L’ambassadeur de France en Côte d’Ivoire, Jean Marc Simon, était, le week-end dernier, l’invité de la radio onusienne, Onuci-Fm. Il a donné quelques détails sur le dénouement de la crise post-électorale et ajouté que la France est prête à aider la Côte d’Ivoire pour son développement.
A quelques jours de la fin de votre mission en Côte d’Ivoire, mission qui a fait de vous un témoin privilégié de la crise post-électorale, beaucoup de choses ont été dites, écrites sur le rôle joué par votre pays. Avec beaucoup plus de recul aujourd’hui, quelle a été l’action de la France dans cette crise post-électorale. Estimez-vous avoir pris les bonnes décisions ?
Je suis arrivé en Côte d’Ivoire en juin 2009 pour affronter une première crise qui était la crise pré-électorale, puisque, comme vous le savez, depuis 2005, le processus électoral était bloqué. Et les gens s’étaient remis à chaque fois au calage direct. On se souvient de février 2010 où on a vécu cette double dissolution du gouvernement et de la Commission électorale indépendante qui présageait pour la suite du processus. Et finalement, nous sommes arrivés à ces élections qui ont pu avoir lieu en octobre et novembre de cette année 2010. Et après ces élections, tout le monde s’est félicité, s’est réjoui. Malheureusement, comme vous le savez, en réponse à ce moment d’attente, du peuple ivoirien qui avait fait un taux de participation exceptionnelle. 80% de taux montrait sa détermination, sa foi en un processus démocratique, sa volonté de changement. Le président sortant n’a pas voulu obtempérer et a utilisé toutes les procédures juridiques et militaires pour tenter de se maintenir au pouvoir. Donc, durant toute cette période, j’ai suivi le 28 novembre 2010, la France a tout de suite pris son parti. Elle a pris le parti de la défense et de la démocratie. La défense du grand principe, persuadée, convaincue que les processus électoraux devraient être respectés. Et que la démocratie était une chance pour le développement et que la Côte d’Ivoire en avait besoin pour se redresser, pour retrouver sa place dans la sous-région, et pour répondre aux attentes de la population. Donc les choses ont été assez sapes, pour dire qu’il n’y a pas eu assez d’interrogations. Et le souhait de la France a été d’appuyé dès le départ les efforts du président Ouattara pour que les résultats de cette élection puissent être reconnus, et que le choix du peuple ivoirien soit respecté. Ce que nous avons fait, nous l’avons fait avec détermination, nous l’avons fait jusqu’au bout.
Est-ce qu’on peut considérer cette action comme de l’ingérence dans les affaires ivoiriennes ?
Non, ce n’est pas comme ça, mais l’opposé de l’ingérence, puisqu’il y avait un gouvernement légitime reconnu d’abord par les Ivoiriens, une grande majorité, reconnu par toutes les instances régionales, continentales, par les Nations Unies, par l’ensemble de la communauté internationale. Donc, je crois que nous nous sommes placés tout simplement du côté du droit et que le droit demande que nous fassions tous nos efforts possibles pour qu’il soit respecté et qu’il l’emporte finalement.
Vous avez été également durant cette crise, un interlocuteur privilégié des deux camps. Le 11 avril 2011, lorsque le ministre Désiré Tagro vous appelle pour vous informer de la décision de Laurent Gbagbo et ses proches de sortir de la résidence qui avait été bombardée. Qu’est-ce qui s’est passé en ce moment-là et comment avez-vous eu à gérer ces minutes, voire ces quelques heures cruciales de la crise ?
