INTRODUCTION
La remise du Prix Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix est toujours
l’occasion favorable pour une interrogation profonde : qu’a-t-on fait individuellement
et collectivement pour apporter sa contribution à la promotion de la paix ? C’est donc
un moment privilégié pour tout observateur, acteur politique ou non, de jeter un
regard critique mais objectif sur l’état de la paix en soi et autour de soi. La remise du
prix chaque année est une lampe allumée par les organisateurs du prix et projetée
sur la toile blanche de la paix qui enveloppe le monde. Un monde tourmenté par la
haine et la méchanceté, l’injustice et l’intolérance, le terrorisme et les conflits armés
de toutes sortes. La paix a-t-elle vraiment un sens en cette vie ? Qui ne s’est jamais
posé cette question ? Hélas, quelque soit le regard sur la vie, d’un coté des millions
d’humains vivent dans des conditions épouvantables. La pauvreté, la maladie, la
violence gratuite et l’oppression sont leur lot quotidien. Leur principal combat n’est
autre que de survivre au jour le jour. D’un autre coté, des millions d’autres personnes
jouissent d’une certaine prospérité matérielle. Elles semblent avoir tout pour être
heureuses. Mais elles ne le sont pas. Elles n’ont pas la paix. Nombre de gens ne
trouvent pas logique qu’en étant dotés d’un potentiel si extraordinaire les êtres
humains vivent malheureux et sans perspective de paix. Ainsi, malgré les efforts
inlassables de quelques défenseurs acharnés de la paix, comme justement les
lauréats du prix, la paix est toujours fragile, menacée, agressée, blessée, défigurée
et quasi insaisissable, partout dans le monde.
En Côte d’Ivoire, les évènements douloureux des dernières décennies constituent
une chape trempée de sang sur la paix. Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi !
Dans ces conditions, comment peut-on appréhender et analyser la paix en Côte
d’Ivoire, en cette année 2011, de Félix Houphouët-Boigny à Alassane Ouattara ?
Autrement dit, quelle contribution chacun apporte-t-il à la promotion ou à la mise en
péril de la paix à laquelle aspire si profondément le peuple de Côte d’Ivoire ?
Une telle analyse s’identifie à une recherche de définition sommaire suivie d’un arrêt
sur image, un recueil des actes majeurs posés favorables ou défavorables à la
promotion ou à la préservation de la paix.
COMMENT PEUT-ON DÉFINIR OU APPRÉHENDER LA PAIX ?
La paix, est lato sensu la caractéristique d’un pays qui n’est pas en guerre.
La paix est aussi stricto sensu le règne de la liberté, la tranquillité, la joie de vivre, le
bien-être, l’amour, le bonheur, la prospérité, la confiance, la concorde, la justice, etc.
La paix peut donc se concevoir à trois niveaux :
1-l’Etat, la Nation
La paix caractérise la situation d’une nation qui n’est pas en guerre.
2-entre personnes
La paix caractérise les bons rapports entre des personnes qui ne sont pas
en conflits ou en querelle.
3-chaque personne
La paix, ici, caractérise l’état d’une personne que rien ne vient troubler
ou perturber. C’est aussi un moment où il n’y a ni agitation, ni bruit.
La paix est généralement considérée comme un phénomène multidimensionnel. Les
dimensions les plus fréquemment prises en compte pour l’appréhender sont les
facteurs favorisants tels que : la liberté, la joie de vivre, la prospérité, le bonheur, la
bonne santé, l’amitié et la fraternité, l’entente et la concorde, le travail valorisant,
l’avenir assuré et radieux, la justice et l’équité, la sécurité et le progrès, le savoir, la
démocratie et la cohésion sociale, la stabilité et le développement, l’union et la
solidarité, l’environnement sain, etc. Tous ces facteurs sont souvent en étroite
corrélation ; ils s’alimentent mutuellement et riment avec la paix.
La paix que nous recherchons ne dure pas souvent ; parce qu’elle est trop
dépendante des situations extérieures. La paix durable est celle qui est strictement
intérieure. Cela veut dire que si l'on n'est pas intérieurement en paix, on ne peut pas
non plus la donner aux autres, ou créer pour eux les conditions de son avènement.
Comme la guerre, c’est bien dans le coeur et dans l’esprit des hommes que prend
naissance la paix. La paix durable est, donc, celle qui est profondément enracinée en
nous et que nous sommes capable de communiquer aux autres par notre
comportement. « La paix, ce n’est pas un vain mot, c’est un comportement … »
dit Félix Houphouët-Boigny. Une telle paix est recherchée pour soi, pour tout son
entourage, son pays et pour le reste du monde.
En vertu de l’aspiration naturelle de toute personne humaine à la liberté, la prospérité
et la paix, on peut légitimement s’interroger : les dirigeants de la Côte d’Ivoire ont-ils
tous su contribuer à la promotion de la paix pour tous ?
QUELLE CONTRIBUTION CHAQUE DIRIGEANT A-T-IL APPORTÉ A LA
PROMOTION DE LA PAIX EN CÔTE D’IVOIRE ?
1° Félix Houphouët-Boigny, la paix et le développement
Le règne de Félix Houphouët-Boigny est marqué incontestablement par son
enseignement appliqué de l’école de la vie dominé notamment par la liberté, le don
de soi, la juste appréciation des réalités, le respect de la vie et de la dignité humaine,
l’amour du prochain, la fraternité, la tolérance et la solidarité, la démocratie et surtout
la paix qu’il considère comme la seconde religion du pays.
Très tôt, alors Député en France, il engage la lutte pour la liberté et notamment
contre le travail forcé dans les colonies. Il obtient l’abolition dudit travail forcé en 1946
par une loi qui porte son nom. Pour la Côte d’Ivoire indépendante, il opte pour un
régime libéral qui est celui de la liberté. Dans sa quête pour le bonheur de l’ivoirien,
Félix Houphouët-Boigny s’est attelé au développement économique et social du
pays. « Le développement est le nouveau nom de la paix », dit Sa Sainteté le
Pape Jean-Paul II. Aussi Félix Houphouët-Boigny, oeuvre-t-il inlassablement à la
construction de nombreuses infrastructures socioéconomiques mais aussi au
développement de cultures de rentes ou commerciales à travers des exploitations
individuelles, notamment de café, cacao, coton, palmier à huile, hévéa, etc.,
capables de créer des richesses pour relever le niveau de vie des populations.
