Jeudi dernier, l`Union nationale des journalistes de Côte d`Ivoire a organisé un séminaire sur le rôle des médias dans la réconciliation en Côte d`Ivoire. " Les conditions d`une bonne et juste participation des médias dans la réconciliation en Côte d`Ivoire. Les conditions d`une bonne et juste participation des médias au processus de réconciliation en Côte d`Ivoire " tel est le sous-thème qui a fait l`objet de la communication de Me. René Bourgoin, secrétaire général du Conseil national de la presse. Ci-dessous l`intégralité de son exposé liminaire qui a été suivi d`échanges très enrichissants.
(…) La Côte d`Ivoire revient de loin. Tout le monde s`accorde là-dessus. Ce qu`il s`est passé était d`une extrême gravité. Notre pays sort en effet de 4 mois d`une grave crise post électorale et de 15 jours de guerre. La crise a laissé un pays exsangue au plan économique, fragilisé au plan sécuritaire, traumatisé au plan humain. La fracture citoyenne, alimentée par une certaine forme de haine, demeure encore vivace. Aujourd`hui, le processus de réconciliation nationale amorcé par le Gouvernement se justifie en ce sens qu`on ne saurait prétendre à un quelconque développement dans un contexte de déchirure sociale. La cohésion sociale apparaît dès lors comme une condition majeure pour le repositionnement de notre pays. C`est une tâche lourde qui nécessite l`implication de toutes les composantes de la société, celle des professionnels des médias étant l`une des plus attendues, parce que l`une des plus productives. Mais comment en est-on arrivé là ? En effet, avant d`examiner ce que peuvent être les conditions d`une bonne participation des médias au processus de réconciliation, il y a lieu de se demander comment les médias ont-ils contribué à la fracture sociale ? C`est simple. Ils ont failli à leur rôle social. Informer, éduquer et communiquer constituent le triptyque de tout média. C`est le rôle social des médias. Cependant, informer et sensibiliser la population en vue de susciter des changements de comportements positifs semblent être une démarche ignorée de la plupart des médias ivoiriens. Le rôle social apparaît beaucoup plus comme un concept, une vue de l`esprit qu`on a de la peine à mettre en application. Aussi, la population manipulée, loin de s`émanciper, est-elle maintenue dans une forme d`obscurantisme, trompée ou infantilisée puisqu`on lui impose implicitement et explicitement la conduite à tenir.
Un examen critique du paysage médiatique ivoirien induit le constat que nombre des acteurs qui y évoluent sont en parfait déphasage avec les textes régissant la profession, les missions qui leur sont assignées et les attentes du public. L`on constate depuis quelque temps, dans la presse, la récurrence d`un phénomène, le bidonnage qui consiste en un grotesque montage de faits ou carrément à une invention pure et simple de faits n`ayant jamais existé, qu`on diffuse ou publie par la suite. Cette pratique est malsaine et traduit, vis-à-vis de son auteur, une certaine déchéance professionnelle. Or, l`article 1er du Code de Déontologie du Journaliste ivoirien, au titre des devoirs, dispose que le Journaliste doit : "
Respecter les faits, quelles qu`en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité ". Le journaliste ne doit donc ni travestir, ni manipuler les faits. Il doit rester fidèle à la réalité, s`y coller. Certaines pratiques proscrites par les textes régissant la profession et régulièrement condamnées par les organes de régulation, peuvent être à l`origine de conflits. Nous les connaissons pour la plupart et le temps imparti ne permet pas de les énumérer toutes.
Retenons cependant :
- les atteintes à la vie privée, à l`intégrité, à la réputation et à la dignité de certaines personnalités. L`objectif est d`atteindre la personne incriminée dans son intimité par des incursions malsaines dans sa vie privée en exposant au grand jour certains épisodes passés ou non, avérés ou non, de sa vie privée (rappel de la filiation, problèmes conjugaux et familiaux, problèmes de santé…) ;
- la rumeur. On n`en connaît pas forcément la provenance mais elle débute toujours par les formules " on dit que " ou " il paraît que ".
La presse ivoirienne diffuse amplement ce type d`information, en prenant le soin d`émettre des réserves par l`utilisation du mode conditionnel, contournant du coup l`article 2 du Code de Déontologie, ou quelquefois, d`emprunter l`information à une source anonyme qu`elle ne révélera pas, bien entendu. Trop souvent, des personnes innocentes ont été accusées sans investigations et sans preuve et voient ainsi leur dignité bafouée et leur réputation, entachée à jamais. Les exemples sont légion. Les médias ont véritablement pris leur part de responsabilité, de grande responsabilité dans la survenance de la grave crise que la Côte d`Ivoire a connue. Par rapport à la nécessité pour la Côte d`Ivoire de voir ses fils et ses filles réconciliés et unis pour son développement, il y a lieu de s`interroger sur les conditions qui peuvent permettre aux médias de participer à cette réconciliation. Il s`agit en effet de participer car l`œuvre de réconciliation est par essence collective, chacun y prenant sa part.
