Balafrée par des conflits fonciers à la pelle et par la récente crise post-électorale, la ville de Duékoué ne présente toujours pas une mine radieuse. Au contraire, les rancœurs demeurent tenaces dans les cœurs malgré les apparences. Et les deux grands camps de réfugiés (essentiellement d’ethnie guéré) le témoignent. Duékoué sortira-t-elle un jour de sa tourmente ?
Toute la ville attend la venue du président Alassane Ouattara annoncée le 12 octobre. A son endroit, les Guéré ont une doléance : « nous voulons regagner nos maisons et nos villages. Dans les camps de réfugiés, nous n’avons plus de dignité. Pitié… », supplie presque dame Félicité Guihan (54 ans). Il est presque 23 heures, ce vendredi. Il fait froid. A cette heure avancée de la nuit, il y a toujours une belle animation. Il y a surtout beaucoup de garçons. Des filles aussi . Pas toujours gâtées par la providence, elles affichent cependant leurs arguments physiques par des tenues vestimentaires plus qu’osées. Elles sont-là. Certaines ont des cigarettes au coin des lèvres. D’autres, par petits groupes papotent. Ne vous y méprenez point. Ces filles, livrées à elles-mêmes, pratiquent le plus vieux métier du monde. Nous sommes dans les environs de la mission catholique Sainte-Thérèse de l’enfant Jésus de Duékoué. C’est ici que plus d’un millier de personnes, disent-elles, d’ethnie guéré se sont réfugiées pour fuir la « vendetta » des dozos et autres « Dioulas » (populations du Nord de la Côte d’Ivoire) depuis la fin du régime de Laurent Gbagbo. Dans l’obscurité, une voix grave se fait entendre. Il s’agit d’une dame d’un âge avancé. Elle n’est visiblement pas contente. Pis, elle tance une jeune fille qui, renseignements pris, est sa fille. En guéré, elle gronde l’adolescente. La scène attire quelques curieux. M. Téhé qui nous sert de guide, confiera plus tard que la « vieille » réprimandait sa fille parce qu’elle traîne avec des clients d’ethnie dioula… ». Curieux ! La bonne dame ne se fâche pas parce que sa fille qui, avouons-le, a un corps de fée, se prostitue. Elle refuse qu’elle aille avec des jeunes dioulas ou des communautés de la Cedeao (Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Simplement. Pourquoi tant de haine ? Pourquoi la réconciliation demeure-t-elle un leurre à Duékoué ?
Entre dioula et Guéré, c’est toujours la guerre !
Selon les explications de G. Kouadio (employé dans une société d’exploitation forestière), « lorsqu’il y a quelque chose à Duékoué, c’est toujours l’extrême. Pour mettre fin à l’animosité entre populations guéré et dioula, il faut instaurer l’amour dans les cœurs », conseille-t-il. Et évoquant l’avenir immédiat de Duékoué, nom qui signifie « sur le dos de l’Eléphant », G. Kouadio poursuit : « j’ai des craintes car le désarmement n’est pas effectif. Des armes continuent de circuler… ». Le lieutenant Atsépo de la brigade de gendarmerie, lui, préfère calmer le jeu et résume la source du conflit à Duékoué. « Il ne faut pas alarmer les gens… Le vrai problème de Duékoué est lié aux litiges fonciers. Des familles guérées ont vendu les forêts aux populations allogènes et leurs descendants refusent de le reconnaître. Chaque jour, nous tentons de régler ces palabres à la brigade… ». Pour savoir d’où la flamme est véritablement partie pour déclencher cet incendie irradiant que tout le monde peine à éteindre, il faut écouter encore le témoignage de G. Kouadio : « je me souviens qu’à fin 2010, une dame dioula avait été tuée par des coupeurs de route, des miliciens pro-Gbagbo à côté d’un camp de l’Onuci. Depuis, c’est gâté… ».