Branché sur la paix par le développement, il crée sur le modèle des districts des
USA, les pôles de développement tels que l’ARSO (Autorité pour le développement
de la région du Sud-ouest) et l’AVB (Autorité pour le développement de la Vallée du
Bandama). Il consacre également des budgets importants de l’Etat à l’éducation et à
l’équipement. Il « déclare la paix » à tous ses détracteurs. Cependant, vers la fin
des années 1980, Félix Houphouët-Boigny engage la guerre du cacao, contre les
grandes puissances et leurs multinationales, « les spéculateurs, ces
irresponsables, responsables de nos malheurs » dit-il. Houphouët-Boigny,
planteur lui-même, engage cette guerre du fond de la brousse ivoirienne jusque dans
les tranchées du marché à terme de Londres en passant par les méandres du
négoce international. L’objectif visé est de permettre à la Côte d’Ivoire, en obtenant
un meilleur prix de vente du cacao sur le marché international, d’une part de garantir
le revenu des petits producteurs, et d’autre part d’équilibrer le budget de l’Etat, sans
recourir à l’emprunt extérieur. Il perd la guerre. Mais son « coeur est si petit qu’il n’y
a pas de place pour la haine » dit-il. Le pays reste bien intégré dans le commerce
international et respecté. Sur le plan politique, il expérimente la démocratie à la
sauce ivoirienne à partir de 1980. Avec notamment, malgré la prévalence du parti
unique, des élections régulières à candidatures libres, tous les 5 ans, des conseils
nationaux (journées de dialogue) qui lui permettent de consulter directement les
forces vives du pays sur les questions majeures touchant à la vie de la nation. Il
instaure le multipartisme en1990. Félix Houphouët-Boigny est le père fondateur de la
nation ivoirienne. Mais il intervient aussi, en bon père de famille, dans la recherche
de la paix et la gestion de nombreux conflits en Afrique. Dans son propre pays, il doit
faire face à plusieurs foyers de tension : en 1970 le Guébié s’allume lorsque s’éteint
à peine le Sanwi. En bon chef Akan, Félix Houphouët-Boigny utilise le « dialogue »
pour régler toutes ces questions en vue de préserver et consolider la cohésion
sociale et la paix. Il exclut tout règlement par la force. Farouche défenseur de la paix,
il préconise le combat pacifique et « le dialogue, l’arme des forts », notamment
avec l’Afrique du Sud pendant la lutte contre l’apartheid. Sans surprise pour
l’observateur avisé, l’UNESCO institue en son honneur, sous Federico Mayor son
Directeur Général, le prestigieux « prix Félix Houphouët-Boigny pour la recherche
de la paix ». Ce prix récompense chaque année des lauréats sélectionnés parmi les
personnalités qui se sont distinguées pour leurs efforts remarquables dans la
recherche de la paix. Sous le règne de Félix Houphouët-Boigny la Côte d’Ivoire
connaît une prospérité économique, une paix et un bonheur largement partagés
dans la sous-région. Conscient de la fragilité de ladite paix, il prévient son peuple :
« le vrai bonheur, on ne l’apprécie que lorsqu’on l’a perdue, faisons en sorte
que nous n’ayons jamais à le perdre, … », dit-il. La journée du 15 Novembre est
décrétée « journée nationale de la paix », et commémorée chaque année, en Côte
d’Ivoire.
Félix Houphouët-Boigny meurt le 7 Décembre 1993. Il laisse en testament au peuple
et à ses futurs dirigeants deux recommandations fortes : (i) le maintient de la
stabilité et (ii) la préservation de la paix. En effet, la stabilité et la paix sont les
facteurs limitants du développement. Autrement dit, il ne sert à rien d’accroitre à
l’infini les ressources et autres facteurs du développement, tant qu’on n’aura pas
établi la stabilité et la paix, le pays ne pourra pas se développer.
2° Henri Konan Bédié et la démocratie apaisée.
A la mort de Félix Houphouët-Boigny, le 07 Décembre 1993, la Constitution est
appliquée, pour éviter l’aventure. Henri Konan Bédié, Président de l’Assemblée
Nationale, accède à la magistrature suprême, jusqu’en 1995. Il gère avec habileté, le
multipartisme et la transition démocratique. Henri Konan Bédié lance, « le progrès
pour tous et le bonheur pour chacun », avec les grands travaux et chantiers de
l’éléphant d’Afrique. En octobre 1995, Henri Konan Bédié remporte à une écrasante
majorité (95,25 %) contre une opposition fragmentée et désorganisée qui appelle au
boycott actif, la première élection présidentielle organisée après le décès de Félix
Houphouët-Boigny. Au cours de cette élection, le Chef d’Etat Major d’alors, le
Général Robert Guéi, refuse d’intervenir pour le maintien d’ordre, face au désordre
lié au boycott actif. Soupçonné de fomenter un coup d’Etat, il est déchargé de ses
fonctions, mais il est appelé au Gouvernement, dans le souci de préserver la paix. Le
boycott actif marqué par la violence et des empêchements de votes, fait de
nombreux morts. Le peuple est choqué. Les auteurs et co-auteurs identifiés et
arrêtés, sont jugés et condamnés. Mais Henri Konan Bédié appelle au pardon et à
l’oubli des offenses au nom de la cohésion sociale et de la paix. Ceux-ci sont
amnistiés et remis en liberté. Henri Konan Bédié obtient assez rapidement une
amélioration des perspectives économiques après la dévaluation du FCFA, une
diminution de l’inflation et engage des mesures pour réduire la dette extérieure. Il
crée de nombreux emplois et auto-emplois avec les fonds sociaux alloués aux jeunes
pour le financement de leurs activités génératrices de revenus. Il lance également un
vaste programme d’amélioration de l’habitat rural notamment avec un fonds spécial
« habitat rural. ». Il ouvre de nouvelles écoles et universités. Un nouveau vent de
prospérité et de paix souffle sur la Côte d’Ivoire. Dans sa quête pour la paix, Henri
Konan Bédié expérimente la démocratie apaisée en appelant tous les partis
significatifs de l’opposition à former avec lui un gouvernement d’union pour oeuvrer à
la construction nationale, tous ensembles. Certains partis saisissent cette main
tendue, d’autres non. C’est le cas du FPI de Laurent Gbagbo. Cependant, Henri
Konan Bédié maintient avec celui-ci le dialogue jusqu’au bout, pour la paix. Sans
surprise, il est aujourd’hui membre-fondateur du RHDP (Rassemblement des
Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix) qui comprend outre sa formation
politique, celles de nombreux leaders farouches opposants d’hier.
A l’initiative d’Henri Konan Bédié, la Côte d’Ivoire envoie pour la première fois, un
contingent militaire (au lieu des médecins et infirmiers) en appui aux casques blancs
constituant la Force africaine d’interposition et de paix pendant la guerre civile en
République Centrafricaine (RCA). Sous Henri Konan Bédié, le sphinx de Daoukro, la
presse indépendante connaît un boum sans précédent. C’est la liberté de la presse.
