L’échec de l’ouverture de la deuxième session parlementaire le mercredi dernier a fait naître une grosse polémique entre le président de l’Assemblée et un groupe de députés. Pour la première vice-présidente Mme Amon Agoh Marthe, il n’y a pas de doute, Mamadou Koulibaly a commis une forfaiture.
Notre Voie : Madame la première vice-présidente, les Ivoiriens ont été surpris de voir la semaine dernière que les portes de l’Assemblée nationale ont été fermées aux députés au moment où vous alliez à l’ouverture de la 2ème session ordinaire de l’année. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Amon Agoh Marthe : En terme de surprise, je suis la première à être véritablement surprise. Je ne pouvais jamais m’imaginer un tel scénario. Je ne sais si on a déjà vu à travers l’humanité, le président d’une institution mettre fin au fonctionnement de cette institution de cette manière-là. Je pourrais qualifier cela d’infanticide. C`est-à-dire, quelqu’un qui tue son propre enfant. C’est ce qui s’est passé.
C’est pourquoi j’ai immédiatement fait une conférence de presse pour prendre le peuple que nous représentons à témoin. Mais également pour prendre à témoin tous les peuples du monde assoiffés de démocratie.
N.V. : Qu’est-ce qui s’est passé pour qu’on en arrive à cette situation ?
A.A.M. : Je ne sais vraiment pas ce qui a pu conduire à cette situation, parce que les choses se sont passées comme elles ont l’habitude de se passer dans cette assemblée nationale. Mamadou Koulibaly a été très souvent absent aux activités de l’assemblée nationale. Pour la petite histoire, les journalistes se sont souvent demandé « où est passé Mamadou Koulibaly ». Et je l’ai toujours suppléé comme le disent nos textes. Ce n’est donc pas nouveau ce qui s’est passé. C’est même l’absence de Koulibaly qui était devenue la règle dans cette assemblée, si je peux ainsi le dire. Dans la deuxième république, il a été prévu un président et un 1er vice-président de l’assemblée nationale. Ceci justement pour suppléer le président en cas d’absence. Et dans le règlement de l’assemblée nationale, je le supplée dans toutes ses fonctions. J’assume même aussi la vacance du pouvoir au cas où le président ne peut pas le faire pour diverses raisons. Et cela est écrit dans la constitution.
Cela dit, tous les textes précisent que c’est bien le président qui convoque toutes les plénières, puisqu’il est le chef de l’administration. Et moi je le seconde. Et donc quand il n’est pas là, je le remplace. Et très souvent, je suis prise de court puisqu’il ne me prévient même pas de son absence. Et c’est fréquent. Et c’est toujours comme ça que Koulibaly a fonctionné avec moi. J’ai fini par m’habituer. Donc je prends toujours mes précautions. Je ne sais pas ce que Koulibaly recherchait, mais c’est comme ça qu’il fonctionnait avec moi. C’est dire que je ne suis pas surprise. Pour tout dire, les choses se sont passées la fois dernière comme elles se passent depuis toujours.
N.V : C’est-à-dire…
A.A.M : L’article 62 dit que chaque année, l’Assemblée nationale se réunit de plein droit en deux sessions ordinaires. Je dis bien de plein droit ! La première session s’ouvre le dernier mercredi du mois d’avril. Donc pour cette année, elle devrait s’ouvrir le 27 avril 2011. La deuxième session commence le premier mercredi du mois d’octobre. Donc c’était bien le 5 octobre dernier. Ces deux sessions sont obligatoires et tout député digne de ce nom doit s’y conformer. Vous remarquerez que l’Assemblée nationale est la seul institution pour laquelle la constitution a pris la précaution de fixer la date de l’ouverture des sessions. Même les dates des conseils de ministres ne sont pas fixées par la constitution. Pour l’Assemblée nationale, les dates sont fixées par la constitution. Et au risque de me répéter, la constitution dit bien que l’assemblée nationale se réunit de plein droit.
N.V. : Qu’est-ce que cela veut dire ?