Voyons, pour revenir à cette nuit du 10 au 11 avril, comme vous le savez, nous avons avec les forces des Nations Unies, conformément à la résolution 1975 du Conseil de sécurité, poursuivi l’action qui avait été commencée le 4 avril, de destruction des armes lourdes qui menaçaient les populations. Vous vous souvenez de tout ce qui s’était passé, ces femmes qui marchaient pacifiquement, à Abobo, soufflées par les armes et de ces tirs de mortiers sur le marché d’Abobo. Le harcèlement continuait, les forces impartiales, notamment les forces de l’Onu étaient victimes. Le bombardement de Sébroko. Et puis le samedi 9 avril, le bombardement de l’hôtel du Golf, les tirs contre mon propre convoi, contre ma résidence. Donc, nous avons décidé de poursuivre cette action, et c’est cette action qui a amené le clan Gbagbo à sa reddition finale. Nous sommes toujours interdits de toucher à la personne du président Gbagbo. Ce n’était pas le sujet, mais, nous étions d’ailleurs bien entendu, le président Sarkozy, le secrétaire général des Nations Unies avec le président Ouattara pour que rien n’arrive à la vie de Laurent Gbagbo et de ses proches. Donc il faut la sauvegarder. Et dans les dernières minutes de cette journée du 11 avril, tous les téléphones étaient ouverts, et toutes les instructions ont été données pour que la reddition soit imminente et que la protection de Laurent Gbagbo et de ses proches soit assurée et c’est ce qui a été fait. Lorsque, arrivés au bout de leur résistance, tous ceux qui étaient terrés dans la résidence présidentielle, ont demandé à sortir. Tagro m’a appelé en ce moment-là pour me dire qu’ils étaient prêts à sortir. Je leur ai dit de le faire et que nous garantissons la sauvegarde de chacun. C’est ce qui a été fait, et je n’ai plus entendu de coup de feu à partir de ce moment-là. Alors qu’est-ce qui s’est passé pour le ministre Tagro, je vous avoue que je ne peux pas vous dire avec certitude, qui a tiré, ou qui a frappé, à quel moment. En tout cas, des témoins pourront dire un jour, ce qui s’est passé exactement. Evidemment, c’est un moment que nous regrettions, car, je rappelle que des instructions ont été données et tout le monde était d’accord pour que tout le monde ait la vie sauve.
Est-ce que durant la gestion de la crise ivoirienne, votre expérience d’ambassadeur dans des pays en crise, je cite le Liban, le Tchad, est-ce que cela vous a servi ?
Oui, bien entendu, cela m’a servi. Le Liban, le Tchad, la République centrafricaine, j’ai connu plusieurs mutineries, beaucoup de coup d’Etat. Tout cela a évidemment servi pour comprendre comment les gens se comportent. Il faut savoir aussi relativiser les choses, ne pas avoir peur du feu du bombardement et pouvoir tenir bon et résister dans ce moment de grande intensité, de danger aussi. Alors peut-être en le minimisant, mais c’est ce qui a permis de tenir le coup. Et puis de toujours rechercher la solution, voire la négociation. Parce qu’on a essayé de négocier quasiment jusqu’au bout. Vous savez que dans cette nuit du 4 avril, il y a eu des engagements entre les forces impartiales et le camp Gbagbo. Le ministre Désiré est venu chez moi, et est reparti avec l’intention de proposer une reddition dans de bonne condition du président Gbagbo. Il a été conduit et est revenu à la résidence présidentielle, et la suite est bien malheureuse, et c’est comme ça.
Quel a été dans la gestion du dossier ivoirien, votre collaboration avec l’Onuci ?
Alors, je dois dire que nous avons eu une excellente coordination d’échanges d’informations, des échanges d’analyse. Je voyais M. Choi régulièrement, j’ai beaucoup d’estime, de sympathie pour lui. Il a été très courageux dans cette période, très courageux, très réaliste, très lucide avec beaucoup de sang froid. Et je crois que les relations que nous avions avec lui, ont été très très spacieuses. Celles que nous avions ici avec le chef de département des opérations de maintien de la paix, ont été également déterminantes. Et il y a eu la bonne entente et la coordination entre le président de la République française et le Secrétaire général des Nations Unies.
Comment comprenez-vous les perspectives en termes de présence de la communauté internationale au travers de l’Onuci?