On parle du printemps de la presse en Côte d’Ivoire. Cependant, l’exacerbation des
tensions politiques et sociales par la presse de l’opposition abondante, les actes de
défiance à l’autorité de l’État posés par certains opposants, l’incarcération de
plusieurs leaders de ladite opposition politique après des marches suivies de casses,
instaurent un climat délétère qui conduit en décembre 1999 au coup d’état contre
Henri Konan Bédié par des soldats mutins (ex-casques blancs rentrés de RCA),
mécontents, manipulés par des farouches opposants politiques. Henri Konan Bédié
refuse d’user de la force pour mater la mutinerie, afin d’éviter le massacre. Il choisit
par respect de la vie et de la dignité humaine de céder le pouvoir, sans effusion de
sang. Il part en exil
3° Le général robert Guéï et le bon ton
Le général Robert Guéï est placé au pouvoir, après un coup d’état militaire perpétré
par celui-ci le 24 décembre 1999. Dès lors, la Côte d’Ivoire, reconnue pour sa
stabilité politique dans la région, entre dans l’inconnu et dans l’incertitude.
L’exception ivoirienne proclamée pour sa stabilité politique et économique est
rompue ! Ce premier coup d’état militaire réussi de l’histoire laisse le peuple
profondément troublé et inquiet. Heureusement, la vie du Président Henri Konan
Bédié est épargnée. Tous les membres du gouvernement sont mis aux arrêts,
brutalisés et incarcérés. Malgré leur allégeance à Guéï, les officiers supérieurs de
l’armée subissent le même sort. L’inquiétude gagne la population. La paix sociale est
mise à mal. Le général Robert Guéi recommande le « bon ton » pour réconcilier les
ivoiriens après les fissures issues du coup d’état militaire. Cependant, des tensions
sont perceptibles dans l’armée au pouvoir entre les partisans des Leaders politiques
et ceux du Général Robert Guéï, le chef de la junte militaire. Le régime issu du
putsch est marqué durant son éphémère pouvoir (9 à10 mois) par des troubles
militaires et civils préjudiciables à la paix sociale. En effet, la période est émaillée par
des présumés coups d’états et auto-coups d’états militaires qui provoquent des
désertions pour les plus chanceux, par de nombreux soldats mis en cause dans ces
coups. Nombre d’entre eux sont passés par les armes, sans jugement. Les fausses
accusations, les brimades, persécutions et sévices sont monnaies courantes dans
les casernes. L'échec de plusieurs tentatives de coup d’État, dont celui du « cheval
blanc », contre le général Guéi, oblige les partisans des Leaders politiques au sein
de l'armée à fuir au Burkina Faso, avec beaucoup de rancoeur, de haine et la ferme
volonté de vengeance. Les postes de commandement spécialisés, PC crises, règlent
les litiges commerciaux, parfois sans discernement. Le pouvoir militaire réduit
néanmoins la criminalité et la corruption, à travers notamment l’opération « mains
propres », en usant de méthodes parfois expéditives. Il organise, en octobre 2000,
l’élection présidentielle. De nombreuses candidatures à la présidence de la
République dont celles d’Henri Konan Bédié et d’Alassane Ouattara sont éliminées
par la Cour suprême. Le général Robert Guéï qui se proclame vainqueur du scrutin
est chassé par des manifestations de rues. Ces troubles se soldent par plusieurs
morts. La Cour suprême proclame les résultats définitifs et déclare vainqueur,
Laurent Gbagbo. Robert Guéï, se retranche dans son village natal dans l’ouest
montagneux avec une partie de sa garde prétorienne puissamment armée.
4° Laurent Gbagbo et la Refondation
Laurent Gbagbo s’installe au pouvoir, à la suite de son « élection calamiteuse »
selon ses propres termes, sans expérience gouvernementale, avec pour principal
slogan : la refondation de la Côte d’Ivoire. Il négocie et obtient le retour de Robert
Guéï dans la république ainsi que celui d’Henri Konan Bédié de son exil. Il organise
du 09 Octobre au 10 Décembre 2001 le « forum pour la réconciliation nationale ».
Il engage des négociations avec les principaux partis de l’opposition (PDCI, RDR);
puis il nomme un gouvernement d'union nationale le 05 Août 2002, pour pouvoir
gouverner en paix. Laurent Gbagbo doit faire face, dans la nuit du 18 au 19
septembre 2002, à une tentative sanglante de renversement par des soldats
rebelles venus dit-on du Burkina Faso. Le Général Robert Guéï est tué, ainsi que le
ministre Boga Doudou. Le pays est scindé en deux. Une crise politico-militaire
s’installe. Les accords signés pour mettre fin à la crise sont difficilement appliqués,
jusqu’à l’instauration du « dialogue direct » avec les rebelles, à l’initiative de Laurent
Gbagbo. Le Premier Ministre Guillaume SORO, issu dudit dialogue, échappe à un
attentat meurtrier à Bouaké. Dans certains milieux diplomatiques, on évoque
l’entêtement de Laurent Gbagbo, qualifié de joueur rusé: « on lui parle, il dit oui mais
n’écoute pas ». Parfois on accuse son mauvais entourage qui influence son discours
nationaliste, panafricaniste excessif et provocateur ayant un aspect messianique,
indépendamment de la portée prophétique dictée par les pasteurs évangéliques
omniprésents et influents, disposant de salles de prières aménagées au Palais.
Laurent Gbagbo, se place au dessus de la mêlée mais n’arrive pas à se démarquer
des dérives du régime de la « refondation » qui est dans l’imagerie populaire celui
de la corruption, de l’arrogance et des menaces, du favoritisme, de l’enrichissement
rapide, du règne de la terreur avec la FESCI, etc. Le bon ton a disparu. La Côte
d’Ivoire vit, l’enfer, avec la pauvreté galopante, le délestage, les escadrons de la
mort, la répression des opposants, les déchets toxiques et la dégradation constante
du climat de liberté et de paix. Les étrangers fuient le pays. La journée de la paix du
15 Novembre n’est plus célébrée. Laurent Gbagbo peut être vu comme un président
bon et généreux qui a des malheurs : il veut réaliser la refondation de son pays à
travers la démocratie et la paix, il a l’insécurité avec les coupeurs de routes, il a du
mal à organiser les élections et n’est pas prêt à en accepter les résultats; il vise la
prospérité pour son peuple, il a la pauvreté, la dégradation des infrastructures, la
guerre. Sous son règne, les ordures ménagères s’entassent partout polluant
l’environnement et créant des nuisances de toutes sortes aux populations. Les
conflits fonciers réels ou suscités tendant à exproprier les exploitants agricoles
allogènes et allochtones par des cadres autochtones ou des individus proches de
Laurent Gbagbo, dans les zones forestières, ne sont pas suffisamment traités. En
outre, malgré l’embargo sur les armes, Laurent Gbagbo choisit la paix des armes à
travers un surarmement découvert seulement pendant la crise postélectorale.
Pourquoi, a-t-il opté pour une telle paix ? On peut penser que voulant la paix, il a
préféré préparer la guerre. En somme « Si vi pacem para belum », si tu veux la paix
prépare la guerre. Laurent Gbagbo perd les élections présidentielles certifiées par
l’ONU, face à Alassane Ouattara en Novembre 2010. Il refuse sa défaite. Il tente en
vain d’engager les Forces de Défense et de Sécurité, FDS, dans la guerre civile. Il
n’en tire pas les conséquences évidentes. Il recrute des mercenaires pour résister.
