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Politique Publié le mercredi 15 juin 2011 | L’Inter

Crise post-électorale: Le calvaire des Ivoiriens vivant au Burkina Faso

• Leurs exigences pour aller à la réconciliation

La communauté ivoirienne vivant au Burkina Faso était estimée à 3 000 membres.

Aujourd'hui, son effectif avoisine les 5 000 personnes. Les Ivoiriens immatriculés à l'ambassade et qui ont une carte consulaire, pour l'année 2010, sont approximativement 2 500. Ce sont des chiffres avancés par le président de la communauté ivoirienne résidant au Burkina Faso. Cette communauté, à l'instar de la population de Côte d'Ivoire, a vécu des moments difficiles pendant la crise post-électorale. Des témoignages recueillis sur place lors d'un séjour du 25 mai au 1er juin 2011, à Ouagadougou, dans la capitale politique Burkinabè, a permis de nous rendre compte de l'ampleur de la situation. M. Kouao Yao est Ivoirien et réside à Ouaga depuis maintenant 15 ans. Il exerce dans le domaine de la construction et dispose d'un cabinet d'architecture. Pour cet immigré, la crise post-électorale en Côte d'Ivoire a été très mal gérée par les autorités ivoiriennes sur place au Burkina Faso. «Nous avons vécu la crise au Burkina Faso de deux manières. De la manière la plus forte, surtout celle qu'ont vécu nos parents en Côte d'Ivoire. On a vécu aussi les mêmes choses que vivaient nos parents d'Abidjan, ici au Burkina Faso, mais sur le territoire ivoirien, c'est-à-dire au sein même de notre Ambassade». L'homme a des reproches à faire à l'ancien ambassadeur ivoirien au Burkina à qui il impute les déboires de ses compatriotes. «La crise a été très mal gérée par l'autorité en place, parce que les rapports qui partaient d'ici n'étaient pas ce que l'Ivoirien vivait en réalité au Burkina Faso. C'est ce qui était difficile et dur à supporter pour nous», a mentionné cet opérateur économique ivoirien de Ouaga. Ce sont ces rapports qui partaient de l'Ambassade de Côte d'Ivoire au Burkina Faso qui, de l'avis de M. Kouao, ont aggravé les dissensions entre le Burkina et la Côte d'Ivoire. Bien heureusement, a indiqué M. Kouao, les Burkinabè ont été beaucoup plus compréhensibles.

«Je sors le jour comme la nuit, je n'ai jamais été inquiété. Durant les quatre derniers mois de la crise post-électorale, aucun Ivoirien n'a été inquiété ici, au Burkina. La seule fois qu'on a eu des problèmes, cela remonte à 2002. Au lendemain de l'agression de l'Ambassade du Burkina en Côte d'Ivoire, des Burkinabè, en représailles, cherchaient les intérêts ivoiriens et se sont attaqués au maquis d'une jeune dame ivoirienne. Ils ont mis le feu au maquis. Cette dame n'a jamais pu se relever jusqu'aujourd'hui. Ce sont des choses pour lesquelles notre autorité sur place ici n'a pas eu de compassion», a déploré notre interlocuteur. Faisant remarquer que l'autorité avait pourtant été rappelée depuis le 13 décembre 2010. «Depuis le 13 décembre 2010 jusqu'au mois d'avril 2011, elle s'est comportée comme si elle était toujours en fonction. Alors que si elle avait quitté les lieux depuis lors, je ne pense pas qu'on ait eu beaucoup de problèmes», a-t-il noté. Ajouté à tout cela, il a mentionné que les Ivoiriens vivant au Burkina étaient coincés, ''parce que la crise ivoirienne qui était aussi une crise burkinabè, vu l'importance de la population burkinabè qui vit en Côte d'Ivoire (près de 4 millions), tout acte qui allait être entrepris ici à Ouaga aurait été interprété autrement. Les gens pourraient dire que ce sont les Burkinabè et non les Ivoiriens qui manifestent. C'est pour cela qu'on n'a pas tenté de coup de force pour faire sortir l'ambassadeur déchargé de ses fonctions jusqu'à ce qu'il accepte de partir de lui-même. Donc, on était obligé de faire très attention''.

