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Société Publié le mardi 21 juin 2011 | Le Patriote

Réconciliation nationale / Agboville : une poche de résistance

Jeudi 26 mai 2011. Coulibaly N’Golo Ousmane et Cissé Mamourou sont à Ananguié. Ils viennent déposer, sous plainte d’un habitant, une convocation chez M. Yapo N’Takpé. Les soldats arrivent dans la concession du convoqué. Mais une surprise désagréable les attend. Aidés de certains villageois, il tend une embuscade aux deux éléments des FRCI. Les deux jeunes hommes sont pris à partie par des jeunes du village et copieusement bastonnés. Si Cissé Mamourou réussit à se refugier chez l’Imam du village, Coulibaly N’Golo Ousmane, lui, n’a pas cette chance. Il est battu a mort. Son corps est trainé dans tout le village et brandi comme un trophée de guerre. Mais, contre toute attente, les populations d’Anaguié font courir la nouvelle que leur village a été l’objet d’une attaque au cours de la nuit. Le voleur crie plus fort que sa victime. Les journaux s’en emparent et l’information fait le tour du monde. Mais le moment d’euphorie passé, les autorités administratives et judiciaires se rendent compte de la supercherie. Les auteurs du crime crapuleux et certains cadres du village ont fait circuler cette fausse information pour cacher leur forfait. Le même scénario s’est déroulé le week-end de la Pentecôte à Erimacoudjé, village situé à seulement deux kilomètres d’Agboville. Le vendredi de la Pentecôte, en effet, les fidèles chrétiens du village organisent une veillée de prière au sein de l’église. Les FRCI se proposent de sécuriser la veillée de prières. Mais au milieu de la nuit, les éléments commis à la sécurité constatent la présence d’un groupe d’individus dans le noir. En bons militaires, ils décident de s’approcher du groupe pour connaître leur identité. Mais ils sont surpris de voir ces derniers prendre la tangente. Une course-poursuite s’engage entre les soldats et les suspects. Ces derniers tentent de se fondre dans la foule de prieurs. Ils sont vite repérés. Au moment où les soldats s’apprêtent à les appréhender, ils sont aussi encerclés par les fidèles qui se mettent à les conspuer et les molester. L’un des éléments des FRCI reçoit une gifle et une griffure dans la confusion. Les suspects accusent les soldats de les avoir molestés. Les soldats, malgré tout, décident de garder leur calme et appellent leur commandant. L’arrivée du comandant Seydou Koné avec les renforts, permettent de calmer tout le monde. Après les explications, les uns et les autres se rendent compte que les éléments des FRCI agressés l’ont été à tort. Victimes encore d’une calomnie de la part de ceux qu’ils suspectaient. Confus, le pasteur de l’église se fend en excuses.
Ces deux cas montrent combien de fois les relations entre les populations et les FRCI sont difficiles. Car dans l’Agnéby, les populations ont du mal à s’inscrire dans le processus de réconciliation nationale. Le changement opéré à la tête du pays a laissé un arrière-goût amer au sein de la population. La présence des FRCI, dans le département, constitue une arête de poisson au travers de la gorge des irréductibles de l’ancien président que constitue la majorité des populations autochtones. La chute de l’ancien président Laurent Gbagbo n’a pas encore été digérée par les populations Abbey et Akyé. Si bien que la cohabitation avec les troupes des Forces républicaines de Côte d’Ivoire est des plus houleuses. Les populations de l’Agnéby voient en les FRCI une armée d’occupation qu’elles rêvent de bouter hors de leur territoire le moment venu. S’inscrivant dans le processus de réconciliation nationale prôné par le président de la République, les commandants locaux essayent tant bien que mal à faire comprendre aux autorités coutumières et aux populations qu’eux et leurs hommes sont là pour leur sécurité. « La prise d’Agboville n’a pas été facile. Mais dès notre arrivée, nous avons parcouru tous les villages et villes de la région pour demander aux habitants de nous faire confiance. Car nous ne sommes pas venus en ennemis. Mais plutôt pour leur sécurité. Nous leur avons aussi demandé de collaborer avec nous pour la collecte des armes qui ont été distribuées par l’ancien pouvoir. Mais cela n’est pas facile », atteste le premier responsable militaire de la zone, le commandant Koné Seydou dit « Oustaze ». Le commandant des FRCI d’Agboville, même s’il y a eu des avancées dans la recherche des armes, s’inquiète de l’hostilité ambiante envers lui et ses hommes dans la région. Pour lui, la région d’Agboville est spéciale. Car, à 70%, les Abbey ont voté pour l’ancien président Laurent Gbagbo. Pour avoir fait ses études primaires à Agboville, ils le considèrent comme leur « frère et fils ». Les populations de l’Agnéby croient encore dur comme fer, que l’ancien chef de l’Etat reviendra au pouvoir. Aussi, Abbey et Krobou sont dans l’attente de son retour. Cette situation n’est pas sans conséquence, reconnait le commandant de la zone d’Agboville. « Nous avons des rapports quasi conflictuels avec les populations. Mais nous faisons tout pour ne pas céder à la provocation. Mais nous souhaitons que nos chefs comprennent que la zone de