Gilles Olakounlé Yabi dirige le projet Afrique de l’Ouest de l’International Crisis Group. Il analyse pour SlateAfrique les conditions de la sortie de crise en Côte d'Ivoire.
Il y a un an, toute l’Afrique de l’Ouest était plongée dans l’anxiété. Son deuxième foyer de dynanisme économique après le Nigeria, devenu également depuis deux décennies son grand malade, basculait chaque semaine davantage dans le chaos et la guerre civile. En avril 2011, la défaite militaire du camp du président sortant et battu dans les urnes, Laurent Gbagbo, mettait fin à l’incertitude. En cette fin d’année, la Côte d’Ivoire est toujours traumatisée par le dénouement sanglant de la bataille pour le fauteuil présidentiel mais elle va mieux. La relance économique et les indices d’une meilleure gouvernance par le nouveau pouvoir pendant les six derniers mois doivent être reconnus, mais il est encore trop tôt pour proclamer que la longue crise politique est terminée. Le président Ouattara et le gouvernement qu’il doit mettre en place dans les prochaines semaines doivent résister à quatre tentations dans l’année à venir.
Résister à la tentation de gouverner seul
Boycottées par le parti de l’ancien chef d’Etat, le Front Populaire Ivoirien (FPI), les élections législatives du 11 décembre ont consolidé le pouvoir du président Ouattara. Son parti, le Rassemblement des républicains (RDR), a obtenu la majorité des sièges, suivi de loin par le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) de l’ancien président Henri Konan Bédié. Le camp Ouattara, et en particulier les cadres influents du RDR, doit avoir la victoire modeste et considérer l’absence d’enthousiasme des électeurs pour les législatives – le taux de participation a été de 36 % - comme un indicateur de l’ampleur des efforts à faire pour réconcilier les Ivoiriens avec la politique et les institutions démocratiques.
Si le parti présidentiel abuse de sa position dominante, il finira par se mettra à dos une partie du PDCI et sera vite isolé sur la scène politique ivoirienne, d’autant plus que Bédié, dont la carrière politique tire à sa fin, aura de moins en moins de prise sur son parti. La perception qu’aura alors du régime Ouattara une partie non négligeable de la population ivoirienne sera celle d’un pouvoir nordiste animé d’un esprit de revanche. Pour couper l’herbe sous le pied des extrémistes de tous les camps, le gouvernement et la nouvelle Assemblée nationale devront associer l’ensemble des forces vives du pays, notamment les organisations de la société civile et les partis non représentés au parlement, à un dialogue national sur les réformes nécessaires à la consolidation de la paix et de la sécurité.
Résister à la tentation de bâcler la réforme des forces armées
Le lancement de la réforme du secteur de la sécurité est la priorité parmi les priorités. Conséquence du violent conflit postélectoral mais aussi de la très longue déstructuration des forces ivoiriennes depuis une quinzaine d’années, l’armée, la police et la gendarmerie sont toujours confrontées à d’inquiétantes divisions, à un déficit de moyens et à un profond déséquilibre hiérarchique. Les hommes issus des Forces nouvelles gardent l’ascendant sur les éléments issus des anciennes forces régulières. Les chefs militaires de l’ex-rébellion ont gardé autour d’eux leurs hommes les plus fidèles et les plus aguerris qui se soustraient à la hiérarchie classique et continuent à s’adonner à des activités économiques illicites.
La vision que les anciens responsables politiques et militaires de la rébellion ont de la réforme de l’armée a peu de chances de coïncider avec l’im¬pé¬ra¬tif de formation de forces républicaines qui soient au service de la stabilité du pays et de la sécurité des populations. Le président Ouattara doit s’engager personnellement dans le règlement des questions de sécurité et mobiliser l’assistance technique et financière ainsi que le soutien politique des partenaires africains, des Nations unies, de l’Union européenne et des Etats-Unis pour une réforme ambitieuse.
Résister à la tentation de la facilité dans les procédures judiciaires
La structure actuelle de l’appareil de sécurité est un handicap pour l’exercice d’une justice impartiale. La toute-puissance des anciens commandants de zone des Forces nouvelles au sein de l’armée en construction rend et rendra très délicate l’arrestation de l’un ou l’autre des leurs dans le cadre d’une enquête lancée par la justice ivoirienne ou par la Cour pénale internationale sur les crimes graves qui ont suivi l’élec¬tion présidentielle de novembre 2010 et sur ceux de la période 2002-2010. La justice des vainqueurs a pour effet de perpétuer de fortes tensions sur la scène sociale et politique ivoirienne. Aussi difficile et périlleux que soit l’exercice, la mise en œuvre d’une justice impartiale est absolument nécessaire.
