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Politique Publié le samedi 16 juillet 2011 | Le Patriote

François Fillon (Premier ministre français) : "Aujourd’hui, nos deux pays engagent une relation décomplexée"

© Le Patriote Par Emma
Coopération ivoiro-française : François Fillon a été reçu par le chef de l`Etat, SEM Alassane Ouattara
Vendredi 15 juillet 2011. Abidjan. Palais présidentiel du Plateau. Alassane Ouattara reçoit le premier ministre français, François Fillon, en visite officielle dans notre pays
M. le président, je voudrais vous dire le très grand honneur que je ressens à être à vos côtés après des événements qui marquent la somme des événements qui ont été tragiques pour la Côte d’ivoire et que vous avez traversée avec un courage, une dignité et une détermination qui ont fait l’admiration de tous les Français et j’en suis sûr dans le monde entier. C’est une grande joie pour moi d’être à Abidjan pour ce qui est de la première visite d’un chef de gouvernement français depuis un quart de siècle. Puisque la dernière visite était en 1986. Et je crois qu’en 1986, c’était une autre Côte d’Ivoire et une autre France. Aujourd’hui, nos deux pays engagent une relation décomplexée et une relation qui s’appuie sur une relation très ancienne et sur les preuves d’amitié que nous nous sommes donné les uns et les autres, en particulier ces derniers mois. La crise ivoirienne avait beaucoup mobilisé l’attention des Français. D’abord parce qu’il y avait cette histoire ancienne entre la France et la Côte d’Ivoire. Vous rappeliez vous-même que beaucoup d’Ivoiriens ont de la famille en France et beaucoup de Français ont des liens étroits avec la Côte d’Ivoire. Et aussi parce que la Côte d’Ivoire, c’était, pendant de nombreuses années, le symbole de la croissance et du développement en Afrique. C’était ce qu’on appelait le miracle ivoirien. Le déclin de ce miracle à partir des années 2000 avait, au fond, provoqué beaucoup de déception chez les Français qui voyaient là ainsi les difficultés de l’Afrique à s’engager dans la voie de la croissance et du développement. . Puis enfin, il y avait le combat pour la démocratie et les droits de l’Homme que vous incarnez. En Côte d’Ivoire, il y a eu une élection présidentielle qui avait d’ailleurs tardé. Cette élection présidentielle vous l’avez gagnée. Il n’y avait aucune raison que le président Ouattara élu par les Ivoiriens ne prenne pas en charge le destin de la Côte d’Ivoire. Nous avons vu les malheurs qu’a provoqués l’entêtement d’un clan qui ne voulait pas respecter le droit et la démocratie. C’est tout cela que la France observait avec le sentiment que se jouait non seulement l’avenir de la Côte d’Ivoire, mais aussi celle de l’Afrique. Parce que la démocratie et les droits de l’Homme ne sont pas réservés à quelques uns. Elles trouvaient un point d’application particulière en Côte d’ivoire. Nous avons tous fait nos efforts avec l’organisation des nations unies dans le respect strict du droit international, en sorte que la démocratie et le respect du droit triomphent en Côte d’Ivoire. C’est ce que le président français est venu dire le 21 mai à l’occasion de sa visite. Il faut enclencher entre nous le renforcement des relations économiques, politiques et diplomatiques pour faire en sorte que la Côte d’Ivoire réussisse et que les engagements que nous avons pris soient tenus. C’est ce que j’ai essayé de dire tout au long de l’entretien que nous avons eu ensemble avec le président. D’abord sur le plan de la défense, nous tiendrons les engagements que le président de la République française a indiqués devant vous. Nous allons négocier ensemble un accord de défense. Le ministre de la Défense, Gérard Longuet est venu il y a quelques jours pour le préparer. Ce sera un accord de défense qui prendra en compte les considérations qui sont les vôtres. Dans la politique française en matière de sécurité en Afrique, la France restera solide aux côtés de la Côte d’Ivoire. Ensuite, il y a les engagements les plus importants. Ceux qui vont permettre à la Côte d’Ivoire de renouer avec la croissance. Je vous ai indiqué que l’engagement que nous avons pris de 400 millions d’euros d’appui budgétaire serait tenu. 350 ont été affectés. Nous avons discuté ensemble des 50 restants. Nous allons régler ensemble cette question dans le sens que vous souhaitez dans les meilleurs délais. De la même façon, nous allons nous engager dans un effort très important sans précédent d’ailleurs finalement de désendettement et de développement avec le contrat désendettement-développement. Ce contrat qui va porter sur 2 milliards d’euros, nous allons le négocier ensemble. A cette occasion, nous allons remettre en place la commission mixte franco-ivoirienne. Et je vous ai indiqué que nous avons décidé d’ajouter sans condition à ces mesures un milliard d’euros. De suppression de dette de la part de la France de la même façon, la France va travailler auprès des autres créanciers de la Côte d’Ivoire pour qu’ils prennent des décisions similaires. Enfin, je suis venu avec une délégation très importante de chefs d’entreprise pour permettre aux entreprises françaises de renouer avec la coopération en Côte d’Ivoire et d’investir en Côte d’Ivoire. Il y a des besoins immenses en matière d’infrastructures. Il y a des entreprises françaises qui ont un savoir-faire. Il faut naturellement qu’elles soient les meilleures dans une compétition qui est une compétition ouverte. J’ai eu l’occasion de dire deux fois que je suis en Côte d’ivoire, la France ne souhaite pas être le partenaire exclusive de la Côte d’ivoire. ça, c’était une autre époque. Nous souhaitons être le partenaire de référence de la Côte d’Ivoire. Nous allons faire en sorte que nos entreprises soient les plus performantes dans la compétition internationale. Je suis d’ailleurs venu avec Henri de Rancourt, Pierre Lelouch et David Douillet pour mettre en œuvre ensemble tout ces partenariats. Je voudrais terminer M. le président de la République en vous disant que nous avons beaucoup d’admiration pour vous de la manière dont vous avez traversé cette crise et ces événements. Vous avez dû affronter une crise sans précédent et vous l’avez fait avec sérénité et avec courage. Mais surtout en ne vous départissant pas des principes et des valeurs qui sont les vôtres. L’avenir de l’Afrique comme l’avenir du monde repose sur le respect du droit, de la démocratie et des droits de l’Homme. Je sais que ce sont des valeurs auxquelles vous êtes très attaché et je suis admiratif de la façon dont vous avez su les respecter toute la durée de cette crise. Tout ceci me permet de dire au-delà de l’admiration personnelle et de l’amitié que moi et le président de la République française nous vous portons, nous avons grande confiance dans l’avenir de la Côte d’Ivoire et des relations entre la France et la Côte d’ivoire.

