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Politique Publié le lundi 11 juillet 2011 | L’expression

Interview / Pr Barthélémy Kotchy (Président de l’Ascad): "Laurent Gbagbo doit demander pardon"

© L’expression Par Emma
Culture : Pr Barthélémy Kotchy, professeur à la faculté de lettres d`Abidjan, président de l`ASCAD
Pr. Barthélémy Kotchy a accepté de sortir de sa réserve. Professeur titulaire de chaire des universités, président de l’Académie des sciences, des arts, des cultures africaines et de la diaspora (Ascad), le Doyen est reconnu pour son franc-parler. Dans cette interview, il recommande aux Ivoiriens de pardonner à Laurent Gbagbo ses erreurs dès qu’il accepte de reconnaitre sa faute. Il ne manque pas d’asséner ses vérités à Yao Ndré qui est, selon lui, le principal responsable de la crise postélectorale. L’interview-vérité.

Pourquoi ne vous a-t-on pas entendu durant la grave crise postélectorale que vient de subir la Côte d’ivoire?
La question que vous posez est très délicate. Je ne peux pas lever comme ça et intervenir lorsqu’il n’y a pas des gens disposés à m’écouter et à prendre en considération ce que je vais dire. Aussi, faudrait-il qu’on m’invite à parler. Nous nous connaissons tous dans ce pays. Je pense humblement avoir joué dans ce pays le rôle qui est le mien. La situation postélectorale que nous avons vécue ne devrait pas nous amener jusque-là où nous sommes arrivés. Dès que les choses ont commencé, mon jeune frère Seydou Diarra m’a appelé. A mon tour, j’ai appelé Sery Gnoléba. On devrait aller rencontrer Gbagbo et Alassane en compagnie de Jean Banny. Mais, les choses se sont accélérées et les armes ont commencé à tonner, dans ces conditions, on ne pouvait plus rien faire. On était vraiment préoccupés? Tous, nous aimons la Côte d’Ivoire, mais on ne pouvait rien faire. Par les armes, ils ont réglé leurs problèmes. J’en prends acte.

En tant que citoyen de ce pays, vous qui connaissez bien sa cartographie politique, quelle était votre intime conviction au sujet du verdict des urnes?
Pour qu’une élection valable, il faut qu’elle se déroule dans d’excellentes conditions. C’est Gbagbo qui disait un jour que tous les problèmes en Afrique viennent des élections mal organisées. Nous sommes allés aux élections, Gbagbo a été battu. Il devrait se retirer et revenir dans cinq ans, c’est cela le jeu démocratique. C’est Yao N’Dré le principal responsable de ce qui est arrivé au pays. Ce qu’il a fait n’est pas correct. Il n’avait simplement qu’à appliquer les textes et à faire triompher le verdict des urnes. Je l’accuse personnellement d’être le principal responsable de tout ce qui est arrivé en Côte d’Ivoire. Je l’ai dit à l’Académie ; on ne tue pas les femmes. Chez moi et en général en Afrique, quiconque tue les femmes et les enfants attire des malheurs sur lui. Après avoir tué 7 femmes, la suite des événements ne m’a plus surpris. La Côte d’Ivoire était respectée dans le monde entier avec Houphouët-Boigny, les jeunes gens qui sont arrivés après lui ont fait n’importe quoi et voilà que le pays a perdu toute sa crédibilité et son prestige. Ils se sont montrés suffisant. On ne peut pas leur donner des conseils parce qu’ils ne nous considèrent pas. C’est pour cela que je me suis retiré de la politique.

La communauté internationale était-elle fondée à intervenir dans notre crise?
C’est nous qui avions permis à l’Onu, à la France et aux Etats-Unis de s’immiscer dans nos affaires. Si nous nous étions retrouvés entre Ivoiriens pour dire attention à ceux qui étaient dans le faux, on n’en serait pas là. Si on écoutait les sages de ce pays, on n’en serait pas là. C’est un raccourci que nous empruntons pour accuser l’extérieur. Memel et moi, on avait beaucoup d’estime pour Laurent Gbagbo parce qu’il est courageux. Par exemple, il était en Italie quand il y avait la crise du 19 septembre dans son pays, malgré tout, il est rentré et a contribué à l’apaisement. Il aurait pu rester là bas. Mais, il y a des moments où Gbagbo n’est pas contrôlable. Dès les premières heures, je voulais aller le voir mais sincèrement, je me demandais s’il allait me recevoir. Entre temps, j’avais appris que certaines personnes respectables comme Sery Gnoleba approché Gbagbo, mais il n’a rien voulu entendre.

