Ministre de la Santé et de la lutte contre le Sida, Pr N’dri-Yoman Thérèse, revient dans cette interview sur la gratuité des soins initiée par le président de la République après la crise poste-électorale. Elle annonce la fin de cette opération et lève un coin du voile sur les grands projets à venir du Gouvernement pour le bonheur des populations.
Le président de la République a décidé, dès sa prise de fonction, de rendre gratuits les soins dans les hôpitaux publics aujourd’hui, quel bilan peut-on faire de cette mesure importante du gouvernement ?
Effectivement, juste après la sortie de la crise postélectorale, le président de la République a pris une mesure exceptionnelle d’exemption des frais de charge des prestations de santé dans les établissements sanitaires publics et conventionnés. Cela fait bientôt huit mois que cette mesure est appliquée, nous avons fait un bilan à mi-parcours au mois de juin qui avait montré que cette mesure était la bienvenue et bien appréciée par les Ivoiriens et nous a montré un réel besoin en santé des populations qui étaient limitées par l’accessibilité financière. Ce qui fait que toutes les prestations ont connu une augmentation. Que ce soient les hospitalisations, les consultations, les interventions chirurgicales, les actes de biologie, de radiologie, ils ont tous eu une progression importante en terme de réalisation. On a eu des difficultés et des contraintes liées à la surcharge de travail. Les agents de santé ont vu leur charge augmentée de façon exponentielle, on a eu la sur-utilisation des services de santé. Les plateaux techniques qui étaient déjà dans un état de dégradation avancée, ont été surexploités. Nous avons eu des dysfonctionnements liés à des détournements de médicaments, des détournements de malades, des personnes qui refusaient d’accepter cette mesure de gratuité et continuaient à faire payer les malades. Nous avons fait un point et vu les avantages que cette mesure avait apportés aux populations, elle a été reconduite jusqu'à ce jour. Je pense que nous allons très bientôt faire le dernier bilan concernant la gratuité des soins jusqu'à fin décembre 2012
Cette mesure va-t-elle prendre fin un jour, y aura-t-il des réadaptations, sera-t-elle modifiée, combien de temps va-t-elle durer?
Cette mesure de gratuité va prendre fin bientôt. Nous avons fait le bilan, nous avons fait une enquête dans les trois Chu qui sont des établissements de référence qui ont reçu le plus de malades pendant cette période et cela nous a permis d’identifier les points forts et les points faibles de la mesure. A l’analyse des points faibles, nous avons décidé de mettre fin à la gratuité généralisée sur recommandation du président de la République. Nous allons plutôt opter pour la gratuité ciblée. Cette gratuité ciblée va être sélective pour un certain nombre de personnes notamment les populations les plus vulnérables, les populations les plus démunies. D’ores et déjà, je vous annonce qu’elle va concerner le couple mère-enfant. C'est-à-dire les femmes enceintes. Donc l’accouchement avec ses complications, la césarienne. Ces actes-là seront gratuits. Les maladies de l’enfant seront gratuites pour les enfants de 0 à 5 ans. Nous avons proposé comme gratuité ciblée certaines pathologies telles que le paludisme qui fait à peu près 60 % du taux de morbidité dans les établissements de soin. Il y a aussi les actes d’urgence médico-chirurgicale vont être pris en compte et nous voulons proposer un rabattement de toutes les tarifications, consultations dont le coût est supérieur à 1000 fr de l’ordre de 30%. Voici quelques mesures que nous proposons dans la phase transitionnelle entre la gratuité généralisée et la mise en place de la couverture maladie universelle.
Combien revient-il à l’Etat d’offrir des soins gratuits pendant plusieurs mois à la population?
La première estimation que nous avons faite après le premier bilan, nous avons estimé le coût mensuel de la gratuité à 4, 100 milliards. Si vous multipliez cela par 12, nous avons à peu près 50 milliards à débourser pour la gratuité. Mais les données dont nous disposons actuellement, la totalité des coûts sur toute l’étendue du territoire, donne 30 milliards que la gratuité a coûtés à l’Etat de Côte d’Ivoire.
Il est prévu une prise en charge ciblée au niveau de certaines couches de la population, mais au niveau de l’intérieur du pays où les besoins sont plus énormes, avez-vous tenté de voir ce qui était possible de faire pour alléger les souffrances des populations?
