Il revient de Korhogo où il a auditionné le général Dogbo Blé et les militaires incarcérés dans la cité du Poro. Le commissaire du gouvernement, Ange Bernard Régis Kessi Kouamé se prononce aussi sur une question que les Ivoiriens se posent. A savoir pourquoi certains militaires sont en prison tandis que les généraux qui ont donné les ordres sont en liberté.
Le Patriote : Monsieur le Commissaire du gouvernement, vous rentrez d’un voyage à Korhogo où vous avez auditionné le général Dogbo Blé et les militaires détenus dans cette ville, les choses se sont-elles bien passées?
Ange Kessi : Oui les choses se sont très bien passées. Nous avons, l’équipe d’enquêteurs et moi-même, été bien accueillis par les responsables militaires de la zone. A commencer par le commandant Fofié qui savait que nous arrivions.
LP: Combien de militaires sont-ils?
AK: Ils sont une bonne vingtaine au total.
LP: Ont-ils le moral?
AK: Oui ils ont le moral. Pour la petite histoire, lorsque nous voulions auditionner le général Dogbo Blé, il venait juste de l’être par le procureur. Nous lui avons demandé de repasser le lendemain, car il devrait être fatigué. Il nous a répondu qu’il n’y avait pas de problème et qu’il était à notre disposition. Nous l’avons donc auditionné jusqu’à 19 heures alors qu’il venait de passer six heures avec le procureur.
LP: Que reproche-t-on au juste à Dogbo Blé.
AK: Il lui est reproché d’être mêlé à bien des affaires. Par exemple la disparition des Français, le massacre des femmes à Abobo, la découverte d’armes au Palais présidentiel, l’achat d’armes et bien d’autres.
LP: Si la justice reconnaissait le général Dogbo Blé coupable des faits qui lui sont reprochés. Quelles peines encourrait-il?
AK: Il est trop tôt de parler de peine. Je voudrais préciser que, jusqu’à ce la justice fasse son travail, Dogbo Blé est un citoyen comme tout autre. Le président de la République et le Premier ministre n’en veulent pas à Dogbo Blé particulièrement. Il se trouve qu’il est cité dans des affaires. C’est pour cela qu’il est détenu. Cette précision est importante à faire.
LP: Vous avez lancé un appel à témoins aux victimes et leurs ayants droit à dénoncer les présumés auteurs de vol, viol tueries et autres délits. Ne craignez-vous pas des dénonciations calomnieuses?
AK: Nos enquêteurs sont aguerris et ne se laisseront pas abuser par les dénonciations calomnieuses. Nous avons aussi pris toutes les dispositions pour que ce genre de choses ne se produisent.
LP: Les ‘’auditions’’ auront lieu dans les commissariats de police et les brigades de gendarmeries. Quand on sait que la plupart d’entre eux sont détruits, comment vos enquêteurs vont-ils travailler?
AK: C’est une préoccupation. Mais il nous fallait, soit attendre leur réhabilitation, soit nous mettre au travail dans les conditions que vous venez de décrire. Nous avons choisi la seconde voie. Parce que le pays traverse une situation difficile.
LP: Le président de la République a fait de la justice, sa priorité. Si dans les dénonciations, les FRCI sont accusées par des victimes, quel sera leur sort?
AK: Le cas des FRCI est délicat. Beaucoup sont militaires. Mais il y en a qui ne le sont pas.
C’est pour cela qu’il faut faire beaucoup attention les concernant. Le procureur et moi nous travaillons dans ce sens. Vous avez parmi eux, certains qui ne sont pas encore militaires et qui font partie du groupe. Tous les chefs sont des militaires. Il faut donc que nous fassions beaucoup attention à cela. Il y a ceux qui sont issus des Ex-Forces nouvelles qui sont militaires que nous connaissons très bien. Quant à certains qui ont intégré un peu plus tard le groupe, je vais recevoir les instructions du directeur de cabinet du ministre de la Défense pour savoir si le tribunal militaire est compétent ou pas. Mais pour l’instant le procureur et moi nous travaillons en symbiose. Ce qui m’intéresse, c’est de faire des enquêtes. Et ensuite, déterminer qui est compétent ou pas.
