDP, donc concrètement que le RDR rejoigne « la maison mère », le PDCI. Est-ce que vous ne craignez pas que votre pays, la Côte d’Ivoire, se retrouve en fait avec un RHDP qui règne en maître ?
Le risque existe. On se retrouverait dans les partis uniques et les partis uniques vivent dans la peur permanente d’un coup d’Etat, d’un assassinat, d’une instabilité. Et je ne pense pas qu’ils en aient besoin. Par contre, s’ils arrivent à s’organiser pour reconstituer l’ancienne famille PDCI d’Houphouët et, sans nous embastiller, sans bloquer nos comptes, sans nous tuer, s’ils nous permettraient d’organiser nous aussi le CNRD en face un grand mouvement d’opposition, on irait vers un bipartisme en Côte d’Ivoire. Un grand parti au pouvoir et un grand parti d’opposition. C’est possible, c’est jouable. Et c’est dans ce sens-là que j’aimerais bien, avec quelques amis, le secrétaire général, pouvoir travailler. Créer en face du RHDP, un grand mouvement politique d’opposition.
Source: RFI
RFI : Pourquoi êtes-vous allé à la cérémonie d’investiture d’Alassane Ouattara samedi dernier ?
Mamadou Koulibaly : Par devoir républicain. La Côte d’Ivoire s’est donné un président de la République et en tant que président de l’Assemblée nationale, je devais y être.
Est-ce que ça veut dire que vous, personnellement, reconnaissez Alassane Ouattara comme le président de Côte d’Ivoire ?
Oui et ça ne date pas d’aujourd’hui. J’ai déjà signé pour le compte du Front populaire ivoirien une déclaration qui le disait.
A quel moment avez-vous compris que Laurent Gbagbo avait perdu l’élection ?
Après la décision du panel. Le panel ayant conclu que le vainqueur était Ouattara, il fallait que tous les partisans de Gbagbo se rendent compte de l’évidence, que Ouattara était président.
C’est le sommet du 10 mars à Addis-Abeba. A ce moment-là, vous vous êtes dit, c’est fini ?
Je n’ai pas les dates exactes, mais c’est cela.
Au premier tour, Laurent Gbagbo est arrivé premier avec six points d’avance sur Alassane Ouattara. A ce moment-là, est-ce qu’il pouvait encore gagner ?
Oui, il était encore possible de gagner. Si nous avions eu un discours plus rassembleur, si nous ne nous étions pas focalisés sur les discours qui divisent, qui affaiblissent, c’était un moment clé.
Et le FPI (le Front populaire ivoirien) n’a pas su obtenir le ralliement du PDCI (l’ancien parti unique) de Henri Konan Bédié ?
Pas du PDCI, mais de l’électorat du PDCI. Mauvaise stratégie.
On a souvent dit que Laurent Gbagbo était un boulanger, qu’il roulait ses adversaires dans la farine, mais ne s’est-il pas laissé rouler lui-même dans la farine par Guillaume Soro ?
Nous sommes obligés de le constater. Je me suis battu pour que Laurent Gbagbo gagne.
Nous avons perdu et on ne va pas pleurer éternellement.
L’échec du FPI, est-ce que ce n’est pas aussi l’échec d’une expérience socialiste en Afrique de l’Ouest ?
Est-ce qu’elle était vraiment socialiste ? Est-ce que nous avons vraiment appliqué notre programme de gouvernement ou est-ce que nous avons fait autre chose ? Je me pose des questions.
Et est-ce que, au cours de ces dix dernières années, votre parti n’a pas fonctionné en double-commande, c’est-à-dire une direction officielle et disons un cabinet plus secret ?
Oui, disons que nous sommes tombés dans le piège des partis qui accèdent au pouvoir et qui se laissent entraîner par l’ivresse du pouvoir. C’est vrai. La personnalité de Laurent Gbagbo était telle que bien qu’ayant cédé le fauteuil de président du FPI à Pascal Affi N'guessan et même s'il ne décidait pas directement des choses, chaque fois que nous avions des décisions importantes à prendre pour le parti, nous lui posions la question d’abord de savoir si cette décision ne gênait pas sa politique générale.
Le rôle de l’armée française dans la chute de Laurent Gbagbo, ça vous choque ?
Non, c’était dans la logique des choses. A partir du moment où nous avions signé l’accord politique de Ouagadougou, il était évident que les choses allaient se terminer de cette façon-là.
Donc, vous ne dites pas comme certains partisans de Laurent Gbagbo qu’on assiste à une recolonisation de la Côte d’Ivoire ?
Non, on assiste à une remise en ordre de la Côte d’Ivoire là où nous, FPI, avons été incapables. On aurait eu notre gouvernement à nous, on aurait peut-être mieux géré la situation, il n’y aurait pas eu de rébellion et on n’en serait pas là aujourd’hui. Mais dans le gouvernement mélangé, on a pensé que tout baignait dans l’huile. Or, l’adversaire nous attendait au tournant. Et on a été victime de notre grande naïveté.