Quand on met fin à la gratuité généralisée, cela va limiter et mettre fin à un certain nombre de dysfonctionnements. Nous avons dénoncé certaines pratiques mais au niveau des populations, il y avait des abus de soins, les gens venaient plusieurs fois parce que c’était gratuit. Cela augmente la charge de travail des agents. Pour les vrais malades, les mesures que nous allons appliquer vont concerner effectivement les populations démunies, qui vont être prises en compte dès le depart par des assistantes sociales pour identifier le statut réel de la personne malade. Parce qu’il y aura des assurés qui vont continuer de fréquenter les établissements de santé. Pour ceux -là, la gratuité ne sera pas de mise. Par contre, Ceux qui n’ont pas les moyens, ils seront identifiés. Comme les établissements ont eu l’habitude de remettre des bons de prise en charge pour la gratuité, ça va se poursuivre et l’abattement de 30% sur tous les actes, en dehors des médicaments, va soulager les populations. En ce sens que si vous avez l’habitude de payer la radiographie pulmonaire à 5000 fr, vous pourrez payer 3000 fr. Une échographie qui coûtait peut-être 10.000fr, vous pourrez la payer moins 30%. Cela va alléger les souffrances des populations.
Avant l’étape intermédiaire, la gratuité se poursuit, pouvez-vous nous dire s’il y a des médicaments dans les hôpitaux ?
Justement, les populations s’inquiètent sur la disponibilité des médicaments parce qu’il y a eu quelque temps où on avait beaucoup de ruptures liées au fait que le taux de livraison n’était pas satisfaisant. Au jour d’aujourd’hui, nous avons un taux de livraison de médicament de 54%. Ce qui nous permet de proposer une gratuité ciblée. Ce que nous demandons, c’est que pour que ces médicaments soient suffisants, il faut que cela serve aux vrais malades. Il faut que nous ayons des comportements qui ne conduisent pas à la surconsommation médicale. Il faut avoir des comportements citoyens. Nous avons des partenaires qui veulent nous aider en nous faisant des dons mais il faut que les médicaments soient utilisés à bon escient
Dans le cadre de la mise œuvre de la gratuité, certains actes ont été dénoncés. Vous avez eu à prendre des mesures énergiques contre certains, pouvez-vous nous faire le point des sanctions prises?
Pour le personnel médical, j’ai toujours dit que les ressources humaines constituent la clé de vo^^ute du système de santé. Vous pouvez avoir le meilleur système de santé, si les agents de santé ne suivent pas cette politique, vous allez à l’échec. Dans la mesure de la gratuité qui a été appliquée, il y a eu deux situations où des agents de santé qui ont adhéré entièrement à cette politique et il y a certains qui ont fait de la résistance. Pour ceux qui ont fait de la résistance agressive, nous avons mené des inspections et nous en avons dénombré une trentaine. Il y a des personnes qui ont eu des blâmes et des avertissements, il y en a qui ont eu des affectations d’office qui est une sanction de 1er degré, il y a eu des sanctions de 2ème degré telles que des révocations. Il y a eu des personnes qui ont été écrouées pace que pris en flagrant délit de détournement de médicaments. Il y a un agent de santé qui a écopé de 2 ans de prison ferme. Nous avons interpellé, de façon verbale, plusieurs agents, il y en a qui ont compris la leçon et qui sont rentrés dans les rangs mais je crois que le travail doit continuer. Il faut que tout le monde comprenne que cette mesure est importante pour le bien-être des populations
Certains chefs d’établissements se sont plaints de ce que la gratuité ne leur permettait plus de prendre en compte leur charge propre notamment ceux du petit personnel faute de ressources nécessaires. En avez-vous été informée?
Nous avons beaucoup débattu de ces soucis. Le montant de 4 milliards du coût de la gratuité fait dès les premiers mois, prenait en compte la prise en compte les agents contractuels et les vacataires et le personnel d’appui. Nous avons demandé aux différents responsables de faire la liste et le trésor a payé 1, 660 milliard pour le salaire de ces agents. Si un agent n’a pas été payé c’est parce qu’il n’a pas été soit recensé, soit ses documents ne nous sont pas parvenus. Celui qui n’a pas reçu de salaire, ce n’est pas de la faute du ministère, cela est dû à leurs différents responsables.