LP: vous êtes procureur militaire, chaque fois que le pays traverse une crise où sont mêlés ceux qu’on appelle les ‘’corps habillés’’ vous êtes au devant de l’actualité. Comment vos frères d’armes vous perçoivent t-ils. Comme un censeur?
A.K: Permettez-moi de ne pas répondre à cette question. Je pense que seuls les frères d’armes peuvent répondre à cette question. Je n’ai pas l’habitude de me juger moi-même. Je souhaiterais que les Ivoiriens se prononcent sur ma mission. Est-ce que je la fais bien ou je la fais mal. Concernant les frères d’armes, il y en a qui, franchement, s’adonnent à des pratiques peu recommandables, surtout le racket. Je sais par contre que mes jeunes frères, surtout ceux qui sont dans le transport, notamment les chauffeurs de ‘’gbaka’’, m’aiment beaucoup. Ils m’appellent très souvent. Pendant la crise, beaucoup m’ont appelé pour savoir si je vais bien. Par contre, je ne suis pas du tout adulé par les ripoux qui sont sur la route et qui rackettent.
LP : On voit en liberté les principaux généraux, comme les généraux Mangou, Kassaraté, Guai Bi Poin qui sont les commandants des militaires incarcérés. Eux sont en liberté.
Pourquoi deux poids deux mesures?
A.K : D’abord, il faut dire que ce n’est pas tous les généraux qui sont en liberté. Il y en a parmi eux qui sont entendus dans le cadre de l’enquête. Concernant la détention de certains que vous estimez avoir exécuté des ordres de leurs chefs qui sont en liberté, je tiens à vous dire que l’enquête lancée sous l’impulsion du Premier ministre va nous enrichir d’un concept juridique important. A chaque fois que nous avons des enquêteurs, je leur demande de se replonger dans le précepte de cette notion que nous appelons ‘’l’ordre manifestement illégal’’.
D’abord, la responsabilité du chef et puis l’ordre manifestement illégal. C’est quoi l’ordre manifestement illégal? Quelqu’un a dit ‘’quand on vous envoie, sachez vous envoyer’’. Ça, c’est le terme littéraire de l’ordre manifestement illégal. Si un chef vous envoie, il vous donne un ordre. Sur les lieux, vous devez savoir s’il y a des conséquences illégales dans l’exécution de l’ordre qu’il vous a donné. Par exemple, on vous demande d’entrer dans une maison pour faire un ratissage. Vous arrivez dans cette maison et vous tuez des personnes qui ne sont pas en armes. Ce n’est pas votre chef qui vous a dit de tuer quelqu’un qui a jeté son arme et levé les mains. C’est vous qui devez savoir que quand on vous envoie, vous devez appliquer la loi de la guerre. Lorsqu’un combattant jette son arme et lève la main, si vous tirez sur lui, vous avez commis un crime de guerre. Si vous arrivez dans une maison où vous ratissez et que vous trouvez une femme qui ne combat pas, si vous la violez ou si vous la tuez, cela constitue un crime de guerre. Donc votre chef qui vous a envoyé, ce n’est pas lui qu’on va poursuivre. Même si votre chef vous donne l’ordre de tuer quelqu’un qui ne combat pas, si vous le faites, vous avez commis l’ordre manifestement illégal. Mais s’il s’agit d’une femme qui est combattante et que vous la tuez, ce n’est pas un crime de guerre. On peut désarmer une femme qui combat mais pas la violer. Car la violer n’apporte rien à la victoire. C’est pour cela que violer une femme dans tous les cas, constitue un crime de guerre.
LP: Est-ce que ce n’est pas un peu trop facile pour les chefs de se cacher derrière cette notion dite d’acte manifestement illégal ?
