Dans un entretien accordé à Afrik.com, le mardi 26 juillet 2011, Toussaint Alain analyse la situation sociopolitique en Côte d'Ivoire après la chute de l'ex-président Laurent Gbagbo dont il est l'un des conseillers. Le journaliste parle surtout des conditions de détention de Laurent Gbagbo.
Afrik.com : Qu'est-ce qui vous permet d'affirmer que Laurent Gbagbo est détenu dans de mauvaises conditions ?
Toussaint Alain : Il ne faut pas sous estimer la complexité de la situation du président Laurent Gbagbo, de son épouse Simone et son fils Michel. Nous estimons que le président Gbagbo est déjà à son centième jour de détention (mercredi 20 juillet) sans qu'il ait la possibilité de communiquer avec l'extérieur, ni avec ses avocats ou ses proches. Laurent Gbagbo est en danger de mort ! Contrairement à ce que dit Ouattara, le Président n'est pas en résidence surveillée à Korogho. Le Chef de l'Etat est l'otage du chef rebelle Fofié Kouakou dans la maison duquel il est enfermé dans une « pièce-salon » et sans la lumière du jour. Il en a été extrait spécialement pour être conduit à la résidence présidentielle lors de la visite de Choi (le représentant spécial des Nations unies en Côte d'Ivoire, ndlr). Nous avons des informateurs qui nous permettent d'affirmer ce que nous disons. Il s'agit de sources proches du régime et des Nations unies qui nous soutiennent. Elles nous disent d'agir car le président Gbagbo court le risque permanent d'être assassiné.
Où en est votre demande concernant la libération de Michel Gbagbo, le fils franco-ivoirien de l'ancien président, également détenu en Côted'Ivoire ?
Je suis indigné par l'attitude méprisante de la France. La mère de Michel Gbagbo, Jacqueline Chamoy, a écrit deux fois au ministre français des Affaires étrangères Alain Juppé. Elle n'a obtenu aucune réponse. Elle a ensuite écrit début juillet à M. Sarkozy qui ne lui a pas répondu non plus. Pour le gouvernement français, il y a deux types de citoyens : ceux qui méritent d'être défendus et ceux qui ne le méritent pas. On a vu les autorités françaises à la manœuvre pour Florence Cassez, détenue au Mexique. On les a vues agir pour les otages journalistes et autres. Mais pour Michel Gbagbo, rien ne bouge. Michel Gbagbo est Français même s'il a la double nationalité. Il mérite tout autant qu'un autre d'être défendu. C'est une attitude qui m'interpelle et me préoccupe. La France, qui se présente comme celle qui va rétablir la démocratie en Côte d'Ivoire, est en réalité en campagne économique et n'hésite pas à sacrifier ses otages pour le bien de ses intérêts économiques. Elle ne réagit pas alors que nous savons que les clés des prisons de Gbagbo, son fils et sa femme sont entre ses mains. Car ces derniers sont ses prisonniers. La France a voulu leur donner une leçon car ils ont refusé de se coucher devant M. Sarkozy. Le sort qui leur est réservé est totalement inhumain. Si nous n'agissons pas, je pense que c'est la mort qui les attend.
Avez-vous des nouvelles de Charles Blé-Goudé, qui s'exprime régulièrement dans les médias tout en s'abstenant de révéler l'endroit où il a trouvé refuge depuis la chute du régime de Laurent Gbagbo ?
Je l'ai eu au téléphone récemment. Il va très bien. Il est en bonne santé et toujours aussi déterminé à défendre les intérêts de la Côte d'Ivoire. Il compte mener une opposition démocratique et politique. Mais je ne vous direz pas où il se trouve. Je pense que ce n'est pas le plus important. L'essentiel est que nous continuons à mener la résistance.
Quel est l'avenir du Front populaire ivoirien (Fpi), le parti de Laurent Gbagbo, maintenant que Koulibaly Mamadou qui assurait la présidence par intérim a démissionné ?