A.A.M. : Cela veut dire que l’Assemblée se réunit obligatoirement à ces deux dates. Les députés n’ont pas le choix. Et cela s’impose à tout citoyen, y compris le président de la République. Une fois qu’on est en dehors de ces deux dates, si on convoque les députés, c’est une session extraordinaire. Et c’est une procédure particulière qui est aussi réglée par la constitution. Cela veut dire qu’en dehors de ces deux sessions vous ne pouvez pas donner du travail aux députés si ce n’est en session extraordinaire.
N.V. : Alors comment se préparent les sessions quand ces dates constitutionnelles arrivent ?
A.A.M. : Pour voir le fonctionnement de l’assemblée nationale, il faut s’en référer au règlement administratif. Nous sommes des grands responsables. Quand on vous confie une mission, c’est à vous de vous organiser pour remplir au mieux cette mission. Vous mettez alors en place des règles de fonctionnement. C’est ce qu’on appelle le règlement intérieur. Le règlement intérieur de l’Assemblée indique donc que c’est le bureau de l’Assemblée nationale, composé du président de l’assemblée, du 1er vice-président, des autres vice-présidents et des questeurs qui, assisté du secrétaire général nommé par le président, prépare les travaux de l’Assemblée. Le bureau se réunit deux fois dans le mois. Et donc quand approchent les dates constitutionnelles, c’est le secrétaire général qui attire l’attention du président. C’est alors que le président et le 1er vice-président, assistés du secrétaire général, préparent l’ordre du jour et convoquent la réunion du bureau de l’assemblée en vue de la préparation des travaux de la session. Il est écrit clairement dans nos textes que j’assiste le président dans la préparation des réunions. Mais Koulibaly n’a jamais voulu que je l’assiste bien que cela soit écrit noir sur blanc. C’est un vieux débat sur lequel je ne reviens pas. Il dit qu’il aime travailler seul. Donc en réalité, on ne s’est jamais mis à trois pour préparer les réunions. C’est peut-être pour cela aussi qu’il ne m’a jamais prévenu de son absence. Je pense même que s’il avait la possibilité de se faire suppléer par le secrétaire général pour présider les travaux des sessions, il l’aurait fait. Mais hélas ! La constitution ne l’y autorise pas. Et donc j’ai pris l’habitude d’interpeler moi-même le secrétaire général quand les dates arrivent pour savoir si le président sera là ou pas. Parce que si je suis surprise et que je ne suis pas préparée, c’est moi qui risque de prendre la honte.
Cette année, en avril, malgré les coups de canon, j’ai pris mes responsabilités pour voir s’il y avait quelqu’un à l’assemblée. J’ai cherché le président Koulibaly en vain. J’ai donc envoyé mon chef de cabinet voir le directeur de cabinet du président de l’Assemblée. Celui-ci a dit qu’il ne savait pas où se trouvait Koulibaly. Nous étions donc dans ces démarches quand je vois dans Fraternité Matin que le président Koulibaly a tenu une conférence de président sans m’y convier. Et à la sortie de cette conférence, il déclare avoir invité le président nouvellement installé à la tête du pays à l’ouverture de la première session.
N.V. : Que s’est-il passé ensuite ?
A.A.M : Le jour de l’ouverture de la session, je me suis apprêtée comme tout député pour m’y rendre en dépit du fait je n’avais pas vu de communiqué convoquant les députés. Et mon personnel qui m’avait devancé m’appelle pour me dire qu’ils ont vu seulement quelques députés, mais pas le président de l’Assemblée. Et comme je ne peux pas l’avoir au téléphone. Je précise que depuis plus d’un an, Koulibaly ne m’a jamais appelé au téléphone et il ne m’a jamais prise au téléphone. Je travail avec lui à travers son personnel et le secrétaire général. Donc ce n’est pas nouveau. Toute la journée on est resté là sans nouvelle de Koulibaly et la session n’a pas été ouverte. J’avoue que jusqu’à présent, je n’en connais pas les raisons.
N.V. : Lui avez-vous posé la question ?