Je crois que l’Onuci a fait un travail considérable en Côte d’Ivoire tout au long de la crise. Depuis qu’on est arrivé au lendemain des événements de 2002, qui ont vu le paroxysme en mars et avril 2011, je crois que l’Onu a encore une tâche importante à accomplir ici. Donc, la sécurité n’est pas totalement revenue sur le territoire national, donc, il reste encore des chantiers à terminer. Celui du redéploiement des forces de sécurité et de défense, de leur restructuration, de la démobilisation de tous les combattants que j’appellerais les combattants de la onzième heure. Ceux qui ont rejoint les rangs d’à côté ou l’autre dans ces derniers moments et qui n’ont pas forcément l’occasion de pousser une carrière militaire. Ce sont des sujets complexes, mais c’est ce qu’on appelle le Ddr, la démobilisation, la réinsertion, c’est une tâche importante qui incombe à l’Onu qui a également fait la formation de la police nationale déjà depuis le mois d’avril; d’énormes progrès sont presque réalisés. Et que nous sommes presque revenus à une situation normale. Il reste encore du travail à faire et je pense que, pour toute cette sécurisation, il y a encore des zones sensibles. A l’ouest, on a vu récemment lors des élections législatives partielles, il y a encore des bruits de tension qui subsistent, il y a des plaies à panser, des solutions à trouver. Et je crois que l’Onu a encore un rôle à jouer pour quelques mois probablement, pour quelques années encore sur le territoire.
Justement, vous abordez la question, pensez-vous que les Ivoiriens pourront se réconcilier, doivent se réconcilier ?
Heureusement, je crois que dans les esprits, dans les cœurs, la réconciliation a déjà beaucoup progressé. Regardez, comment la vie a repris, la vie économique, la vie sociale, on rencontre de la convivialité aujourd’hui en Côte d’Ivoire. Qui aurait dit, il y a moins d’un an ; il y a dix mois, dans un délai aussi court, qu’on n’arriverait à ces résultats-là. Mois je pense que la réconciliation peut bien marcher encore. Il y a des progrès à faire, il faut qu’on arrive en Côte d’Ivoire à des élections démocratiques, conviviales. Où il peut y avoir des partis qui viennent des couloirs et d’autres qui jouent la place d’opposant et tout cela dans la bonne entente et la bonne collaboration. Pour y parvenir, il y a encore des plaies à panser incontestablement. Et pour que ces plaies soient pansées durablement, il faut que la justice fasse son travail. Que ceux qui se sont rendus coupables le reconnaissent et se repentissent. Et c’est à partir de là qu’ils doivent demander pardon et que l’on pourra dire que la réconciliation est totale.
Que dites-vous de la décision de la Cour pénale internationale d’étendre les enquêtes aux événements et violences de 2002 ?
Je crois que c’était une demande à la foi des Ivoiriens, une demande de la communauté internationale, une demande d’un certain nombre d’Ong de voir la justice s’exercer pour tous. Donc, je crois que la cour pénale internationale a répondu à cette demande forte. Et qu’elle doit maintenant mener ses enquêtes et voir où sont les responsabilités, voir probablement les avancées dans le domaine dans les mois qui viennent. Il faut prendre du temps, il faut savoir exactement où se situent les responsabilités, quel est le degré d’implication des crimes de guerre contre l’humanité. Ce qui ne l’est pas et puis faire confiance à cette justice internationale qui a la décision à la part finale.
Pour vous, une commission d’enquête doit exister malgré les enquêtes de la cour pénale internationale ?
Je crois qu’il est très important que les Ivoiriens s’approprient cette recherche de la vérité. C’est une tâche qui ne peut pas être confiée uniquement à d’autres. La justice internationale aidera pour réguler les situations les plus graves aux droits humains. Mais cela n’exclut pas la justice du pays à faire son travail. Et donc la commission nationale d’enquête a son utilité, il faudra que la cour pénale internationale, le moment venu, échange les informations et travaille ensemble avec elle.
Concernant le dossier sécuritaire, est-ce que la France va aider la Côte d’Ivoire à réformer son armée. Comment, dans quelle mesure, dans quelle proportion ?