C'est un coup dur qui a été porté là. Je donne l'exemple d'une famille où, lorsque le père et la mère ne sont plus là, les enfants se disputent. Et celui à qui l'on a confié les clés de la maison se barre ! Le Fpi doit trouver la force de se relever. Il faut rapidement trouver la formule qui permette à ce parti de rebondir. C'est un mauvais signal envoyé aux militants et aux Ivoiriens qui sont avec Gbagbo. Quant à savoir qui peut remplacer Koulibaly, je n'en sais rien. Je n'ai pas de pronostic à faire. Ce sont les affaires du Fpi et cela ne regarde que le Fpi. J'avoue que j'ai été surpris par cette démission. C'est son droit de créer son propre parti. Mais Koulibaly avait l'opportunité de diriger le Fpi qui est le premier parti politique de Côte d'Ivoire. Il avait une occasion d'affirmer et d'imposer son leadership.
Pourquoi vous acharnez-vous ainsi à défendre Laurent Gbagbo ?
Je le défends par conviction. Et non parce qu'il m'a donné la clé d'un coffre caché où je peux puiser de l'argent tous les jours. Je me suis engagé en politique, il y a dix ans, lorsque le président Gbagbo m'a appelé à ses côtés. C'est Gbagbo qui a engagé la Côte d'Ivoire sur la voie de la démocratie. C'est lui qui a initié le projet de l'assurance maladie, le multipartisme, l'école gratuite etc. Il a une vision politique que je partage. Il a une passion pour la Côte d'Ivoire et un humanisme que je partage. C'est pour cela que j'ai choisi d'être avec lui. Et ce n'est pas lorsque le navire commence à prendre l'eau que l'on doit se sauver. Je connais bien le président Gbagbo. Il n'a assassiné personne. S'il était un assassin, croyez-moi, j'aurais été le premier à m'en aller. Ce n'est pas à mon âge que je vais entamer une carrière de dictateur ou de complice de dictateur. Pourquoi faire ? Gbagbo est un homme généreux et je suis sincère en disant cela.
A vous entendre, vous donnez l'impression que Laurent Gbagbo ne porte aucune responsabilité dans les évènements qui ont conduit et suivi la crise post-électorale. Quel est par conséquent votre regard sur les accusations portées à son encontre ?
Les accusations portées contre Laurent Gbagbo par le président Alassane Ouattara sont sans fondement. Monsieur Ouattara est la source des problèmes que connaît actuellement la Côte d'Ivoire. Il est l'initiateur, l'organisateur et le bénéficiaire de la rébellion qui a divisé la Côte d'Ivoire depuis septembre 2002. Et au cours de cette rébellion, des personnes ont perdu la vie. Il y a eu des morts et Monsieur Ouattara doit rendre des comptes à la Justice. Gbagbo n'a pas été le commanditaire de meurtres. On dit que le président Gbagbo est un dictateur. Je trouve cela plutôt injuste. Lorsque Gbagbo accède au pouvoir en octobre 2000, il souhaite œuvrer pour la réconciliation. M. Ouattara n'a jamais été contraint à l'exil. Gbagbo a fait en sorte qu'il revienne en Côte d'Ivoire. Donnez-moi un seul exemple qui montre que Gbagbo est un dictateur. Quel opposant a-t-il jeté en prison ? Au contraire il a mené une politique de décentralisation et dans une dictature ce serait plutôt un pouvoir centralisé. Gbagbo a mené de grandes réformes sociales. Il a permis à la presse de s'exprimer librement. En 2010, sur 27 titres, les trois quarts étaient proches de l'opposition. Elle a bénéficié d'aides financières considérables. M. Ouattara a délégitimé un président qui avait à son actif quarante ans de combat pour la démocratie.
La justice ivoirienne, dont l'impartialité est remise en question, est-elle capable de conduire un éventuel procès contre Laurent Gbagbo ?