Il y a, à ce niveau, des conditions endogènes et conséquemment d`autres, exogènes c`est-à-dire extérieures aux médias eux-mêmes. Nous les développerons davantage lors de nos échanges.
Au titre des éléments dont la mise en œuvre dépend des médias eux-mêmes, l`on doit citer :
-le nécessaire soutien à apporter à la Commission Dialogue-Vérité-Réconciliation (DVR). La création de cette commission revêt une grande importance car, outre le fait qu`elle constitue la manifestation concrète de la volonté du Gouvernement de parvenir à la réconciliation nationale, cette commission permet la régulation du processus de réconciliation.
En effet, les choses importantes (plus que toutes autres) doivent être pensées, analysées, encadrées (dans le sens de figurer dans un cadre institutionnel, juridique, politique et ou sociologique). Qu`adviendrait-il d`un processus de réconciliation allant dans tous les sens, sans aucune cohérence ? La réponse est sans ambages, un tel processus aboutirait à une absence de réconciliation ou à une réconciliation factice, ce qui est encore plus grave qu`une absence de réconciliation. Les médias ont le devoir patriotique de soutenir les actions de la Commission DVR en l`aidant à atteindre ses nobles objectifs ;
-la restauration ou l`amélioration de l`environnement sécuritaire des entreprises de presse et leurs animateurs ;
Il est indéniable qu`une presse évoluant dans un environnement d`insécurité sera plus encline à " rudoyer " les autorités en place qu`elle considérera comme responsables de ses " malheurs " ;
A cet égard, le Gouvernement est encouragé à réaffirmer les garanties juridiques de l`exercice de la liberté de la presse et à assister les entreprises sinistrées du secteur ;
-le développement du soutien institutionnel de l`Etat en reconnaissant aux médias la place éminente qui est la leur et en leur offrant un appui matériel et financier, de même que des exonérations fiscales ou para fiscales ;
En effet, il est connu de tous que les médias jouent un rôle important, souvent déterminant dans la formation de l`opinion publique.
Si les médias décident d`œuvrer à un objectif de réconciliation nationale, il leur sera aisé d`amener progressivement les lecteurs, auditeurs et téléspectateurs à une disposition d`esprit favorable à la réception de tout message de réconciliation. L`aide à apporter devra être juridiquement encadrée, de sorte à respecter une impartialité totale.
S`agissant à présent des conditions endogènes aux médias, l`on peut noter :
-Respecter strictement les lois et les règles de l`Ethique et de la Déontologie ;
-Tenir pour scrupule la sauvegarde de la cohésion sociale ;
-Appliquer la Convention Collective dans ses dispositions transitoires ;
-Veiller à son indépendance ;
-Accepter de faire primer l`intérêt général sur l`intérêt partisan ;
Disons les choses clairement, jamais la réconciliation n`adviendra durablement si les médias, dans leur majorité, n`arrêtent pas d`attiser la haine sous toutes ses formes, de faire à nouveau le lit de rancœurs et de ressentiments aux conséquences incalculables.
L`extrême gravité de la crise que nous avons vécue, commande de la part des Médias, un comportement exempt de toutes dérives professionnelles.
La volonté de réconciliation doit articuler liberté et responsabilité assumée.
En guise de conclusion, vous me permettrez de soumettre à votre sagacité ces réflexions. De quelles façons les réalités qui nous affectent adviennent-elles ? Un tremblement de terre, une guerre civile sont, à cet égard, bien différents. Ils ne dérivent pas du même type de cause et ne se produisent pas de la même manière. Les évènements humains, différents en cela des faits naturels, mettent en jeu un pouvoir d`agir qui aurait pu engendrer d`autres faits.
La VOLONTE. Faire ou ne pas faire. Summum de l`initiative, qui esquisse ce que l`on sera par le truchement de ce que l`on fera. Combien de regrets inutiles après un drame dont on découvre qu`il n`avait rien de fatal et qu`une volonté autrement orientée l`aurait sans doute évité ?
Pourrions-nous vivre sans oublier ?
Il faut se le demander, surtout lorsque la blessure du temps s`enracine et qu`on ne peut relire, revoir ou réentendre sans un serrement du cœur. L`être humain vit de mémoire et cela fait d`une certaine façon, sa richesse intérieure. C`est la raison pour laquelle on ne peut demander à une victime d`oublier. Elle doit seulement avoir à l`esprit que le souvenir devenu obsession tue l`audace de vivre. On ne vit plus dans ce cas, on se contente d`exister. Allons à la réconciliation pour vivre.