Bien attendu, la France est prête à apporter son appui. Un appui significatif dans ce domaine. Elle a déjà annoncé la reprise de sa coopération militaire, nous aurons une dizaine d’officiers supérieurs qui seront présents ici dans les tâches de formation. Nous avons également tissé de nouveaux accords signés à Paris entre les deux chefs d’Etat, la possibilité d’utiliser la présence des petites forces françaises ici pour participer à cette tâche de conseil de formation, de structuration.
Au moment où vous quittez la Côte d’Ivoire, quelle appréciation faites-vous de la coopération entre les deux pays ?
La coopération est en bonne voie. Vous savez, elle a été considérable autrefois avec un nombre de concurrents très importants. Cette coopération avait totalement disparu. Elle avait été totalement violée après les événements de 2004. Et, elle repart sur un bon pied avec la mise en place d’un programme d’aide, vous savez que la France a décidé dès que la Côte d’Ivoire aura atteint le point d’achèvement de l’initiative Ppte qui concerne les pays pauvres très endettés d’annuler la dette due à la France. C’est une part très importante de la dette de l’extérieur du pays et de convertir cette dette en projets de développement. C’est ce qu’on appelle les contrats de désendettement de développement et c’est ainsi que nous allons commencer l’instruction de ce dossier qui devrait représenter environ 2,6 milliards d’euros sur quinze ans. Ce qui permettra de mettre en œuvre un certain nombre de projets de développement dans différents secteurs de formation professionnelle, d’éducation, de santé, d’infrastructures selon les priorités qui ont été décidées par les autorités ivoiriennes elles-mêmes.
Au cours de vos interventions, vous avez prôné entre la France et la Côte d’Ivoire, des relations dépourvues de tous complexes. En thème moyen diplomatique, qu’est-ce que cela veut dire ?
C’est un vocabulaire qui a été choisi par les autorités ivoiriennes, elles-mêmes, par le président Alassane Ouattara. La Côte d’Ivoire a besoin de l’aide, de l’appui de ses amis de le faire sans aucun complexe. Voilà à quoi correspond ce nouveau partenariat décomplexé ; d’où le maintien d’une présence militaire française, le retour de coopérants français et le retour de l’aide française.
La visite du président Ouattara récemment en France, pour vous, qu’est-ce que cela signifie. C’est le retour de la France en Côte d’Ivoire pour certains, c’est une créance de la France sur la Côte d’Ivoire, comment qualifieriez-vous cette visite qui fait que les relations, aujourd’hui se relancent à nouveau ?
Il n’y a certainement pas un partenariat équilibré, la Côte d’Ivoire a besoin d’appui extérieur pour son redressement. Et son développement ne peut surgir tout seul, et la France répond à ces besoins et à ces demandes, voilà comment on peut qualifier en tout cas cette visite. Il y a des entreprises françaises qui sont présentes ici, qui le demeurent, il y a des projets, mais il n’y a pas que la France, il y a d’autres pays, d’autres entreprises dans différents secteurs. Les contrats ne sont pas tous remportés par des entreprises françaises. Nous sommes dans un monde ouvert, dans un monde de concurrence, et on l’a vu récemment sur certains contrats. La France n’a aucun monopole dans ce pays. Il appartient à ses entreprises de se montrer dynamiques, imaginatives dans les affaires d’Etat.
Dans quelques jours, vous partez à la retraite, vous reverra-t-on sur le continent où vous avez longtemps servi ?
Bien, j’ai effectivement servi, consacré vingt-cinq ans de ma carrière à l’Afrique. Donc, c’est quelque chose que je n’oublie pas du jour au lendemain en rentrant au village étant donné que j’ai encore un peu de dynamisme. Et j’espère pouvoir continuer à aider un petit peu nos amis africains et puis nos amis français qui s’intéressent à l’Afrique et qui ne savent toujours pas comment s’y prendre à avoir les contacts et la compréhension. Il y a des ouvertures toujours nécessaires.
Vous viendrez passer quelques jours en Côte d’Ivoire ?