C’est l’horreur ! Isolé, il s’enferme dans le bunker du palais. Après des combats
acharnés à Abidjan, Laurent Gbagbo est capturé le 11 Avril 2011. La crise
postélectorale a occasionné plus de 3 000 morts. De nombreux charniers découverts
à Abidjan, sont attribués à ses mercenaires et miliciens.
Laurent Gbagbo a montré durant ses 10 ans de règne (2000-2010), malgré la crise,
qu’il a, à la fois, toutes les qualités et tous les défauts du politicien séducteur. Ses
qualités l’ont poussé à aller constamment vers les autres leaders ses opposants
politiques, à des moments de graves crises et de tensions pour obtenir l’apaisement.
C’est tout à son honneur. Ses défauts l’ont parfois inhibé avec la ferme conviction
qu’il est, lui ivoirien pur sang, irremplaçable et l’idée d’être aimé sans condition par le
peuple qui lui voue un soutien et un attachement indéfectibles, en raison de la
pertinence de son combat pour la liberté et la souveraineté. Ainsi, il va aux élections
sans envisager de perdre. Il perd, s’accroche et part du pouvoir dans le déshonneur,
en laissant derrière lui, un pays bombardé, tout en ruine et un peuple meurtri.
Laurent Gbagbo, le Woody (le garçon, le brave), a subi aussi, il faut le reconnaître,
l’influence de sa propre culture qui considère que le grand chef est intrépide et ne
recule pas devant le péril. Il ne cède que lorsqu’il est vaincu. Il est bien pour la paix
des ménages, mais Gbagbo n’est pas prêt à accepter aussi facilement sa défaite. Il
préfère se battre pour préserver sa dignité de grand chef bété en ne quittant le
pouvoir qu’après une défaite militaire. Alassane Ouattara accède au pouvoir.
5° Alassane Ouattara, la reconstruction et la réco nciliation nationale
A la sortie de la crise postélectorale, marquée par la guerre civile, le pays bombardé,
soumis au pillage et vandalisme de toutes sortes, est dévasté, en ruine, et son
économie totalement sinistrée. Tout est à reconstruire. Alassane Ouattara, qui a les
références requises (BCEAO, FMI, Premier Ministre d’Houphouët-Boigny, etc.), est
assurément le mieux placé d’entre tous pour accomplir l’immense tâche de
reconstruction du pays. Au demeurant, dès son accession à la magistrature
suprême, dans les conditions que l’on sait, Alassane Ouattara lance « la
réconciliation nationale ». La réconciliation nationale est un appel très fort à faire la
paix. Il s’agit de la paix entre nous, mais aussi de la paix en chacun de nous. Cet
appel est concrétisé par la création de la «Commission Dialogue Vérité et
Réconciliation». Il entend rassembler à nouveau les ivoiriens autour de l’idéal de
paix. Il engage ainsi le pays sur la voie de la stabilisation et de la paix. Alassane
Ouattara décide également, à travers la récente charte d’éthique adoptée par le
gouvernement, d’engager l’Etat à faire la promotion des valeurs telles que : le sens
de l’Etat et l’amour de la patrie, le respect de la dignité et de la vie humaine, la
primauté de l’intérêt général, la solidarité et la cohésion sociale, la justice et l’équité,
la responsabilité, l’intégrité et la probité, le dialogue permanent, etc. Ce sont là, des
facteurs favorisants de la paix. On reconnaitra l’arbre à ses fruits, dit-on. Nul doute
qu’Alassane Ouattara, promoteur avéré de ces valeurs facteurs de paix, saura
réinstaurer, la sécurité, la confiance et ladite paix, entre les filles et les fils du pays. A
cet égard, les nombreux conflits fonciers, entre autochtones et allogènes ou
allochtones dans les zones forestières, ainsi que les conflits agriculteurs-éleveurs
fréquents, dans la zone savanicole sont des défis majeurs à relever. Alassane
Ouattara a les atouts pour réussir la réconciliation et la reconstruction. Il porte, à cet
égard, l’espérance de tout le peuple assoiffé d’amour et de paix. Il a la confiance
dudit peuple fondée sur ses capacités intrinsèques et sa lucidité nécessaires pour ne
pas jeter le bébé avec l’eau du bain.
CONCLUSION
De Félix Houphouët-Boigny à Alassane Ouattara, la paix a connu des fortunes
diverses en Côte d’Ivoire. En effet, Félix Houphouët-Boigny, apôtre de la paix, a
enseigné au peuple la paix avec méthode et pédagogie. Chaque fille ou fils de la
Côte d’Ivoire, a intériorisé et s’est approprié la culture de la paix, l’amour du prochain,
le respect de la dignité et de la vie humaine. À la mort de Félix Houphouët-Boigny, le
07 Décembre 1993, Henri Konan Bédié lui succède par application de la
Constitution. Après une courte période de paix et de prospérité, le pays entre dans
une crise multiforme. Les héritiers de Félix Houphouët-Boigny se livrent une guerre
impitoyable pour le pouvoir. Le pays rentre dans une période d’instabilité,
d’incertitudes et de turbulences sociopolitiques défavorables à la paix et à la
prospérité. Réélu, en 1995, Bédié est renversé en décembre 1999 par un coup d’état
militaire, sans précédent. Le pays est commotionné et troublé. Dès lors, la paix sera
constamment mise à mal, dans une Côte d’Ivoire tourmentée, déboussolée et sans
repères. Robert Guéï, organise et perd les élections face à Laurent Gbagbo en 2000.
Il s’autoproclame élu, mais il est chassé par des manifestations de rues, marquées
par de nombreux morts. Laurent Gbagbo accède au pouvoir. Sous son règne, le
pays fait face à une rébellion et est scindé en deux de 2002 à 2010. Les élections
générales de 2005 n’ont pas lieu. Les élections présidentielles de 2010 certifiées par
l’ONU, sont suivies d’une crise postélectorale inutile qui fait plus de 3 000 morts.
Laurent Gbagbo ayant refusé de reconnaître l’élection de son rival Alassane
Ouattara. Il est capturé et chassé du pouvoir, comme Robert Guéï. Ainsi, les
successeurs de Félix Houphouët-Boigny n'ont pas son aura, sa sagesse et ses
capacités intrinsèques de règlement des conflits. Ils n’ont pas su faire face ni aux
difficultés économiques, ni aux difficultés politiques. Le pays est constamment
troublé avec de nombreux conflits. L’insécurité s’accroît, la pauvreté galope,
l’instabilité augmente, la prospérité et la paix sociale reculent inexorablement.
Aujourd’hui, le peuple a une grande opportunité avec Alassane Ouattara pour
reconquérir la stabilité, la prospérité et la paix en Côte d’Ivoire, par le dialogue, dans
l’amour, la sincérité et le respect mutuel !
ABIDJAN, LE 12 SEPTEMBRE 2011.