Ces derniers jours, les syndicats de la santé bouillonnent, manifestent, revendiquent. Quelles solutions préconisez-vous pour mettre fin à cette grogne qui se prépare à l’horizon?
J’ai beaucoup travaillé avec les syndicats. Dès ma prise de fonction, j’ai eu plusieurs fois à les rencontrer. Je me suis toujours déplacée pour aller vers eux chaque fois qu’ils étaient face à des situations. Les revendications pour lesquelles les syndicats s’agitent ne datent pas de maintenant. Elles datent de 2007, nous n’étions pas au pouvoir. Mais étant donné que l’Etat est une continuité, nous les avons rencontrés pour que nous discutions ensemble de ces problèmes salariaux, et voir quelles sont les mesures à prendre pour trouver une solution idoine. Mais je rappelle aussi à mes collègues et confrères que nous sommes sous un régime spécial. Nous attendons le point d’achèvement du Ppte pour lequel on nous fait toujours le reproche d’avoir une masse salariale trop importante. Donc en général, les réponses que les administrateurs donnent aux syndicats, c’est d’attendre le point d’achèvement. Qu’on ait notre Ppte pour voir comment réactiver les ressources en restant dans les proportions salariales que les organisations internationales nous demandent. Il y a eu des promesses antérieures qui ont été faites, un Etat normal et logique se doit de faire l’effort de respecter les promesses qui ont été faites. Mais on ne peut pas mettre la pression permanente sur un gouvernement qui sort de crise et qui se bat pour le bien-être des populations. Ce genre de comportement ne nous permet pas d’avoir des réflexions approfondies pour prendre des décisions. Je pense qu’à froid, cela permet d’avoir de bonnes réflexions. Vos problèmes verront des solutions. Les problèmes ont été présentés au président et au moment opportun, il les recevra.
Dites-nous si la grève projetée par les agents de la santé constitue un danger pour les populations ivoiriennes.
Les médecins ne vont pas faire une grève maintenant parce qu’eux-mêmes sont témoins de l’état de santé des populations, des difficultés de nos infrastructures. Tout est délabré. Nous devons nous mettre ensemble pour améliorer notre outil de travail, améliorer les conditions dans lesquelles nous travaillons, les conditions dans lesquelles nous prenons en charge nos populations. Même s’ils doivent être motivés pour le faire, ce pourquoi ils font des revendications salariales, je crois qu’ils sont conscients qu’il y a une oreille attentive. Je crois que c’est ce que les syndicats attendent. Et je pense qu’on pourra trouver une solution pour ne pas qu’il y ait une grève
Pensez-vous que d’ici le 31 janvier, vous pourrez les rencontrer pour vous entendre sur quelque chose ?
Le dialogue est l’arme des hommes forts. Effectivement, peut-être bien avant la fin de cette semaine, nous allons les rencontrer pour se concerter pour voir quelle est la bonne démarche à suivre pour éviter cette pression sur le 31 janvier. Je pense qu’avant cette date, nous allons les rencontrer pour en discuter.
La crise à la Mugefci a battu son plein sans que le ministre de la Santé ait pris position, alors qu’il s’agit de la santé des fonctionnaires ?
Je n’ai pas pris ouvertement position parce que la Mugefci est sous la tutelle du ministère d’Etat, chargé des Affaires sociales et de l’emploi. Ce n’est pas une structure sous tutelle du ministère de la Santé. Je ne sais pas pourquoi mais c’est cela la réalité. Quand nous sommes arrivée à la tête du ministère, nous avons signé un arrêté pour permettre à la mutuelle de s’approvisionner en médicament pour soulager les mutualistes parce qu’il y avait un blocus, il n’y avait pas de médicament et les pharmacies privées refusaient de servir les bons de la mutuelle. Selon les informations que j’ai reçues du Pca de la mutuelle, Mme Adjobi qui était mon prédécesseur avait signé un arrêté qui était parvenu à terme. On était dans une période de gratuité, nous avons prolongé la date de l’arrêté mais cela ne leur donnait pas droit d’ouvrir une officine. Créer une officine de soin et donner une autorisation pour s’approvisionner en médicaments pour soulager les populations, c’est totalement différent. S’il y a eu abus de la part de la mutuelle, le ministère de la Santé ne se sent pas concerné par cet abus. C’est pourquoi, nous avons laissé les pharmaciens et la mutuelle débattre de ce problème sans que nous nous en mêlions. Parce que nous, notre arrêté que nous avons signé qui a été décrié par l’ordre des pharmaciens avec qui nous avons eu une séance de travail au cours de laquelle nous leur avons donné les motivations réelles dudit arrêté ne nous donnait pas matière à aller nous exposer dans la presse pour un problème qui pouvait être réglé à l’amiable. Peut-être qu’il y avait d’autres motivations. Nous, nous concernant, nous avons opté pour l’amélioration de la santé des Ivoiriens
Qu’en est-il aujourd’hui des problèmes de bourses des étudiants de l’Infas?