Ce samedi, il est 11 heures. Vêtue d’une camisole, d’un pagne noué aux hanches et assise sur une chaise, dame F. Guihan le menton appuyé sur une main, en a gros sur le cœur. Fille de Néambly (village brûlé durant le conflit), elle vit depuis le 1er juillet sur le site des réfugiés de Néambly situé sur la voie menant à Guiglo. Son cri de cœur : « nous avons un sérieux problème de nourriture », commence-t-elle par dire.
Dame Félicité Guihan : « je suis devenue malheureuse… »
De quoi s’agit-il ? « Ces derniers temps, on nous accuse de vendre les rations de riz qu’on donne. C’est vrai, nos enfants vendent le riz. Mais s’ils le font, c’est parce que l’Onuci ne nous donne que 20 kilos de riz par quinzaine avec 4 litres d’huile. Et c’est tout. Cela nous fait mal plus que le mot. Pour faire la sauce, nous nous débrouillons. Quand nous vendons un peu de riz, c’est pour pouvoir acheter les condiments. Nous n’avons pas d’assiettes. Pas de savon. Pas de moustiquaires. On ne nous traite pas comme des adultes. Le riz blanc donne le béri-béri. Et toujours, c’est du riz que nous mangeons. On vit mal… Les nattes qu’on nous a données ne suffisent pas. J’ai dix enfants et nous avons seulement deux nattes, avec deux draps. On dort sur le gravier. Comment on va faire ? ». Au passage, la « vieille » n’arrête pas de nous souffler, elle tient à dire ceci : « j’ai envie de retrouver mon village … ». Pour la petite histoire, les Dioulas ne sont pas les bienvenus dans les deux camps de réfugiés de la ville. Il y a même une sentinelle, postée à l’entrée desdits camps de réfugiés qui y veille.
Depuis la fin de la crise post-électorale, Duékoué n’a plus de maire. Victor Tikpao, un cacique du régime défunt, est en exil. C’est donc son 1er adjoint, François Moudio qui assure l’intérim. Comme il peut. Le commissariat de la ville, brûlé, a été relocalisé à côté du complexe hôtelier Mohessea au quartier résidentiel.
Les dozos, rois dans la ville… à minuit
Dans les quartiers, Belleville, Côcôman, Manioc ou encore Antenne, la vie a repris et chacun vaque à ses occupations. Benjamin Effoli, nommé préfet, fait office d’autorité. Le commandant Frci, Koné Konda, lui, tente d’assurer la sécurité. Mais ce sont les dozos (encore appelés forces invisibles) qui « surveillent Duékoué », comme l’assure le jeune Yssouf D. Son récit : « du temps de Gbagbo, les Guéré faisaient la loi ici, aidés par leurs miliciens. J’en ai vu tuer des Dioulas et des étrangers au corridor de la ville. Leur seul tort était de ne pas être Guéré. Mais depuis que Gbagbo est parti, les dozos sont les maîtres de la ville. A partir de minuit, ils surveillent Duékoué. Lors des combats pour la prise de la ville, ce sont eux, d’abord, qui ont fait le combat. Ensuite, les Frci sont arrivées pour parachever le travail. Aujourd’hui, la plupart des Guéré restent cachés dans les deux camps de réfugiés de la ville. Ce sont les soldats de l’Onuci qui les gardent… Toutes leurs maisons ont été brûlées à Diabakrom et à Néambly. Ils ont tellement commis d’excès sur les allogènes qu’ils ne peuvent pas sortir des camps. Et ils craignent des représailles… ». Un témoignage parmi tant d’autres qui situe tout un chacun sur l’état d’esprit qui anime les populations. Le réceptionniste de l’hôtel, situé à Dahoua (5 kilomètres de la ville) a sa solution pour ramener la paix à Duékoué. « Les terres vendues par les Guéré avec témoins doivent revenir aux étrangers. Désormais, les Guéré ne doivent plus vendre leurs terres dans les bas-fonds. Ils peuvent juste les louer d’autant plus que les récoltes sont annuelles », propose-t-il. Et vous, que proposez-vous ?