A.A.M. : Mais je vous dis que je n’ai pu avoir Koulibaly au téléphone. Je n’ai pas de contact personnel avec le président de l’Assemblée nationale.
N.V. : Vraiment ?
A.A.M. : Mais c’est pourtant la réalité hélas ! Koulibaly communique avec moi à travers le secrétaire général ou le directeur de cabinet. Mais depuis près d’un mois, je n’arrive pas à avoir même le secrétaire général. Quelquefois quand je l’ai, il me dit qu’il est au village aux funérailles et quand il vient il ne me rappelle pas. Donc j’ai pris des précautions.
Donc, le jour de l’ouverture de session, je me suis préparée comme tout député pour me rendre à l’ouverture de la session. Mais tout en me préparant aussi psychologiquement à le relayer en sachant que s’il n’est pas là c’est moi. Mais mon chef de cabinet qui m’a devancée m’a dit qu’il a vu la voiture du président. J’étais donc toute heureuse à l’idée que je n’aurais rien à faire puis qu’il allait présider lui-même l’ouverture. Du moins je le pensais sincèrement. Et donc j’arrive et j’appelle dans son bureau pour savoir voir s’il est vraiment là, sa secrétaire me dit qu’il n’est pas là. Surprise ! On me dit qu’il est là mais il est caché dans une autre salle. Mais on empêche les gens d’accéder à lui.
Pour moi il n’est pas là c’est tout ! Je prends donc les dispositions pour le suppléer comme d’habitude. C’est à ce moment que j’apprends que l’hémicycle est fermé. Je dis comme ça l’hémicycle est fermé ? Je demande qu’on appelle le secrétaire général, il n’est pas là non plus. Je dis donc fouillez-moi tout le bâtiment et appelez-moi le personnel que vous trouverez en place. C’est comme ça deux membres du personnel sont venus me voir. Je leur dis, vous savez qu’aujourd’hui c’est l’ouverture de la session ordinaire. Le président de l’Assemblée n’est pas là. Et quand il n’est pas là c’est moi qui le remplace. C’est alors que Mme Diaby a pris la parole pour dire que certaines personnes ont pris l’habitude de tenir des réunions à l’Assemblée sans demander l’autorisation. C’est ce qu’elle a expliqué au secrétaire général et celui-ci lui a donné l’ordre de fermer l’hémicycle et de ne pas l’ouvrir tant lui n’a pas donné l’ordre de le faire.
N.V. : Le président de Koulibaly savait que ce jour-là l’ouverture solennelle de la 2ème session aurait lieu ?
A.A.M. : Mais il savait très bien, après toutes les démarches que j’ai faites et dont j’ai parlé plus haut.
N.V. : Mais le président Koulibaly parle de vice de procédure.
A.A.M. : Je suis désolée, il n’y a pas eu de vice de procédure. Demandez-lui à quel niveau la procédure a été viciée. Qu’il vous montre le texte qui subordonne l’ouverture de la session à la tenue de la réunion de la conférence des présidents. Les textes sont là sous mes yeux. La conférence des présidents prépare seulement les travaux de la session. Et surtout posez-lui la question de savoir qui convoque cette conférence des président qui, pour lui, doit être préalable à l’ouverture. Les textes disent bien que c’est lui qui doit la convoquer. Alors s’il sait que la conférence des présidents est préalable à l’ouverture de la session, pourquoi ne l’a-t-il pas convoquée alors que la date butoir de l’ouverture de la session était arrivée ? En réalité la conférence des présidents établit seulement le programme de la session. Mais cela peut se faire après l’ouverture de la session dont la date est incompressible. On peut ouvrir la session et après convoquer la conférence des présidents pour établir l’ordre du jour. Ça ne peut pas empêcher la tenue de l’ouverture de la session. Donc ce qu’il dit est faux.
La date de l’ouverture est constitutionnelle. Tant qu’elle n’a pas eu lieu, les députés ne peuvent pas travailler. C’est comme l’année académique à l’université. Tant qu’on n’a pas ouvert l’année académique, les professeurs ne peuvent pas programmer d’examen. En dehors de l’année académique, tout examen n’est pas valable.