Certainement, en Côte d’Ivoire et ailleurs.
Propos recueillis sur Onuci-Fm par O.T. (stagiaire)
A quelques jours de la fin de votre mission en Côte d’Ivoire, mission qui a fait de vous un témoin privilégié de la crise post-électorale, beaucoup de choses ont été dites, écrites sur le rôle joué par votre pays. Avec beaucoup plus de recul aujourd’hui, quelle a été l’action de la France dans cette crise post-électorale. Estimez-vous avoir pris les bonnes décisions ?
Je suis arrivé en Côte d’Ivoire en juin 2009 pour affronter une première crise qui était la crise pré-électorale, puisque, comme vous le savez, depuis 2005, le processus électoral était bloqué. Et les gens s’étaient remis à chaque fois au calage direct. On se souvient de février 2010 où on a vécu cette double dissolution du gouvernement et de la Commission électorale indépendante qui présageait pour la suite du processus. Et finalement, nous sommes arrivés à ces élections qui ont pu avoir lieu en octobre et novembre de cette année 2010. Et après ces élections, tout le monde s’est félicité, s’est réjoui. Malheureusement, comme vous le savez, en réponse à ce moment d’attente, du peuple ivoirien qui avait fait un taux de participation exceptionnelle. 80% de taux montrait sa détermination, sa foi en un processus démocratique, sa volonté de changement. Le président sortant n’a pas voulu obtempérer et a utilisé toutes les procédures juridiques et militaires pour tenter de se maintenir au pouvoir. Donc, durant toute cette période, j’ai suivi le 28 novembre 2010, la France a tout de suite pris son parti. Elle a pris le parti de la défense et de la démocratie. La défense du grand principe, persuadée, convaincue que les processus électoraux devraient être respectés. Et que la démocratie était une chance pour le développement et que la Côte d’Ivoire en avait besoin pour se redresser, pour retrouver sa place dans la sous-région, et pour répondre aux attentes de la population. Donc les choses ont été assez sapes, pour dire qu’il n’y a pas eu assez d’interrogations. Et le souhait de la France a été d’appuyé dès le départ les efforts du président Ouattara pour que les résultats de cette élection puissent être reconnus, et que le choix du peuple ivoirien soit respecté. Ce que nous avons fait, nous l’avons fait avec détermination, nous l’avons fait jusqu’au bout.
Est-ce qu’on peut considérer cette action comme de l’ingérence dans les affaires ivoiriennes ?
Non, ce n’est pas comme ça, mais l’opposé de l’ingérence, puisqu’il y avait un gouvernement légitime reconnu d’abord par les Ivoiriens, une grande majorité, reconnu par toutes les instances régionales, continentales, par les Nations Unies, par l’ensemble de la communauté internationale. Donc, je crois que nous nous sommes placés tout simplement du côté du droit et que le droit demande que nous fassions tous nos efforts possibles pour qu’il soit respecté et qu’il l’emporte finalement.
Vous avez été également durant cette crise, un interlocuteur privilégié des deux camps. Le 11 avril 2011, lorsque le ministre Désiré Tagro vous appelle pour vous informer de la décision de Laurent Gbagbo et ses proches de sortir de la résidence qui avait été bombardée. Qu’est-ce qui s’est passé en ce moment-là et comment avez-vous eu à gérer ces minutes, voire ces quelques heures cruciales de la crise ?