Le maintien d’une base militaire française à Port-Bouët à Abidjan, comme l’a annoncé Nicolas Sarkozy, le président français, et comme l’a confirmé Alassane Ouattara, qu’est-ce que vous en pensez ?
De mon point de vue, il n’est pas admissible qu’aujourd’hui encore, les choses se passent entre Paris et Abidjan comme elles se sont passées en 45-46 ou en 1960. L’assistance permanente de la France en matière monétaire, financière, politique, est de nature à infantiliser ces Etats. Mais pour moi, ce n’est qu’une période passagère. Le moment viendra où les mêmes Etats responsables s’assiéront autour d’une table pour renégocier et signer d’autres accords.
Quelle est la dernière fois où vous avez parlé avec Laurent Gbagbo ?
Le lendemain du jour où Pascal Affi N'guessan est rentré d’Addis-Abeba avec les conclusions du panel. Nous nous sommes rencontrés et on a parlé de ces conclusions-là.
Et là, vous avez peut-être dit à Laurent Gbagbo, « c’est fichu », non ?
Il le pensait lui aussi. Et puis, nous nous sommes dit qu’il fallait réfléchir pour savoir quelle attitude adopter. Et depuis, je n’ai plus eu de nouvelles.
Mais lui avez-vous conseillé, à ce moment-là, de renoncer et de reconnaître la victoire de son adversaire ?
Je garde ça pour moi.
Et depuis, plus aucun contact ?
Par la suite, je suis allé à Accra (Ghana) jusqu’au 11 avril.
Quand vous lui avez dit cela, il n’a pas dû apprécier ?
Quand je lui ai dit quoi ? (rires). Quand j’ai eu des démarches auprès des principaux responsables politiques, je me faisais taper dessus de part et d’autre. J’ai préféré m’installer à Accra et attendre la fin pour revenir lorsque l’accalmie serait arrivée ou lorsqu’ils auraient conclu leur jeu.
Est-ce que vous avez été menacé par les durs du régime de Laurent Gbagbo?
De part et d’autre. Les dieux des deux camps. Ce n’est pas facile de se tenir au milieu avec des tirs croisés de part et d’autre.
Avez-vous tenté une médiation dans le courant du mois de mars ?
Même avant le mois de mars, tout début décembre. Nous n’étions encore qu’à dix ou quinze morts. Justement après l’investiture du président Gbagbo, j’ai suggéré cette idée aux deux camps, comme ça se passe en Afrique en général : lorsqu’il y a une crise post-électorale et que l'on est à cinq cents, six cents morts, on utilise ces morts comme moyen de pression pour rapprocher les camps et aller vers un gouvernement d’union. Des amis à moi ont contacté les cadres autour de Ouattara et Ouattara nous a reçus à l’hôtel du Golf. Nous y sommes allés nuitamment…
Secrètement ?
Secrètement et je lui ai demandé si ce ne serait pas bien que Gbagbo et lui se rencontrent secrètement, se parlent pour éviter à la Côte d’Ivoire le chaos. On était dans un jeu de bras de fer. Personne ne m’a vraiment écouté.
Que pensez-vous des camarades FPI qui sont exilés aujourd’hui, notamment au Ghana, et qui rêvent de revanche ?
J’en ai rencontré très peu qui rêvent de revanche. Je les ai vus arriver presque tous. Nous n’avons pas beaucoup de contacts physiques mais nous nous parlons au téléphone. Tous ne rêvent que d’une chose, revenir rapidement en Côte d’Ivoire. Et ils ont une peur, la peur de se faire arrêter ou de se faire tuer. Ils sont désargentés avec leur famille, des enfants qui ne vont pas à l’école, mais ils n’ont pas l’intention de revanche ou d’un coup d’Etat.
Avez-vous des nouvelles de Charles Blé Goudé ?
Non, aucune nouvelle.
Demain, si Alassane Ouattara vous demande d’entrer dans un gouvernement d’union nationale. Qu’est-ce que vous répondrez ?
Si j’arrive à organiser, avec l’appui du secrétaire général du FPI, une réunion du comité central du FPI et si ce comité central décide que nous devons répondre positivement à l’invitation du président de la République à entrer au gouvernement, j’aviserai. Mais ma propre position, c’est que l’Afrique n’a pas besoin de gouvernement d’union. Et lorsque l’on va aux élections et qu’il y en a un qui gagne, ma philosophie c’est qu’il prenne l’entièreté du pouvoir, qu’il l’assume complètement pendant la durée de son mandat.
Est-ce qu’exceptionnellement, vu la crise, la guerre qui s’est produite, il ne faut pas faire un geste de réconciliation et faire entrer dans un gouvernement les principaux partis du pays ?
C’est le raisonnement que nous avons tenu en 2000 quand Laurent Gbagbo a gagné les élections. Ça s’est terminé par une guerre. Aujourd’hui, si l’on veut aller à la réconciliation, le gouvernement d’union n’est pas forcément la solution. Il faut déjà renoncer à la vengeance justicière et permettre que l’opposition s’organise et que l’opposition ait le droit d’exister. En étant dans l’opposition, nous pouvons contribuer à la réconciliation.
Il faut renoncer à la vengeance justicière ? Est-ce que vous voulez dire qu’il faut libérer Laurent Gbagbo ?
