Pourquoi la corruption est-elle devenue un fléau ?
Je dirais que la corruption n’est pas un phénomène nouveau. Seulement, la crise que vient de traverser le pays l’a aggravée. Dans notre administration, par exemple, si vous n’avez pas une relation dans un service donné, le dossier que vous déposez n’est pas traité à temps. Pis, si vous ne donnez pas de l’argent à l’agent en charge de le traiter, votre dossier traîne s’il n’est pas mis de côté. Alors que c’est un service public.
Que faire pour y mettre fin ?
Pour mettre fin à la corruption, il faut une volonté politique. Et seul le pouvoir public peut vraiment y mettre de l’ordre. Les responsables de services doivent contrôler leurs collaborateurs. Mais on a coutume de dire que quand il y a corrompu, il y a corrupteur. Cependant, il faut comprendre que c’est une situation qui oblige les usagers à être des corrupteurs. Parfois, lorsque vous vous rendez dans une administration où vous déposez un dossier en même temps qu’un autre individu, ce dernier a automatiquement son dossier traité parce qu’il a donné une somme d’argent. Le temps c’est de l’argent, comme on a coutume de dire. Vous réalisez alors qu’à force d’attendre une ou deux semaines voire plus, vous perdez du temps. Et votre dossier n’est pas traité. Ne seriez-vous pas tenté de faire comme l’autre ?
Pensez-vous que le nouveau régime peut l’éradiquer ?
Si le président veut combattre la corruption, il peut l’éradiquer. Parce que tout est une question de volonté. Pour mettre fin à la corruption, il faut prendre des mesures très, très rigoureuses.
Propos recueillis par Bidi Ignace
René Légré, vice-pdt de la Lidho :
« La loi du silence rend difficile la lutte contre la corruption »
Pourquoi la corruption est devenue un fléau en Côte d’Ivoire ?
La pauvreté, en tant que donnée du sous-développement se couple généralement avec analphabétisme. C’est une condition qui tient une frange importante d’Ivoiriens en marge de la société dite moderne dont elle a du mal à comprendre les mécanismes. Cette situation l’expose à bien des abus dans nos administrations dont elle ignore tout du fonctionnement et des procédures et où elle se retrouve très souvent au centre des pratiques dont les enjeux lui échappent totalement. Dès les premiers instants de notre indépendance, la Côte d’Ivoire a fait le choix de la société de consommation. Nous en gérons aujourd’hui les implications.
Que voulez-vous dire exactement?
Toutes les valeurs sont ainsi établies en monnaies. L’argent régente la vie de tous. Il s’impose à nous comme une nécessité dans un monde où tout se vend et où tout s’achète. Dès lors, la course aux billets de banque se pose comme un sport national. Chacun cherchant à se mettre au plus vite à l’abri du besoin et s’assurer la tranquillité se ses vieux jours.
Nous avons été confortés dans cette voie par la relative prospérité qui a marqué les deux premières décennies de notre retour à la souveraineté. Et puis, il y a eu la grave crise du début des années 80. Elle a eu pour effet d’exacerber la pauvreté à travers le bocage des salaires des fonctionnaires, la baisse drastique du pouvoir d’achat des populations, la baisse des revenus des paysans. De nombreuses entreprises ont fermé, confrontées à des charges dont une fiscalité contraignante, l’inflation a pris des proportions inimaginables. Ce contexte de manque, de pénurie où les moyens ne sont pas toujours à la mesure des besoins a fini par développer chez l’Ivoirien cette propension à rechercher les voies de la facilité pour bénéficier d’un service, d’une prestation ou pour tout simplement s’enrichir.