Il n'y a aucun crime qui ne puisse être jugé en Afrique. Je suis convaincu qu'en Côte d'Ivoire, il y a des Ivoiriennes et Ivoiriens qui peuvent garantir l'indépendance de la Justice. Nous avons en Afrique des magistrats brillants. Pourquoi les dirigeants africains doivent être traduits devant la Cour pénale internationale alors que Sarkozy, Obama, Bush, Chirac qui ont massacrés des Afghans et des Irakiens ne le sont pas ? Il appartient à nos juridictions nationales de régler les problèmes nationaux de la Côte d'Ivoire. Quand Licorne a massacré 70 Ivoiriens, pourquoi Chirac ou Sarkozy, le chef de la force française, n'ont pas été traduits devant la justice ? C'est parce qu'on estime que ce sont des Noirs qui ont été tués. Par conséquent, tout le monde s'en moque. Personne et aucun Ivoirien n'ira devant la Cpi. Il faut que nos juridictions nationales soient renforcées, avec nos moyens, au nom de notre dignité. Le procureur de la CPI, Luis-Moreno Ocampo, s'est rendu en juillet en Côte d'Ivoire seulement huit ans après qu'il ait été sollicité par le président Gbagbo qui lui a écrit maintes fois pour dénoncer les crimes de la rébellion. Mais il n'a jamais trouvé bon de répondre. Rien ne garantit l'indépendance de la CPI. Je crains même que les jugements rendus par la CPI soient plus à craindre que ceux rendus par la Côte d'Ivoire parce que cette cour est instrumentalisée par les Occidentaux. Ouattara, qui fait aujourd'hui appel à la CPI, sera le premier à dire demain qu'il n'en veut plus.
Le camp Ouattara ne semble pas à l'abri de poursuites de la Cour pénale internationale puisqu'il est accusé par les organisations des droits de l'Homme d'avoir commis des exactions...
Ouattara n'est pas à l'abri de poursuites. Il y a eu des victimes et des morts et il faut que les auteurs de ces exactions soient condamnés par la justice. Ce que l'on dénonce, c'est une justice à deux vitesses, une justice sur mesure qui se révèle lorsque les intérêts de ceux qui la manipulent sont en jeu. La France, dont les soldats sont présents dans le nord et l'ouest du pays, théâtre de nombreux massacres perpétrés par la rébellion, n'a jamais dénoncé ces exactions. De même pour l'Onu, qui est l'instrument que l'on utilise pour recoloniser l'Afrique. Ce sont les Nations unies qui divisent l'Afrique aujourd'hui.
Vous avez toujours été très critique à l'égard de l'action internationale en Côte d'Ivoire durant la crise post-électorale, notamment à l'égard de la France.Pourquoi ?
Les grandes puissances se sont comportées en Côte d'Ivoire comme des voyous ! Regardez ce qu'ils font en Libye. Les agissements de la France ont été criminels. Un soldat français en Côte d'Ivoire est un soldat de trop. La force Licorne n'a rien à faire chez nous. Quand elle bombarde des hôpitaux, universités, écoles ou camps militaires, au nom de quoi se permet-elle cela ? Ce sont des méthodes inacceptables ! Nous étions sur la voie de la démocratie. C'est la France qui est responsable à part entière des malheurs de la Côte d' Ivoire puisqu'elle n'a pas accepté le processus de démocratie qui s'était mis en place lorsque le président Laurent Gbagbo est arrivé au pouvoir. Elle a mis une rébellion en marche contre Laurent Gbagbo pour placer M. Ouattara, huit ans plus tard, à la tête du pays pour qu'il puisse mieux servir ses intérêts. D'ailleurs, beaucoup de dirigeants africains nous soutiennent. Ils nous appellent pour nous le dire. Mais ils n'osent pas s'opposer à la France car ils ont peur de subir le même sort que Gbagbo. Le seul qui a été courageux c'est le président gambien qui a toujours affirmé qu'il ne reconnaissait pas Ouattara. François Fillon a averti, il y a quelques semaines, que ce qui est arrivé en Côte d'Ivoire est un signal pour tous ceux qui ne respectent pas la démocratie. C'est en réalité une mise en garde pour tous ceux qui ne respectent pas les intérêts de la France. Tout le monde dit que c'est Gbagbo qui a trafiqué les élections. En réalité c'est Ouattara qui a triché.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que l'alliance politique entre Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara devait logiquement profiter à Alassane Ouattara ?