Que répondez-vous à ceux qui accusent la France de vouloir recoloniser la Côte d’Ivoire?
Je ne veux pas répondre à cette question. Chacun a ses interprétations. Mais, je pense que les gens de ma génération ont bien mené ce combat. A l’époque, l’ambassadeur de France à Abidjan se mêlait de tout. Je me suis rendu chez Houphouët pour m’expliquer à l’initiative des jeunes gens Akoto Yao, Dikebié et Hié Nea. Houphouët a parlé pendant 10 mn et m’a cédé la parole. J’ai demandé si on était indépendant, il a dit oui ; j’ai demandé si l’université était ivoirienne, il a dit oui. Alors je lui ai demandé pourquoi l’ambassadeur de France Raphaël Leg se comportait comme s’il était le président de la Côte d’Ivoire. C’est inacceptable. Houphouët a accepté de m’écouter et immédiatement, il a convoqué le recteur, M Garagnon, le dimanche pour l’écouter. Houphouët disait que nous n’avions pas les diplômes requis mais j’ai rétorqué que deux d’entre nous avaient les diplômes. Niangoran Bouah et Memel Fotê. Ce qui devrait être fait a été fait. Ainsi notre ainé Joachim Boni a été nommé comme deuxième assesseur de la Faculté des Lettres. Je retiens que le président Houphouët m’a reçu malgré le fait qu’entre lui et moi, ça n’allait pas du point de vue idéologique.
Pour ce qui concerne l’actuelle crise, il faut cesser de voir la France partout et dégager notre propre responsabilité. Je dis non. Qui a approché les sages pour prendre des conseils ou leur avis? Il y a un problème entre Gbagbo et Ouattara, on abandonne la voie de la sagesse africaine. Gbagbo, c’est vrai qu’on l’aimait bien, mais à un moment donné, il n’écoutait personne. C’est pour cela que j’ai pris mes distances. A mon âge, si je n’étais pas utile, je ne serais pas à la tête de l’Académie. Ça veut dire que je peux réfléchir encore.

Maintenant que Gbagbo est aux arrêts, quel sort doit-on lui réserver?
Est-ce que cette voie permet de résoudre tous les problèmes? Gbagbo est, certes, aux arrêts mais je pense qu’il doit parler avec Ouattara en présence de quelques anciens. On peut l’enfermer mais il y aura d’autres problèmes importants à régler. Lui-même, il a toujours dit qu’il aime le jeu électoral mais on n’a pas compris son attitude à l’issue du scrutin. Quand vous êtes battu à une élection, vous vous retirez et vous revenez dans cinq ans. C’est cela le fonctionnement du jeu démocratique. Mais, je pense que Yao N’Dré a voulu faire plaisir à Gbagbo alors que les résultats de l’urne ne lui étaient pas favorables.

Vous chargez Yao Ndré pourtant, il fait amende honorable, en revenant sur sa première décision…
Il a été fumiste. Il a manqué de courage. On ne joue pas avec la vie d’une nation. Et tous les morts et les dégâts qu’il a occasionnés? Ce monsieur n’est pas à sa première expérience. Il y a une année où on voulait m’assassiner, il était le ministre de l’Intérieur. Je lui ai demandé de me faire surveiller par la police. Après avoir promis de me protéger, il n’a pas bougé. C’est donc dire que les décisions qu’il prend ne me surprennent pas. C’est un homme négatif, il ne m’inspire aucune confiance.

Quelles sont, selon vous, aujourd’hui les conditions de la réconciliation?
La bonne réconciliation exige que celui qui est coupable accepte publiquement de reconnaitre sa faute. Dans cette optique Gbagbo doit demander pardon au peuple parce qu’il y a eu trop de victimes. Après cela, pour la réconciliation, il faut accorder le pardon à Gbagbo. Je n’ai jamais dit que ce que sa femme et lui ont fait est bon. Sa femme a été mon étudiante. Quand je suis tombé malade, elle est allée me voir à l’hôpital. Quand j’ai perdu ma sœur, elle m’a apporté sa compassion.
Mais, cela ne m’empêche de dire qu’elle n’a pas joué son rôle de femme, c`est-à-dire, donner de bons conseils à son époux. En Afrique, c’est la femme qui apaise, qui doit faire éviter la guerre. Gbagbo est un jeune frère que Memel et moi on aimait bien à cause de son courage. Mais, est-ce le pouvoir qui l’a rendu si méprisant? On ne pouvait plus l’aborder. Les choses sont restées ainsi jusqu’à la mort de Memel.