Je vous remercie.
Me René BOURGOIN
(…) La Côte d`Ivoire revient de loin. Tout le monde s`accorde là-dessus. Ce qu`il s`est passé était d`une extrême gravité. Notre pays sort en effet de 4 mois d`une grave crise post électorale et de 15 jours de guerre. La crise a laissé un pays exsangue au plan économique, fragilisé au plan sécuritaire, traumatisé au plan humain. La fracture citoyenne, alimentée par une certaine forme de haine, demeure encore vivace. Aujourd`hui, le processus de réconciliation nationale amorcé par le Gouvernement se justifie en ce sens qu`on ne saurait prétendre à un quelconque développement dans un contexte de déchirure sociale. La cohésion sociale apparaît dès lors comme une condition majeure pour le repositionnement de notre pays. C`est une tâche lourde qui nécessite l`implication de toutes les composantes de la société, celle des professionnels des médias étant l`une des plus attendues, parce que l`une des plus productives. Mais comment en est-on arrivé là ? En effet, avant d`examiner ce que peuvent être les conditions d`une bonne participation des médias au processus de réconciliation, il y a lieu de se demander comment les médias ont-ils contribué à la fracture sociale ? C`est simple. Ils ont failli à leur rôle social. Informer, éduquer et communiquer constituent le triptyque de tout média. C`est le rôle social des médias. Cependant, informer et sensibiliser la population en vue de susciter des changements de comportements positifs semblent être une démarche ignorée de la plupart des médias ivoiriens. Le rôle social apparaît beaucoup plus comme un concept, une vue de l`esprit qu`on a de la peine à mettre en application. Aussi, la population manipulée, loin de s`émanciper, est-elle maintenue dans une forme d`obscurantisme, trompée ou infantilisée puisqu`on lui impose implicitement et explicitement la conduite à tenir.
Un examen critique du paysage médiatique ivoirien induit le constat que nombre des acteurs qui y évoluent sont en parfait déphasage avec les textes régissant la profession, les missions qui leur sont assignées et les attentes du public. L`on constate depuis quelque temps, dans la presse, la récurrence d`un phénomène, le bidonnage qui consiste en un grotesque montage de faits ou carrément à une invention pure et simple de faits n`ayant jamais existé, qu`on diffuse ou publie par la suite. Cette pratique est malsaine et traduit, vis-à-vis de son auteur, une certaine déchéance professionnelle. Or, l`article 1er du Code de Déontologie du Journaliste ivoirien, au titre des devoirs, dispose que le Journaliste doit : "
Respecter les faits, quelles qu`en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité ". Le journaliste ne doit donc ni travestir, ni manipuler les faits. Il doit rester fidèle à la réalité, s`y coller. Certaines pratiques proscrites par les textes régissant la profession et régulièrement condamnées par les organes de régulation, peuvent être à l`origine de conflits. Nous les connaissons pour la plupart et le temps imparti ne permet pas de les énumérer toutes.
Retenons cependant :
- les atteintes à la vie privée, à l`intégrité, à la réputation et à la dignité de certaines personnalités. L`objectif est d`atteindre la personne incriminée dans son intimité par des incursions malsaines dans sa vie privée en exposant au grand jour certains épisodes passés ou non, avérés ou non, de sa vie privée (rappel de la filiation, problèmes conjugaux et familiaux, problèmes de santé…) ;
- la rumeur. On n`en connaît pas forcément la provenance mais elle débute toujours par les formules " on dit que " ou " il paraît que ".
La presse ivoirienne diffuse amplement ce type d`information, en prenant le soin d`émettre des réserves par l`utilisation du mode conditionnel, contournant du coup l`article 2 du Code de Déontologie, ou quelquefois, d`emprunter l`information à une source anonyme qu`elle ne révélera pas, bien entendu. Trop souvent, des personnes innocentes ont été accusées sans investigations et sans preuve et voient ainsi leur dignité bafouée et leur réputation, entachée à jamais. Les exemples sont légion. Les médias ont véritablement pris leur part de responsabilité, de grande responsabilité dans la survenance de la grave crise que la Côte d`Ivoire a connue. Par rapport à la nécessité pour la Côte d`Ivoire de voir ses fils et ses filles réconciliés et unis pour son développement, il y a lieu de s`interroger sur les conditions qui peuvent permettre aux médias de participer à cette réconciliation. Il s`agit en effet de participer car l`œuvre de réconciliation est par essence collective, chacun y prenant sa part.