C'est une alliance ethnique. Et rien d'autre. Près de 60% de l'électorat ivoirien était à Abidjan. Or Gbagbo a obtenu 58% des suffrages à Abidjan. Le report des voix ne s'est pas fait. M. Ouattara a triché. Dans la région des Baoulé (centre du pays), où il l'a remporté la majorité des suffrages, il s'est attribué plus de voix qu'il en avait. Il a dû obtenir 240 000 voix mais il a affirmé qu'il en avait eu 243 000. Si vous sondez l'opinion publique à Abidjan, beaucoup se sont ralliés au président Gbagbo. Le président Gbagbo a été victime d'un coup d'Etat. Pour nous, Ouattara est le visage civil d'un régime militaire. De toute manière, il n'y a même pas matière à discuter. Dès lors que le Conseil Constitutionnel prononce les résultats, ils doivent être acceptés de tous. Pourquoi l'Occident n'en n'a pas pris acte ? Ce ne sont pas les résultats de Youssouf Bakayoko qui prouvent que Ouattara a gagné les élections. Il y avait 2 200 PV (procès-verbaux) sur les 21 000 inscrits. C'est-à-dire que 10% des PV étaient frauduleux. En réalité le nombre des électeurs étaient plus élevé que le nombre d'inscrits. C'est comme si vous aviez par exemple 15 inscrits et au final 22 votants. Est-ce normal ?
Est-ce un argument valable puisque le Conseil Constitutionnel était favorable à Laurent Gbagbo qui en avait lui-même nommé son président ?
Il n'était pas favorable à Laurent Gbagbo. C'est la Constitution qui veut que le président de la République nomme les membres du Conseil constitutionnel. En France c'est pareil. Ce n'est pas une spécificité ivoirienne. Tout ceci ne me pose pas de problème dès lors que la procédure est respectée et que chaque membre travaille en toute indépendance. De la même façon que cela ne m'a pas gêné que les membres de la Commission électorale indépendante (CEI) soient proches du RHDP (Rassemblement des Houphouétistes pour la paix, alliance qui a porté Alassane Ouattara au pouvoir, ndlr). Chacun doit faire son travail en toute impartialité et en toute transparence.
Le président Alassane Ouattara a fait de la réconciliation nationale l'une de ses priorités pour redresser la Côte d'Ivoire. Pensez-vous qu'un tel projet puisse aboutir alors que les Ivoiriens commencent tout juste à panser leurs plaies ?
Ouattara n'est pas prêt pour une réconciliation nationale et je ne pense pas qu'il soit l'homme qui puisse réconcilier la Côte d' Ivoire. Autrement, il ne jetterait pas en prison toutes les personnes qui ne pensent pas comme lui. Autrement,il ne garderait pas en prison le président Laurent Gbagbo. Il faut que Gbagbo soit libéré, c'est un élément déterminant pour entamer ce processus. Sa libération serait un signe fort qui montrerait que Ouattara est enfin disposé à s'engager dans la voie de la réconciliation. La détention du président Gbagbo est vécue comme une vraie psychose. Des gens en sont même morts. Beaucoup sont actuellement en souffrance psychologique. J'adresse un message à Ouattara. Il faut qu'il ait la victoire modeste. Il doit accepter d'ouvrir un dialogue politique avec le président Gbagbo dans son intérêt et dans l'intérêt des Ivoiriens car la posture qu'il a adoptée ne peut que le mener dans une impasse. Le président Gbagbo ne lui a jamais fait subir le millième de ce qu'il lui fait subir en ce moment. Les ressentiments à son encontre sont forts. Et s'il persiste dans cette voie, il ne fera que renforcer le front anti-Ouattara.