A la faveur de la formation du 3e gouvernement de la République, le 5 août 2002, il été institué un ministère délégué à la Réforme administrative. Pour en arriver là, il a sans doute fallu que le pouvoir prenne la pleine mesure de l’état de dégénérescence de notre administration.Il est en effet de notoriété que cette administration est lourde, très lourde même. Ses procédures sont lentes et opaques. C’est une administration peu efficace. Et cela tient à plusieurs facteurs comme, une forte concentration du système, le sous-équipement des services, des agents démotivés, peu qualifiés, des salaires bas et pas toujours à la hauteur des efforts sollicités des fonctionnaires et agents de l’Etat, l’absence d’un profil de carrière incitatif, des conditions de travail difficiles… Le mode et les conditions de recrutement ne sont pas toujours exemptes de reproches. Là où on attend des agents et cadres compétents, intègres, l’on nous donne à voir des individus dont l’inconscience le dispute à la cupidité.
Pour beaucoup, le niveau réel est en deçà du niveau exigé et dont ils se prévalent. Ceci pour dire qu’ils sont recrutés sur des bases corrompues. Que peut-on alors attendre d’eux ?
Que faudrait-il faire pour l’éradiquer ?
Les solutions peuvent tenir en trois grands axes :
Il importe que le pouvoir politique affiche sa volonté manifeste de combattre ce fléau. Cette volonté doit être proclamée, portée à la connaissance de tous. La pratique doit faire l’objet d’une dénonciation et d’une condamnation sans équivoque.
Mais au-delà des professions de foi, ce qui compte, ce sont les actes. Tous ceux qui sont pris sur les faits doivent être jugés et châtiés avec fermeté. L’impunité ne doit plus avoir cours.
Comment ?
Il importe de privilégier l’axe de la lutte contre ce fléau par l’exemple. Ceci sous-entend la promotion de l’Etat de droit, c’est-à-dire la bonne gouvernance. La transparence dans la gestion, le renforcement des mécanismes de contrôle, la séparation véritable des trois pouvoirs, la promotion des compétences, de la démocratie, la décentralisation administrative pour une plus grande responsabilisation des populations…
Le recrutement des trois DG des régies financières (douanes, impôts, trésor), salué en son temps comme un acte de haute portée historique s’inscrit dans cette logique qu’il faut encourager et perpétuer. Par ailleurs, le corrupteur et le corrompu n’ont pas toujours conscience de la portée de l’acte apparemment anodin qu’ils posent au détour d’une route, d’un bureau, dans un centre de santé…ou ailleurs.
Il importe dans ces conditions de les aider à s’approprier un certain nombre de valeurs dont le patriotisme, le civisme, l’honnêteté, le goût de l’effort, le respect du bien public, l’intégrité…Les appeler à un changement de mentalité.
Cela passe par une sensibilisation tous azimuts, à travers l’école, par une campagne permanente à travers les médias, tous les médias, les leaders d’opinion, les chefs religieux…
Il s’agira, au-delà de ce qu’ils font perdre à leur pays, de leur enseigner ce à quoi ils s’exposent en pratiquant la corruption et quel que soit leur niveau de responsabilité.
La lutte contre la corruption est à la fois difficile et délicate. La difficulté et la délicatesse de l’action de lutte tiennent à la loi du silence entretenu dans le milieu. Cette tendance à la dissimulation tient au fait que lorsqu’un délit de corruption est établi, aussi bien le corrupteur que le corrompu sont passibles de poursuites et de peines d’emprisonnement ferme. Personne n’ayant intérêt à dénoncer l’autre, ne peut-on pas envisager la dépénalisation de l’acte de l’un ou de l’autre des protagonistes de sorte à encourager les dénonciations ?
En tout état de cause, il s’impose dans les stratégies de lutte contre la corruption, la nécessité d’une législation dissuasive et coercitive, la condamnation ferme et exemplaire des mis en cause dans toutes les affaires de corruption, quels que soient leur titre et leur rang.
Pensez-vous que le nouveau régime d’Alassane Ouattara pourra relever ce défi ?
Dès lors qu’on s’inscrit dans une logique de récompense là où l’on attend qu’on donne un signal fort à l’opinion sur sa volonté de rompre avec des pratiques porteuses de compromissions, il y a fort à craindre que la corruption ait encore du chemin devant elle. A moins que la suite des choses nous fasse mentir. Ce qu’on souhaite vivement pour la Côte d’Ivoire.
