Le secteur pharmaceutique n`a pas été épargné par la crise postélectorale ivoirienne. Dans cet entretien, le président de l`ordre des pharmaciens de Côte d`Ivoire fait le point de la situation et appelle le gouvernement à secourir ce secteur vital pour la population.
Le Patriote : Quel est le niveau de l`impact de cette crise sur le secteur pharmaceutique?
Dr. Kouassi Parfait : Votre question me permet de revenir sur l`ensemble des éléments qui ont touché notre secteur, pour clarifier des choses qui ont pu donner lieu à toutes sortes d`interprétations, bien souvent dans un but de manipulation politicienne. Et notamment sur la fameuse question de l`embargo de l`Union Européenne. Le premier choc que notre secteur a subi a été consécutif à la défaillance du système bancaire qui a de facto mis les opérateurs du secteur devant l`impossibilité de régler leurs fournisseurs. Les avoirs des sociétés étaient bloqués et aucun virement n`était plus possible. Or, 90% des médicaments sont importés d`Europe. Les fournisseurs non réglés n`acceptaient plus de nous approvisionner, d`où les risques potentiels de pénurie que j`avais évoqués si rien n`était fait. Concernant l`embargo de l`UE, il ne s`est jamais agi d`un embargo sur les médicaments. Cette mesure ne concernait que les ports. Je me suis attelé pendant la crise à le préciser.Je me suis déplacé jusqu`à Bruxelles pour me voir préciser cela par l`UE. Les médicaments ont toujours été considérés comme des produits spéciaux, prioritaires, même dans les conflits les plus aigus, et jamais soumis à restriction.
LP : Si l`embargo ne concernait pas les médicaments, il a tout même impacté sur le secteur...
PK : En effet, cet embargo sur les ports a eu un impact indirect sur les circuits d`approvisionnement, du fait que les containers ne pouvaient plus arriver aux ports de Côte d`Ivoire. Cette situation était donc une contrainte nouvelle. Et Il y a eu une période de flottement, parce qu`il a fallu se réorganiser pour trouver des solutions de remplacement. Très vite, les opérateurs du secteur ont trouvé des voies palliatives. Un système de débrouillardise s`est mis sur pied entre les entreprises exportatrices de Côte d`Ivoire qui étaient payées en Europe, et donc qui avaient besoin de faire venir ces fonds dans le pays, et les entreprises importatrices ivoiriennes qui étaient dans la situation inverse. Ces entreprises se sont donc réunies et dans un système d`échanges de fonds hors système bancaire, les sociétés exportatrices ont mis à la disposition des sociétés importatrices leurs fonds en Europe contre des fonds en Côte d`Ivoire. Cela a permis de payer les fournisseurs en Europe.
LP : Et comment acheminiez-vous les médicaments en Côte d`Ivoire ?
PK : Les opérateurs ont utilisé les ports voisins comme ceux de Lomé, de Tema ou de Dakar, puis par cabotage, les containers ont été déroutés vers Abidjan par des bateaux ne battant pas pavillon de l`UE. Voici comment les médicaments ont pu arriver en Côte d`Ivoire et que nous avons évité la pénurie. Le deuxième choc de cette crise, et de loin le plus déplorable, ce sont les pillages et les saccages. L`ordre des pharmaciens a répertorié à ce jour, 68 officines de pharmacie et un grossiste répartiteur qui ont été pillés et saccagés. Les officines de la commune d`Abobo ont été les premières touchées. Elles ont fermé pendant plus d`un mois et demi lors des combats dans cette zone, pour finir par être pillées pour certaines. A Yopougon, la situation est encore plus dramatique. Les deux tiers des officines ne sont à ce jour pas encore opérationnelles et la moitié d`entre elles a été entièrement pillée et saccagée.
LP : A combien estimez-vous les pertes que le secteur a subies ?
PK : Nous estimons entre 3 et 4 milliards de FCFA le montant des dommages. Cet impact est d`autant plus dommageable qu`il intervient après différents chocs que le pays et notre secteur a connus. Déjà, lors de la crise en 2002, les grossistes répartiteurs et les officines de pharmacies avaient déjà connu des pertes importantes en zone CNO. Ces pertes n`ont jamais été ni compensés ni dédommagés par l`Etat, en dépit des promesses. En 2004, la chasse aux entreprises françaises n`a pas épargné le secteur pharmaceutique. Enfin et plus grave est que beaucoup de pharmaciens qui avaient déjà subi le choc et des pertes en 2002 en zone CNO et qui se sont réinstallés en zone sud, ont vu leurs officines pillées et saccagées de nouveau. C`est un vrai drame, et l`Etat doit faire quelque chose pour ces pharmaciens car il ne leur est plus possible de se relever tout seuls.