N.V. : Quelle analyse faites-vous de cette situation ?
A.M. : L’infraction est tellement grave que je ne trouve pas de mot pour la qualifier. Sans constitution, notre pays n’existe pas en tant qu’organisation juridique. C`est-à-dire qu’il n’y a pas d’Etat. Or si nous sommes d’accord qu’un peuple sur un territoire donné s’organise avec des règles, la constitution est la loi fondamentale. C’est la constitution qui définit la forme de gouvernement pour un pays. Notre constitution dit que l’Etat de Côte d’ivoire est une République indépendante et souveraine.
Vous savez que tous les Etats ne sont pas des Républiques. Donc si tu paralyse l’assemblée nationale, tu fais un Etat manchot. Ce n’est plus une république. C’est ce que Mamadou Koulibaly vient de faire. L’Etat de Côte d’Ivoire est amputé d’un de ses moyens d’expression. C’est vous dire la gravité de l’acte de Mamadou Koulibaly.
Le président de la république est le détenteur exclusif du pouvoir exécutif. Et le parlement légifère. C`est-à-dire qu’il vote les lois qui doivent permettre au président de gouverner. C’est une précaution très important pour l’équilibre et l’harmonie de la société. Pour ne qu’une fois élu, le président ne prenne pas le peuple en otage en faisant ce qu’il veut. C’est la situation dans laquelle Koulibaly a mis le peuple de Côte d’Ivoire en paralysant l’Assemblée nationale. C’est une trahison qui ne dit pas son nom.
N.V. : Mais dans l’entendement du président Koulibaly, l’Assemblée n’est pas dissoute puisqu’il revendique encore le statut du n°2 du régime…
A.A.M. : Mais on ne l’a pas élu pour ça. C’est ça la plaie de l’Afrique. C’est cela la plaie de nos intellectuels. Ils courent toujours après les positionnements personnels. L’Afrique est malade pour cela, elle est soumise à l’Occident pour tout ça. Ils sont très, très égoïstes et méchants. Parce qu’ils ne pensent qu’à eux. Mais le pouvoir est un service.
Il cherche un intérim conformément à la constitution. Mais lui-même il ne respect pas la constitution. La même constitution te dit que tu dois ouvrir la session ordinaire à une date précise. Et tu ne l’as pas ouverte. Est-ce que tu existes en tant président de
l’Assemblée pour être intérimaire du chef de l’Etat ? Tu te prévaux du grade de président de l’Assemblée et tu fermes l’hémicycle. Or l’Assemblée a un rôle à jouer. Sa mission principale ce n’est pas l’intérim. Moi aussi la constitution dit fait de moi aussi l’intérimaire au cas où. Mais ce n’est pas là l’essentiel.
Le parlement doit être le gardien du pouvoir exécutif. C’est comme ça que nous avons fait échouer Marcoussis qui était un complot contre l’Etat de Côte d’Ivoire. Ce n’est pas pour rien que le GTI proposait la dissolution de l’Assemblée. C’est parce qu’elle était un frein à la réalisation du complot contre la Côte d’Ivoire.
En réalité, c’est le coup d’Etat de 2002 que Koulibaly vient de parachever en paralysant l’assemblée nationale. Pour moi il est un des facteurs. Il y en a qui étaient chargés de démolir l’exécutif. Neutraliser le président de la République, le tuer s’il faut. Ils n’ont pas pu le tuer, ils ont réussi à le mettre en prison. Et comme pour les députés, on ne peut pas le faire, Koulibaly a été chargé de neutraliser l’Assemblée dont il est le président. C’est une haute trahison du peuple de Côte d’Ivoire. Moi je n’ai jamais pensé que Koulibaly pouvait en arriver-là. Et vous voyez qu’il ne nie pas d’avoir fait fermer l’hémicycle, il tente plus tôt de se justifier. En parlant de la conférence de président. Si tel est le cas, pourquoi il n’a pas ouvert en avril alors qu’il a tenu la conférence des présidents ?