AK : Evidemment, lorsque nous les avons interrogés, ils ont dit que ce ne sont pas eux qui leur ont dit de faire ce qu’ils ont fait. On sait par contre, que ce sont les éléments qui ont commis l’acte. C’est pour cela qu’il faut faire attention pour ceux qui sont sur le terrain. Ils doivent faire beaucoup attention parce qu’après, ne dites pas que ce sont vos chefs qui vous ont dit de faire telle chose. A leur tour, ils diront que ce ne sont pas eux qui vous ont donné ces ordres. Parce que nous n’avons pas la preuve qu’ils vous ont donné cet ordre. Je voudrais insister là-dessus. Nous n’avons pas la preuve qu’ils vous ont donné cet ordre.
Quand vous êtes sur le terrain, il faut faire beaucoup attention. C’est le juriste qui vous parle, ce n’est pas le commissaire du gouvernement. Moi, je ne donne pas de conseil, je punis.
LP : Et s’il insiste et vous dit, ‘’c’est un ordre’’, avez-vous le choix?
AK : S’il insiste, demandez à ce qu’il le fasse par écrit. Maintenant, si c’est un ordre qui est manifestement illégal vous ne l’exécutez pas. Il va peut être vous punir, mais s’il le fait, vous portez plainte contre lui pour abus de pouvoir ou d’autorité.
LP: Monsieur le commissaire du gouvernement, n’êtes-vous en train d’inciter les éléments à désobéir à leur hiérarchie ?
AK: Pas du tout. Ça ne veut pas dire non plus qu’ils doivent désobéir aux ordres. Un ordre manifestement illégal n’est pas à exécuter. C’est pour cela que la loi a dit ‘’manifestement illégal’’. On n’a pas besoin d’aller à l’école pour savoir que cet ordre, on ne doit pas l’exécuter.
Je vous ai donné l’exemple de la femme violée tout à l’heure. Le fait qu’elle soit violée n’apporte rien au combat. je pense que nos chefs ont compris cela.
LP: Lesquels?
AK : Je parle de Chérif et Wattao qui, avec leur comportement, ont sauvé beaucoup de personnes. Nous avons des rapports sur Sherif, Wattao, et Vetcho qui ont sauvé beaucoup de personnes. Parce que ces personnes étaient désarmées et pour cela, je leur dis ‘’merci’’ en respectant le principe de ne pas exécuter n’importe quel ordre.
LP: Monsieur le commissaire du gouvernement, vous avez beaucoup insisté sur la volonté du Président de la République et du Premier ministre, ministre de la Défense sur la réconciliation, vous-même, comment la percevez-vous cette réconciliation?
AK: Avant d’être procureur, je suis ivoirien. J’ai mes sentiments personnels qui sont que la Côte d’Ivoire doit aller de l’avant. Comme l’ont dit le Premier ministre et le Président de la République, il faut que nous nous réconciliions pour que nous avancions. Et cette réconciliation est en bonne voie. Les ingrédients de cette réconciliation sont la justice et la mise en place de la commission nationale de réconciliation et aussi l’appel du Président à éviter la chasse aux sorcières, sans oublier la lutte contre le racket. Toutes ces mesures que prend le président de la République contribuent à une vraie réconciliation. Il faut que les Ivoiriens sachent que nous devons tourner la page. Il y a un avenir radieux qui nous attend sous l’impulsion du Président de la République et du Premier ministre. Il faut que nous saisissions l’occasion de rentrer dans cette dynamique de développement et qu’on oublie tout ce qui s’est passé. Avançons avec le Président et le Premier ministre. Il faut que nous nous attelions à travailler. Travaillons parce que seul le travail paye. Tous les Ivoiriens se rendent compte que tous les matins, les gens sont au travail à 7 heures. Alors que, avant les gens se rendaient au travail à partir de 9h et même plus. Maintenant, à partir de 7 h les voies sont ‘’bouchées’’. C’est un bon signe sous l’impulsion du nouveau Président de la République. Mais il faut concilier le besoin de réconciliation et la nécessité de connaitre la justice. C’est ça le travail du procureur. Nous ne devons pas ignorer qu’aller à la réconciliation ne veut pas dire soutenir l’impunité. C’est la nécessaire réconciliation et le besoin de connaitre la justice qui fait du procureur, un homme qui doit être au centre de cette dynamique.