Source : Afrik.com
Afrik.com : Qu'est-ce qui vous permet d'affirmer que Laurent Gbagbo est détenu dans de mauvaises conditions ?
Toussaint Alain : Il ne faut pas sous estimer la complexité de la situation du président Laurent Gbagbo, de son épouse Simone et son fils Michel. Nous estimons que le président Gbagbo est déjà à son centième jour de détention (mercredi 20 juillet) sans qu'il ait la possibilité de communiquer avec l'extérieur, ni avec ses avocats ou ses proches. Laurent Gbagbo est en danger de mort ! Contrairement à ce que dit Ouattara, le Président n'est pas en résidence surveillée à Korogho. Le Chef de l'Etat est l'otage du chef rebelle Fofié Kouakou dans la maison duquel il est enfermé dans une « pièce-salon » et sans la lumière du jour. Il en a été extrait spécialement pour être conduit à la résidence présidentielle lors de la visite de Choi (le représentant spécial des Nations unies en Côte d'Ivoire, ndlr). Nous avons des informateurs qui nous permettent d'affirmer ce que nous disons. Il s'agit de sources proches du régime et des Nations unies qui nous soutiennent. Elles nous disent d'agir car le président Gbagbo court le risque permanent d'être assassiné.
Où en est votre demande concernant la libération de Michel Gbagbo, le fils franco-ivoirien de l'ancien président, également détenu en Côted'Ivoire ?
Je suis indigné par l'attitude méprisante de la France. La mère de Michel Gbagbo, Jacqueline Chamoy, a écrit deux fois au ministre français des Affaires étrangères Alain Juppé. Elle n'a obtenu aucune réponse. Elle a ensuite écrit début juillet à M. Sarkozy qui ne lui a pas répondu non plus. Pour le gouvernement français, il y a deux types de citoyens : ceux qui méritent d'être défendus et ceux qui ne le méritent pas. On a vu les autorités françaises à la manœuvre pour Florence Cassez, détenue au Mexique. On les a vues agir pour les otages journalistes et autres. Mais pour Michel Gbagbo, rien ne bouge. Michel Gbagbo est Français même s'il a la double nationalité. Il mérite tout autant qu'un autre d'être défendu. C'est une attitude qui m'interpelle et me préoccupe. La France, qui se présente comme celle qui va rétablir la démocratie en Côte d'Ivoire, est en réalité en campagne économique et n'hésite pas à sacrifier ses otages pour le bien de ses intérêts économiques. Elle ne réagit pas alors que nous savons que les clés des prisons de Gbagbo, son fils et sa femme sont entre ses mains. Car ces derniers sont ses prisonniers. La France a voulu leur donner une leçon car ils ont refusé de se coucher devant M. Sarkozy. Le sort qui leur est réservé est totalement inhumain. Si nous n'agissons pas, je pense que c'est la mort qui les attend.
Avez-vous des nouvelles de Charles Blé-Goudé, qui s'exprime régulièrement dans les médias tout en s'abstenant de révéler l'endroit où il a trouvé refuge depuis la chute du régime de Laurent Gbagbo ?
Je l'ai eu au téléphone récemment. Il va très bien. Il est en bonne santé et toujours aussi déterminé à défendre les intérêts de la Côte d'Ivoire. Il compte mener une opposition démocratique et politique. Mais je ne vous direz pas où il se trouve. Je pense que ce n'est pas le plus important. L'essentiel est que nous continuons à mener la résistance.
Quel est l'avenir du Front populaire ivoirien (Fpi), le parti de Laurent Gbagbo, maintenant que Koulibaly Mamadou qui assurait la présidence par intérim a démissionné ?