Voyons, pour revenir à cette nuit du 10 au 11 avril, comme vous le savez, nous avons avec les forces des Nations Unies, conformément à la résolution 1975 du Conseil de sécurité, poursuivi l’action qui avait été commencée le 4 avril, de destruction des armes lourdes qui menaçaient les populations. Vous vous souvenez de tout ce qui s’était passé, ces femmes qui marchaient pacifiquement, à Abobo, soufflées par les armes et de ces tirs de mortiers sur le marché d’Abobo. Le harcèlement continuait, les forces impartiales, notamment les forces de l’Onu étaient victimes. Le bombardement de Sébroko. Et puis le samedi 9 avril, le bombardement de l’hôtel du Golf, les tirs contre mon propre convoi, contre ma résidence. Donc, nous avons décidé de poursuivre cette action, et c’est cette action qui a amené le clan Gbagbo à sa reddition finale. Nous sommes toujours interdits de toucher à la personne du président Gbagbo. Ce n’était pas le sujet, mais, nous étions d’ailleurs bien entendu, le président Sarkozy, le secrétaire général des Nations Unies avec le président Ouattara pour que rien n’arrive à la vie de Laurent Gbagbo et de ses proches. Donc il faut la sauvegarder. Et dans les dernières minutes de cette journée du 11 avril, tous les téléphones étaient ouverts, et toutes les instructions ont été données pour que la reddition soit imminente et que la protection de Laurent Gbagbo et de ses proches soit assurée et c’est ce qui a été fait. Lorsque, arrivés au bout de leur résistance, tous ceux qui étaient terrés dans la résidence présidentielle, ont demandé à sortir. Tagro m’a appelé en ce moment-là pour me dire qu’ils étaient prêts à sortir. Je leur ai dit de le faire et que nous garantissons la sauvegarde de chacun. C’est ce qui a été fait, et je n’ai plus entendu de coup de feu à partir de ce moment-là. Alors qu’est-ce qui s’est passé pour le ministre Tagro, je vous avoue que je ne peux pas vous dire avec certitude, qui a tiré, ou qui a frappé, à quel moment. En tout cas, des témoins pourront dire un jour, ce qui s’est passé exactement. Evidemment, c’est un moment que nous regrettions, car, je rappelle que des instructions ont été données et tout le monde était d’accord pour que tout le monde ait la vie sauve.
Est-ce que durant la gestion de la crise ivoirienne, votre expérience d’ambassadeur dans des pays en crise, je cite le Liban, le Tchad, est-ce que cela vous a servi ?
Oui, bien entendu, cela m’a servi. Le Liban, le Tchad, la République centrafricaine, j’ai connu plusieurs mutineries, beaucoup de coup d’Etat. Tout cela a évidemment servi pour comprendre comment les gens se comportent. Il faut savoir aussi relativiser les choses, ne pas avoir peur du feu du bombardement et pouvoir tenir bon et résister dans ce moment de grande intensité, de danger aussi. Alors peut-être en le minimisant, mais c’est ce qui a permis de tenir le coup. Et puis de toujours rechercher la solution, voire la négociation. Parce qu’on a essayé de négocier quasiment jusqu’au bout. Vous savez que dans cette nuit du 4 avril, il y a eu des engagements entre les forces impartiales et le camp Gbagbo. Le ministre Désiré est venu chez moi, et est reparti avec l’intention de proposer une reddition dans de bonne condition du président Gbagbo. Il a été conduit et est revenu à la résidence présidentielle, et la suite est bien malheureuse, et c’est comme ça.
Quel a été dans la gestion du dossier ivoirien, votre collaboration avec l’Onuci ?
Alors, je dois dire que nous avons eu une excellente coordination d’échanges d’informations, des échanges d’analyse. Je voyais M. Choi régulièrement, j’ai beaucoup d’estime, de sympathie pour lui. Il a été très courageux dans cette période, très courageux, très réaliste, très lucide avec beaucoup de sang froid. Et je crois que les relations que nous avions avec lui, ont été très très spacieuses. Celles que nous avions ici avec le chef de département des opérations de maintien de la paix, ont été également déterminantes. Et il y a eu la bonne entente et la coordination entre le président de la République française et le Secrétaire général des Nations Unies.
Comment comprenez-vous les perspectives en termes de présence de la communauté internationale au travers de l’Onuci?