Le déficit de justice qui a suivi plusieurs évènements très graves survenus depuis la transition militaire de décembre 1999, puis l’élection du président Gbagbo en octobre 2000, a permis aux auteurs directs et indirects des crimes les plus odieux de rester sur la scène publique et d’y accroitre leur influence. Le pays ne pourra sortir de ce cycle meurtrier si les procédures judiciaires nationales et internationales oublient certains acteurs politiques et militaires présumés coupables de graves crimes, ce qui reviendrait à oublier également une partie des victimes. Dans l’année qui vient, il faudra que le président Ouattara prenne le risque d’honorer les engagements pris dans le domaine de la justice. Les partenaires de la Côte d’Ivoire devront l’y encourager et l’y aider.
Résister à la tentation d’une croyance excessive aux recettes économiques classiques
Le développement économique sur une longue période est à coup sûr un puissant facteur de stabilité et de paix. L’économie ivoirienne a redémarré et le pays affiche à nouveau de grandes ambitions régionales. Il est évidemment trop tôt pour mesurer l’impact de plusieurs programmes ambitieux lancés depuis un semestre. La disposition bienveillante des bailleurs est toujours de mise avec de nouvelles promesses de prêt et d’annulations de dettes, encouragée par les signes réels de rupture dans la gouvernance sous l’impulsion d’un président qui a toujours misé avant tout sur ses compétences en matière économique. Mais ces signaux économiques prometteurs, dont il faut espérer qu’ils se traduiront bientôt en créations importantes d’emplois pour occuper une jeunesse sacrifiée depuis deux décennies, ne sont pas suffisants pour garantir une stabilité durable.
Il faudra faire acccompagner la mise en œuvre des recettes traditionnelles visant à accélérer la croissance économique d’une dimension politique et réconciliatrice. Le président Ouattara devrait regarder vers l’ouest de son pays, notamment la région du Moyen-Cavally à la lisière du Liberia. Dans cette région où ont émergé et proliféré les milices d’autodéfense pro-Gbagbo après la rébellion de septembre 2002, le désarmement des jeunes hommes ne pourra réellement se faire qu’en manipulant astucieusement la carotte et le bâton. Les autorités ivoiriennes doivent y entreprendre un plan de réhabilitation des villages détruits pendant le conflit et de construction de voies de transport. Le président Ouattara peut montrer qu’il a une vision économique pour la région et travailler avec son homologue du Liberia, la présidente nouvellement réélue Ellen Johnson Sirleaf, à l’établissement d’un espace de codéveloppement comprenant l’Ouest ivoirien et l’Est libérien.
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Gilles Olakounlé Yabi
Il y a un an, toute l’Afrique de l’Ouest était plongée dans l’anxiété. Son deuxième foyer de dynanisme économique après le Nigeria, devenu également depuis deux décennies son grand malade, basculait chaque semaine davantage dans le chaos et la guerre civile. En avril 2011, la défaite militaire du camp du président sortant et battu dans les urnes, Laurent Gbagbo, mettait fin à l’incertitude. En cette fin d’année, la Côte d’Ivoire est toujours traumatisée par le dénouement sanglant de la bataille pour le fauteuil présidentiel mais elle va mieux. La relance économique et les indices d’une meilleure gouvernance par le nouveau pouvoir pendant les six derniers mois doivent être reconnus, mais il est encore trop tôt pour proclamer que la longue crise politique est terminée. Le président Ouattara et le gouvernement qu’il doit mettre en place dans les prochaines semaines doivent résister à quatre tentations dans l’année à venir.
Résister à la tentation de gouverner seul
Boycottées par le parti de l’ancien chef d’Etat, le Front Populaire Ivoirien (FPI), les élections législatives du 11 décembre ont consolidé le pouvoir du président Ouattara. Son parti, le Rassemblement des républicains (RDR), a obtenu la majorité des sièges, suivi de loin par le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) de l’ancien président Henri Konan Bédié. Le camp Ouattara, et en particulier les cadres influents du RDR, doit avoir la victoire modeste et considérer l’absence d’enthousiasme des électeurs pour les législatives – le taux de participation a été de 36 % - comme un indicateur de l’ampleur des efforts à faire pour réconcilier les Ivoiriens avec la politique et les institutions démocratiques.
Si le parti présidentiel abuse de sa position dominante, il finira par se mettra à dos une partie du PDCI et sera vite isolé sur la scène politique ivoirienne, d’autant plus que Bédié, dont la carrière politique tire à sa fin, aura de moins en moins de prise sur son parti. La perception qu’aura alors du régime Ouattara une partie non négligeable de la population ivoirienne sera celle d’un pouvoir nordiste animé d’un esprit de revanche. Pour couper l’herbe sous le pied des extrémistes de tous les camps, le gouvernement et la nouvelle Assemblée nationale devront associer l’ensemble des forces vives du pays, notamment les organisations de la société civile et les partis non représentés au parlement, à un dialogue national sur les réformes nécessaires à la consolidation de la paix et de la sécurité.
