L’éducation-formation est le socle du développement d’un pays. En effet, la production de capital humain, l’objectif premier de tout système éducatif, constitue la clef de voûte du développement économique et social. C’est ainsi que dans plusieurs pays, une partie appréciable du budget étatique est allouée au système éducatif. A titre d’exemple, en 2007, presque le quart (21,7% précisément) des dépenses totales de l’Etat de Côte d’Ivoire a été consacré à l’éducation. Un si important niveau de financement n’est justifiable que s’il induit un accroissement de l’efficience du système éducatif à moyen ou long terme (tout dépend du degré d’inertie dudit système).
Le présent article vise à : (i) Comparer le coefficient d’efficience du système éducatif ivoirien à ceux des autres pays de la région ouest africaine ; (ii) Analyser les stratégies d’accroissement possibles de l’efficience du système éducatif ivoirien ; (iii) Indiquer les solutions prévues en la matière par le président Ouattara.
I – Le coefficient d’efficience du système éducatif ivoirien – Comparaison avec la moyenne ouest africaine
De façon générale, l’efficience d’un système correspond à la relation entre les ressources mobilisées pour faire fonctionner le système et les résultats générés par ce dernier. Ainsi, le coefficient d’efficience du système éducatif est le rapport entre l’espérance de vie scolaire et le montant des ressources publiques allouées au secteur de l’éducation, exprimé en pourcentage du Produit Intérieur Brut (Pib). L’espérance de vie scolaire (Evs), ou durée moyenne de scolarisation, est définie comme le nombre total d`années d`instruction qu`un enfant d`un certain âge peut s’attendre à recevoir à l’avenir. Elle se calcule en sommant les taux de scolarisation des différents âges, de l’âge de l’enfant considéré, à l’âge limite supérieur théorique de scolarisation. Plus le coefficient d’efficience du système éducatif d’un pays est élevé, plus ce pays est efficient (efficace) dans l’usage des ressources publiques pour assurer une bonne couverture scolaire de sa population jeune.
Les coefficients d’efficience 2006 des systèmes éducatifs de la Côte d’Ivoire et de neuf autres Etats ouest africains indiquent que (voir tableau 1) :
1. Les dépenses publiques courantes d’éducation (hors dette) de notre pays s’élèvent à 4,1% de son PIB. Cette valeur est supérieure à la moyenne de celles des 9 pays comparateurs de la région ouest africaine, qui est de 3,39%. Comparée aux 7 autres Etats francophones de la région ouest-africaine considérés ici, la Côte d’Ivoire consacre une plus grande proportion de ses ressources publiques au secteur éducatif. Seuls les deux pays anglophones considérés (ce n’est guère un hasard !) affectent à l’éducation autant de part de leurs ressources publiques que la Côte d’Ivoire (cas de la Gambie) ou beaucoup plus (cas du Ghana).
2. L’espérance de vie scolaire (à 6 ans) en Côte d’Ivoire est de 5,5 années. Cela signifie qu’un enfant (de 6 ans) qui entame sa classe de CP1, peut espérer passer 5,5 ans dans le système éducatif, c’est-à-dire achever la classe de CM1 (et même commencer la classe de CM2) avant d’abandonner l’école (s’il ne redouble pas de classe). Cette espérance de vie scolaire est plus faible que la moyenne de celles des 9 pays comparateurs, qui est de 5,77 années.
3. Le coefficient d’efficience du système éducatif ivoirien (1,34 années pour 1% du PIB) est inférieur au coefficient d’efficience moyen des 9 pays comparateurs (1,75 années pour 1% du Pib). Cela est logique, puisque comparée en moyenne à ces 9 autres Etats de la région, la Côte d’Ivoire consacre une plus grande partie de son PIB à l’éducation (4,1% du Pib contre 3,39% du PIB), pour une espérance de vie scolaire pourtant plus faible (5,5 années contre 5,77 années). Le système éducatif ivoirien est donc peu efficient dans l’usage des ressources publiques allouées au secteur. Son coefficient d’efficience ne dépasse nettement que ceux du Niger et du Mali, deux pays francophones qui, comparés à la Côte d’Ivoire, consacrent beaucoup moins d’argent à l’éducation, en valeur absolue comme en valeur relative par rapport au Pib.