Je crois que l’Onuci a fait un travail considérable en Côte d’Ivoire tout au long de la crise. Depuis qu’on est arrivé au lendemain des événements de 2002, qui ont vu le paroxysme en mars et avril 2011, je crois que l’Onu a encore une tâche importante à accomplir ici. Donc, la sécurité n’est pas totalement revenue sur le territoire national, donc, il reste encore des chantiers à terminer. Celui du redéploiement des forces de sécurité et de défense, de leur restructuration, de la démobilisation de tous les combattants que j’appellerais les combattants de la onzième heure. Ceux qui ont rejoint les rangs d’à côté ou l’autre dans ces derniers moments et qui n’ont pas forcément l’occasion de pousser une carrière militaire. Ce sont des sujets complexes, mais c’est ce qu’on appelle le Ddr, la démobilisation, la réinsertion, c’est une tâche importante qui incombe à l’Onu qui a également fait la formation de la police nationale déjà depuis le mois d’avril; d’énormes progrès sont presque réalisés. Et que nous sommes presque revenus à une situation normale. Il reste encore du travail à faire et je pense que, pour toute cette sécurisation, il y a encore des zones sensibles. A l’ouest, on a vu récemment lors des élections législatives partielles, il y a encore des bruits de tension qui subsistent, il y a des plaies à panser, des solutions à trouver. Et je crois que l’Onu a encore un rôle à jouer pour quelques mois probablement, pour quelques années encore sur le territoire.
Justement, vous abordez la question, pensez-vous que les Ivoiriens pourront se réconcilier, doivent se réconcilier ?
Heureusement, je crois que dans les esprits, dans les cœurs, la réconciliation a déjà beaucoup progressé. Regardez, comment la vie a repris, la vie économique, la vie sociale, on rencontre de la convivialité aujourd’hui en Côte d’Ivoire. Qui aurait dit, il y a moins d’un an ; il y a dix mois, dans un délai aussi court, qu’on n’arriverait à ces résultats-là. Mois je pense que la réconciliation peut bien marcher encore. Il y a des progrès à faire, il faut qu’on arrive en Côte d’Ivoire à des élections démocratiques, conviviales. Où il peut y avoir des partis qui viennent des couloirs et d’autres qui jouent la place d’opposant et tout cela dans la bonne entente et la bonne collaboration. Pour y parvenir, il y a encore des plaies à panser incontestablement. Et pour que ces plaies soient pansées durablement, il faut que la justice fasse son travail. Que ceux qui se sont rendus coupables le reconnaissent et se repentissent. Et c’est à partir de là qu’ils doivent demander pardon et que l’on pourra dire que la réconciliation est totale.
Que dites-vous de la décision de la Cour pénale internationale d’étendre les enquêtes aux événements et violences de 2002 ?
Je crois que c’était une demande à la foi des Ivoiriens, une demande de la communauté internationale, une demande d’un certain nombre d’Ong de voir la justice s’exercer pour tous. Donc, je crois que la cour pénale internationale a répondu à cette demande forte. Et qu’elle doit maintenant mener ses enquêtes et voir où sont les responsabilités, voir probablement les avancées dans le domaine dans les mois qui viennent. Il faut prendre du temps, il faut savoir exactement où se situent les responsabilités, quel est le degré d’implication des crimes de guerre contre l’humanité. Ce qui ne l’est pas et puis faire confiance à cette justice internationale qui a la décision à la part finale.
Pour vous, une commission d’enquête doit exister malgré les enquêtes de la cour pénale internationale ?
Je crois qu’il est très important que les Ivoiriens s’approprient cette recherche de la vérité. C’est une tâche qui ne peut pas être confiée uniquement à d’autres. La justice internationale aidera pour réguler les situations les plus graves aux droits humains. Mais cela n’exclut pas la justice du pays à faire son travail. Et donc la commission nationale d’enquête a son utilité, il faudra que la cour pénale internationale, le moment venu, échange les informations et travaille ensemble avec elle.
Concernant le dossier sécuritaire, est-ce que la France va aider la Côte d’Ivoire à réformer son armée. Comment, dans quelle mesure, dans quelle proportion ?