Résister à la tentation de bâcler la réforme des forces armées
Le lancement de la réforme du secteur de la sécurité est la priorité parmi les priorités. Conséquence du violent conflit postélectoral mais aussi de la très longue déstructuration des forces ivoiriennes depuis une quinzaine d’années, l’armée, la police et la gendarmerie sont toujours confrontées à d’inquiétantes divisions, à un déficit de moyens et à un profond déséquilibre hiérarchique. Les hommes issus des Forces nouvelles gardent l’ascendant sur les éléments issus des anciennes forces régulières. Les chefs militaires de l’ex-rébellion ont gardé autour d’eux leurs hommes les plus fidèles et les plus aguerris qui se soustraient à la hiérarchie classique et continuent à s’adonner à des activités économiques illicites.
La vision que les anciens responsables politiques et militaires de la rébellion ont de la réforme de l’armée a peu de chances de coïncider avec l’im¬pé¬ra¬tif de formation de forces républicaines qui soient au service de la stabilité du pays et de la sécurité des populations. Le président Ouattara doit s’engager personnellement dans le règlement des questions de sécurité et mobiliser l’assistance technique et financière ainsi que le soutien politique des partenaires africains, des Nations unies, de l’Union européenne et des Etats-Unis pour une réforme ambitieuse.
Résister à la tentation de la facilité dans les procédures judiciaires
La structure actuelle de l’appareil de sécurité est un handicap pour l’exercice d’une justice impartiale. La toute-puissance des anciens commandants de zone des Forces nouvelles au sein de l’armée en construction rend et rendra très délicate l’arrestation de l’un ou l’autre des leurs dans le cadre d’une enquête lancée par la justice ivoirienne ou par la Cour pénale internationale sur les crimes graves qui ont suivi l’élec¬tion présidentielle de novembre 2010 et sur ceux de la période 2002-2010. La justice des vainqueurs a pour effet de perpétuer de fortes tensions sur la scène sociale et politique ivoirienne. Aussi difficile et périlleux que soit l’exercice, la mise en œuvre d’une justice impartiale est absolument nécessaire.
Le déficit de justice qui a suivi plusieurs évènements très graves survenus depuis la transition militaire de décembre 1999, puis l’élection du président Gbagbo en octobre 2000, a permis aux auteurs directs et indirects des crimes les plus odieux de rester sur la scène publique et d’y accroitre leur influence. Le pays ne pourra sortir de ce cycle meurtrier si les procédures judiciaires nationales et internationales oublient certains acteurs politiques et militaires présumés coupables de graves crimes, ce qui reviendrait à oublier également une partie des victimes. Dans l’année qui vient, il faudra que le président Ouattara prenne le risque d’honorer les engagements pris dans le domaine de la justice. Les partenaires de la Côte d’Ivoire devront l’y encourager et l’y aider.
Résister à la tentation d’une croyance excessive aux recettes économiques classiques
Le développement économique sur une longue période est à coup sûr un puissant facteur de stabilité et de paix. L’économie ivoirienne a redémarré et le pays affiche à nouveau de grandes ambitions régionales. Il est évidemment trop tôt pour mesurer l’impact de plusieurs programmes ambitieux lancés depuis un semestre. La disposition bienveillante des bailleurs est toujours de mise avec de nouvelles promesses de prêt et d’annulations de dettes, encouragée par les signes réels de rupture dans la gouvernance sous l’impulsion d’un président qui a toujours misé avant tout sur ses compétences en matière économique. Mais ces signaux économiques prometteurs, dont il faut espérer qu’ils se traduiront bientôt en créations importantes d’emplois pour occuper une jeunesse sacrifiée depuis deux décennies, ne sont pas suffisants pour garantir une stabilité durable.
Il faudra faire acccompagner la mise en œuvre des recettes traditionnelles visant à accélérer la croissance économique d’une dimension politique et réconciliatrice. Le président Ouattara devrait regarder vers l’ouest de son pays, notamment la région du Moyen-Cavally à la lisière du Liberia. Dans cette région où ont émergé et proliféré les milices d’autodéfense pro-Gbagbo après la rébellion de septembre 2002, le désarmement des jeunes hommes ne pourra réellement se faire qu’en manipulant astucieusement la carotte et le bâton. Les autorités ivoiriennes doivent y entreprendre un plan de réhabilitation des villages détruits pendant le conflit et de construction de voies de transport. Le président Ouattara peut montrer qu’il a une vision économique pour la région et travailler avec son homologue du Liberia, la présidente nouvellement réélue Ellen Johnson Sirleaf, à l’établissement d’un espace de codéveloppement comprenant l’Ouest ivoirien et l’Est libérien.
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Gilles Olakounlé Yabi