Par Alain Cocauthrey, Conseiller Economique et Social, Ancien Ministre
La remise du Prix Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix est toujours
l’occasion favorable pour une interrogation profonde : qu’a-t-on fait individuellement
et collectivement pour apporter sa contribution à la promotion de la paix ? C’est donc
un moment privilégié pour tout observateur, acteur politique ou non, de jeter un
regard critique mais objectif sur l’état de la paix en soi et autour de soi. La remise du
prix chaque année est une lampe allumée par les organisateurs du prix et projetée
sur la toile blanche de la paix qui enveloppe le monde. Un monde tourmenté par la
haine et la méchanceté, l’injustice et l’intolérance, le terrorisme et les conflits armés
de toutes sortes. La paix a-t-elle vraiment un sens en cette vie ? Qui ne s’est jamais
posé cette question ? Hélas, quelque soit le regard sur la vie, d’un coté des millions
d’humains vivent dans des conditions épouvantables. La pauvreté, la maladie, la
violence gratuite et l’oppression sont leur lot quotidien. Leur principal combat n’est
autre que de survivre au jour le jour. D’un autre coté, des millions d’autres personnes
jouissent d’une certaine prospérité matérielle. Elles semblent avoir tout pour être
heureuses. Mais elles ne le sont pas. Elles n’ont pas la paix. Nombre de gens ne
trouvent pas logique qu’en étant dotés d’un potentiel si extraordinaire les êtres
humains vivent malheureux et sans perspective de paix. Ainsi, malgré les efforts
inlassables de quelques défenseurs acharnés de la paix, comme justement les
lauréats du prix, la paix est toujours fragile, menacée, agressée, blessée, défigurée
et quasi insaisissable, partout dans le monde.
En Côte d’Ivoire, les évènements douloureux des dernières décennies constituent
une chape trempée de sang sur la paix. Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi !
Dans ces conditions, comment peut-on appréhender et analyser la paix en Côte
d’Ivoire, en cette année 2011, de Félix Houphouët-Boigny à Alassane Ouattara ?
Autrement dit, quelle contribution chacun apporte-t-il à la promotion ou à la mise en
péril de la paix à laquelle aspire si profondément le peuple de Côte d’Ivoire ?
Une telle analyse s’identifie à une recherche de définition sommaire suivie d’un arrêt
sur image, un recueil des actes majeurs posés favorables ou défavorables à la
promotion ou à la préservation de la paix.
COMMENT PEUT-ON DÉFINIR OU APPRÉHENDER LA PAIX ?
La paix, est lato sensu la caractéristique d’un pays qui n’est pas en guerre.
La paix est aussi stricto sensu le règne de la liberté, la tranquillité, la joie de vivre, le
bien-être, l’amour, le bonheur, la prospérité, la confiance, la concorde, la justice, etc.
La paix peut donc se concevoir à trois niveaux :
1-l’Etat, la Nation
La paix caractérise la situation d’une nation qui n’est pas en guerre.
2-entre personnes
La paix caractérise les bons rapports entre des personnes qui ne sont pas
en conflits ou en querelle.
3-chaque personne
La paix, ici, caractérise l’état d’une personne que rien ne vient troubler
ou perturber. C’est aussi un moment où il n’y a ni agitation, ni bruit.
La paix est généralement considérée comme un phénomène multidimensionnel. Les
dimensions les plus fréquemment prises en compte pour l’appréhender sont les
facteurs favorisants tels que : la liberté, la joie de vivre, la prospérité, le bonheur, la
bonne santé, l’amitié et la fraternité, l’entente et la concorde, le travail valorisant,
l’avenir assuré et radieux, la justice et l’équité, la sécurité et le progrès, le savoir, la
démocratie et la cohésion sociale, la stabilité et le développement, l’union et la
solidarité, l’environnement sain, etc. Tous ces facteurs sont souvent en étroite
corrélation ; ils s’alimentent mutuellement et riment avec la paix.
La paix que nous recherchons ne dure pas souvent ; parce qu’elle est trop
dépendante des situations extérieures. La paix durable est celle qui est strictement
intérieure. Cela veut dire que si l'on n'est pas intérieurement en paix, on ne peut pas
non plus la donner aux autres, ou créer pour eux les conditions de son avènement.
Comme la guerre, c’est bien dans le coeur et dans l’esprit des hommes que prend
naissance la paix. La paix durable est, donc, celle qui est profondément enracinée en
nous et que nous sommes capable de communiquer aux autres par notre
comportement. « La paix, ce n’est pas un vain mot, c’est un comportement … »
dit Félix Houphouët-Boigny. Une telle paix est recherchée pour soi, pour tout son
entourage, son pays et pour le reste du monde.
En vertu de l’aspiration naturelle de toute personne humaine à la liberté, la prospérité
et la paix, on peut légitimement s’interroger : les dirigeants de la Côte d’Ivoire ont-ils
tous su contribuer à la promotion de la paix pour tous ?
QUELLE CONTRIBUTION CHAQUE DIRIGEANT A-T-IL APPORTÉ A LA
PROMOTION DE LA PAIX EN CÔTE D’IVOIRE ?
1° Félix Houphouët-Boigny, la paix et le développement
Le règne de Félix Houphouët-Boigny est marqué incontestablement par son
enseignement appliqué de l’école de la vie dominé notamment par la liberté, le don
de soi, la juste appréciation des réalités, le respect de la vie et de la dignité humaine,
l’amour du prochain, la fraternité, la tolérance et la solidarité, la démocratie et surtout
la paix qu’il considère comme la seconde religion du pays.
Très tôt, alors Député en France, il engage la lutte pour la liberté et notamment
contre le travail forcé dans les colonies. Il obtient l’abolition dudit travail forcé en 1946
par une loi qui porte son nom. Pour la Côte d’Ivoire indépendante, il opte pour un
régime libéral qui est celui de la liberté. Dans sa quête pour le bonheur de l’ivoirien,
Félix Houphouët-Boigny s’est attelé au développement économique et social du
pays. « Le développement est le nouveau nom de la paix », dit Sa Sainteté le
Pape Jean-Paul II. Aussi Félix Houphouët-Boigny, oeuvre-t-il inlassablement à la
construction de nombreuses infrastructures socioéconomiques mais aussi au
développement de cultures de rentes ou commerciales à travers des exploitations
individuelles, notamment de café, cacao, coton, palmier à huile, hévéa, etc.,
capables de créer des richesses pour relever le niveau de vie des populations.