Propos recueillis par Marc Dossa
Je dirais que la corruption n’est pas un phénomène nouveau. Seulement, la crise que vient de traverser le pays l’a aggravée. Dans notre administration, par exemple, si vous n’avez pas une relation dans un service donné, le dossier que vous déposez n’est pas traité à temps. Pis, si vous ne donnez pas de l’argent à l’agent en charge de le traiter, votre dossier traîne s’il n’est pas mis de côté. Alors que c’est un service public.
Que faire pour y mettre fin ?
Pour mettre fin à la corruption, il faut une volonté politique. Et seul le pouvoir public peut vraiment y mettre de l’ordre. Les responsables de services doivent contrôler leurs collaborateurs. Mais on a coutume de dire que quand il y a corrompu, il y a corrupteur. Cependant, il faut comprendre que c’est une situation qui oblige les usagers à être des corrupteurs. Parfois, lorsque vous vous rendez dans une administration où vous déposez un dossier en même temps qu’un autre individu, ce dernier a automatiquement son dossier traité parce qu’il a donné une somme d’argent. Le temps c’est de l’argent, comme on a coutume de dire. Vous réalisez alors qu’à force d’attendre une ou deux semaines voire plus, vous perdez du temps. Et votre dossier n’est pas traité. Ne seriez-vous pas tenté de faire comme l’autre ?
Pensez-vous que le nouveau régime peut l’éradiquer ?
Si le président veut combattre la corruption, il peut l’éradiquer. Parce que tout est une question de volonté. Pour mettre fin à la corruption, il faut prendre des mesures très, très rigoureuses.
Propos recueillis par Bidi Ignace
René Légré, vice-pdt de la Lidho :
« La loi du silence rend difficile la lutte contre la corruption »
Pourquoi la corruption est devenue un fléau en Côte d’Ivoire ?
La pauvreté, en tant que donnée du sous-développement se couple généralement avec analphabétisme. C’est une condition qui tient une frange importante d’Ivoiriens en marge de la société dite moderne dont elle a du mal à comprendre les mécanismes. Cette situation l’expose à bien des abus dans nos administrations dont elle ignore tout du fonctionnement et des procédures et où elle se retrouve très souvent au centre des pratiques dont les enjeux lui échappent totalement. Dès les premiers instants de notre indépendance, la Côte d’Ivoire a fait le choix de la société de consommation. Nous en gérons aujourd’hui les implications.
Que voulez-vous dire exactement?
Toutes les valeurs sont ainsi établies en monnaies. L’argent régente la vie de tous. Il s’impose à nous comme une nécessité dans un monde où tout se vend et où tout s’achète. Dès lors, la course aux billets de banque se pose comme un sport national. Chacun cherchant à se mettre au plus vite à l’abri du besoin et s’assurer la tranquillité se ses vieux jours.
Nous avons été confortés dans cette voie par la relative prospérité qui a marqué les deux premières décennies de notre retour à la souveraineté. Et puis, il y a eu la grave crise du début des années 80. Elle a eu pour effet d’exacerber la pauvreté à travers le bocage des salaires des fonctionnaires, la baisse drastique du pouvoir d’achat des populations, la baisse des revenus des paysans. De nombreuses entreprises ont fermé, confrontées à des charges dont une fiscalité contraignante, l’inflation a pris des proportions inimaginables. Ce contexte de manque, de pénurie où les moyens ne sont pas toujours à la mesure des besoins a fini par développer chez l’Ivoirien cette propension à rechercher les voies de la facilité pour bénéficier d’un service, d’une prestation ou pour tout simplement s’enrichir.