Les victimes de Gbagbo réclament justice. Que faut-il faire?
C’est vrai. Elles ont même raison de réclamer justice et vengeance. Mais rien de ce qui sera fait à Gbagbo ne réveillera les morts. C’est pourquoi je leur demande de faire preuve de beaucoup de courage et de hauteur. Ce n’est pas facile, je le reconnais. Je suis convaincu que si Gbagbo est gracié et remis dans les mêmes conditions, il ne refera pas ce qu’il a fait. C’est pour une réconciliation vraie que je demande de pardonner. Tous les Ivoiriens y compris Gbagbo ont tiré les leçons de ces événements. Peut-on faire une bonne réconciliation sans Gbagbo dont beaucoup de partisans sont à l’extérieur ? Il y aurait toujours des gens qui voudront régler des comptes dès la première occasion. Il faut éviter de nourrir la vengeance. Il y a encore des sages dans ce pays qui peuvent aider le président Ouattara à pacifier tous les cœurs. Le nouveau président qui a demandé la réconciliation ne doit pas faire comme Gbagbo qui n’écoutait plus les sages. Il s’agit de reconstruire la Côte d’Ivoire que nous aimons tous. Le pays a besoin de tous ses fils pour sa reconstruction. Si la Côte d’Ivoire est devenue cette puissance dans la sous région c’est parce qu’elle avait un sage à sa tête. Un sage qui écoutait les conseils. Quand il y avait des problèmes, Houphouët allait jusqu’au village pour écouter certains vieux. Ce n’est parce qu’on n’est pas allé à l’école qu’on n’est pas intelligent.

Le problème, c’est comment apaiser les victimes pour ne pas donner le sentiment d’impunité?
Je disais que les victimes ont raison de pleurer et de demander réparation. Mais, elles doivent puiser en leur for intérieur les ressources nécessaires pour pardonner. Cette attitude va les grandir. Quand nous tuons celui qui a tué, on ne rend pas forcément service à l’humanité. Celui qui a tué et qui sait que nous lui avions pardonné son crime vivra avec un remord éternel.
Mais moi, ce qui m’a plus attristé et affecté, c’est la mort des femmes d’Abobo. Je ne comprends pas comment on a pu pousser la bêtise humaine jusqu’à ce point. Et pourtant, nous devons pardonner.

Vous qui aviez milité au Fpi, comment voyez-vous l’avenir de ce parti aujourd’hui?
J’ai milité au Fpi parce qu’il y avait de bonnes idées. Mais, je me suis rendu compte que le Fpi est un parti devenu dictatorial. Or, je suis foncièrement attaché aux valeurs démocratiques. C’est pour cela que Memel et moi, on s’est retirés. On s’est rendu compte que parvenu au pouvoir, le Fpi faisait ce qu’on critiquait. Lui, il est décédé mais moi, je suis encore là. Et, je suis prêt à dénoncer les antivaleurs. Pour son avenir, le Fpi doit d’abord tirer les bonnes leçons de ce qui est passé et revenir à l’idéal pour lequel est s’est battus.

Qu’est-ce qui n’a marché et qui a amené le Fpi à dévier de sa ligne originelle?
Ne me posez pas ce genre de question. Les responsables du parti savent très bien. Allez leur poser la question. C’était devenu un parti de petits dictateurs. Ils ont ignoré les valeurs du socialisme.