C'est un coup dur qui a été porté là. Je donne l'exemple d'une famille où, lorsque le père et la mère ne sont plus là, les enfants se disputent. Et celui à qui l'on a confié les clés de la maison se barre ! Le Fpi doit trouver la force de se relever. Il faut rapidement trouver la formule qui permette à ce parti de rebondir. C'est un mauvais signal envoyé aux militants et aux Ivoiriens qui sont avec Gbagbo. Quant à savoir qui peut remplacer Koulibaly, je n'en sais rien. Je n'ai pas de pronostic à faire. Ce sont les affaires du Fpi et cela ne regarde que le Fpi. J'avoue que j'ai été surpris par cette démission. C'est son droit de créer son propre parti. Mais Koulibaly avait l'opportunité de diriger le Fpi qui est le premier parti politique de Côte d'Ivoire. Il avait une occasion d'affirmer et d'imposer son leadership.
Pourquoi vous acharnez-vous ainsi à défendre Laurent Gbagbo ?
Je le défends par conviction. Et non parce qu'il m'a donné la clé d'un coffre caché où je peux puiser de l'argent tous les jours. Je me suis engagé en politique, il y a dix ans, lorsque le président Gbagbo m'a appelé à ses côtés. C'est Gbagbo qui a engagé la Côte d'Ivoire sur la voie de la démocratie. C'est lui qui a initié le projet de l'assurance maladie, le multipartisme, l'école gratuite etc. Il a une vision politique que je partage. Il a une passion pour la Côte d'Ivoire et un humanisme que je partage. C'est pour cela que j'ai choisi d'être avec lui. Et ce n'est pas lorsque le navire commence à prendre l'eau que l'on doit se sauver. Je connais bien le président Gbagbo. Il n'a assassiné personne. S'il était un assassin, croyez-moi, j'aurais été le premier à m'en aller. Ce n'est pas à mon âge que je vais entamer une carrière de dictateur ou de complice de dictateur. Pourquoi faire ? Gbagbo est un homme généreux et je suis sincère en disant cela.
A vous entendre, vous donnez l'impression que Laurent Gbagbo ne porte aucune responsabilité dans les évènements qui ont conduit et suivi la crise post-électorale. Quel est par conséquent votre regard sur les accusations portées à son encontre ?
Les accusations portées contre Laurent Gbagbo par le président Alassane Ouattara sont sans fondement. Monsieur Ouattara est la source des problèmes que connaît actuellement la Côte d'Ivoire. Il est l'initiateur, l'organisateur et le bénéficiaire de la rébellion qui a divisé la Côte d'Ivoire depuis septembre 2002. Et au cours de cette rébellion, des personnes ont perdu la vie. Il y a eu des morts et Monsieur Ouattara doit rendre des comptes à la Justice. Gbagbo n'a pas été le commanditaire de meurtres. On dit que le président Gbagbo est un dictateur. Je trouve cela plutôt injuste. Lorsque Gbagbo accède au pouvoir en octobre 2000, il souhaite œuvrer pour la réconciliation. M. Ouattara n'a jamais été contraint à l'exil. Gbagbo a fait en sorte qu'il revienne en Côte d'Ivoire. Donnez-moi un seul exemple qui montre que Gbagbo est un dictateur. Quel opposant a-t-il jeté en prison ? Au contraire il a mené une politique de décentralisation et dans une dictature ce serait plutôt un pouvoir centralisé. Gbagbo a mené de grandes réformes sociales. Il a permis à la presse de s'exprimer librement. En 2010, sur 27 titres, les trois quarts étaient proches de l'opposition. Elle a bénéficié d'aides financières considérables. M. Ouattara a délégitimé un président qui avait à son actif quarante ans de combat pour la démocratie.
La justice ivoirienne, dont l'impartialité est remise en question, est-elle capable de conduire un éventuel procès contre Laurent Gbagbo ?