Je pense qu’on peut lui reprocher tout ce qu’on veut, mais il faut reconnaître qu’il n’est pas le seul à avoir commis toutes les fautes. Je ne dis pas au président de la République Ouattara de ne pas faire la justice, mais je dis qu’un bon geste de réconciliation serait aussi de montrer qu’il est capable de pardonner à Gbagbo et à tous les militants de son parti qui sont en ce moment incarcérés à la Pergola, à Odienné, à Korhogo. Se venger n’est pas forcément bon signe.
Est-ce que la libération de Laurent Gbagbo et tous vos anciens camarades qui sont en résidence surveillée est votre priorité ?
Non, le FPI n’est pas en mesure aujourd’hui de poser des préalables. Ce n’est pas la priorité.
Mais si vous ne pouvez pas juger tous les criminels, alors pourquoi ne pas renoncer à cette vengeance et établir un processus qui libérera tout le monde, mais en donnant quand même des leçons à tout le monde. Ou bien vous prenez tout le monde, ou bien vous ne faites rien.
Et si vous faites les choses à moitié, ce serait créer des injustices et cela peut être source de nouvelles haines et de nouvelles frustrations qui sont des moteurs très puissants d’instabilité politique, surtout en Afrique.
Est-ce que vous ne dites pas ça aussi parce qu’actuellement le FPI est décapité et que vous n’êtes peut-être pas en mesure de réunir un comité central parce qu’il y a trop de monde en prison ?
Oui, c’est possible. Décapité et surtout apeuré. Les cadres et les militants qui sont à l’étranger ne sont pas chauds pour revenir maintenant, ils ont peur. Ceux qui sont à Abidjan n’osent pas sortir. Et puis, les cadres ne comprennent pas toujours pourquoi certaines personnes sont harcelées et d’autres pas. Quels sont les critères qui permettent d’arrêter un tel plutôt que tel autre. Et lorsque des réunions sont prévues, de très nombreux cadres militants promettent de venir. Mais aux heures de réunion, on ne les voit pas. Ils me disent tous, est-ce que Mamadou, tu nous garantis la sécurité ? Je leur dis que je suis incapable puisque le ministre de l’Intérieur lui-même me dit que pour le moment, il doit avouer qu’il ne maîtrise pas complètement tous ceux qui sont en ville.
Est-ce que le FPI est mort ou est-ce qu’il pourra revenir au pouvoir un jour?
Le FPI n’est pas mort. Le FPI est très affaibli.
Vous vous donnez combien de temps dans l’opposition. Cinq ans ? Dix ans ? Peut-être plus ?
A court terme, cinq ans. C’est quasiment sûr que les législatives à venir vont être catastrophiques pour nous, mais je pense que dans cinq ans, le président Ouattara trouvera en face de lui un candidat FPI de taille.
Vous êtes président par intérim. Etes-vous prêt à devenir le président du nouveau FPI ?
Le président du FPI est pour le moment incarcéré. Je me bats pour qu’il puisse retrouver la liberté et c’est le congrès qui décidera. Ça ne fait pas partie de mes plans à moyen et long terme pour le moment.
Si le prochain congrès du FPI vous demande de prendre la présidence du parti, est-ce que vous irez ?
Oui, j’irai si le congrès le demande et si je suis candidat, mais ce n’est pas encore dans mes priorités. La priorité, c’est d’abord de reconstituer cette opposition républicaine face à Ouattara. Il n’est pas question que l’on retombe dans un régime de parti unique. Si dans cette dynamique, je réussissais, alors Ouattara pourrait avoir en face de lui une bonne opposition et ce serait ma contribution à la réconciliation. Mais si j’échouais sur ce terrain, que le FPI disparaissait, alors monsieur Ouattara aurait en face des factions dispersées sur l’ensemble du territoire et organisées n’importe comment, qui lui rendraient la vie très difficile. Et cela n’est pas souhaitable.
Il y a des velléités au sein du RHDP (Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix) de pérenniser la structure RHDP, donc concrètement que le RDR rejoigne « la maison mère », le PDCI. Est-ce que vous ne craignez pas que votre pays, la Côte d’Ivoire, se retrouve en fait avec un RHDP qui règne en maître ?
Le risque existe. On se retrouverait dans les partis uniques et les partis uniques vivent dans la peur permanente d’un coup d’Etat, d’un assassinat, d’une instabilité. Et je ne pense pas qu’ils en aient besoin. Par contre, s’ils arrivent à s’organiser pour reconstituer l’ancienne famille PDCI d’Houphouët et, sans nous embastiller, sans bloquer nos comptes, sans nous tuer, s’ils nous permettraient d’organiser nous aussi le CNRD en face un grand mouvement d’opposition, on irait vers un bipartisme en Côte d’Ivoire. Un grand parti au pouvoir et un grand parti d’opposition. C’est possible, c’est jouable. Et c’est dans ce sens-là que j’aimerais bien, avec quelques amis, le secrétaire général, pouvoir travailler. Créer en face du RHDP, un grand mouvement politique d’opposition.
Source: RFI