Interview réalisée par
Boga Sivori
bogasivo@yahoo.fr
Notre Voie : Madame la première vice-présidente, les Ivoiriens ont été surpris de voir la semaine dernière que les portes de l’Assemblée nationale ont été fermées aux députés au moment où vous alliez à l’ouverture de la 2ème session ordinaire de l’année. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Amon Agoh Marthe : En terme de surprise, je suis la première à être véritablement surprise. Je ne pouvais jamais m’imaginer un tel scénario. Je ne sais si on a déjà vu à travers l’humanité, le président d’une institution mettre fin au fonctionnement de cette institution de cette manière-là. Je pourrais qualifier cela d’infanticide. C`est-à-dire, quelqu’un qui tue son propre enfant. C’est ce qui s’est passé.
C’est pourquoi j’ai immédiatement fait une conférence de presse pour prendre le peuple que nous représentons à témoin. Mais également pour prendre à témoin tous les peuples du monde assoiffés de démocratie.
N.V. : Qu’est-ce qui s’est passé pour qu’on en arrive à cette situation ?
A.A.M. : Je ne sais vraiment pas ce qui a pu conduire à cette situation, parce que les choses se sont passées comme elles ont l’habitude de se passer dans cette assemblée nationale. Mamadou Koulibaly a été très souvent absent aux activités de l’assemblée nationale. Pour la petite histoire, les journalistes se sont souvent demandé « où est passé Mamadou Koulibaly ». Et je l’ai toujours suppléé comme le disent nos textes. Ce n’est donc pas nouveau ce qui s’est passé. C’est même l’absence de Koulibaly qui était devenue la règle dans cette assemblée, si je peux ainsi le dire. Dans la deuxième république, il a été prévu un président et un 1er vice-président de l’assemblée nationale. Ceci justement pour suppléer le président en cas d’absence. Et dans le règlement de l’assemblée nationale, je le supplée dans toutes ses fonctions. J’assume même aussi la vacance du pouvoir au cas où le président ne peut pas le faire pour diverses raisons. Et cela est écrit dans la constitution.
Cela dit, tous les textes précisent que c’est bien le président qui convoque toutes les plénières, puisqu’il est le chef de l’administration. Et moi je le seconde. Et donc quand il n’est pas là, je le remplace. Et très souvent, je suis prise de court puisqu’il ne me prévient même pas de son absence. Et c’est fréquent. Et c’est toujours comme ça que Koulibaly a fonctionné avec moi. J’ai fini par m’habituer. Donc je prends toujours mes précautions. Je ne sais pas ce que Koulibaly recherchait, mais c’est comme ça qu’il fonctionnait avec moi. C’est dire que je ne suis pas surprise. Pour tout dire, les choses se sont passées la fois dernière comme elles se passent depuis toujours.
N.V : C’est-à-dire…
A.A.M : L’article 62 dit que chaque année, l’Assemblée nationale se réunit de plein droit en deux sessions ordinaires. Je dis bien de plein droit ! La première session s’ouvre le dernier mercredi du mois d’avril. Donc pour cette année, elle devrait s’ouvrir le 27 avril 2011. La deuxième session commence le premier mercredi du mois d’octobre. Donc c’était bien le 5 octobre dernier. Ces deux sessions sont obligatoires et tout député digne de ce nom doit s’y conformer. Vous remarquerez que l’Assemblée nationale est la seul institution pour laquelle la constitution a pris la précaution de fixer la date de l’ouverture des sessions. Même les dates des conseils de ministres ne sont pas fixées par la constitution. Pour l’Assemblée nationale, les dates sont fixées par la constitution. Et au risque de me répéter, la constitution dit bien que l’assemblée nationale se réunit de plein droit.
N.V. : Qu’est-ce que cela veut dire ?