Bien attendu, la France est prête à apporter son appui. Un appui significatif dans ce domaine. Elle a déjà annoncé la reprise de sa coopération militaire, nous aurons une dizaine d’officiers supérieurs qui seront présents ici dans les tâches de formation. Nous avons également tissé de nouveaux accords signés à Paris entre les deux chefs d’Etat, la possibilité d’utiliser la présence des petites forces françaises ici pour participer à cette tâche de conseil de formation, de structuration.
Au moment où vous quittez la Côte d’Ivoire, quelle appréciation faites-vous de la coopération entre les deux pays ?
La coopération est en bonne voie. Vous savez, elle a été considérable autrefois avec un nombre de concurrents très importants. Cette coopération avait totalement disparu. Elle avait été totalement violée après les événements de 2004. Et, elle repart sur un bon pied avec la mise en place d’un programme d’aide, vous savez que la France a décidé dès que la Côte d’Ivoire aura atteint le point d’achèvement de l’initiative Ppte qui concerne les pays pauvres très endettés d’annuler la dette due à la France. C’est une part très importante de la dette de l’extérieur du pays et de convertir cette dette en projets de développement. C’est ce qu’on appelle les contrats de désendettement de développement et c’est ainsi que nous allons commencer l’instruction de ce dossier qui devrait représenter environ 2,6 milliards d’euros sur quinze ans. Ce qui permettra de mettre en œuvre un certain nombre de projets de développement dans différents secteurs de formation professionnelle, d’éducation, de santé, d’infrastructures selon les priorités qui ont été décidées par les autorités ivoiriennes elles-mêmes.
Au cours de vos interventions, vous avez prôné entre la France et la Côte d’Ivoire, des relations dépourvues de tous complexes. En thème moyen diplomatique, qu’est-ce que cela veut dire ?
C’est un vocabulaire qui a été choisi par les autorités ivoiriennes, elles-mêmes, par le président Alassane Ouattara. La Côte d’Ivoire a besoin de l’aide, de l’appui de ses amis de le faire sans aucun complexe. Voilà à quoi correspond ce nouveau partenariat décomplexé ; d’où le maintien d’une présence militaire française, le retour de coopérants français et le retour de l’aide française.
La visite du président Ouattara récemment en France, pour vous, qu’est-ce que cela signifie. C’est le retour de la France en Côte d’Ivoire pour certains, c’est une créance de la France sur la Côte d’Ivoire, comment qualifieriez-vous cette visite qui fait que les relations, aujourd’hui se relancent à nouveau ?
Il n’y a certainement pas un partenariat équilibré, la Côte d’Ivoire a besoin d’appui extérieur pour son redressement. Et son développement ne peut surgir tout seul, et la France répond à ces besoins et à ces demandes, voilà comment on peut qualifier en tout cas cette visite. Il y a des entreprises françaises qui sont présentes ici, qui le demeurent, il y a des projets, mais il n’y a pas que la France, il y a d’autres pays, d’autres entreprises dans différents secteurs. Les contrats ne sont pas tous remportés par des entreprises françaises. Nous sommes dans un monde ouvert, dans un monde de concurrence, et on l’a vu récemment sur certains contrats. La France n’a aucun monopole dans ce pays. Il appartient à ses entreprises de se montrer dynamiques, imaginatives dans les affaires d’Etat.
Dans quelques jours, vous partez à la retraite, vous reverra-t-on sur le continent où vous avez longtemps servi ?
Bien, j’ai effectivement servi, consacré vingt-cinq ans de ma carrière à l’Afrique. Donc, c’est quelque chose que je n’oublie pas du jour au lendemain en rentrant au village étant donné que j’ai encore un peu de dynamisme. Et j’espère pouvoir continuer à aider un petit peu nos amis africains et puis nos amis français qui s’intéressent à l’Afrique et qui ne savent toujours pas comment s’y prendre à avoir les contacts et la compréhension. Il y a des ouvertures toujours nécessaires.
Vous viendrez passer quelques jours en Côte d’Ivoire ?
Certainement, en Côte d’Ivoire et ailleurs.
Propos recueillis sur Onuci-Fm par O.T. (stagiaire)