Le problème a été en partie réglé, il y a eu un apurement de 3 mois de bourse. C’est une question de disponibilité financière. Que ce soit le directeur de l’Infas et son staff, que ce soit moi-même, nous approchons les autorités compétentes pour que ce problème soit réglé. Mais les besoins sont énormes au niveau de la nation, il faut satisfaire tout le monde ; ce qui fait qu’il y a des retards dans les problèmes de bourses. Et nous, notre souhait est qu’on revienne à la méthode d’antan qui est qu’une fois que vous êtes boursier, les moyens sont mis à la disposition des structures de sorte à ce que les bourses soient payées de façon régulière et qu’on n’ait pas à attendre longtemps.
Le président de la République a présenté 2012 comme une année d’espoir, au niveau de votre ministère, à quoi doivent s’attendre les populations en 2012 ? Quels sont les grands défis pour cette année ?
Les grands espoirs en matière de santé aujourd’hui, c’est d’atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (Omd) en matière de santé. Qui sont la baisse de la mortalité infantile, la baisse de la mortalité maternelle et la prise en charge du Vih/Sida. Pour la mortalité maternelle et infantile, vous avez vu que nous avons parlé plus haut de la mise en œuvre de la gratuité ciblée, toutes les mesures qui vont prendre en charge la santé de la mère et de l’enfant, la gratuité de l’accouchement, de la césarienne, et des complications, vont aider à nous approcher de l’atteinte des objectifs du millénaire pour le développement numéro 5. Nous allons mettre l’accent sur la réhabilitation des hôpitaux, sur le rééquipement pour que les Ivoiriens aient auprès d’eux tout ce qu’il faut pour leur santé. Il faut qu’ils aient les équipements de sorte qu’ils ne soient plus obligés de parcourir des kilomètres pour se faire soigner ou de réaliser un simple examen radiologique, un simple bilan sanguin. Nous sommes dans cette optique-là. Nous avons eu des séances de travail avec le président de la République, il nous a donné des indications claires sur certains domaines. Si nous arrivons à réaliser cela en 2012, nous allons pouvoir améliorer la santé des Ivoiriens. Nous avons commencé la construction d’un institut de médecine nucléaire au Chu de Cocody qui va permettre de diagnostiquer les maladies qui emportent des patients jeunes sans que nous n’ayons le temps de réagir à temps, des embolies pulmonaires, des cancers…
Un autre projet qui me tient à cœur et pour lequel je me bats et qui sera la meilleure chose en 2012 en matière d’amélioration de la santé de la femme, c’est la construction du centre de radiothérapie qui reste une préoccupation majeure et qui fait que les Ivoiriennes s’expatrient au Maroc, en Tunisie, en Europe etc. pour des cancers du sein, des cancers du col de l’utérus nous projetons donc la construction de ce centre de radiothérapie qui est très important dans l’arsenal médical en Côte d’Ivoire en matière de santé.
Je suis aussi satisfaite du taux de mortalité qui baisse dans les établissements de santé publics, des diagnostics qui sont faits à temps. J’encourage les agents de santé qui ont de bons comportements. La santé est le bien le plus cher. J’encourage les agents de la santé dans les efforts qu’ils ne cessent de faire pour améliorer la santé des populations. Je les encourage aussi à respecter les mesures mises en place et de redonner confiance aux populations afin que celles-ci les adulent et aient confiance en leur système de santé.