Entretien réalisé par Yves M-ABIET
Collaboration Zana Coulibaly
Le Patriote : Monsieur le Commissaire du gouvernement, vous rentrez d’un voyage à Korhogo où vous avez auditionné le général Dogbo Blé et les militaires détenus dans cette ville, les choses se sont-elles bien passées?
Ange Kessi : Oui les choses se sont très bien passées. Nous avons, l’équipe d’enquêteurs et moi-même, été bien accueillis par les responsables militaires de la zone. A commencer par le commandant Fofié qui savait que nous arrivions.
LP: Combien de militaires sont-ils?
AK: Ils sont une bonne vingtaine au total.
LP: Ont-ils le moral?
AK: Oui ils ont le moral. Pour la petite histoire, lorsque nous voulions auditionner le général Dogbo Blé, il venait juste de l’être par le procureur. Nous lui avons demandé de repasser le lendemain, car il devrait être fatigué. Il nous a répondu qu’il n’y avait pas de problème et qu’il était à notre disposition. Nous l’avons donc auditionné jusqu’à 19 heures alors qu’il venait de passer six heures avec le procureur.
LP: Que reproche-t-on au juste à Dogbo Blé.
AK: Il lui est reproché d’être mêlé à bien des affaires. Par exemple la disparition des Français, le massacre des femmes à Abobo, la découverte d’armes au Palais présidentiel, l’achat d’armes et bien d’autres.
LP: Si la justice reconnaissait le général Dogbo Blé coupable des faits qui lui sont reprochés. Quelles peines encourrait-il?
AK: Il est trop tôt de parler de peine. Je voudrais préciser que, jusqu’à ce la justice fasse son travail, Dogbo Blé est un citoyen comme tout autre. Le président de la République et le Premier ministre n’en veulent pas à Dogbo Blé particulièrement. Il se trouve qu’il est cité dans des affaires. C’est pour cela qu’il est détenu. Cette précision est importante à faire.
LP: Vous avez lancé un appel à témoins aux victimes et leurs ayants droit à dénoncer les présumés auteurs de vol, viol tueries et autres délits. Ne craignez-vous pas des dénonciations calomnieuses?
AK: Nos enquêteurs sont aguerris et ne se laisseront pas abuser par les dénonciations calomnieuses. Nous avons aussi pris toutes les dispositions pour que ce genre de choses ne se produisent.
LP: Les ‘’auditions’’ auront lieu dans les commissariats de police et les brigades de gendarmeries. Quand on sait que la plupart d’entre eux sont détruits, comment vos enquêteurs vont-ils travailler?
AK: C’est une préoccupation. Mais il nous fallait, soit attendre leur réhabilitation, soit nous mettre au travail dans les conditions que vous venez de décrire. Nous avons choisi la seconde voie. Parce que le pays traverse une situation difficile.
LP: Le président de la République a fait de la justice, sa priorité. Si dans les dénonciations, les FRCI sont accusées par des victimes, quel sera leur sort?
AK: Le cas des FRCI est délicat. Beaucoup sont militaires. Mais il y en a qui ne le sont pas.
C’est pour cela qu’il faut faire beaucoup attention les concernant. Le procureur et moi nous travaillons dans ce sens. Vous avez parmi eux, certains qui ne sont pas encore militaires et qui font partie du groupe. Tous les chefs sont des militaires. Il faut donc que nous fassions beaucoup attention à cela. Il y a ceux qui sont issus des Ex-Forces nouvelles qui sont militaires que nous connaissons très bien. Quant à certains qui ont intégré un peu plus tard le groupe, je vais recevoir les instructions du directeur de cabinet du ministre de la Défense pour savoir si le tribunal militaire est compétent ou pas. Mais pour l’instant le procureur et moi nous travaillons en symbiose. Ce qui m’intéresse, c’est de faire des enquêtes. Et ensuite, déterminer qui est compétent ou pas.