LP : Quelles sont les mesures que vous attendez du gouvernement?
PK : J`exhorte les nouvelles autorités à se pencher sur notre secteur d`activité, de l`aider à se relancer afin qu`il continue de jouer son rôle de santé publique. Je voudrais préciser que 85% de l`offre de médicaments en Côte d`Ivoire est assuré par le secteur privé, contre 15% qui est assuré par le public. C`est dire toute l`importance de ce secteur dans l`équilibre sanitaire national. Il faut sauvegarder cela. Je voudrais indiquer que le secteur public a été affecté aussi par la crise. Mais ce secteur a pu très vite être remis sur pied grâce aux appuis internationaux, chose que nous saluons. Mais le privé ne bénéficie pas de la même assistance et il faut remédier à cela.
LP: Il y a toujours l`éternelle question des médicaments de la rue. Quel est le niveau du phénomène actuellement?
PK: La situation aujourd`hui s`est considérablement dégradée. Je vous parlais plus haut de saccages et de pillages d`officines et même d`un grossiste répartiteur. Ce sont des quantités considérables de médicaments qui ont été emportées. J`ai toujours dit que le phénomène des médicaments dans les rues, créait une insécurité particulière sur les établissements pharmaceutiques. Nous en avons la preuve patente aujourd`hui. Si des grossistes et des officines sont pillés, c`est bien parce qu`il existe des circuits pour écouler ces médicaments. Et ce circuit, c`est la rue, c`est Adjamé roxy. N`oublions jamais que c`est le receleur qui fait le voleur.
LP : Pourquoi en dépit des nombreux efforts, le combat contre les médicaments de la rue n`est pas gagné?
PK: Ce qui nous a manqué jusque-là dans cette lutte, c`est la volonté politique. Vous savez combien dans nos pays le politique impacte tous les secteurs de la vie nationale. Il n`est pas possible de mener un combat aussi justifié qu`il soit, seulement par les structures professionnelles que nous sommes. Nous avons toujours interpellé les autorités et ce, d`autant plus que ce sont elles qui disposent de la force régalienne de répression. Le secteur pharmaceutique est sous monopole professionnel. Il faut avoir la qualité de pharmacien pour pouvoir dispenser les médicaments. Si ces dispositions existent, ce ne sont pas les pharmaciens qui les ont prises mais le législateur. Il faut donc appliquer la loi. Face aux médicaments de la rue, je n`ai pas peur de le dire, il y a une irresponsabilité d`Etat. Des pays comme le Burkina Faso ont pris leurs responsabilités et les forces de l`ordre ne laissent passer aucune trace de vente de médicaments dans les rues. Nous espérons que les nouvelles autorités seront animées d`une telle volonté de remettre la Côte d`Ivoire à l`endroit sur ce point. Je voudrais interpeller spécialement le maire d`Adjamé. Sa commune abrite le site de Roxy, qui est le plus grand marché de médicaments de rue d`Afrique. A l`instar de son collègue, le maire du Plateau qui a déguerpi le site de la Sorbonne, nous invitons le maire d`Adjamé à déguerpir Roxy, ce lieu devenu symbole de l`anarchie médicamenteuse et du je m`en foutisme médicamenteux à l`ivoirienne.
LP: Vous avez foi dans les nouvelles autorités?
PK : Tout changement est bercé d`espoir. Le président Ouattara a été le seul candidat à prévoir dans son programme de gouvernement la lutte contre les médicaments de la rue. Nous avons donc espoir qu`il tienne parole. Je voudrais rappeler au président cet engagement. Nous y tenons absolument parce que la Côte d`Ivoire ne peut pas continuer dans cette voie d`informelisation même des secteurs qui agissent sur la vie des gens, comme celui du médicament. Le président a aussi prévu l`assurance maladie pour tous, cela est essentiel. Il faut donc absolument mettre en place un système d`assurance maladie pour tous, pour assurer la santé à tous. Rappelons-nous qu`il n`y a de richesse que d`hommes. La santé constitue avec l`éducation et la sécurité, la base des obligations régaliennes de tout état sérieux. Or la Côte d`Ivoire est un pays sérieux.