Il y a, à ce niveau, des conditions endogènes et conséquemment d`autres, exogènes c`est-à-dire extérieures aux médias eux-mêmes. Nous les développerons davantage lors de nos échanges.
Au titre des éléments dont la mise en œuvre dépend des médias eux-mêmes, l`on doit citer :
-le nécessaire soutien à apporter à la Commission Dialogue-Vérité-Réconciliation (DVR). La création de cette commission revêt une grande importance car, outre le fait qu`elle constitue la manifestation concrète de la volonté du Gouvernement de parvenir à la réconciliation nationale, cette commission permet la régulation du processus de réconciliation.
En effet, les choses importantes (plus que toutes autres) doivent être pensées, analysées, encadrées (dans le sens de figurer dans un cadre institutionnel, juridique, politique et ou sociologique). Qu`adviendrait-il d`un processus de réconciliation allant dans tous les sens, sans aucune cohérence ? La réponse est sans ambages, un tel processus aboutirait à une absence de réconciliation ou à une réconciliation factice, ce qui est encore plus grave qu`une absence de réconciliation. Les médias ont le devoir patriotique de soutenir les actions de la Commission DVR en l`aidant à atteindre ses nobles objectifs ;
-la restauration ou l`amélioration de l`environnement sécuritaire des entreprises de presse et leurs animateurs ;
Il est indéniable qu`une presse évoluant dans un environnement d`insécurité sera plus encline à " rudoyer " les autorités en place qu`elle considérera comme responsables de ses " malheurs " ;
A cet égard, le Gouvernement est encouragé à réaffirmer les garanties juridiques de l`exercice de la liberté de la presse et à assister les entreprises sinistrées du secteur ;
-le développement du soutien institutionnel de l`Etat en reconnaissant aux médias la place éminente qui est la leur et en leur offrant un appui matériel et financier, de même que des exonérations fiscales ou para fiscales ;
En effet, il est connu de tous que les médias jouent un rôle important, souvent déterminant dans la formation de l`opinion publique.
Si les médias décident d`œuvrer à un objectif de réconciliation nationale, il leur sera aisé d`amener progressivement les lecteurs, auditeurs et téléspectateurs à une disposition d`esprit favorable à la réception de tout message de réconciliation. L`aide à apporter devra être juridiquement encadrée, de sorte à respecter une impartialité totale.
S`agissant à présent des conditions endogènes aux médias, l`on peut noter :
-Respecter strictement les lois et les règles de l`Ethique et de la Déontologie ;
-Tenir pour scrupule la sauvegarde de la cohésion sociale ;
-Appliquer la Convention Collective dans ses dispositions transitoires ;
-Veiller à son indépendance ;
-Accepter de faire primer l`intérêt général sur l`intérêt partisan ;
Disons les choses clairement, jamais la réconciliation n`adviendra durablement si les médias, dans leur majorité, n`arrêtent pas d`attiser la haine sous toutes ses formes, de faire à nouveau le lit de rancœurs et de ressentiments aux conséquences incalculables.
L`extrême gravité de la crise que nous avons vécue, commande de la part des Médias, un comportement exempt de toutes dérives professionnelles.
La volonté de réconciliation doit articuler liberté et responsabilité assumée.
En guise de conclusion, vous me permettrez de soumettre à votre sagacité ces réflexions. De quelles façons les réalités qui nous affectent adviennent-elles ? Un tremblement de terre, une guerre civile sont, à cet égard, bien différents. Ils ne dérivent pas du même type de cause et ne se produisent pas de la même manière. Les évènements humains, différents en cela des faits naturels, mettent en jeu un pouvoir d`agir qui aurait pu engendrer d`autres faits.
La VOLONTE. Faire ou ne pas faire. Summum de l`initiative, qui esquisse ce que l`on sera par le truchement de ce que l`on fera. Combien de regrets inutiles après un drame dont on découvre qu`il n`avait rien de fatal et qu`une volonté autrement orientée l`aurait sans doute évité ?
Pourrions-nous vivre sans oublier ?
Il faut se le demander, surtout lorsque la blessure du temps s`enracine et qu`on ne peut relire, revoir ou réentendre sans un serrement du cœur. L`être humain vit de mémoire et cela fait d`une certaine façon, sa richesse intérieure. C`est la raison pour laquelle on ne peut demander à une victime d`oublier. Elle doit seulement avoir à l`esprit que le souvenir devenu obsession tue l`audace de vivre. On ne vit plus dans ce cas, on se contente d`exister. Allons à la réconciliation pour vivre.
Je vous remercie.
Me René BOURGOIN