LP: vous êtes procureur militaire, chaque fois que le pays traverse une crise où sont mêlés ceux qu’on appelle les ‘’corps habillés’’ vous êtes au devant de l’actualité. Comment vos frères d’armes vous perçoivent t-ils. Comme un censeur?
A.K: Permettez-moi de ne pas répondre à cette question. Je pense que seuls les frères d’armes peuvent répondre à cette question. Je n’ai pas l’habitude de me juger moi-même. Je souhaiterais que les Ivoiriens se prononcent sur ma mission. Est-ce que je la fais bien ou je la fais mal. Concernant les frères d’armes, il y en a qui, franchement, s’adonnent à des pratiques peu recommandables, surtout le racket. Je sais par contre que mes jeunes frères, surtout ceux qui sont dans le transport, notamment les chauffeurs de ‘’gbaka’’, m’aiment beaucoup. Ils m’appellent très souvent. Pendant la crise, beaucoup m’ont appelé pour savoir si je vais bien. Par contre, je ne suis pas du tout adulé par les ripoux qui sont sur la route et qui rackettent.
LP : On voit en liberté les principaux généraux, comme les généraux Mangou, Kassaraté, Guai Bi Poin qui sont les commandants des militaires incarcérés. Eux sont en liberté.
Pourquoi deux poids deux mesures?
A.K : D’abord, il faut dire que ce n’est pas tous les généraux qui sont en liberté. Il y en a parmi eux qui sont entendus dans le cadre de l’enquête. Concernant la détention de certains que vous estimez avoir exécuté des ordres de leurs chefs qui sont en liberté, je tiens à vous dire que l’enquête lancée sous l’impulsion du Premier ministre va nous enrichir d’un concept juridique important. A chaque fois que nous avons des enquêteurs, je leur demande de se replonger dans le précepte de cette notion que nous appelons ‘’l’ordre manifestement illégal’’.
D’abord, la responsabilité du chef et puis l’ordre manifestement illégal. C’est quoi l’ordre manifestement illégal? Quelqu’un a dit ‘’quand on vous envoie, sachez vous envoyer’’. Ça, c’est le terme littéraire de l’ordre manifestement illégal. Si un chef vous envoie, il vous donne un ordre. Sur les lieux, vous devez savoir s’il y a des conséquences illégales dans l’exécution de l’ordre qu’il vous a donné. Par exemple, on vous demande d’entrer dans une maison pour faire un ratissage. Vous arrivez dans cette maison et vous tuez des personnes qui ne sont pas en armes. Ce n’est pas votre chef qui vous a dit de tuer quelqu’un qui a jeté son arme et levé les mains. C’est vous qui devez savoir que quand on vous envoie, vous devez appliquer la loi de la guerre. Lorsqu’un combattant jette son arme et lève la main, si vous tirez sur lui, vous avez commis un crime de guerre. Si vous arrivez dans une maison où vous ratissez et que vous trouvez une femme qui ne combat pas, si vous la violez ou si vous la tuez, cela constitue un crime de guerre. Donc votre chef qui vous a envoyé, ce n’est pas lui qu’on va poursuivre. Même si votre chef vous donne l’ordre de tuer quelqu’un qui ne combat pas, si vous le faites, vous avez commis l’ordre manifestement illégal. Mais s’il s’agit d’une femme qui est combattante et que vous la tuez, ce n’est pas un crime de guerre. On peut désarmer une femme qui combat mais pas la violer. Car la violer n’apporte rien à la victoire. C’est pour cela que violer une femme dans tous les cas, constitue un crime de guerre.
LP: Est-ce que ce n’est pas un peu trop facile pour les chefs de se cacher derrière cette notion dite d’acte manifestement illégal ?
AK : Evidemment, lorsque nous les avons interrogés, ils ont dit que ce ne sont pas eux qui leur ont dit de faire ce qu’ils ont fait. On sait par contre, que ce sont les éléments qui ont commis l’acte. C’est pour cela qu’il faut faire attention pour ceux qui sont sur le terrain. Ils doivent faire beaucoup attention parce qu’après, ne dites pas que ce sont vos chefs qui vous ont dit de faire telle chose. A leur tour, ils diront que ce ne sont pas eux qui vous ont donné ces ordres. Parce que nous n’avons pas la preuve qu’ils vous ont donné cet ordre. Je voudrais insister là-dessus. Nous n’avons pas la preuve qu’ils vous ont donné cet ordre.