Interview réalisée par Akwaba Sant Clair, Diarrassouba Sory et Jean Prisca
Le président de la République a décidé, dès sa prise de fonction, de rendre gratuits les soins dans les hôpitaux publics aujourd’hui, quel bilan peut-on faire de cette mesure importante du gouvernement ?
Effectivement, juste après la sortie de la crise postélectorale, le président de la République a pris une mesure exceptionnelle d’exemption des frais de charge des prestations de santé dans les établissements sanitaires publics et conventionnés. Cela fait bientôt huit mois que cette mesure est appliquée, nous avons fait un bilan à mi-parcours au mois de juin qui avait montré que cette mesure était la bienvenue et bien appréciée par les Ivoiriens et nous a montré un réel besoin en santé des populations qui étaient limitées par l’accessibilité financière. Ce qui fait que toutes les prestations ont connu une augmentation. Que ce soient les hospitalisations, les consultations, les interventions chirurgicales, les actes de biologie, de radiologie, ils ont tous eu une progression importante en terme de réalisation. On a eu des difficultés et des contraintes liées à la surcharge de travail. Les agents de santé ont vu leur charge augmentée de façon exponentielle, on a eu la sur-utilisation des services de santé. Les plateaux techniques qui étaient déjà dans un état de dégradation avancée, ont été surexploités. Nous avons eu des dysfonctionnements liés à des détournements de médicaments, des détournements de malades, des personnes qui refusaient d’accepter cette mesure de gratuité et continuaient à faire payer les malades. Nous avons fait un point et vu les avantages que cette mesure avait apportés aux populations, elle a été reconduite jusqu'à ce jour. Je pense que nous allons très bientôt faire le dernier bilan concernant la gratuité des soins jusqu'à fin décembre 2012
Cette mesure va-t-elle prendre fin un jour, y aura-t-il des réadaptations, sera-t-elle modifiée, combien de temps va-t-elle durer?
Cette mesure de gratuité va prendre fin bientôt. Nous avons fait le bilan, nous avons fait une enquête dans les trois Chu qui sont des établissements de référence qui ont reçu le plus de malades pendant cette période et cela nous a permis d’identifier les points forts et les points faibles de la mesure. A l’analyse des points faibles, nous avons décidé de mettre fin à la gratuité généralisée sur recommandation du président de la République. Nous allons plutôt opter pour la gratuité ciblée. Cette gratuité ciblée va être sélective pour un certain nombre de personnes notamment les populations les plus vulnérables, les populations les plus démunies. D’ores et déjà, je vous annonce qu’elle va concerner le couple mère-enfant. C'est-à-dire les femmes enceintes. Donc l’accouchement avec ses complications, la césarienne. Ces actes-là seront gratuits. Les maladies de l’enfant seront gratuites pour les enfants de 0 à 5 ans. Nous avons proposé comme gratuité ciblée certaines pathologies telles que le paludisme qui fait à peu près 60 % du taux de morbidité dans les établissements de soin. Il y a aussi les actes d’urgence médico-chirurgicale vont être pris en compte et nous voulons proposer un rabattement de toutes les tarifications, consultations dont le coût est supérieur à 1000 fr de l’ordre de 30%. Voici quelques mesures que nous proposons dans la phase transitionnelle entre la gratuité généralisée et la mise en place de la couverture maladie universelle.
Combien revient-il à l’Etat d’offrir des soins gratuits pendant plusieurs mois à la population?
La première estimation que nous avons faite après le premier bilan, nous avons estimé le coût mensuel de la gratuité à 4, 100 milliards. Si vous multipliez cela par 12, nous avons à peu près 50 milliards à débourser pour la gratuité. Mais les données dont nous disposons actuellement, la totalité des coûts sur toute l’étendue du territoire, donne 30 milliards que la gratuité a coûtés à l’Etat de Côte d’Ivoire.
Il est prévu une prise en charge ciblée au niveau de certaines couches de la population, mais au niveau de l’intérieur du pays où les besoins sont plus énormes, avez-vous tenté de voir ce qui était possible de faire pour alléger les souffrances des populations?