Guy-Florentin Yaméogo, envoyé spécial à Duékoué
Toute la ville attend la venue du président Alassane Ouattara annoncée le 12 octobre. A son endroit, les Guéré ont une doléance : « nous voulons regagner nos maisons et nos villages. Dans les camps de réfugiés, nous n’avons plus de dignité. Pitié… », supplie presque dame Félicité Guihan (54 ans). Il est presque 23 heures, ce vendredi. Il fait froid. A cette heure avancée de la nuit, il y a toujours une belle animation. Il y a surtout beaucoup de garçons. Des filles aussi . Pas toujours gâtées par la providence, elles affichent cependant leurs arguments physiques par des tenues vestimentaires plus qu’osées. Elles sont-là. Certaines ont des cigarettes au coin des lèvres. D’autres, par petits groupes papotent. Ne vous y méprenez point. Ces filles, livrées à elles-mêmes, pratiquent le plus vieux métier du monde. Nous sommes dans les environs de la mission catholique Sainte-Thérèse de l’enfant Jésus de Duékoué. C’est ici que plus d’un millier de personnes, disent-elles, d’ethnie guéré se sont réfugiées pour fuir la « vendetta » des dozos et autres « Dioulas » (populations du Nord de la Côte d’Ivoire) depuis la fin du régime de Laurent Gbagbo. Dans l’obscurité, une voix grave se fait entendre. Il s’agit d’une dame d’un âge avancé. Elle n’est visiblement pas contente. Pis, elle tance une jeune fille qui, renseignements pris, est sa fille. En guéré, elle gronde l’adolescente. La scène attire quelques curieux. M. Téhé qui nous sert de guide, confiera plus tard que la « vieille » réprimandait sa fille parce qu’elle traîne avec des clients d’ethnie dioula… ». Curieux ! La bonne dame ne se fâche pas parce que sa fille qui, avouons-le, a un corps de fée, se prostitue. Elle refuse qu’elle aille avec des jeunes dioulas ou des communautés de la Cedeao (Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Simplement. Pourquoi tant de haine ? Pourquoi la réconciliation demeure-t-elle un leurre à Duékoué ?
Entre dioula et Guéré, c’est toujours la guerre !
Selon les explications de G. Kouadio (employé dans une société d’exploitation forestière), « lorsqu’il y a quelque chose à Duékoué, c’est toujours l’extrême. Pour mettre fin à l’animosité entre populations guéré et dioula, il faut instaurer l’amour dans les cœurs », conseille-t-il. Et évoquant l’avenir immédiat de Duékoué, nom qui signifie « sur le dos de l’Eléphant », G. Kouadio poursuit : « j’ai des craintes car le désarmement n’est pas effectif. Des armes continuent de circuler… ». Le lieutenant Atsépo de la brigade de gendarmerie, lui, préfère calmer le jeu et résume la source du conflit à Duékoué. « Il ne faut pas alarmer les gens… Le vrai problème de Duékoué est lié aux litiges fonciers. Des familles guérées ont vendu les forêts aux populations allogènes et leurs descendants refusent de le reconnaître. Chaque jour, nous tentons de régler ces palabres à la brigade… ». Pour savoir d’où la flamme est véritablement partie pour déclencher cet incendie irradiant que tout le monde peine à éteindre, il faut écouter encore le témoignage de G. Kouadio : « je me souviens qu’à fin 2010, une dame dioula avait été tuée par des coupeurs de route, des miliciens pro-Gbagbo à côté d’un camp de l’Onuci. Depuis, c’est gâté… ».
Ce samedi, il est 11 heures. Vêtue d’une camisole, d’un pagne noué aux hanches et assise sur une chaise, dame F. Guihan le menton appuyé sur une main, en a gros sur le cœur. Fille de Néambly (village brûlé durant le conflit), elle vit depuis le 1er juillet sur le site des réfugiés de Néambly situé sur la voie menant à Guiglo. Son cri de cœur : « nous avons un sérieux problème de nourriture », commence-t-elle par dire.