Il n'y a aucun crime qui ne puisse être jugé en Afrique. Je suis convaincu qu'en Côte d'Ivoire, il y a des Ivoiriennes et Ivoiriens qui peuvent garantir l'indépendance de la Justice. Nous avons en Afrique des magistrats brillants. Pourquoi les dirigeants africains doivent être traduits devant la Cour pénale internationale alors que Sarkozy, Obama, Bush, Chirac qui ont massacrés des Afghans et des Irakiens ne le sont pas ? Il appartient à nos juridictions nationales de régler les problèmes nationaux de la Côte d'Ivoire. Quand Licorne a massacré 70 Ivoiriens, pourquoi Chirac ou Sarkozy, le chef de la force française, n'ont pas été traduits devant la justice ? C'est parce qu'on estime que ce sont des Noirs qui ont été tués. Par conséquent, tout le monde s'en moque. Personne et aucun Ivoirien n'ira devant la Cpi. Il faut que nos juridictions nationales soient renforcées, avec nos moyens, au nom de notre dignité. Le procureur de la CPI, Luis-Moreno Ocampo, s'est rendu en juillet en Côte d'Ivoire seulement huit ans après qu'il ait été sollicité par le président Gbagbo qui lui a écrit maintes fois pour dénoncer les crimes de la rébellion. Mais il n'a jamais trouvé bon de répondre. Rien ne garantit l'indépendance de la CPI. Je crains même que les jugements rendus par la CPI soient plus à craindre que ceux rendus par la Côte d'Ivoire parce que cette cour est instrumentalisée par les Occidentaux. Ouattara, qui fait aujourd'hui appel à la CPI, sera le premier à dire demain qu'il n'en veut plus.
Le camp Ouattara ne semble pas à l'abri de poursuites de la Cour pénale internationale puisqu'il est accusé par les organisations des droits de l'Homme d'avoir commis des exactions...
Ouattara n'est pas à l'abri de poursuites. Il y a eu des victimes et des morts et il faut que les auteurs de ces exactions soient condamnés par la justice. Ce que l'on dénonce, c'est une justice à deux vitesses, une justice sur mesure qui se révèle lorsque les intérêts de ceux qui la manipulent sont en jeu. La France, dont les soldats sont présents dans le nord et l'ouest du pays, théâtre de nombreux massacres perpétrés par la rébellion, n'a jamais dénoncé ces exactions. De même pour l'Onu, qui est l'instrument que l'on utilise pour recoloniser l'Afrique. Ce sont les Nations unies qui divisent l'Afrique aujourd'hui.
Vous avez toujours été très critique à l'égard de l'action internationale en Côte d'Ivoire durant la crise post-électorale, notamment à l'égard de la France.Pourquoi ?
Les grandes puissances se sont comportées en Côte d'Ivoire comme des voyous ! Regardez ce qu'ils font en Libye. Les agissements de la France ont été criminels. Un soldat français en Côte d'Ivoire est un soldat de trop. La force Licorne n'a rien à faire chez nous. Quand elle bombarde des hôpitaux, universités, écoles ou camps militaires, au nom de quoi se permet-elle cela ? Ce sont des méthodes inacceptables ! Nous étions sur la voie de la démocratie. C'est la France qui est responsable à part entière des malheurs de la Côte d' Ivoire puisqu'elle n'a pas accepté le processus de démocratie qui s'était mis en place lorsque le président Laurent Gbagbo est arrivé au pouvoir. Elle a mis une rébellion en marche contre Laurent Gbagbo pour placer M. Ouattara, huit ans plus tard, à la tête du pays pour qu'il puisse mieux servir ses intérêts. D'ailleurs, beaucoup de dirigeants africains nous soutiennent. Ils nous appellent pour nous le dire. Mais ils n'osent pas s'opposer à la France car ils ont peur de subir le même sort que Gbagbo. Le seul qui a été courageux c'est le président gambien qui a toujours affirmé qu'il ne reconnaissait pas Ouattara. François Fillon a averti, il y a quelques semaines, que ce qui est arrivé en Côte d'Ivoire est un signal pour tous ceux qui ne respectent pas la démocratie. C'est en réalité une mise en garde pour tous ceux qui ne respectent pas les intérêts de la France. Tout le monde dit que c'est Gbagbo qui a trafiqué les élections. En réalité c'est Ouattara qui a triché.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que l'alliance politique entre Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara devait logiquement profiter à Alassane Ouattara ?