Quand on met fin à la gratuité généralisée, cela va limiter et mettre fin à un certain nombre de dysfonctionnements. Nous avons dénoncé certaines pratiques mais au niveau des populations, il y avait des abus de soins, les gens venaient plusieurs fois parce que c’était gratuit. Cela augmente la charge de travail des agents. Pour les vrais malades, les mesures que nous allons appliquer vont concerner effectivement les populations démunies, qui vont être prises en compte dès le depart par des assistantes sociales pour identifier le statut réel de la personne malade. Parce qu’il y aura des assurés qui vont continuer de fréquenter les établissements de santé. Pour ceux -là, la gratuité ne sera pas de mise. Par contre, Ceux qui n’ont pas les moyens, ils seront identifiés. Comme les établissements ont eu l’habitude de remettre des bons de prise en charge pour la gratuité, ça va se poursuivre et l’abattement de 30% sur tous les actes, en dehors des médicaments, va soulager les populations. En ce sens que si vous avez l’habitude de payer la radiographie pulmonaire à 5000 fr, vous pourrez payer 3000 fr. Une échographie qui coûtait peut-être 10.000fr, vous pourrez la payer moins 30%. Cela va alléger les souffrances des populations.
Avant l’étape intermédiaire, la gratuité se poursuit, pouvez-vous nous dire s’il y a des médicaments dans les hôpitaux ?
Justement, les populations s’inquiètent sur la disponibilité des médicaments parce qu’il y a eu quelque temps où on avait beaucoup de ruptures liées au fait que le taux de livraison n’était pas satisfaisant. Au jour d’aujourd’hui, nous avons un taux de livraison de médicament de 54%. Ce qui nous permet de proposer une gratuité ciblée. Ce que nous demandons, c’est que pour que ces médicaments soient suffisants, il faut que cela serve aux vrais malades. Il faut que nous ayons des comportements qui ne conduisent pas à la surconsommation médicale. Il faut avoir des comportements citoyens. Nous avons des partenaires qui veulent nous aider en nous faisant des dons mais il faut que les médicaments soient utilisés à bon escient
Dans le cadre de la mise œuvre de la gratuité, certains actes ont été dénoncés. Vous avez eu à prendre des mesures énergiques contre certains, pouvez-vous nous faire le point des sanctions prises?
Pour le personnel médical, j’ai toujours dit que les ressources humaines constituent la clé de vo^^ute du système de santé. Vous pouvez avoir le meilleur système de santé, si les agents de santé ne suivent pas cette politique, vous allez à l’échec. Dans la mesure de la gratuité qui a été appliquée, il y a eu deux situations où des agents de santé qui ont adhéré entièrement à cette politique et il y a certains qui ont fait de la résistance. Pour ceux qui ont fait de la résistance agressive, nous avons mené des inspections et nous en avons dénombré une trentaine. Il y a des personnes qui ont eu des blâmes et des avertissements, il y en a qui ont eu des affectations d’office qui est une sanction de 1er degré, il y a eu des sanctions de 2ème degré telles que des révocations. Il y a eu des personnes qui ont été écrouées pace que pris en flagrant délit de détournement de médicaments. Il y a un agent de santé qui a écopé de 2 ans de prison ferme. Nous avons interpellé, de façon verbale, plusieurs agents, il y en a qui ont compris la leçon et qui sont rentrés dans les rangs mais je crois que le travail doit continuer. Il faut que tout le monde comprenne que cette mesure est importante pour le bien-être des populations
Certains chefs d’établissements se sont plaints de ce que la gratuité ne leur permettait plus de prendre en compte leur charge propre notamment ceux du petit personnel faute de ressources nécessaires. En avez-vous été informée?
Nous avons beaucoup débattu de ces soucis. Le montant de 4 milliards du coût de la gratuité fait dès les premiers mois, prenait en compte la prise en compte les agents contractuels et les vacataires et le personnel d’appui. Nous avons demandé aux différents responsables de faire la liste et le trésor a payé 1, 660 milliard pour le salaire de ces agents. Si un agent n’a pas été payé c’est parce qu’il n’a pas été soit recensé, soit ses documents ne nous sont pas parvenus. Celui qui n’a pas reçu de salaire, ce n’est pas de la faute du ministère, cela est dû à leurs différents responsables.