Des initiatives pour voler aux secours des Ivoiriens

Puis de noter que les Burkinabè sont les plus heureux du dénouement pacifique de la crise post-électorale. Cette communauté a été fortement impliquée dans la prise en charge des Ivoiriens qui ont trouvé refuge au Burkina Faso. Mme Bla Eméline, Ivoirienne qui résidait à Grand-Bassam, en Côte d'Ivoire, a fui la crise pour se retrouver à Ouagadougou où elle a été accueillie dans une famille burkinabè. Responsable d'une entreprise d'import-export de produits agricoles et présidente de l'Organisation non gouvernementale (ONG) ''La Voix du Peuple'', Mme Bla est au Burkina depuis le 10 décembre 2010. Parlant des Ivoiriens déplacés à Ouaga, elle a indiqué que la plupart d'entre eux étaient de passage au Burkina et voulaient rejoindre le Mali. «Il s'agissait aussi des hommes d'affaires qui cherchaient un endroit où continuer leurs activités. Néanmoins, certains Ivoiriens arrivaient ici dans des conditions beaucoup plus compliquées que la nôtre. J'ai réussi à avoir des Burkinabè sur place qui étaient intéressés par mes actions et qui ont accepté de me donner un coup de main. Les Ivoiriens qui nous ont approché atteignaient à peine une dizaine de personnes. Ce qu'on faisait, c'était de payer le transport de ceux qui voulaient partir, les aider à se déplacer et à se prendre en charge sur place. Ceux qui sont beaucoup rentrés au Burkina, ce sont surtout les Burkinabè qui vivaient en Côte d'Ivoire», a indiqué Mme Bla. Elle a noté que la Croix-Rouge qui faisait récemment le point des mouvements de populations, a recensé environ 73 000 Burkinabè. Puis de noter que cette organisation attend plus de 150 000 Burkinabè en déplacement. «Ce que je fais, c'est essayer de décrisper les relations ivoiro-burkinabè, en amenant les Burkinabè à aider les Ivoiriens à sortir de cette situation. J'organise, à cet effet, une collecte pour la Côte d'Ivoire. A peine lancée le jeudi 26 mai 2011, nous avons déjà enregistré plusieurs personnes qui nous interpellent pour savoir comment cette collecte se déroule. Le Burkina avait lancé une collecte pour le Japon. Mais, dès qu'ils ont été informés de la situation en Côte d'Ivoire, ils n'ont pas hésité à venir aux chevets des Ivoiriens », a salué la présidente de l'ONG ''La Voix du Peuple'', qui souhaite mobiliser au moins un milliard de FCFA dans le cadre de cette opération. Estimation faite sur la base de 16 millions d'habitants au Burkina Faso, pour elle, si chacun donne 100 FCFA, il est facile de mobiliser la somme visée. «Les Burkinabè sont des personnes formidables», a-t-elle salué, convaincue que ces derniers sauront réagir de façon prompte à l'opération. Sûre de son affaire, Mme Bla salue le soutien à son action de la diaspora burkinabè. «Il y a plusieurs d'entre eux qui sont passés par la Côte d'Ivoire et qui y ont encore des parents. Ils se sont associés à nous pour cette collecte. Cela démontre vraiment que les Burkinabè sont prêts à aider la Côte d'Ivoire», se réjouit-elle. La présidente de La Voix du Peuple continue d'insister sur l'urgence de cette aide qui viendra, a-t-elle affirmé, solutionner des problèmes humanitaires en Côte d'Ivoire.

Etant donné, a-t-elle mentionné, le dernier rapport de l'Organisation des Nations Unies (ONU) en date du 10 mai 2011, qui indique que ''nous avons toujours 200 000 déplacés de guerre concentrés entre le Ghana et le Liberia, 150 000 déplacés à l'intérieur de la Côte d'Ivoire. Et, l'aide humanitaire qu'on avait demandé pour la Côte d'Ivoire et qui se chiffre à 160 millions de dollars (80 milliards de FCFA), sur ce montant, pour l'instant, on n'a reçu que les 22%. Si rien n'est fait d'ici à juin, la situation humanitaire risque de se compliquer''. Des préoccupations qui ont fait dire à la présidente de La Voix du Peuple que pour le moment, il est un peu tôt pour parler de réconciliation. Parce que selon elle, les gens ont encore mal.

Des préalables à la réconciliations

«Ils ont perdu des proches ou ils ont des proches qui ont perdu des personnes et certaines choses. Ils ne les ont pas encore enterrés. Quelqu'un qui est en train de pleurer son père, sa mère, tu ne l'aides même pas à mettre cette personne en terre et tu lui dis viens on va faire la paix. Pour moi, l'urgence c'est l'humanitaire. On annonce 100 000 emplois perdus à Abidjan.

Certains ont perdu leurs maisons. Des femmes ont perdu leurs maris. Pensez-vous que pour l'instant que ces personnes ont des oreilles pour pouvoir écouter ce qu'on leur dira?