C'est une alliance ethnique. Et rien d'autre. Près de 60% de l'électorat ivoirien était à Abidjan. Or Gbagbo a obtenu 58% des suffrages à Abidjan. Le report des voix ne s'est pas fait. M. Ouattara a triché. Dans la région des Baoulé (centre du pays), où il l'a remporté la majorité des suffrages, il s'est attribué plus de voix qu'il en avait. Il a dû obtenir 240 000 voix mais il a affirmé qu'il en avait eu 243 000. Si vous sondez l'opinion publique à Abidjan, beaucoup se sont ralliés au président Gbagbo. Le président Gbagbo a été victime d'un coup d'Etat. Pour nous, Ouattara est le visage civil d'un régime militaire. De toute manière, il n'y a même pas matière à discuter. Dès lors que le Conseil Constitutionnel prononce les résultats, ils doivent être acceptés de tous. Pourquoi l'Occident n'en n'a pas pris acte ? Ce ne sont pas les résultats de Youssouf Bakayoko qui prouvent que Ouattara a gagné les élections. Il y avait 2 200 PV (procès-verbaux) sur les 21 000 inscrits. C'est-à-dire que 10% des PV étaient frauduleux. En réalité le nombre des électeurs étaient plus élevé que le nombre d'inscrits. C'est comme si vous aviez par exemple 15 inscrits et au final 22 votants. Est-ce normal ?
Est-ce un argument valable puisque le Conseil Constitutionnel était favorable à Laurent Gbagbo qui en avait lui-même nommé son président ?
Il n'était pas favorable à Laurent Gbagbo. C'est la Constitution qui veut que le président de la République nomme les membres du Conseil constitutionnel. En France c'est pareil. Ce n'est pas une spécificité ivoirienne. Tout ceci ne me pose pas de problème dès lors que la procédure est respectée et que chaque membre travaille en toute indépendance. De la même façon que cela ne m'a pas gêné que les membres de la Commission électorale indépendante (CEI) soient proches du RHDP (Rassemblement des Houphouétistes pour la paix, alliance qui a porté Alassane Ouattara au pouvoir, ndlr). Chacun doit faire son travail en toute impartialité et en toute transparence.
Le président Alassane Ouattara a fait de la réconciliation nationale l'une de ses priorités pour redresser la Côte d'Ivoire. Pensez-vous qu'un tel projet puisse aboutir alors que les Ivoiriens commencent tout juste à panser leurs plaies ?
Ouattara n'est pas prêt pour une réconciliation nationale et je ne pense pas qu'il soit l'homme qui puisse réconcilier la Côte d' Ivoire. Autrement, il ne jetterait pas en prison toutes les personnes qui ne pensent pas comme lui. Autrement,il ne garderait pas en prison le président Laurent Gbagbo. Il faut que Gbagbo soit libéré, c'est un élément déterminant pour entamer ce processus. Sa libération serait un signe fort qui montrerait que Ouattara est enfin disposé à s'engager dans la voie de la réconciliation. La détention du président Gbagbo est vécue comme une vraie psychose. Des gens en sont même morts. Beaucoup sont actuellement en souffrance psychologique. J'adresse un message à Ouattara. Il faut qu'il ait la victoire modeste. Il doit accepter d'ouvrir un dialogue politique avec le président Gbagbo dans son intérêt et dans l'intérêt des Ivoiriens car la posture qu'il a adoptée ne peut que le mener dans une impasse. Le président Gbagbo ne lui a jamais fait subir le millième de ce qu'il lui fait subir en ce moment. Les ressentiments à son encontre sont forts. Et s'il persiste dans cette voie, il ne fera que renforcer le front anti-Ouattara.
Source : Afrik.com