Dame Félicité Guihan : « je suis devenue malheureuse… »
De quoi s’agit-il ? « Ces derniers temps, on nous accuse de vendre les rations de riz qu’on donne. C’est vrai, nos enfants vendent le riz. Mais s’ils le font, c’est parce que l’Onuci ne nous donne que 20 kilos de riz par quinzaine avec 4 litres d’huile. Et c’est tout. Cela nous fait mal plus que le mot. Pour faire la sauce, nous nous débrouillons. Quand nous vendons un peu de riz, c’est pour pouvoir acheter les condiments. Nous n’avons pas d’assiettes. Pas de savon. Pas de moustiquaires. On ne nous traite pas comme des adultes. Le riz blanc donne le béri-béri. Et toujours, c’est du riz que nous mangeons. On vit mal… Les nattes qu’on nous a données ne suffisent pas. J’ai dix enfants et nous avons seulement deux nattes, avec deux draps. On dort sur le gravier. Comment on va faire ? ». Au passage, la « vieille » n’arrête pas de nous souffler, elle tient à dire ceci : « j’ai envie de retrouver mon village … ». Pour la petite histoire, les Dioulas ne sont pas les bienvenus dans les deux camps de réfugiés de la ville. Il y a même une sentinelle, postée à l’entrée desdits camps de réfugiés qui y veille.
Depuis la fin de la crise post-électorale, Duékoué n’a plus de maire. Victor Tikpao, un cacique du régime défunt, est en exil. C’est donc son 1er adjoint, François Moudio qui assure l’intérim. Comme il peut. Le commissariat de la ville, brûlé, a été relocalisé à côté du complexe hôtelier Mohessea au quartier résidentiel.
Les dozos, rois dans la ville… à minuit
Dans les quartiers, Belleville, Côcôman, Manioc ou encore Antenne, la vie a repris et chacun vaque à ses occupations. Benjamin Effoli, nommé préfet, fait office d’autorité. Le commandant Frci, Koné Konda, lui, tente d’assurer la sécurité. Mais ce sont les dozos (encore appelés forces invisibles) qui « surveillent Duékoué », comme l’assure le jeune Yssouf D. Son récit : « du temps de Gbagbo, les Guéré faisaient la loi ici, aidés par leurs miliciens. J’en ai vu tuer des Dioulas et des étrangers au corridor de la ville. Leur seul tort était de ne pas être Guéré. Mais depuis que Gbagbo est parti, les dozos sont les maîtres de la ville. A partir de minuit, ils surveillent Duékoué. Lors des combats pour la prise de la ville, ce sont eux, d’abord, qui ont fait le combat. Ensuite, les Frci sont arrivées pour parachever le travail. Aujourd’hui, la plupart des Guéré restent cachés dans les deux camps de réfugiés de la ville. Ce sont les soldats de l’Onuci qui les gardent… Toutes leurs maisons ont été brûlées à Diabakrom et à Néambly. Ils ont tellement commis d’excès sur les allogènes qu’ils ne peuvent pas sortir des camps. Et ils craignent des représailles… ». Un témoignage parmi tant d’autres qui situe tout un chacun sur l’état d’esprit qui anime les populations. Le réceptionniste de l’hôtel, situé à Dahoua (5 kilomètres de la ville) a sa solution pour ramener la paix à Duékoué. « Les terres vendues par les Guéré avec témoins doivent revenir aux étrangers. Désormais, les Guéré ne doivent plus vendre leurs terres dans les bas-fonds. Ils peuvent juste les louer d’autant plus que les récoltes sont annuelles », propose-t-il. Et vous, que proposez-vous ?
Guy-Florentin Yaméogo, envoyé spécial à Duékoué