l’Agnéby est une zone particulière qui nécessite un traitement particulier », a-t-il plaidé. Pendant que nous sommes en entretien avec le commandant « Oustaze » dans son bureau, M. Affou Yapo Bruno, le chef de Siguié, fait son apparition. Le chef est là pour deux problèmes. Durant tout leur entretien auquel nous assistons, il tente de convaincre le premier responsable des FRCI à intervenir dans un conflit qui l’oppose à un autre chef avec lequel il dispute le poste de chef. Le militaire sent qu’on veut l’entraîner dans un combat qui n’est pas le sien. Il fait savoir à son hôte que ce genre de conflit n’est pas ni de son ressort ni de sa compétence. Quant au deuxième problème, il est d’ordre domestique. Il oppose une dame non originaire d’Agboville et son mari qui lui, l’est. Le commandant « Oustaze » fait savoir au chef de Siguié qu’il n’apprécie pas la manière avec laquelle l’affaire est traitée. Et lui demande de s’impliquer davantage pour trouver une solution. Le comandant décide de se séparer de son hôte. Car d’autres problèmes l’attendent. Au rez-de-chaussée du bâtiment qui fait officie de commissariat d’Agboville, interpelle ces éléments : « Pourquoi ceux-là sont dehors ? Je ne vous ai pas dit que je ne veux pas les voir en permanence au cachot. C’est la dernière que je vous le répète », lance-t-il en s’éloignant. Renseignement pris, ce sont ceux des éléments des FRCI qui ont participé la veille à un vol de bétail. Le commandant est pressé. Il doit rencontrer le préfet. Car le ministre de l’Intégration africaine, Adama Bictogo, fils de la région, doit tout à l’heure présider une cérémonie de réconciliation nationale au centre culturel de la ville. Il manque le préfet à sa résidence. Sur le chemin de retour, un coup de fil l’informe que le ministre est au corridor. Au prix d’un véritable rush dans la ville, il arrive à temps pour accueillir le ministre Adama Bictogo, venu parrainer cette journée de réconciliation. La prise d’Agboville ne s’est pas faite sans dommage. Selon le commandant adjoint de la zone d’Agboville, Sangaré Salif, il y a eu d’abord de violents combats à Petit Yapo le 27 mars dernier avant que les FRCI ne marchent sur la capitale de l’Agnéby. « Nous avons perdu un soldat à Petit Yapo ce jour-là. Après la prise du village de Petit Yapo, nous avons décidé de marcher le 29 mars sur Agboville. Cela n’a pas été facile. Nous avons mis toute une journée pour arriver dans la ville. Car de gros troncs d’arbre avaient été disposés tout le long des cinq kilomètres qui séparent le village de la ville. Arrivés à Erimacoudjé, nous avons été cueillis par des tirs à l’arme lourde et à la kalachnikov. N’oubliez pas que les hommes de Laurent Gbagbo voulaient faire de la région d’Agboville leur base-arrière », a expliqué le second du commandant Koné Seydou. Aujourd’hui encore, les rapports ne se sont pas totalement normalisés entre les ex-FDS et les FRCI. Si les gendarmes et les éléments des FRCI sont là, ce n’est pas le cas des policiers qui trainent encore les pas. « Le commissaire de police, depuis que nous sommes là, refuse de reprendre le service au motif qu’il n’est pas en sécurité. Il a également refusé de nous faire l’inventaire des armes que lui et ses hommes détiennent », nous a confié plus tard le commandant « Oustaze ». Mais le commandant de la zone d’Agboville, toutefois, tient à rassurer que la collaboration entre les FRCI et les éléments des ex-FDS en poste à Agboville reste franche et normale. Notamment les gendarmes. « Les gendarmes et nous, depuis le début, travaillons ensemble au niveau des corridors et du maintien de l’ordre. Nous n’avons pas de problème avec le commandant de brigade qui a tout de suite accepté de travailler avec nous », tien-il à préciser. Aux dernières nouvelles, le Commissaire de police et ses hommes ont accepté de faire l’inventaire de leurs armes et de reprendre le service. Pourtant, la situation sécuritaire reste délétère. Les populations autochtones Abbey ont du mal à accepter les FRCI. Celles-ci accusent les Forces républicaines d’exactions et de voie de fait sur les villageois. « Nous demandons aux FRCI d’arrêter de traumatiser la population. Nous leur demandons d’arrêter de faire des descente musclées dans nos villages », a dénoncé le chef N’Gbesso Edi Louis, président de la Mutuelle des chefs du département au cours de la journée de réconciliation du lundi de la Pentecôte. Même son de cloche dans l’autre département de l’Agnéby, celui d’Adzopé où les populations reprochent aux FRCI de brutaliser la population. Si au contraire d’Agboville, il n’y a pas eu combat, il faut dire que dans la préfecture de Yakassé-Attobrou, plus précisément dans le vile de Biébi, des frictions entre les FRCI et quelques jeunes du village ont fait un mort et des blessés. « Arrêtez de faire des descentes musclées dans nos villages. Vous demandez d’aller à la réconciliation. Or vos descentes musclées suscitent la peur au sein de la population. On ne peut pas se réconcilier si on a peur », a lancé, au cours de la journée de réconciliation organisée la veille, à Yakassé-Attobrou, Nanan Gbéri Séka, chef du village d’Abradine et porte-parole des chefs du département de Yakassé-Attobrou.