A.A.M. : Cela veut dire que l’Assemblée se réunit obligatoirement à ces deux dates. Les députés n’ont pas le choix. Et cela s’impose à tout citoyen, y compris le président de la République. Une fois qu’on est en dehors de ces deux dates, si on convoque les députés, c’est une session extraordinaire. Et c’est une procédure particulière qui est aussi réglée par la constitution. Cela veut dire qu’en dehors de ces deux sessions vous ne pouvez pas donner du travail aux députés si ce n’est en session extraordinaire.
N.V. : Alors comment se préparent les sessions quand ces dates constitutionnelles arrivent ?
A.A.M. : Pour voir le fonctionnement de l’assemblée nationale, il faut s’en référer au règlement administratif. Nous sommes des grands responsables. Quand on vous confie une mission, c’est à vous de vous organiser pour remplir au mieux cette mission. Vous mettez alors en place des règles de fonctionnement. C’est ce qu’on appelle le règlement intérieur. Le règlement intérieur de l’Assemblée indique donc que c’est le bureau de l’Assemblée nationale, composé du président de l’assemblée, du 1er vice-président, des autres vice-présidents et des questeurs qui, assisté du secrétaire général nommé par le président, prépare les travaux de l’Assemblée. Le bureau se réunit deux fois dans le mois. Et donc quand approchent les dates constitutionnelles, c’est le secrétaire général qui attire l’attention du président. C’est alors que le président et le 1er vice-président, assistés du secrétaire général, préparent l’ordre du jour et convoquent la réunion du bureau de l’assemblée en vue de la préparation des travaux de la session. Il est écrit clairement dans nos textes que j’assiste le président dans la préparation des réunions. Mais Koulibaly n’a jamais voulu que je l’assiste bien que cela soit écrit noir sur blanc. C’est un vieux débat sur lequel je ne reviens pas. Il dit qu’il aime travailler seul. Donc en réalité, on ne s’est jamais mis à trois pour préparer les réunions. C’est peut-être pour cela aussi qu’il ne m’a jamais prévenu de son absence. Je pense même que s’il avait la possibilité de se faire suppléer par le secrétaire général pour présider les travaux des sessions, il l’aurait fait. Mais hélas ! La constitution ne l’y autorise pas. Et donc j’ai pris l’habitude d’interpeler moi-même le secrétaire général quand les dates arrivent pour savoir si le président sera là ou pas. Parce que si je suis surprise et que je ne suis pas préparée, c’est moi qui risque de prendre la honte.
Cette année, en avril, malgré les coups de canon, j’ai pris mes responsabilités pour voir s’il y avait quelqu’un à l’assemblée. J’ai cherché le président Koulibaly en vain. J’ai donc envoyé mon chef de cabinet voir le directeur de cabinet du président de l’Assemblée. Celui-ci a dit qu’il ne savait pas où se trouvait Koulibaly. Nous étions donc dans ces démarches quand je vois dans Fraternité Matin que le président Koulibaly a tenu une conférence de président sans m’y convier. Et à la sortie de cette conférence, il déclare avoir invité le président nouvellement installé à la tête du pays à l’ouverture de la première session.
N.V. : Que s’est-il passé ensuite ?
A.A.M : Le jour de l’ouverture de la session, je me suis apprêtée comme tout député pour m’y rendre en dépit du fait je n’avais pas vu de communiqué convoquant les députés. Et mon personnel qui m’avait devancé m’appelle pour me dire qu’ils ont vu seulement quelques députés, mais pas le président de l’Assemblée. Et comme je ne peux pas l’avoir au téléphone. Je précise que depuis plus d’un an, Koulibaly ne m’a jamais appelé au téléphone et il ne m’a jamais prise au téléphone. Je travail avec lui à travers son personnel et le secrétaire général. Donc ce n’est pas nouveau. Toute la journée on est resté là sans nouvelle de Koulibaly et la session n’a pas été ouverte. J’avoue que jusqu’à présent, je n’en connais pas les raisons.
N.V. : Lui avez-vous posé la question ?
A.A.M. : Mais je vous dis que je n’ai pu avoir Koulibaly au téléphone. Je n’ai pas de contact personnel avec le président de l’Assemblée nationale.