A la faveur de la formation du 3e gouvernement de la République, le 5 août 2002, il été institué un ministère délégué à la Réforme administrative. Pour en arriver là, il a sans doute fallu que le pouvoir prenne la pleine mesure de l’état de dégénérescence de notre administration.Il est en effet de notoriété que cette administration est lourde, très lourde même. Ses procédures sont lentes et opaques. C’est une administration peu efficace. Et cela tient à plusieurs facteurs comme, une forte concentration du système, le sous-équipement des services, des agents démotivés, peu qualifiés, des salaires bas et pas toujours à la hauteur des efforts sollicités des fonctionnaires et agents de l’Etat, l’absence d’un profil de carrière incitatif, des conditions de travail difficiles… Le mode et les conditions de recrutement ne sont pas toujours exemptes de reproches. Là où on attend des agents et cadres compétents, intègres, l’on nous donne à voir des individus dont l’inconscience le dispute à la cupidité.
Pour beaucoup, le niveau réel est en deçà du niveau exigé et dont ils se prévalent. Ceci pour dire qu’ils sont recrutés sur des bases corrompues. Que peut-on alors attendre d’eux ?
Que faudrait-il faire pour l’éradiquer ?
Les solutions peuvent tenir en trois grands axes :
Il importe que le pouvoir politique affiche sa volonté manifeste de combattre ce fléau. Cette volonté doit être proclamée, portée à la connaissance de tous. La pratique doit faire l’objet d’une dénonciation et d’une condamnation sans équivoque.
Mais au-delà des professions de foi, ce qui compte, ce sont les actes. Tous ceux qui sont pris sur les faits doivent être jugés et châtiés avec fermeté. L’impunité ne doit plus avoir cours.
Comment ?
Il importe de privilégier l’axe de la lutte contre ce fléau par l’exemple. Ceci sous-entend la promotion de l’Etat de droit, c’est-à-dire la bonne gouvernance. La transparence dans la gestion, le renforcement des mécanismes de contrôle, la séparation véritable des trois pouvoirs, la promotion des compétences, de la démocratie, la décentralisation administrative pour une plus grande responsabilisation des populations…
Le recrutement des trois DG des régies financières (douanes, impôts, trésor), salué en son temps comme un acte de haute portée historique s’inscrit dans cette logique qu’il faut encourager et perpétuer. Par ailleurs, le corrupteur et le corrompu n’ont pas toujours conscience de la portée de l’acte apparemment anodin qu’ils posent au détour d’une route, d’un bureau, dans un centre de santé…ou ailleurs.
Il importe dans ces conditions de les aider à s’approprier un certain nombre de valeurs dont le patriotisme, le civisme, l’honnêteté, le goût de l’effort, le respect du bien public, l’intégrité…Les appeler à un changement de mentalité.
Cela passe par une sensibilisation tous azimuts, à travers l’école, par une campagne permanente à travers les médias, tous les médias, les leaders d’opinion, les chefs religieux…
Il s’agira, au-delà de ce qu’ils font perdre à leur pays, de leur enseigner ce à quoi ils s’exposent en pratiquant la corruption et quel que soit leur niveau de responsabilité.
La lutte contre la corruption est à la fois difficile et délicate. La difficulté et la délicatesse de l’action de lutte tiennent à la loi du silence entretenu dans le milieu. Cette tendance à la dissimulation tient au fait que lorsqu’un délit de corruption est établi, aussi bien le corrupteur que le corrompu sont passibles de poursuites et de peines d’emprisonnement ferme. Personne n’ayant intérêt à dénoncer l’autre, ne peut-on pas envisager la dépénalisation de l’acte de l’un ou de l’autre des protagonistes de sorte à encourager les dénonciations ?
En tout état de cause, il s’impose dans les stratégies de lutte contre la corruption, la nécessité d’une législation dissuasive et coercitive, la condamnation ferme et exemplaire des mis en cause dans toutes les affaires de corruption, quels que soient leur titre et leur rang.
Pensez-vous que le nouveau régime d’Alassane Ouattara pourra relever ce défi ?
Dès lors qu’on s’inscrit dans une logique de récompense là où l’on attend qu’on donne un signal fort à l’opinion sur sa volonté de rompre avec des pratiques porteuses de compromissions, il y a fort à craindre que la corruption ait encore du chemin devant elle. A moins que la suite des choses nous fasse mentir. Ce qu’on souhaite vivement pour la Côte d’Ivoire.
Propos recueillis par Marc Dossa