Branché sur la paix par le développement, il crée sur le modèle des districts des
USA, les pôles de développement tels que l’ARSO (Autorité pour le développement
de la région du Sud-ouest) et l’AVB (Autorité pour le développement de la Vallée du
Bandama). Il consacre également des budgets importants de l’Etat à l’éducation et à
l’équipement. Il « déclare la paix » à tous ses détracteurs. Cependant, vers la fin
des années 1980, Félix Houphouët-Boigny engage la guerre du cacao, contre les
grandes puissances et leurs multinationales, « les spéculateurs, ces
irresponsables, responsables de nos malheurs » dit-il. Houphouët-Boigny,
planteur lui-même, engage cette guerre du fond de la brousse ivoirienne jusque dans
les tranchées du marché à terme de Londres en passant par les méandres du
négoce international. L’objectif visé est de permettre à la Côte d’Ivoire, en obtenant
un meilleur prix de vente du cacao sur le marché international, d’une part de garantir
le revenu des petits producteurs, et d’autre part d’équilibrer le budget de l’Etat, sans
recourir à l’emprunt extérieur. Il perd la guerre. Mais son « coeur est si petit qu’il n’y
a pas de place pour la haine » dit-il. Le pays reste bien intégré dans le commerce
international et respecté. Sur le plan politique, il expérimente la démocratie à la
sauce ivoirienne à partir de 1980. Avec notamment, malgré la prévalence du parti
unique, des élections régulières à candidatures libres, tous les 5 ans, des conseils
nationaux (journées de dialogue) qui lui permettent de consulter directement les
forces vives du pays sur les questions majeures touchant à la vie de la nation. Il
instaure le multipartisme en1990. Félix Houphouët-Boigny est le père fondateur de la
nation ivoirienne. Mais il intervient aussi, en bon père de famille, dans la recherche
de la paix et la gestion de nombreux conflits en Afrique. Dans son propre pays, il doit
faire face à plusieurs foyers de tension : en 1970 le Guébié s’allume lorsque s’éteint
à peine le Sanwi. En bon chef Akan, Félix Houphouët-Boigny utilise le « dialogue »
pour régler toutes ces questions en vue de préserver et consolider la cohésion
sociale et la paix. Il exclut tout règlement par la force. Farouche défenseur de la paix,
il préconise le combat pacifique et « le dialogue, l’arme des forts », notamment
avec l’Afrique du Sud pendant la lutte contre l’apartheid. Sans surprise pour
l’observateur avisé, l’UNESCO institue en son honneur, sous Federico Mayor son
Directeur Général, le prestigieux « prix Félix Houphouët-Boigny pour la recherche
de la paix ». Ce prix récompense chaque année des lauréats sélectionnés parmi les
personnalités qui se sont distinguées pour leurs efforts remarquables dans la
recherche de la paix. Sous le règne de Félix Houphouët-Boigny la Côte d’Ivoire
connaît une prospérité économique, une paix et un bonheur largement partagés
dans la sous-région. Conscient de la fragilité de ladite paix, il prévient son peuple :
« le vrai bonheur, on ne l’apprécie que lorsqu’on l’a perdue, faisons en sorte
que nous n’ayons jamais à le perdre, … », dit-il. La journée du 15 Novembre est
décrétée « journée nationale de la paix », et commémorée chaque année, en Côte
d’Ivoire.
Félix Houphouët-Boigny meurt le 7 Décembre 1993. Il laisse en testament au peuple
et à ses futurs dirigeants deux recommandations fortes : (i) le maintient de la
stabilité et (ii) la préservation de la paix. En effet, la stabilité et la paix sont les
facteurs limitants du développement. Autrement dit, il ne sert à rien d’accroitre à
l’infini les ressources et autres facteurs du développement, tant qu’on n’aura pas
établi la stabilité et la paix, le pays ne pourra pas se développer.
2° Henri Konan Bédié et la démocratie apaisée.
A la mort de Félix Houphouët-Boigny, le 07 Décembre 1993, la Constitution est
appliquée, pour éviter l’aventure. Henri Konan Bédié, Président de l’Assemblée
Nationale, accède à la magistrature suprême, jusqu’en 1995. Il gère avec habileté, le
multipartisme et la transition démocratique. Henri Konan Bédié lance, « le progrès
pour tous et le bonheur pour chacun », avec les grands travaux et chantiers de
l’éléphant d’Afrique. En octobre 1995, Henri Konan Bédié remporte à une écrasante
majorité (95,25 %) contre une opposition fragmentée et désorganisée qui appelle au
boycott actif, la première élection présidentielle organisée après le décès de Félix
Houphouët-Boigny. Au cours de cette élection, le Chef d’Etat Major d’alors, le
Général Robert Guéi, refuse d’intervenir pour le maintien d’ordre, face au désordre
lié au boycott actif. Soupçonné de fomenter un coup d’Etat, il est déchargé de ses
fonctions, mais il est appelé au Gouvernement, dans le souci de préserver la paix. Le
boycott actif marqué par la violence et des empêchements de votes, fait de
nombreux morts. Le peuple est choqué. Les auteurs et co-auteurs identifiés et
arrêtés, sont jugés et condamnés. Mais Henri Konan Bédié appelle au pardon et à
l’oubli des offenses au nom de la cohésion sociale et de la paix. Ceux-ci sont
amnistiés et remis en liberté. Henri Konan Bédié obtient assez rapidement une
amélioration des perspectives économiques après la dévaluation du FCFA, une
diminution de l’inflation et engage des mesures pour réduire la dette extérieure. Il
crée de nombreux emplois et auto-emplois avec les fonds sociaux alloués aux jeunes
pour le financement de leurs activités génératrices de revenus. Il lance également un
vaste programme d’amélioration de l’habitat rural notamment avec un fonds spécial
« habitat rural. ». Il ouvre de nouvelles écoles et universités. Un nouveau vent de
prospérité et de paix souffle sur la Côte d’Ivoire. Dans sa quête pour la paix, Henri
Konan Bédié expérimente la démocratie apaisée en appelant tous les partis
significatifs de l’opposition à former avec lui un gouvernement d’union pour oeuvrer à
la construction nationale, tous ensembles. Certains partis saisissent cette main
tendue, d’autres non. C’est le cas du FPI de Laurent Gbagbo. Cependant, Henri
Konan Bédié maintient avec celui-ci le dialogue jusqu’au bout, pour la paix. Sans
surprise, il est aujourd’hui membre-fondateur du RHDP (Rassemblement des
Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix) qui comprend outre sa formation
politique, celles de nombreux leaders farouches opposants d’hier.
A l’initiative d’Henri Konan Bédié, la Côte d’Ivoire envoie pour la première fois, un
contingent militaire (au lieu des médecins et infirmiers) en appui aux casques blancs
constituant la Force africaine d’interposition et de paix pendant la guerre civile en
République Centrafricaine (RCA). Sous Henri Konan Bédié, le sphinx de Daoukro, la
presse indépendante connaît un boum sans précédent. C’est la liberté de la presse.