Quand vous êtes sur le terrain, il faut faire beaucoup attention. C’est le juriste qui vous parle, ce n’est pas le commissaire du gouvernement. Moi, je ne donne pas de conseil, je punis.
LP : Et s’il insiste et vous dit, ‘’c’est un ordre’’, avez-vous le choix?
AK : S’il insiste, demandez à ce qu’il le fasse par écrit. Maintenant, si c’est un ordre qui est manifestement illégal vous ne l’exécutez pas. Il va peut être vous punir, mais s’il le fait, vous portez plainte contre lui pour abus de pouvoir ou d’autorité.
LP: Monsieur le commissaire du gouvernement, n’êtes-vous en train d’inciter les éléments à désobéir à leur hiérarchie ?
AK: Pas du tout. Ça ne veut pas dire non plus qu’ils doivent désobéir aux ordres. Un ordre manifestement illégal n’est pas à exécuter. C’est pour cela que la loi a dit ‘’manifestement illégal’’. On n’a pas besoin d’aller à l’école pour savoir que cet ordre, on ne doit pas l’exécuter.
Je vous ai donné l’exemple de la femme violée tout à l’heure. Le fait qu’elle soit violée n’apporte rien au combat. je pense que nos chefs ont compris cela.
LP: Lesquels?
AK : Je parle de Chérif et Wattao qui, avec leur comportement, ont sauvé beaucoup de personnes. Nous avons des rapports sur Sherif, Wattao, et Vetcho qui ont sauvé beaucoup de personnes. Parce que ces personnes étaient désarmées et pour cela, je leur dis ‘’merci’’ en respectant le principe de ne pas exécuter n’importe quel ordre.
LP: Monsieur le commissaire du gouvernement, vous avez beaucoup insisté sur la volonté du Président de la République et du Premier ministre, ministre de la Défense sur la réconciliation, vous-même, comment la percevez-vous cette réconciliation?
AK: Avant d’être procureur, je suis ivoirien. J’ai mes sentiments personnels qui sont que la Côte d’Ivoire doit aller de l’avant. Comme l’ont dit le Premier ministre et le Président de la République, il faut que nous nous réconciliions pour que nous avancions. Et cette réconciliation est en bonne voie. Les ingrédients de cette réconciliation sont la justice et la mise en place de la commission nationale de réconciliation et aussi l’appel du Président à éviter la chasse aux sorcières, sans oublier la lutte contre le racket. Toutes ces mesures que prend le président de la République contribuent à une vraie réconciliation. Il faut que les Ivoiriens sachent que nous devons tourner la page. Il y a un avenir radieux qui nous attend sous l’impulsion du Président de la République et du Premier ministre. Il faut que nous saisissions l’occasion de rentrer dans cette dynamique de développement et qu’on oublie tout ce qui s’est passé. Avançons avec le Président et le Premier ministre. Il faut que nous nous attelions à travailler. Travaillons parce que seul le travail paye. Tous les Ivoiriens se rendent compte que tous les matins, les gens sont au travail à 7 heures. Alors que, avant les gens se rendaient au travail à partir de 9h et même plus. Maintenant, à partir de 7 h les voies sont ‘’bouchées’’. C’est un bon signe sous l’impulsion du nouveau Président de la République. Mais il faut concilier le besoin de réconciliation et la nécessité de connaitre la justice. C’est ça le travail du procureur. Nous ne devons pas ignorer qu’aller à la réconciliation ne veut pas dire soutenir l’impunité. C’est la nécessaire réconciliation et le besoin de connaitre la justice qui fait du procureur, un homme qui doit être au centre de cette dynamique.
Entretien réalisé par Yves M-ABIET
Collaboration Zana Coulibaly