Question : M. Fillon, vous avez choisi le jour de la fête nationale pour cette visite à Abidjan qui est destinée à marquer le nouveau départ des relations, notamment économiques, entre la France et la Côte d’Ivoire. Or ce matin, certains journaux ont protesté contre ce qu’ils ont appelé : « le retour du colon ». Que répondez-vous aux Ivoiriens qui considèrent les Français de cette façon ? D’autre part, certaines informations font état d’un certain agacement de diplomates américains à l’égard des prétentions françaises et la revendication qu’a la France sur la reconstruction de ce pays. Est-il exact, M. le président, que vous ayez ajourné certaines commandes d’équipements de sécurité à la France pour apaiser ces inquiétudes.

François Fillon : Je voudrais d’abord vous dire que le choix du 14 juillet avait une seule explication. Il me permettait tout en répondant à l’invitation du président Ouattara et du gouvernement ivoirien et à la demande comme l’avait dit le président de la République française de venir ici pour consolider les relations économiques entre la France et la Côte d’Ivoire. La date du 14 juillet me permettait aussi de venir passer la fête nationale avec la communauté française en Côte d’Ivoire qui est très importante et qui aussi a subi les conséquences de la crise grave que la Côte d’Ivoire vient de traverser. Pour le reste, ces accusations et critiques correspondent à des logiciels dépassés. J’appelle tous ceux qui continuent à vouloir évoquer les relations entre la France et l’Afrique en parlant de France-Afrique à changer de vocabulaire et de logiciel. Tout cela n’a plus rien à voir avec la réalité des relations qu’il y a entre nos deux pays. Ce que nous voulons nous, c’est d’aider la Côte d’Ivoire à assumer la plénitude de sa souveraineté. Ce que nous voulons nous, dans le cadre du droit international, c’est de faire en sorte que la démocratie et les droits de l’Homme soient de mieux en mieux respectés sur le continent africain. Je rappelle que nous n’avons agi ici en Côte d’Ivoire que dans le cadre du mandat qui nous a été confié par les Nations unies. Nous n’agissons d’ailleurs aujourd’hui en Libye que dans le cadre du mandat qui a été confié par les Nations unies. Bref, je pense qu’il y a suffisamment de liens d’amitié entre la France et la Côte d’ivoire qui permettent de développer des partenariats économiques au-delà de tous ces discours idéologiques et convenus qui n’ont plus aucune réalité dans le monde d’aujourd’hui. On nous a accusés par le passé, de ne pas avoir compris suffisamment tôt les changements du monde, la chute du rideau de fer hier. Les révolutions arabes aujourd’hui sont en train de dessiner un 21 e siècle qui allait être complètement différent du 20ème siècle. C’est vrai, nous avons parfois tardé un peu à le comprendre. Mais aujourd’hui, nous assumons l’ensemble de nos responsabilités dans le cadre de ce nouveau monde qui est en train de se construire. Par contre, les observateurs et les commentateurs qui continuent de parler de relations coloniales entre la France et l’Afrique, eux, n’ont pas encore compris les changements, la nature des changements qui ont affecté le monde. Donc je leur demande de faire cet effort de remise à jour de leur logiciel et compréhension du monde. Je pense que tout le monde se portera mieux.