Ces derniers jours, les syndicats de la santé bouillonnent, manifestent, revendiquent. Quelles solutions préconisez-vous pour mettre fin à cette grogne qui se prépare à l’horizon?
J’ai beaucoup travaillé avec les syndicats. Dès ma prise de fonction, j’ai eu plusieurs fois à les rencontrer. Je me suis toujours déplacée pour aller vers eux chaque fois qu’ils étaient face à des situations. Les revendications pour lesquelles les syndicats s’agitent ne datent pas de maintenant. Elles datent de 2007, nous n’étions pas au pouvoir. Mais étant donné que l’Etat est une continuité, nous les avons rencontrés pour que nous discutions ensemble de ces problèmes salariaux, et voir quelles sont les mesures à prendre pour trouver une solution idoine. Mais je rappelle aussi à mes collègues et confrères que nous sommes sous un régime spécial. Nous attendons le point d’achèvement du Ppte pour lequel on nous fait toujours le reproche d’avoir une masse salariale trop importante. Donc en général, les réponses que les administrateurs donnent aux syndicats, c’est d’attendre le point d’achèvement. Qu’on ait notre Ppte pour voir comment réactiver les ressources en restant dans les proportions salariales que les organisations internationales nous demandent. Il y a eu des promesses antérieures qui ont été faites, un Etat normal et logique se doit de faire l’effort de respecter les promesses qui ont été faites. Mais on ne peut pas mettre la pression permanente sur un gouvernement qui sort de crise et qui se bat pour le bien-être des populations. Ce genre de comportement ne nous permet pas d’avoir des réflexions approfondies pour prendre des décisions. Je pense qu’à froid, cela permet d’avoir de bonnes réflexions. Vos problèmes verront des solutions. Les problèmes ont été présentés au président et au moment opportun, il les recevra.
Dites-nous si la grève projetée par les agents de la santé constitue un danger pour les populations ivoiriennes.
Les médecins ne vont pas faire une grève maintenant parce qu’eux-mêmes sont témoins de l’état de santé des populations, des difficultés de nos infrastructures. Tout est délabré. Nous devons nous mettre ensemble pour améliorer notre outil de travail, améliorer les conditions dans lesquelles nous travaillons, les conditions dans lesquelles nous prenons en charge nos populations. Même s’ils doivent être motivés pour le faire, ce pourquoi ils font des revendications salariales, je crois qu’ils sont conscients qu’il y a une oreille attentive. Je crois que c’est ce que les syndicats attendent. Et je pense qu’on pourra trouver une solution pour ne pas qu’il y ait une grève
Pensez-vous que d’ici le 31 janvier, vous pourrez les rencontrer pour vous entendre sur quelque chose ?
Le dialogue est l’arme des hommes forts. Effectivement, peut-être bien avant la fin de cette semaine, nous allons les rencontrer pour se concerter pour voir quelle est la bonne démarche à suivre pour éviter cette pression sur le 31 janvier. Je pense qu’avant cette date, nous allons les rencontrer pour en discuter.
La crise à la Mugefci a battu son plein sans que le ministre de la Santé ait pris position, alors qu’il s’agit de la santé des fonctionnaires ?
Je n’ai pas pris ouvertement position parce que la Mugefci est sous la tutelle du ministère d’Etat, chargé des Affaires sociales et de l’emploi. Ce n’est pas une structure sous tutelle du ministère de la Santé. Je ne sais pas pourquoi mais c’est cela la réalité. Quand nous sommes arrivée à la tête du ministère, nous avons signé un arrêté pour permettre à la mutuelle de s’approvisionner en médicament pour soulager les mutualistes parce qu’il y avait un blocus, il n’y avait pas de médicament et les pharmacies privées refusaient de servir les bons de la mutuelle. Selon les informations que j’ai reçues du Pca de la mutuelle, Mme Adjobi qui était mon prédécesseur avait signé un arrêté qui était parvenu à terme. On était dans une période de gratuité, nous avons prolongé la date de l’arrêté mais cela ne leur donnait pas droit d’ouvrir une officine. Créer une officine de soin et donner une autorisation pour s’approvisionner en médicaments pour soulager les populations, c’est totalement différent. S’il y a eu abus de la part de la mutuelle, le ministère de la Santé ne se sent pas concerné par cet abus. C’est pourquoi, nous avons laissé les pharmaciens et la mutuelle débattre de ce problème sans que nous nous en mêlions. Parce que nous, notre arrêté que nous avons signé qui a été décrié par l’ordre des pharmaciens avec qui nous avons eu une séance de travail au cours de laquelle nous leur avons donné les motivations réelles dudit arrêté ne nous donnait pas matière à aller nous exposer dans la presse pour un problème qui pouvait être réglé à l’amiable. Peut-être qu’il y avait d’autres motivations. Nous, nous concernant, nous avons opté pour l’amélioration de la santé des Ivoiriens
Qu’en est-il aujourd’hui des problèmes de bourses des étudiants de l’Infas?