Par Alexandre Lebel Ilboudo
Le Patriote : Quel est le niveau de l`impact de cette crise sur le secteur pharmaceutique?
Dr. Kouassi Parfait : Votre question me permet de revenir sur l`ensemble des éléments qui ont touché notre secteur, pour clarifier des choses qui ont pu donner lieu à toutes sortes d`interprétations, bien souvent dans un but de manipulation politicienne. Et notamment sur la fameuse question de l`embargo de l`Union Européenne. Le premier choc que notre secteur a subi a été consécutif à la défaillance du système bancaire qui a de facto mis les opérateurs du secteur devant l`impossibilité de régler leurs fournisseurs. Les avoirs des sociétés étaient bloqués et aucun virement n`était plus possible. Or, 90% des médicaments sont importés d`Europe. Les fournisseurs non réglés n`acceptaient plus de nous approvisionner, d`où les risques potentiels de pénurie que j`avais évoqués si rien n`était fait. Concernant l`embargo de l`UE, il ne s`est jamais agi d`un embargo sur les médicaments. Cette mesure ne concernait que les ports. Je me suis attelé pendant la crise à le préciser.Je me suis déplacé jusqu`à Bruxelles pour me voir préciser cela par l`UE. Les médicaments ont toujours été considérés comme des produits spéciaux, prioritaires, même dans les conflits les plus aigus, et jamais soumis à restriction.
LP : Si l`embargo ne concernait pas les médicaments, il a tout même impacté sur le secteur...
PK : En effet, cet embargo sur les ports a eu un impact indirect sur les circuits d`approvisionnement, du fait que les containers ne pouvaient plus arriver aux ports de Côte d`Ivoire. Cette situation était donc une contrainte nouvelle. Et Il y a eu une période de flottement, parce qu`il a fallu se réorganiser pour trouver des solutions de remplacement. Très vite, les opérateurs du secteur ont trouvé des voies palliatives. Un système de débrouillardise s`est mis sur pied entre les entreprises exportatrices de Côte d`Ivoire qui étaient payées en Europe, et donc qui avaient besoin de faire venir ces fonds dans le pays, et les entreprises importatrices ivoiriennes qui étaient dans la situation inverse. Ces entreprises se sont donc réunies et dans un système d`échanges de fonds hors système bancaire, les sociétés exportatrices ont mis à la disposition des sociétés importatrices leurs fonds en Europe contre des fonds en Côte d`Ivoire. Cela a permis de payer les fournisseurs en Europe.
LP : Et comment acheminiez-vous les médicaments en Côte d`Ivoire ?
PK : Les opérateurs ont utilisé les ports voisins comme ceux de Lomé, de Tema ou de Dakar, puis par cabotage, les containers ont été déroutés vers Abidjan par des bateaux ne battant pas pavillon de l`UE. Voici comment les médicaments ont pu arriver en Côte d`Ivoire et que nous avons évité la pénurie. Le deuxième choc de cette crise, et de loin le plus déplorable, ce sont les pillages et les saccages. L`ordre des pharmaciens a répertorié à ce jour, 68 officines de pharmacie et un grossiste répartiteur qui ont été pillés et saccagés. Les officines de la commune d`Abobo ont été les premières touchées. Elles ont fermé pendant plus d`un mois et demi lors des combats dans cette zone, pour finir par être pillées pour certaines. A Yopougon, la situation est encore plus dramatique. Les deux tiers des officines ne sont à ce jour pas encore opérationnelles et la moitié d`entre elles a été entièrement pillée et saccagée.
LP : A combien estimez-vous les pertes que le secteur a subies ?
PK : Nous estimons entre 3 et 4 milliards de FCFA le montant des dommages. Cet impact est d`autant plus dommageable qu`il intervient après différents chocs que le pays et notre secteur a connus. Déjà, lors de la crise en 2002, les grossistes répartiteurs et les officines de pharmacies avaient déjà connu des pertes importantes en zone CNO. Ces pertes n`ont jamais été ni compensés ni dédommagés par l`Etat, en dépit des promesses. En 2004, la chasse aux entreprises françaises n`a pas épargné le secteur pharmaceutique. Enfin et plus grave est que beaucoup de pharmaciens qui avaient déjà subi le choc et des pertes en 2002 en zone CNO et qui se sont réinstallés en zone sud, ont vu leurs officines pillées et saccagées de nouveau. C`est un vrai drame, et l`Etat doit faire quelque chose pour ces pharmaciens car il ne leur est plus possible de se relever tout seuls.