Les populations Akyé qui ont majoritairement voté pour Laurent Gbagbo lors de la dernière élection présidentielle, voit d’un mauvais œil la présence des FRCI dans leur région. Ils perçoivent cette présence comme une occupation qui ne dit pas son nom. Du coup, ces populations multiplient les provocations pour pousser les soldats de l’armée républicaine de Côte d’Ivoire à bout. Pour le commandant Koné Inza, chef de poste adjoint de Yakassé-Attobrou, certains villageois et cadres, la plupart militants de LMP, attisent le feu en faisant croire à leurs frères du village que le président Laurent Gbagbo va bientôt revenir pour diriger la Côte d’Ivoire. Au point qu’aujourd’hui, dans la région d’Agboville comme d’Adzopé, les villageois espèrent le départ des FRCI pour, disent-ils, libérer leur territoire des envahisseurs que sont les Malinké, Sénoufo et les ressortissants de la CEDEAO. Le commandant Soro Yaya, le chef du poste de Yakassé-Attobrou, lui, explique que le maintien de l’ordre dans la zone reste des plus difficiles. « Lorsqu’il y a un problème entre les villageois et que l’un d’eux est convoqué, ce dernier refuse d’obéir à l’injection de l’autorité militaire que nous représentons. Même si c’est le préfet qui les convoque, il refuse de venir. Il faut la plupart du temps utiliser la manière forte. Mais nous nous efforçons à régler les problèmes avec le maximum de sang-froid. Parfois contre la volonté de nos hommes qui veulent parfois en découdre », a regretté le comandant Soro Yaya de Yakassé-Attobrou qui a pris fonction le jeudi 9 juin dernier. Son adjoint, Koné Inza, qui a géré la zone avant qu’il n’arrive, est plus explicite : « Vous savez, nous sommes des militaires. Et certains villageois semblent l’oublier. Vous ne pouvez pas agresser un militaire en arme et espérer vous en sortir impunément. Même sous Laurent Gbagbo, cela ne se faisait pas ». Tout en demandant aux FRCI d’être indulgents dans l’exercice de leurs fonctions, le préfet de Yakassé-Attobrou, Yacouba Doumbia, nous a demandé de ne pas considérer comme étant l’essentiel, les quelques frictions entre les populations et les FRCI dans la zone. Car, pour lui, la réconciliation nationale dans le département, est en marche. « La preuve, la journée de la réconciliation à laquelle nous avons assisté est l’œuvre des FRCI qui y ont convié les population. Malgré tout, il faut dire que le feu couve sous la cendre dans l’Agnéby. Au cours d’une cérémonie organisée par des responsables de l’ONUCI, récemment, à Agboville, le porte-parole des populations n’a pas manqué de poser à leurs hôtes cette question non dénuée de sens : « Les casques bleus-là, ils s’en vont quand ? ». Pour dire que quelques irréductibles espèrent encore mettre à exécution la sourde vengeance qui gronde en eux. Certains d’entre eux répètent à qui veulent l’entendre qu’ils attendent le départ des FRCI pour mettre la région à feu et à sang. Lorsque nous quittions Agboville, le lundi de Pentecôte, un Burkinabé venait d’être égorgé à Kouadièkro, un campement situé à quelques kilomètres d’Offoumpo. Ses meurtriers, pour maquiller le crime en suicide, après l’avoir égorgé, lui ont mis un couteau dans la main droite. Dans l’Agnéby, beaucoup reste encore à faire pour parvenir à une réconciliation vraie et sincère.
Jean-Claude Coulibaly
(Envoyé spécial)
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