N.V. : Vraiment ?
A.A.M. : Mais c’est pourtant la réalité hélas ! Koulibaly communique avec moi à travers le secrétaire général ou le directeur de cabinet. Mais depuis près d’un mois, je n’arrive pas à avoir même le secrétaire général. Quelquefois quand je l’ai, il me dit qu’il est au village aux funérailles et quand il vient il ne me rappelle pas. Donc j’ai pris des précautions.
Donc, le jour de l’ouverture de session, je me suis préparée comme tout député pour me rendre à l’ouverture de la session. Mais tout en me préparant aussi psychologiquement à le relayer en sachant que s’il n’est pas là c’est moi. Mais mon chef de cabinet qui m’a devancée m’a dit qu’il a vu la voiture du président. J’étais donc toute heureuse à l’idée que je n’aurais rien à faire puis qu’il allait présider lui-même l’ouverture. Du moins je le pensais sincèrement. Et donc j’arrive et j’appelle dans son bureau pour savoir voir s’il est vraiment là, sa secrétaire me dit qu’il n’est pas là. Surprise ! On me dit qu’il est là mais il est caché dans une autre salle. Mais on empêche les gens d’accéder à lui.
Pour moi il n’est pas là c’est tout ! Je prends donc les dispositions pour le suppléer comme d’habitude. C’est à ce moment que j’apprends que l’hémicycle est fermé. Je dis comme ça l’hémicycle est fermé ? Je demande qu’on appelle le secrétaire général, il n’est pas là non plus. Je dis donc fouillez-moi tout le bâtiment et appelez-moi le personnel que vous trouverez en place. C’est comme ça deux membres du personnel sont venus me voir. Je leur dis, vous savez qu’aujourd’hui c’est l’ouverture de la session ordinaire. Le président de l’Assemblée n’est pas là. Et quand il n’est pas là c’est moi qui le remplace. C’est alors que Mme Diaby a pris la parole pour dire que certaines personnes ont pris l’habitude de tenir des réunions à l’Assemblée sans demander l’autorisation. C’est ce qu’elle a expliqué au secrétaire général et celui-ci lui a donné l’ordre de fermer l’hémicycle et de ne pas l’ouvrir tant lui n’a pas donné l’ordre de le faire.
N.V. : Le président de Koulibaly savait que ce jour-là l’ouverture solennelle de la 2ème session aurait lieu ?
A.A.M. : Mais il savait très bien, après toutes les démarches que j’ai faites et dont j’ai parlé plus haut.
N.V. : Mais le président Koulibaly parle de vice de procédure.
A.A.M. : Je suis désolée, il n’y a pas eu de vice de procédure. Demandez-lui à quel niveau la procédure a été viciée. Qu’il vous montre le texte qui subordonne l’ouverture de la session à la tenue de la réunion de la conférence des présidents. Les textes sont là sous mes yeux. La conférence des présidents prépare seulement les travaux de la session. Et surtout posez-lui la question de savoir qui convoque cette conférence des président qui, pour lui, doit être préalable à l’ouverture. Les textes disent bien que c’est lui qui doit la convoquer. Alors s’il sait que la conférence des présidents est préalable à l’ouverture de la session, pourquoi ne l’a-t-il pas convoquée alors que la date butoir de l’ouverture de la session était arrivée ? En réalité la conférence des présidents établit seulement le programme de la session. Mais cela peut se faire après l’ouverture de la session dont la date est incompressible. On peut ouvrir la session et après convoquer la conférence des présidents pour établir l’ordre du jour. Ça ne peut pas empêcher la tenue de l’ouverture de la session. Donc ce qu’il dit est faux.
La date de l’ouverture est constitutionnelle. Tant qu’elle n’a pas eu lieu, les députés ne peuvent pas travailler. C’est comme l’année académique à l’université. Tant qu’on n’a pas ouvert l’année académique, les professeurs ne peuvent pas programmer d’examen. En dehors de l’année académique, tout examen n’est pas valable.