LP : Quelles sont les mesures que vous attendez du gouvernement?
PK : J`exhorte les nouvelles autorités à se pencher sur notre secteur d`activité, de l`aider à se relancer afin qu`il continue de jouer son rôle de santé publique. Je voudrais préciser que 85% de l`offre de médicaments en Côte d`Ivoire est assuré par le secteur privé, contre 15% qui est assuré par le public. C`est dire toute l`importance de ce secteur dans l`équilibre sanitaire national. Il faut sauvegarder cela. Je voudrais indiquer que le secteur public a été affecté aussi par la crise. Mais ce secteur a pu très vite être remis sur pied grâce aux appuis internationaux, chose que nous saluons. Mais le privé ne bénéficie pas de la même assistance et il faut remédier à cela.
LP: Il y a toujours l`éternelle question des médicaments de la rue. Quel est le niveau du phénomène actuellement?
PK: La situation aujourd`hui s`est considérablement dégradée. Je vous parlais plus haut de saccages et de pillages d`officines et même d`un grossiste répartiteur. Ce sont des quantités considérables de médicaments qui ont été emportées. J`ai toujours dit que le phénomène des médicaments dans les rues, créait une insécurité particulière sur les établissements pharmaceutiques. Nous en avons la preuve patente aujourd`hui. Si des grossistes et des officines sont pillés, c`est bien parce qu`il existe des circuits pour écouler ces médicaments. Et ce circuit, c`est la rue, c`est Adjamé roxy. N`oublions jamais que c`est le receleur qui fait le voleur.
LP : Pourquoi en dépit des nombreux efforts, le combat contre les médicaments de la rue n`est pas gagné?
PK: Ce qui nous a manqué jusque-là dans cette lutte, c`est la volonté politique. Vous savez combien dans nos pays le politique impacte tous les secteurs de la vie nationale. Il n`est pas possible de mener un combat aussi justifié qu`il soit, seulement par les structures professionnelles que nous sommes. Nous avons toujours interpellé les autorités et ce, d`autant plus que ce sont elles qui disposent de la force régalienne de répression. Le secteur pharmaceutique est sous monopole professionnel. Il faut avoir la qualité de pharmacien pour pouvoir dispenser les médicaments. Si ces dispositions existent, ce ne sont pas les pharmaciens qui les ont prises mais le législateur. Il faut donc appliquer la loi. Face aux médicaments de la rue, je n`ai pas peur de le dire, il y a une irresponsabilité d`Etat. Des pays comme le Burkina Faso ont pris leurs responsabilités et les forces de l`ordre ne laissent passer aucune trace de vente de médicaments dans les rues. Nous espérons que les nouvelles autorités seront animées d`une telle volonté de remettre la Côte d`Ivoire à l`endroit sur ce point. Je voudrais interpeller spécialement le maire d`Adjamé. Sa commune abrite le site de Roxy, qui est le plus grand marché de médicaments de rue d`Afrique. A l`instar de son collègue, le maire du Plateau qui a déguerpi le site de la Sorbonne, nous invitons le maire d`Adjamé à déguerpir Roxy, ce lieu devenu symbole de l`anarchie médicamenteuse et du je m`en foutisme médicamenteux à l`ivoirienne.
LP: Vous avez foi dans les nouvelles autorités?
PK : Tout changement est bercé d`espoir. Le président Ouattara a été le seul candidat à prévoir dans son programme de gouvernement la lutte contre les médicaments de la rue. Nous avons donc espoir qu`il tienne parole. Je voudrais rappeler au président cet engagement. Nous y tenons absolument parce que la Côte d`Ivoire ne peut pas continuer dans cette voie d`informelisation même des secteurs qui agissent sur la vie des gens, comme celui du médicament. Le président a aussi prévu l`assurance maladie pour tous, cela est essentiel. Il faut donc absolument mettre en place un système d`assurance maladie pour tous, pour assurer la santé à tous. Rappelons-nous qu`il n`y a de richesse que d`hommes. La santé constitue avec l`éducation et la sécurité, la base des obligations régaliennes de tout état sérieux. Or la Côte d`Ivoire est un pays sérieux.
Par Alexandre Lebel Ilboudo