Pays Dépenses publiques courantes d’éducation (en % du Pib) Espérance de vie scolaire (en années) Coefficient d’efficience
(en années pour 1% du Pib)
Côte d’Ivoire (CI) 4,1 5,5 1,34
Guinée 2,0 5,2 2,60
Niger 2,6 2,9 1,12
Burkina Faso 2,8 4,2 1,50
Bénin 3,3 6,8 2,06
Mali 3,4 4,2 1,24
Togo 3,4 8,7 2,56
Mauritanie 3,6 6,0 1,67
Gambie 4,1 6,9 1,68
Ghana 5,3 7,0 1,32
Moyenne 9 pays hors CI 3,39 5,77 1,75
Tableau 1 : Coefficient d’efficience du système éducatif en Afrique de l’Ouest, en 2006
Sources : Rapport d’Etat du Système Educatif Ivoirien (Mai 2009) et calculs personnels
II – Stratégies d’accroissement de l’efficience du système éducatif ivoirien
Le coefficient d’efficience du système éducatif étant un rapport, son accroissement est induit par une croissance de son numérateur (l’espérance de vie scolaire) ou/et une décroissance de son dénominateur (la part du Pib allouée aux dépenses publiques d’éducation). Analysons ces deux stratégies d’accroissement du coefficient d’efficience, dans le cas du système éducatif ivoirien.
2 -1 La décroissance de la part du PIB allouée aux dépenses publiques d’éducation
Certes, du point de vue purement mathématique, la décroissance de la part du Pib allouée aux dépenses publiques d’éducation entraîne une augmentation du coefficient d’efficience, dans le cas où cette décroissance ne s’accompagne pas d’une chute (importante) de l’espérance de vie scolaire. Malheureusement, dans le cas de la Côte d’Ivoire, la diminution des dépenses publiques d’éducation pourrait entraîner un effondrement de l’espérance de vie scolaire. En effet, une telle politique pourrait induire au moins l’une des deux situations dommageables suivantes :
1. Le sous-investissement voire le manque d’investissement dans la réhabilitation des structures d’enseignement existantes et la construction des nouvelles salles de cours. Dans le présent contexte de sortie de crise, où l’insuffisance antérieure des structures d’enseignement a été exacerbée par les destructions de salles de cours liées aux affrontements armés, cela empêchera la scolarisation d’une partie de la population jeune, entraînant ainsi un affaissement des taux de scolarisation aux trois degrés d’enseignement (primaire, secondaire et supérieur) et partant, celui de l’espérance de vie scolaire (Evs). En outre, notre pays s’éloignera inexorablement de deux objectifs majeurs du millénaire : l’école pour tous (Ept) et la réduction de la pauvreté.
2. La réduction des budgets alloués aux activités qui ont un impact positif direct sur la rétention des jeunes à l’école voire leur réussite scolaire : le fonctionnement des cantines scolaires et des restaurants universitaires, le paiement des bourses d’études, la mise à disposition des kits et manuels scolaires, etc. Ce qui engendrera probablement une augmentation des taux d’abandon de l’école aux différents âges scolaires, donc une diminution de l’Evs. Sans parler du gaspillage des ressources de l’Etat investies dans la formation des jeunes qui quittent prématurément le système éducatif, surtout si ces derniers abandonnent l’école avant d’avoir atteint la classe de 3e, le niveau minimal requis pour savoir lire de façon irréversible.
Aux deux situations sus mentionnées, sources d’une chute inévitable de l’Evs, donc d’une (possible) décroissance du coefficient d’efficience du système éducatif, il faut ajouter une troisième situation qui pourrait advenir dans le cadre d’une politique de réduction des dépenses publiques d’éducation : la diminution de la masse salariale du corps enseignant. Cette option correspond à la baisse du nombre d’enseignants (scénario totalement irresponsable, vu la croissance exponentielle actuelle du nombre d’apprenants) ou à la réduction des salaires nominaux des enseignants, provocation suprême d’un corps en attente plutôt de l’application intégrale des décrets d’augmentation des salaires signés en sa faveur par l’ancien régime. Le deuxième scénario génèrera donc inévitablement une turbulence sociale qui, dans le contexte post-crise actuel, correspond à un saut dans l’inconnu, avec tous les risques d’explosion sociopolitique que cela comporte. Même si cette turbulence venait à être endiguée, elle induirait certainement une démotivation des enseignants et partant, une baisse de la qualité de la formation, qui entraînerait à son tour des aberrations telles que la situation paradoxale suivante que l’on constate aujourd’hui : pendant qu’un nombre inouï de jeunes diplômés sont au chômage, les entreprises de la place, lasses de rechercher certaines compétences localement, sont obligées d’aller recruter à l’étranger des agents qualifiés, qui rapatrient généralement dans leurs pays respectifs une grande partie de leurs importants émoluments (bonjour la fuite de notre masse monétaire !).
