Le meeting du Front populaire ivoirien, Fpi, organisé, samedi 21 janvier dernier, à la place Ficgayo de Yopougon, s’est achevé par un conflit généralisé. L’événement qui marque la rentrée politique du parti de l’ex-président de la République, Laurent Gbagbo, a fait l’objet de beaucoup de spéculations pendant les préparatifs, signe que le climat de belligérance est encore entretenu par le pouvoir et l’opposition politique, qui n’ont pas encore réussi à fumer le calumet de la paix. Face à la communauté internationale qui fait office d’arbitre, chaque partie peint son image sur des tissus de mensonge, de démagogie et de mauvaise foi, pour s’attirer les faveurs. Les notions de démocratie et de droits de l’Homme sont imprimées dans des couleurs corrompues qui désorientent les militants et font d’eux des automates toujours prêts à alimenter les tensions. La démocratie est ainsi coincée entre passion, indiscipline et violence, parce que les citoyens se font les soldats de leurs idoles et obéissent plus à leurs sentiments qu’à la raison. Et, de ce point de vue, la question de l’émancipation langagière est diversement perçue sous nos tropiques. Si pour les uns la libre expression peut signifier arrogance et propos injurieux, pour les autres, cela peut se traduire par des jets de pierre ou des bastonnades de leurs adversaires. Quand ces visions malsaines sont développées simultanément sur le champ de la bataille politique, elles produisent indubitablement des étincelles. Et, comme pour les chevaliers de l’apocalypse, les flammes ne sont pas bien loin. Le résultat ne peut donc être que l’affrontement. Le meeting de la place Ficgayo tenu samedi dernier s’est encore, malheureusement, inscrit dans cette logique. L’évènement organisé à l’issue de plusieurs négociations entre la mairie de Yopougon et le Fpi, d’une part, et, d’autre part, entre le ministère de l’Intérieur et le Fpi, n’a pu aller à son terme et a tourné à l’affrontement entre pro Gbagbo aux propos désobligeants et pro-Ouattara aux muscles bandés. Et la Côte d’Ivoire s’en sort encore avec un triste bilan. Des morts, des blessés graves et d’importants dégâts matériels. A la fin, chaque camp est venu réaffirmer la justification de ses actes. « Nous voulons qu’ils respectent les règles démocratiques », a dit Laurent Akoun (Secrétaire général du Fpi). « Nous sommes pour un débat politique critique courtois et civilisé », a rétorqué Bruno Koné (porte-parole du gouvernement). Et la Côte d’Ivoire ne s’en portera pas mieux. Car, entre nous, l’innommable se justifie-t-il ? La démocratie sous nos tropiques se conçoit dans la manifestation d’une opposition aveugle et barbare et rencontre, comme réponse, une dictature et une répression sanglante, voire mortelle. Le débat politique, au lieu d’être contradictoire et constructif est plutôt tribaliste, haineux, discriminatoire et offre, à la fin, des scènes de violence dignes de films d’horreur. Les acteurs alternent les rôles et les campent merveilleusement. L’opposition virulente d’hier peut jouer aisément, aujourd’hui, le rôle du pouvoir répressif. Un cercle vicieux à l’intérieur duquel les militants entretiennent, à volonté, passion, indiscipline et violence. Dans cette démocratie ‘’je t’aime, moi non plus’’, les esprits non passifs risquent leur peau. Ceux qui refusent la vie de troupeau, de rentrer dans le moule du ‘’c’est comme ça, ça peut pas changer’’, et qui attirent l’attention sur les coquilles qui se glissent dans les pages de notre histoire, sont des empêcheurs de tourner en rond. Car, de mettre un miroir devant beaucoup de faiseurs de politique, qu’ils soient du pouvoir ou de l’opposition, ça les dérange. Pour eux, la démocratie se pratique mieux entre passion et violence.
Ulrich Mouahet
Ulrich Mouahet