On parle du printemps de la presse en Côte d’Ivoire. Cependant, l’exacerbation des
tensions politiques et sociales par la presse de l’opposition abondante, les actes de
défiance à l’autorité de l’État posés par certains opposants, l’incarcération de
plusieurs leaders de ladite opposition politique après des marches suivies de casses,
instaurent un climat délétère qui conduit en décembre 1999 au coup d’état contre
Henri Konan Bédié par des soldats mutins (ex-casques blancs rentrés de RCA),
mécontents, manipulés par des farouches opposants politiques. Henri Konan Bédié
refuse d’user de la force pour mater la mutinerie, afin d’éviter le massacre. Il choisit
par respect de la vie et de la dignité humaine de céder le pouvoir, sans effusion de
sang. Il part en exil
3° Le général robert Guéï et le bon ton
Le général Robert Guéï est placé au pouvoir, après un coup d’état militaire perpétré
par celui-ci le 24 décembre 1999. Dès lors, la Côte d’Ivoire, reconnue pour sa
stabilité politique dans la région, entre dans l’inconnu et dans l’incertitude.
L’exception ivoirienne proclamée pour sa stabilité politique et économique est
rompue ! Ce premier coup d’état militaire réussi de l’histoire laisse le peuple
profondément troublé et inquiet. Heureusement, la vie du Président Henri Konan
Bédié est épargnée. Tous les membres du gouvernement sont mis aux arrêts,
brutalisés et incarcérés. Malgré leur allégeance à Guéï, les officiers supérieurs de
l’armée subissent le même sort. L’inquiétude gagne la population. La paix sociale est
mise à mal. Le général Robert Guéi recommande le « bon ton » pour réconcilier les
ivoiriens après les fissures issues du coup d’état militaire. Cependant, des tensions
sont perceptibles dans l’armée au pouvoir entre les partisans des Leaders politiques
et ceux du Général Robert Guéï, le chef de la junte militaire. Le régime issu du
putsch est marqué durant son éphémère pouvoir (9 à10 mois) par des troubles
militaires et civils préjudiciables à la paix sociale. En effet, la période est émaillée par
des présumés coups d’états et auto-coups d’états militaires qui provoquent des
désertions pour les plus chanceux, par de nombreux soldats mis en cause dans ces
coups. Nombre d’entre eux sont passés par les armes, sans jugement. Les fausses
accusations, les brimades, persécutions et sévices sont monnaies courantes dans
les casernes. L'échec de plusieurs tentatives de coup d’État, dont celui du « cheval
blanc », contre le général Guéi, oblige les partisans des Leaders politiques au sein
de l'armée à fuir au Burkina Faso, avec beaucoup de rancoeur, de haine et la ferme
volonté de vengeance. Les postes de commandement spécialisés, PC crises, règlent
les litiges commerciaux, parfois sans discernement. Le pouvoir militaire réduit
néanmoins la criminalité et la corruption, à travers notamment l’opération « mains
propres », en usant de méthodes parfois expéditives. Il organise, en octobre 2000,
l’élection présidentielle. De nombreuses candidatures à la présidence de la
République dont celles d’Henri Konan Bédié et d’Alassane Ouattara sont éliminées
par la Cour suprême. Le général Robert Guéï qui se proclame vainqueur du scrutin
est chassé par des manifestations de rues. Ces troubles se soldent par plusieurs
morts. La Cour suprême proclame les résultats définitifs et déclare vainqueur,
Laurent Gbagbo. Robert Guéï, se retranche dans son village natal dans l’ouest
montagneux avec une partie de sa garde prétorienne puissamment armée.
4° Laurent Gbagbo et la Refondation
Laurent Gbagbo s’installe au pouvoir, à la suite de son « élection calamiteuse »
selon ses propres termes, sans expérience gouvernementale, avec pour principal
slogan : la refondation de la Côte d’Ivoire. Il négocie et obtient le retour de Robert
Guéï dans la république ainsi que celui d’Henri Konan Bédié de son exil. Il organise
du 09 Octobre au 10 Décembre 2001 le « forum pour la réconciliation nationale ».
Il engage des négociations avec les principaux partis de l’opposition (PDCI, RDR);
puis il nomme un gouvernement d'union nationale le 05 Août 2002, pour pouvoir
gouverner en paix. Laurent Gbagbo doit faire face, dans la nuit du 18 au 19
septembre 2002, à une tentative sanglante de renversement par des soldats
rebelles venus dit-on du Burkina Faso. Le Général Robert Guéï est tué, ainsi que le
ministre Boga Doudou. Le pays est scindé en deux. Une crise politico-militaire
s’installe. Les accords signés pour mettre fin à la crise sont difficilement appliqués,
jusqu’à l’instauration du « dialogue direct » avec les rebelles, à l’initiative de Laurent
Gbagbo. Le Premier Ministre Guillaume SORO, issu dudit dialogue, échappe à un
attentat meurtrier à Bouaké. Dans certains milieux diplomatiques, on évoque
l’entêtement de Laurent Gbagbo, qualifié de joueur rusé: « on lui parle, il dit oui mais
n’écoute pas ». Parfois on accuse son mauvais entourage qui influence son discours
nationaliste, panafricaniste excessif et provocateur ayant un aspect messianique,
indépendamment de la portée prophétique dictée par les pasteurs évangéliques
omniprésents et influents, disposant de salles de prières aménagées au Palais.
Laurent Gbagbo, se place au dessus de la mêlée mais n’arrive pas à se démarquer
des dérives du régime de la « refondation » qui est dans l’imagerie populaire celui
de la corruption, de l’arrogance et des menaces, du favoritisme, de l’enrichissement
rapide, du règne de la terreur avec la FESCI, etc. Le bon ton a disparu. La Côte
d’Ivoire vit, l’enfer, avec la pauvreté galopante, le délestage, les escadrons de la
mort, la répression des opposants, les déchets toxiques et la dégradation constante
du climat de liberté et de paix. Les étrangers fuient le pays. La journée de la paix du
15 Novembre n’est plus célébrée. Laurent Gbagbo peut être vu comme un président
bon et généreux qui a des malheurs : il veut réaliser la refondation de son pays à
travers la démocratie et la paix, il a l’insécurité avec les coupeurs de routes, il a du
mal à organiser les élections et n’est pas prêt à en accepter les résultats; il vise la
prospérité pour son peuple, il a la pauvreté, la dégradation des infrastructures, la
guerre. Sous son règne, les ordures ménagères s’entassent partout polluant
l’environnement et créant des nuisances de toutes sortes aux populations. Les
conflits fonciers réels ou suscités tendant à exproprier les exploitants agricoles
allogènes et allochtones par des cadres autochtones ou des individus proches de
Laurent Gbagbo, dans les zones forestières, ne sont pas suffisamment traités. En
outre, malgré l’embargo sur les armes, Laurent Gbagbo choisit la paix des armes à
travers un surarmement découvert seulement pendant la crise postélectorale.
Pourquoi, a-t-il opté pour une telle paix ? On peut penser que voulant la paix, il a
préféré préparer la guerre. En somme « Si vi pacem para belum », si tu veux la paix
prépare la guerre. Laurent Gbagbo perd les élections présidentielles certifiées par
l’ONU, face à Alassane Ouattara en Novembre 2010. Il refuse sa défaite. Il tente en
vain d’engager les Forces de Défense et de Sécurité, FDS, dans la guerre civile. Il
n’en tire pas les conséquences évidentes. Il recrute des mercenaires pour résister.
