x Télécharger l'application mobile Abidjan.net Abidjan.net partout avec vous
Télécharger l'application
INSTALLER
PUBLICITÉ

Politique Publié le mardi 7 février 2012 | L’espoir

Réconciliation en Côte d’Ivoire : Faut-il revisiter l’Houphouétisme ?

«Pardonner ne signifie pas ignorer l’offense, ni camoufler d’une étiquette trompeuse un acte répréhensible. Pardonner signifie plutôt que la faute n’est pas un obstacle à la relation. Le pardon est le catalyseur qui créé les conditions nécessaires à un nouveau départ».
Martin Luther King

En créant la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR), le Président Alassane Ouattara a non seulement réalisé une promesse faite lors de sa campagne électorale, mais il a pris le risque d’ouvrir la boite de pandore qui pourrait livrer des vérités dont certaines ont été longtemps enfouies, dissimulées ou falsifiées. Au-delà des missions confiées à la CDVR dont le mandat est circonscrit dans le temps (deux ans), la réconciliation qui s’abreuve aux sources du dialogue et surtout de la vérité, interpelle TOUS les ivoiriens et singulièrement les élites intellectuelles qui se voient ainsi offrir une opportunité historique de mettre leur intelligence au service de la communauté, de jouer le rôle qu’est le leur à savoir celui de phare, d’éveilleur de conscience et de gardien des valeurs.

Exemple de réussite économique et d’intégration sociale, la Côte d’Ivoire qui sort péniblement d’une quinzaine d’années de crises multiformes, était pourtant bien partie si l’on s’en tient à l’apparente prospérité de ce pays dont le charismatique leader historique, Félix Houphouët-Boigny, avait fait des choix que d’aucuns croyaient bâtis sur du rock et qui ont d’ailleurs inspiré un cadre normatif dénommé Houphouétisme.

La question de fond qui se pose à la CDVR et aux élites ivoiriennes aujourd’hui est celle de savoir si l’on peut raisonnablement comprendre les fondements des crises ivoiriennes en vue de les exorciser sans questionner, voire revisiter la philosophie politique qui a servi de socle à plus de trente années de règne sans partage du « Père de la Nation » ? Si cette ingénierie politique était si pertinente, d’où vient-il que l’héritage du « Vieux » ait été si lourd à porter au point où la Paix, valeur cardinale qu’il plaçait au-dessus de toutes les autres, ait été dévoyée et piétinée ?

Véritable idéologie au sens marxiste du terme, c'est-à-dire un système de représentation sociale au service d’un dominant ou d’une classe dominante, l’Houphouétisme, dont se réclame aujourd’hui l’essentiel de la classe politique ivoirienne, avait une capacité mobilisatrice et fédérative assisse certes, sur des valeurs telle la culture de la paix et du dialogue, mais l’Houphouétisme était selon l’un des éminents intellectuels africains, l’anthropologue et historien ivoirien Harris Memel-Fotê de regrettée mémoire, bâti sur un trépied constitué de : (i) l’ouverture sur l’extérieure dont l’une des retombées a été l’afflux de la main d’œuvre étrangère ayant contribué au « miracle » ivoirien ; (ii) la gestion patrimoniale des ressources publiques, conceptualisée par Jean-François Bayart . Cette forme de patrimonialisme assimilée par certains anthropologues à la philosophie du « Grilleur d’arachides » qui se gave à force de goutter pour apprécier la cuisson. Mais, n’est pas grilleur d’arachides qui veut. Il doit surtout appartenir à la clientèle politique, un réseau qui a fonctionné comme un rhizome ; (iii) le mythe de l’idéologie ethnocentrique de l’Etat et de l’idéologie aristocratique de l’ethnie .

Ce troisième pilier a été questionné par Memel-Fotê qui part du constat que la Côte d’Ivoire est un patchwork d’une soixantaine d’ethnies regroupées en quatre grandes familles linguistiques que sont les Akan (Baoulé, Agni, Abron, Alladian, Avikam, Attié, Abbey et les lagunaires), les Kru (Bété, Wé, Dida, Bakwé, Guéré, Néyo), les Mandé (Malinké, Dan, Kwéni), les Voltaïques ou Gur (Sénoufo, Koulango, Lobi). Ces deux derniers groupes situés essentiellement dans la partie septentrionale du pays sont faussement assimilé aux Dioula (commerçants et musulmans selon l’imagerie populaire).

Selon Memel-Fotê, Houphouët-Boigny qui était Akan (Baoulé) a assis son pouvoir sur le mythe de la prédisposition de ce groupe à exercer le pouvoir avec une prééminence pour les Baoulé et les Anyi. Cette hiérarchisation extrêmement dangereuse car porteuse des germes de la frustration et de la division, a été vécue et acceptée pour ne pas dire tolérée pendant plus de trente ans, aidée en cela par la relative prospérité du pays et un système accommodant de redistribution de la rente.