Alassane Ouattara : J’ai eu à discuter avec le journaliste qui vient de poser cette question. Et j’ai eu la même réponse. Et c’était à Paris, je crois, le 28 mai et je vous ai dit Monsieur, que c’étaient des notions dépassées. Et que vous devriez véritablement changer de logiciel. Je considère que l’Afrique évolue vers la modernité. Nous, nous avons l’ambition de faire de la Côte d’ivoire un Etat encore plus moderne. Et ces notions du passé qui sont dans certaine presse ne nous intéressent point du tout. Nous sommes fiers de notre souveraineté et nous ferons en sorte que la Côte d’ivoire soit un pays ouvert sur tous les pays du monde. A cet égard, par rapport à votre deuxième question, vous avez dû lire cela dans une certaine presse, honnêtement malgré toute la courtoisie qui me caractérise, je voudrais vous dire non seulement c’est faux, mais que les chiens aboient, la caravane passe.

Question : M. le président de la République, M. le Premier ministre, vous avez évoqué au cours de vos échanges, la prochaine redéfinition des accords de défense entre la France et la Côte d’Ivoire. Pouvons-nous avoir une idée des grandes lignes de ce changement?

Alassane Ouattara : Vous savez, c’est le ministre français de la Défense qui nous a remis ce document. Nous avons considéré qu’il nous fallait du temps pour travailler. Nous avons-nous-même engagé la réflexion sur un document envoyé à la partie française. C’est à l’issue de ce processus que nous pourrons parler de ce qu’il y a lieu de faire pour le futur. Mais, je voudrais qu’on retienne que la Côte d’Ivoire veut des relations décomplexées et que la Côte d’Ivoire est un pays important de la zone ouest-africaine et du continent africain. Il y a donc des risques de tous genres à partir d’Abidjan et de la Côte d’ivoire. Des risques de trafics de drogue, de terrorisme avec tout ce que nous voyons, de déstabilisation dans plusieurs pays de la sous-région. Et nous, nous souhaitons maintenir une base française en Côte d’Ivoire. Je l’ai dit au président Sarkozy et je le répète, ceci peut se faire dans le cadre d’un accord de défense revu qui n’a pas vocation de porter secours à un gouvernement quelconque. Je dois vous dire qu’en réalité, si les élections sont démocratiques et que la volonté du peuple est respectée, il n’y aura pas de déstabilisation. C’est ce qui manque à beaucoup de pays africains. La Côte d’Ivoire est entrée dans une ère de démocratie, de respect des droits de la République et des droits humains.


François Fillon : Il faut seulement ajouter, du point de vue de la France, que ce soit une nouvelle réponse à la question précédente, que nous n’avons pas vocation à assurer nous-mêmes la sécurité de la Côte d’Ivoire comme pour n’importe quel autre pays dans le monde. Nous n’avons d’ailleurs ni la vocation ni les moyens. En revanche, nous voulons assumer toutes nos responsabilités internationales. Nous voulons aider nos amis. Nous voulons notamment les aider à assurer leur sécurité face aux menaces terroristes, face à toutes les sortes de trafics qui, nous le savons, prennent de l’importance dans le monde et qui menacent l’Etat de droit. Nous maintiendrons, si le gouvernement ivoirien le souhaite, une présence militaire en Côte d’Ivoire. Le président de la République française a déjà évoqué le volet de cette présence militaire. Nous souhaitons apporter dans le cadre de cet accord de défense, aux forces ivoiriennes, tout notre concours en terme de formation et de soutien. Mais la place et la doctrine des forces françaises nous conduiront à réduire notre présence militaire en Côte d’Ivoire comme d’ailleurs dans le reste du monde en privilégiant le soutien, la formation et puis les capacités de déploiement dont nous sommes dotés lorsque, dans le cadre du droit international, nous sommes sollicités.


Question : M. le Premier ministre, hier à l’occasion du 14 juillet, vous avez rendu hommage aux soldats français qui ont été tués en Afghanistan ainsi qu’à tous les soldats présents sur les théâtres d’opération extérieurs. Evidemment ici à Abidjan, vous avez rendu hommage aux soldats de la Licorne. En France, le défilé militaire fait l’objet de débat. Le candidat à la présidentielle, Mme Eva Joly propose de le supprimer pour le remplacer par un défilé citoyen. Comment réagissez-vous ?

François Fillon : Je réagis avec tristesse et je constate que cette dame n’a pas une culture très ancienne des valeurs françaises et de l’histoire française. Ce défilé est d’abord le symbole d’une armée qui défend la République. Et si chaque année, nous rendons hommage à nos armées le jour de la fête nationale, nous rendons hommage à une institution qui assure la défense des valeurs de la République française que sont la liberté, la fraternité et l’égalité. Parce que les forces armées françaises concourent au bon fonctionnement de la démocratie dans notre pays. Et c’est normal de leur rendre hommage. Je crois qu’il y a bien peu de Français qui partagent l’avis de Mme Joly.

Recueillis par Jean-Claude Coulibaly
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