C’est l’horreur ! Isolé, il s’enferme dans le bunker du palais. Après des combats
acharnés à Abidjan, Laurent Gbagbo est capturé le 11 Avril 2011. La crise
postélectorale a occasionné plus de 3 000 morts. De nombreux charniers découverts
à Abidjan, sont attribués à ses mercenaires et miliciens.
Laurent Gbagbo a montré durant ses 10 ans de règne (2000-2010), malgré la crise,
qu’il a, à la fois, toutes les qualités et tous les défauts du politicien séducteur. Ses
qualités l’ont poussé à aller constamment vers les autres leaders ses opposants
politiques, à des moments de graves crises et de tensions pour obtenir l’apaisement.
C’est tout à son honneur. Ses défauts l’ont parfois inhibé avec la ferme conviction
qu’il est, lui ivoirien pur sang, irremplaçable et l’idée d’être aimé sans condition par le
peuple qui lui voue un soutien et un attachement indéfectibles, en raison de la
pertinence de son combat pour la liberté et la souveraineté. Ainsi, il va aux élections
sans envisager de perdre. Il perd, s’accroche et part du pouvoir dans le déshonneur,
en laissant derrière lui, un pays bombardé, tout en ruine et un peuple meurtri.
Laurent Gbagbo, le Woody (le garçon, le brave), a subi aussi, il faut le reconnaître,
l’influence de sa propre culture qui considère que le grand chef est intrépide et ne
recule pas devant le péril. Il ne cède que lorsqu’il est vaincu. Il est bien pour la paix
des ménages, mais Gbagbo n’est pas prêt à accepter aussi facilement sa défaite. Il
préfère se battre pour préserver sa dignité de grand chef bété en ne quittant le
pouvoir qu’après une défaite militaire. Alassane Ouattara accède au pouvoir.
5° Alassane Ouattara, la reconstruction et la réco nciliation nationale
A la sortie de la crise postélectorale, marquée par la guerre civile, le pays bombardé,
soumis au pillage et vandalisme de toutes sortes, est dévasté, en ruine, et son
économie totalement sinistrée. Tout est à reconstruire. Alassane Ouattara, qui a les
références requises (BCEAO, FMI, Premier Ministre d’Houphouët-Boigny, etc.), est
assurément le mieux placé d’entre tous pour accomplir l’immense tâche de
reconstruction du pays. Au demeurant, dès son accession à la magistrature
suprême, dans les conditions que l’on sait, Alassane Ouattara lance « la
réconciliation nationale ». La réconciliation nationale est un appel très fort à faire la
paix. Il s’agit de la paix entre nous, mais aussi de la paix en chacun de nous. Cet
appel est concrétisé par la création de la «Commission Dialogue Vérité et
Réconciliation». Il entend rassembler à nouveau les ivoiriens autour de l’idéal de
paix. Il engage ainsi le pays sur la voie de la stabilisation et de la paix. Alassane
Ouattara décide également, à travers la récente charte d’éthique adoptée par le
gouvernement, d’engager l’Etat à faire la promotion des valeurs telles que : le sens
de l’Etat et l’amour de la patrie, le respect de la dignité et de la vie humaine, la
primauté de l’intérêt général, la solidarité et la cohésion sociale, la justice et l’équité,
la responsabilité, l’intégrité et la probité, le dialogue permanent, etc. Ce sont là, des
facteurs favorisants de la paix. On reconnaitra l’arbre à ses fruits, dit-on. Nul doute
qu’Alassane Ouattara, promoteur avéré de ces valeurs facteurs de paix, saura
réinstaurer, la sécurité, la confiance et ladite paix, entre les filles et les fils du pays. A
cet égard, les nombreux conflits fonciers, entre autochtones et allogènes ou
allochtones dans les zones forestières, ainsi que les conflits agriculteurs-éleveurs
fréquents, dans la zone savanicole sont des défis majeurs à relever. Alassane
Ouattara a les atouts pour réussir la réconciliation et la reconstruction. Il porte, à cet
égard, l’espérance de tout le peuple assoiffé d’amour et de paix. Il a la confiance
dudit peuple fondée sur ses capacités intrinsèques et sa lucidité nécessaires pour ne
pas jeter le bébé avec l’eau du bain.
CONCLUSION
De Félix Houphouët-Boigny à Alassane Ouattara, la paix a connu des fortunes
diverses en Côte d’Ivoire. En effet, Félix Houphouët-Boigny, apôtre de la paix, a
enseigné au peuple la paix avec méthode et pédagogie. Chaque fille ou fils de la
Côte d’Ivoire, a intériorisé et s’est approprié la culture de la paix, l’amour du prochain,
le respect de la dignité et de la vie humaine. À la mort de Félix Houphouët-Boigny, le
07 Décembre 1993, Henri Konan Bédié lui succède par application de la
Constitution. Après une courte période de paix et de prospérité, le pays entre dans
une crise multiforme. Les héritiers de Félix Houphouët-Boigny se livrent une guerre
impitoyable pour le pouvoir. Le pays rentre dans une période d’instabilité,
d’incertitudes et de turbulences sociopolitiques défavorables à la paix et à la
prospérité. Réélu, en 1995, Bédié est renversé en décembre 1999 par un coup d’état
militaire, sans précédent. Le pays est commotionné et troublé. Dès lors, la paix sera
constamment mise à mal, dans une Côte d’Ivoire tourmentée, déboussolée et sans
repères. Robert Guéï, organise et perd les élections face à Laurent Gbagbo en 2000.
Il s’autoproclame élu, mais il est chassé par des manifestations de rues, marquées
par de nombreux morts. Laurent Gbagbo accède au pouvoir. Sous son règne, le
pays fait face à une rébellion et est scindé en deux de 2002 à 2010. Les élections
générales de 2005 n’ont pas lieu. Les élections présidentielles de 2010 certifiées par
l’ONU, sont suivies d’une crise postélectorale inutile qui fait plus de 3 000 morts.
Laurent Gbagbo ayant refusé de reconnaître l’élection de son rival Alassane
Ouattara. Il est capturé et chassé du pouvoir, comme Robert Guéï. Ainsi, les
successeurs de Félix Houphouët-Boigny n'ont pas son aura, sa sagesse et ses
capacités intrinsèques de règlement des conflits. Ils n’ont pas su faire face ni aux
difficultés économiques, ni aux difficultés politiques. Le pays est constamment
troublé avec de nombreux conflits. L’insécurité s’accroît, la pauvreté galope,
l’instabilité augmente, la prospérité et la paix sociale reculent inexorablement.
Aujourd’hui, le peuple a une grande opportunité avec Alassane Ouattara pour
reconquérir la stabilité, la prospérité et la paix en Côte d’Ivoire, par le dialogue, dans
l’amour, la sincérité et le respect mutuel !
ABIDJAN, LE 12 SEPTEMBRE 2011.
Par Alain Cocauthrey, Conseiller Economique et Social, Ancien Ministre