Le problème a été en partie réglé, il y a eu un apurement de 3 mois de bourse. C’est une question de disponibilité financière. Que ce soit le directeur de l’Infas et son staff, que ce soit moi-même, nous approchons les autorités compétentes pour que ce problème soit réglé. Mais les besoins sont énormes au niveau de la nation, il faut satisfaire tout le monde ; ce qui fait qu’il y a des retards dans les problèmes de bourses. Et nous, notre souhait est qu’on revienne à la méthode d’antan qui est qu’une fois que vous êtes boursier, les moyens sont mis à la disposition des structures de sorte à ce que les bourses soient payées de façon régulière et qu’on n’ait pas à attendre longtemps.
Le président de la République a présenté 2012 comme une année d’espoir, au niveau de votre ministère, à quoi doivent s’attendre les populations en 2012 ? Quels sont les grands défis pour cette année ?
Les grands espoirs en matière de santé aujourd’hui, c’est d’atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (Omd) en matière de santé. Qui sont la baisse de la mortalité infantile, la baisse de la mortalité maternelle et la prise en charge du Vih/Sida. Pour la mortalité maternelle et infantile, vous avez vu que nous avons parlé plus haut de la mise en œuvre de la gratuité ciblée, toutes les mesures qui vont prendre en charge la santé de la mère et de l’enfant, la gratuité de l’accouchement, de la césarienne, et des complications, vont aider à nous approcher de l’atteinte des objectifs du millénaire pour le développement numéro 5. Nous allons mettre l’accent sur la réhabilitation des hôpitaux, sur le rééquipement pour que les Ivoiriens aient auprès d’eux tout ce qu’il faut pour leur santé. Il faut qu’ils aient les équipements de sorte qu’ils ne soient plus obligés de parcourir des kilomètres pour se faire soigner ou de réaliser un simple examen radiologique, un simple bilan sanguin. Nous sommes dans cette optique-là. Nous avons eu des séances de travail avec le président de la République, il nous a donné des indications claires sur certains domaines. Si nous arrivons à réaliser cela en 2012, nous allons pouvoir améliorer la santé des Ivoiriens. Nous avons commencé la construction d’un institut de médecine nucléaire au Chu de Cocody qui va permettre de diagnostiquer les maladies qui emportent des patients jeunes sans que nous n’ayons le temps de réagir à temps, des embolies pulmonaires, des cancers…
Un autre projet qui me tient à cœur et pour lequel je me bats et qui sera la meilleure chose en 2012 en matière d’amélioration de la santé de la femme, c’est la construction du centre de radiothérapie qui reste une préoccupation majeure et qui fait que les Ivoiriennes s’expatrient au Maroc, en Tunisie, en Europe etc. pour des cancers du sein, des cancers du col de l’utérus nous projetons donc la construction de ce centre de radiothérapie qui est très important dans l’arsenal médical en Côte d’Ivoire en matière de santé.
Je suis aussi satisfaite du taux de mortalité qui baisse dans les établissements de santé publics, des diagnostics qui sont faits à temps. J’encourage les agents de santé qui ont de bons comportements. La santé est le bien le plus cher. J’encourage les agents de la santé dans les efforts qu’ils ne cessent de faire pour améliorer la santé des populations. Je les encourage aussi à respecter les mesures mises en place et de redonner confiance aux populations afin que celles-ci les adulent et aient confiance en leur système de santé.
Interview réalisée par Akwaba Sant Clair, Diarrassouba Sory et Jean Prisca