Pour le rayonnement de la Côte d’Ivoire, quelle sont les erreurs à ne plus commettre?
Il faut qu’on mette définitivement fin au tribalisme dans ce pays. C’est la plaie numéro un à soigner. Ce n’est pas comme ça que Houphouët a construit la Côte d’Ivoire. Ce n’est pas comme ça que nous les intellectuels qui l’avons accompagné avions conçu ce pays. Il faut bannir le tribalisme. C’est un pays carrefour. Moi, je suis Abbey d’Okoudjé. Mes aïeuls ne sont pas venus du Ghana ou du Libéria. Ceux qui sont venus nous trouver à Grand Morié, la plupart d’entre eux sont venus du Ghana. Ça c’est le village maternel de mon père. Mais, dans mon village paternel Okoudjé, les villageois ont toujours vécu là. C’était la belle époque. Les autres sont venus les trouver là. Les autochtones les ont bien reçus. C’est à partir de 1720 que les autres sont venus parce qu’ils avaient des problèmes avec Ossei Toutou au Ghana. C’est de là-bas que sont venus également les Baoulés et les Agnis. Du côté de l’Ouest, du Nord…c’est comme ça que les peuples sont venus de partout et ont formé cette Côte d’Ivoire. Autrefois les Abbey étaient très accueillants. On a toujours vécu comme ça et c’est en plein 21ème siècle que le tribalisme et la xénophobie apparaissent. Ce n’est pas normal. Nous autres, qui allons partir bientôt, ça nous inquiète. On ne peut pas construire un pays à partir du tribalisme.

Vous qui êtes enseignant de formation, quel remède faut-il appliquer à l’école qui est malade?
Il faut commencer par former ceux qui sont chargés de former les élèves et étudiants. J’ai enseigné quatre ans en France avant de venir en Côte d’Ivoire.
C’est en France que j’ai su lier la morale et le savoir; et surtout la culture qui permet de s’ouvrir à autrui et à la collectivité pour cultiver l’amour et la paix.
On a formé correctement les jeunes. Il y avait tout le monde. Des Guinéens, des Dahoméens, des Sénégalais et des Ivoiriens. Je les réunissais tous par moment et on parlait pédagogie puisque moi j’ai pratiqué une pédagogie dynamique en France. Je me suis formé afin de mieux former les jeunes. Mais, petit à petit, j’ai vu l’école se dégrader. On a commencé par donner des notes par complaisance. Deuxièmement, les filles ont commencé à devenir les maitresses des enseignants. Ensuite, les étudiants ne travaillaient pas. Jusqu’en 1972, on recevait des étudiants étrangers en Côte d’Ivoire. Il y avait une saine émulation. J’avais des étudiants étrangers très doués. Et cela motivaient les autres à étudier. Mais depuis, c’est la dégringolade. Nous organisions des congrès et des séminaires où il y avait des débats. Mais, ce qui m’a choqué c’est que les ivoiriens n’aiment que là où il y a l’argent. Quand les étrangers sont partis, la chute a continué de plus belle. Je ne me suis pas découragé et j’ai initié des séances de formation des formateurs, mais l’ivoirien n’est intéressé que par les besoins du ventre. Pour relever l’école, tout est à repenser, mais il ne faut pas oublier de former ceux qui forment puisqu’ils sont nombreux à avoir des diplômes mais, ils ne sont pas cultivés. Il faut surtout leur inculquer le sens de l’effort.

La Fesci est accusée par de nombreux acteurs du système éducatif d’être la source des problèmes de l’école. Qu’en pensez-vous?
Oh, la Fesci! Ce syndicat a relégué la formation au second rang. La solution n’est pas dans sa dissolution comme on l’entend souvent. Il faut plutôt former les étudiants au syndicalisme. Il faut leur expliquer ce que fait un syndicat et ce qu’il ne fait pas. Si on dissous la Fesci, d’autres mouvements vont naitre et se comporter comme la Fesci, d’où la formation que je préconise. On a déjà vu cela en France. Il faut que les étudiants apprennent à poser les problèmes académiques et non les problèmes de ventre.

Quelle peut être la contribution de l’Ascad pour redorer le blason de l’école ivoirienne ?
Il n’y a pas longtemps, il y avait un séminaire sur l’éducation. C’est un jeune de l’Ascad qui a mené la réflexion. Notre rôle est de définir les grandes directives et nous nous y attelons. Mais, il faut que les Ivoiriens s’intéressent à la culture comme les Sénégalais. On dirait que c’est Senghor ou Lamine Gueye qui les ont inspirés mais ce sont des faits irréfutables.
Interview réalisée par Traoré M. Ahmed

Leg/ Le Doyen Kotchy invite les victimes de la crise à se surpasser pour pardonner.
Leg 2/ Le président de l’Ascad estime que Simone Gbagbo n’a pas convenablement joué son rôle d’épouse
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