N.V. : Quelle analyse faites-vous de cette situation ?
A.M. : L’infraction est tellement grave que je ne trouve pas de mot pour la qualifier. Sans constitution, notre pays n’existe pas en tant qu’organisation juridique. C`est-à-dire qu’il n’y a pas d’Etat. Or si nous sommes d’accord qu’un peuple sur un territoire donné s’organise avec des règles, la constitution est la loi fondamentale. C’est la constitution qui définit la forme de gouvernement pour un pays. Notre constitution dit que l’Etat de Côte d’ivoire est une République indépendante et souveraine.
Vous savez que tous les Etats ne sont pas des Républiques. Donc si tu paralyse l’assemblée nationale, tu fais un Etat manchot. Ce n’est plus une république. C’est ce que Mamadou Koulibaly vient de faire. L’Etat de Côte d’Ivoire est amputé d’un de ses moyens d’expression. C’est vous dire la gravité de l’acte de Mamadou Koulibaly.
Le président de la république est le détenteur exclusif du pouvoir exécutif. Et le parlement légifère. C`est-à-dire qu’il vote les lois qui doivent permettre au président de gouverner. C’est une précaution très important pour l’équilibre et l’harmonie de la société. Pour ne qu’une fois élu, le président ne prenne pas le peuple en otage en faisant ce qu’il veut. C’est la situation dans laquelle Koulibaly a mis le peuple de Côte d’Ivoire en paralysant l’Assemblée nationale. C’est une trahison qui ne dit pas son nom.
N.V. : Mais dans l’entendement du président Koulibaly, l’Assemblée n’est pas dissoute puisqu’il revendique encore le statut du n°2 du régime…
A.A.M. : Mais on ne l’a pas élu pour ça. C’est ça la plaie de l’Afrique. C’est cela la plaie de nos intellectuels. Ils courent toujours après les positionnements personnels. L’Afrique est malade pour cela, elle est soumise à l’Occident pour tout ça. Ils sont très, très égoïstes et méchants. Parce qu’ils ne pensent qu’à eux. Mais le pouvoir est un service.
Il cherche un intérim conformément à la constitution. Mais lui-même il ne respect pas la constitution. La même constitution te dit que tu dois ouvrir la session ordinaire à une date précise. Et tu ne l’as pas ouverte. Est-ce que tu existes en tant président de
l’Assemblée pour être intérimaire du chef de l’Etat ? Tu te prévaux du grade de président de l’Assemblée et tu fermes l’hémicycle. Or l’Assemblée a un rôle à jouer. Sa mission principale ce n’est pas l’intérim. Moi aussi la constitution dit fait de moi aussi l’intérimaire au cas où. Mais ce n’est pas là l’essentiel.
Le parlement doit être le gardien du pouvoir exécutif. C’est comme ça que nous avons fait échouer Marcoussis qui était un complot contre l’Etat de Côte d’Ivoire. Ce n’est pas pour rien que le GTI proposait la dissolution de l’Assemblée. C’est parce qu’elle était un frein à la réalisation du complot contre la Côte d’Ivoire.
En réalité, c’est le coup d’Etat de 2002 que Koulibaly vient de parachever en paralysant l’assemblée nationale. Pour moi il est un des facteurs. Il y en a qui étaient chargés de démolir l’exécutif. Neutraliser le président de la République, le tuer s’il faut. Ils n’ont pas pu le tuer, ils ont réussi à le mettre en prison. Et comme pour les députés, on ne peut pas le faire, Koulibaly a été chargé de neutraliser l’Assemblée dont il est le président. C’est une haute trahison du peuple de Côte d’Ivoire. Moi je n’ai jamais pensé que Koulibaly pouvait en arriver-là. Et vous voyez qu’il ne nie pas d’avoir fait fermer l’hémicycle, il tente plus tôt de se justifier. En parlant de la conférence de président. Si tel est le cas, pourquoi il n’a pas ouvert en avril alors qu’il a tenu la conférence des présidents ?
Interview réalisée par
Boga Sivori
bogasivo@yahoo.fr