Voici pourquoi dans notre ONG, nous avons décidé de commencer par l'humanitaire», a affirmé Mme Bla, pour justifier les actions de son organisation. Elle reste ferme qu'il faut aider d'abord les Ivoiriens à panser leurs plaies, à enterrer leurs morts, à entamer la reconstruction et à nettoyer les esprits de ce passé douloureux avant de parler de réconciliation. «Quand ces personnes seront dans un meilleur état d'esprit, à partir de ce moment, nous pouvons aborder la question de la réconciliation. On n'a même pas encore fini.

Parce qu'il y a certains qui sont encore en train de fuir la Côte d'Ivoire. C'est vrai que le problème est résolu, mais des gens sont encore réticents à retourner en Côte d'Ivoire, à cause de petits règlements de comptes. La réconciliation maintenant, dans l'immédiat, c'est avec qui? Il ne faudrait pas qu'on précipite les choses. Ce que nous avons vécu, c'est quelque chose de très grave. Tant que le pays ne retourne pas à la normale, il est difficile de parler de réconciliation», a-t-elle tranché. Sur place à Ouagadougou, cette ONG travaille déjà à panser les blessures des Ivoiriens. Dans cette optique, la présidente a rencontré les responsables de partis politiques ivoiriens qui y sont implantés ainsi que certaines associations de la diaspora burkinabè. «Notre objectif était de voir d'où pouvait venir le problème, et comment faire pour que le peuple ivoirien puisse se retrouver et reconstruire la Côte d'Ivoire», a noté Mme Bla. Le président de la communauté ivoirienne vivant au Burkina Faso épouse les mêmes dispositions pour aller à la réconciliation nationale. Président de cette communauté depuis le 1er mai 2005, il est enseignant dans un établissement supérieur à Ouagadougou. Il a souhaité témoigner sous le couvert de l'anonymat. Ce dernier a demandé un peu de temps avant de parler de réconciliation, et cela, a-t-il ajouté, pour permettre à tous les Ivoiriens d'être dans les meilleures dispositions. «On souhaite que la paix revienne. Les hommes passent, le pays reste. Mais pour réconcilier les gens, il faut vraiment que les nouvelles autorités sachent raison garder. Je pense qu'il ne faut pas laisser quelqu'un en prison et parler de réconciliation. Ça va être compliqué. Il faut rétablir la normalité. Il faut faire revenir la confiance. Parce que si on n'a pas confiance en l'autre, on ne peut pas se réconcilier avec lui. Donc ceux qui sont en prison et ceux qui sont également en exil, il faut qu'ils reviennent au pays. C'est quand on est au complet qu'on parle de réconciliation», a insisté le président de la communauté ivoirienne. Il a, par ailleurs, déploré les rapports malsains qui prévalent entre Ivoiriens vivant au Burkina Faso. «Les rapports entre les Ivoiriens de différents partis politiques au Burkina ne sont pas encore sains. Les gens n'ont pas la même manière de voir les choses. Il y en a qui sont tolérants, et d'autres non. Comme on a à gérer des points de vue divergents, je pense qu'il faut aller doucement.

Pour le moment, il est encore trop tôt pour parler de réconciliation. Il faut que la situation soit plus apaisante avant de parler de la réconciliation. Il faut penser les plaies», a-t-il plaidé. Puis de saluer l'hospitalité des Burkinabè et leur attitude durant la crise ivoirienne. «Quand il y a des problèmes, on m'appelle toujours. Que ce soit la Direction de la surveillance du territoire (DST), le ministère des Affaires étrangères. Au niveau de la police et de la gendarmerie, on est connus. Pendant toute la crise post-électorale, on a vécus tranquillement ici au Burkina Faso. On a vécus sans problème ici. Notre ambassade était en permanence surveillée par des forces de l'ordre burkinabè. S'il devait y avoir des problèmes ici, c'était entre nous les Ivoiriens. Certains voulaient s'en prendre à l'ambassade. Comme ça a été le cas au Sénégal, au Mali, en France...Mais heureusement, ça n'a pas eu lieu. On a su s'accorder en bonne intelligence», a indiqué le président des Ivoiriens vivant au Burkina, avant de dénoncer l'exacerbation des clivages communautaires relativement aux victimes des violences sur le sol ivoirien. «Quand on dit que des exactions ont été commises sur des populations étrangères vivant en Côte d'Ivoire, je me dis qu'il ne faut pas citer particulièrement les populations burkinabè, maliennes, guinéennes...Parce que quand dans un pays il y a des troubles, les victimes ne se trient pas. Même au Burkina ici, pendant le mois de mai dernier, il y a eu des troubles. Les casses ont touché tous les opérateurs économiques, qu'ils soient burkinabè ou ivoiriens. Donc, quand il y a des palabres dans un pays, ça touche toute la population», a-t-il conclu.

Irène BATH
Envoyée spéciale à Ouagadougou (Burkina Faso)
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