La vérité historique nous rappelle que dès le milieu des années 80, la première secousse tellurique que connait la Côte d’Ivoire, c’est la crise économique qui ébranle les bases du système rentier qui avait jusque là fonctionné sans heurt. Cette fissure dans la méthode Houphouët fait le lit d’une opposition politique qui donne de plus en plus de la voix face à un pouvoir usé et au « Vieux » fatigué et malade. La première salve est donnée en Octobre 1990 quand un Kru du nom de Laurent Gbagbo, ose l’inimaginable et obtient près de 20% de suffrage à la première élection présidentielle pluraliste. Certes La Baule est passée par là, mais c’est un véritable « Tsunami » que seule l’anthropologie politique de la Côte d’Ivoire permet de comprendre. La brèche est ainsi ouverte et ne se refermera plus jamais car la vulnérabilité du système est mise en évidence. L’Houphouétisme se délite et la société ivoirienne que l’on croyait parfaitement intégrée, révèle ses limites structurelles. Les événements s’enchainent : La mort du Vieux en 1993, précédée un an plus tôt par la publication de la « Charte du Grand Nord » qui ne fait aucun mystère des revendications de l’élite Mandé et Gur à ne plus jouer les seconds rôles au sein du PDCI et à prendre toute sa place sur la scène politique nationale. La création du RDR et les élections de 1995 pour lesquelles Alassane Ouattara est disqualifié, le coup d’Etat de Décembre 1999, le chiffon rouge de l’ivoirité, barbarie ethnonationaliste, construction intellectuelle revêche qui a causé tant de dégâts malgré la confession de certains de ses concepteurs et contemplatifs, les élections présidentielles de 2000 qui voient la consécration de …Laurent Gbagbo, un Kru (Bété), la rébellion de Septembre 2002, forme d’expression (?) des élites du Grand Nord, et l’épilogue d’Avril 2011 qui signe la fin d’une violente et meurtrière crise post-électorale et consacre l’accession à la magistrature suprême d’Alassane Dramane Ouattara, un « Dioula ». Qui l’eut cru ?

Certes la Côte d’Ivoire a vacillé (pour ne pas dire plus), certes, la quête d’une nation et la cohésion sociale ont été éprouvées, mais sauf à être de mauvaise foi ou de lire l’histoire à l’envers, ce pays est resté debout grâce à certains piliers sur lesquels Houphouët-Boigny l’avait bâti. Mais ces piliers, pour solides soient-ils, pourraient ne pas résister au discours manichéen de certains pamphlétaires qui veulent qu’il y ait d’un côté de bons et de l’autre de mauvais ivoiriens suivant que ceux-ci appartiennent à tel parti politique ou à telle ethnie. Tout en évitant l’Houphouétisme à rebours, ceux qui ont pris leur revanche sur l’histoire, ont l’impérieux devoir d’inviter les ivoiriens à se parler à eux-mêmes, sans faux-fuyant et sans pudeur. Il n’y a pas dans ce pays à qui la nature a tant donné, une caste de gouvernants et une de gouvernés. Il n’y a pas d’ivoiriens à part et des ivoiriens à part entière. Il n’y a pas ceux qui labourent et ceux qui moissonnent. L’aire de la rente, il faut l’espérer, est définitivement révolue et ce sera à chacun selon son travail et ses mérites. Il faut l’espérer, l’heure de l’égalité de chances a sonné et que cette nouvelle donne sera portée non seulement dans le discours, mais dans les faits, l’exemple venant d’en haut.

La réconciliation nationale appelle à un devoir de mémoire et même d’inventaire notamment de la part de tous ceux qui ont été formés au moule du PDCI-RDA et qui peu ou prou se sont réclamés ou se réclament encore de l’Houphouétisme dont les indéniables acquis ne sauraient justifier que soient tues ses carences voire ses perversions. L’ethnicisation outrancièrement dangereuse du pouvoir en a été et pour ceux qui contesteraient les thèses de Harris Memel-Fotê, ils devraient à tout le moins, avoir la grandeur de vue de reconnaitre que pour n’avoir pas été un Saint, le « Père de la Nation » a peut être commis la faute coupable de n’avoir pas pu, su, ou voulu mettre de l’ordre dans la maison Côte d’Ivoire avant de s’en aller. Que cette faute serve de leçon à ceux qui souhaitent, veulent et œuvrent pour que la Côte d’Ivoire se réconcilie avec elle-même. CQFD (Ce Qu’il Fallait Démontrer)
PUBLICITÉ
PUBLICITÉ

Playlist Politique

Toutes les vidéos Politique à ne pas rater, spécialement sélectionnées pour vous

PUBLICITÉ