Notons tout de même que la diminution du budget étatique alloué au secteur éducatif peut aller de pair avec le maintien voire l’augmentation de l’espérance de vie scolaire, donc une croissance du coefficient d’efficience, dans les deux cas suivants :
- La réduction des dépenses publiques d’éducation est compensée par la croissance des apports financiers des apprenants ou de leurs parents. Mais peut-on sérieusement envisager ce cas de figure dans une Côte d’Ivoire meurtrie où la paupérisation des masses a atteint un niveau si dramatique ?
- L’économie réalisée par l’Etat sur le budget du secteur éducatif provient de la suppression des gaspillages dans le secteur tels que les détournements de deniers publics et le paiement d’accessoires de salaires fantaisistes (heures « complémentaires » indues, perdiems de missions et de réunions inutiles, etc.). Cette démarche nécessite la mise en œuvre d’une politique de rigueur voire de répression, qui est assez délicate en ces temps de réconciliation nationale.
2-2 La croissance de l’espérance de vie scolaire
L’espérance de vie scolaire (Evs), ou durée moyenne de scolarisation, peut être augmentée selon deux stratégies :
2-2-1 La stratégie quantitative
Elle consiste à accroître les nombres de structures d’accueil et d’enseignants, en vue d’augmenter mécaniquement les taux de scolarisation aux différents âges scolaires, donc l’Evs. Cette stratégie ne tient pas compte des taux de redoublement. Elle peut donc occulter une dégradation parfois grave de la qualité de l’enseignement. C’est le cas dans nos universités publiques, où les taux de scolarisation aux différents âges sont gonflés par les taux ahurissants de redoublement, de triplement, voire plus, liés au fameux « parapluie atomique », qui autorise un étudiant du second cycle (licence et maîtrise) à s’inscrire à l’université autant de fois qu’il le souhaite, et à la non moins galvaudée formation individuelle permanente (Fip), qui permet à un étudiant du premier cycle (première et deuxième années) de reprendre sa classe autant de fois qu’il le désire. Le nombre d’années-étudiants, c’est-à-dire le nombre moyen d’années qu’un étudiant met à obtenir son diplôme, est donc largement supérieur au nombre théorique d’années nécessaires : par exemple, sur 239 étudiants officiellement autorisés à s’inscrire en PC1 (1ère année de Physique-Chimie) en 1999-2000, seuls 7 (soit 2,93%) ont obtenu leur maîtrise sans aucun redoublement. Imaginez le gaspillage des ressources étatiques et l’engorgement du système d’enseignement universitaire que cela engendre !
La stratégie quantitative nécessite une croissance des ressources étatiques allouées au secteur éducatif, voire une augmentation de la part du Pib affectée aux dépenses publiques d’éducation (dans l’hypothèse où le taux de croissance des dépenses publiques d’éducation dépasse celui du Pib). Si le taux de cette augmentation de la part du Pib allouée aux dépenses publiques d’éducation est inférieur à celui de l’augmentation de l’Evs obtenue mécaniquement, le coefficient d’efficience du système éducatif croît. Le financement supplémentaire du système lié à la stratégie quantitative, doit donc obéir à cette contrainte.
2-2-2 La stratégie qualitative
Elle consiste à augmenter la qualité de l’enseignement, c’est-à-dire les rendements interne et externe du système éducatif. Il s’agit, en d’autres termes, d’accroître les taux de réussite aux différents niveaux d’étude, ainsi que la compétence des diplômés et partant, leur taux de placement sur le marché de l’emploi.
L’accroissement des taux de réussite propulse les apprenants vers les niveaux d’étude élevés, tout comme l’augmentation du taux d’accès des diplômés à l’emploi constitue une source de motivation pour les apprenants, donc un catalyseur qui les pousse à achever leurs études. Ainsi, l’augmentation de la qualité de l’enseignement contribue à accroître la durée moyenne de scolarisation, c’est-à-dire l’espérance de vie scolaire (Evs). Mais ce vaste chantier que constitue le processus d’augmentation des rendements interne et externe, nécessite la résolution des problèmes structurels de l’école, notamment : le manque d’infrastructures et d’enseignants, l’inadaptation des méthodes d’enseignement et l’inadéquation formation-emploi.
L’accroissement des nombres d’infrastructures et d’enseignants est la réponse appropriée aux problèmes d’effectifs pléthoriques dans les classes et de faiblesse du taux d’encadrement, facteurs indéniables de dégradation de la qualité de l’enseignement. Son impact sur l’efficience du système éducatif a été évoqué plus haut. L’adaptation des méthodes d’enseignement aux objectifs pédagogiques recherchés est synonyme de révision de la formation par compétence (Fpc) voire de retour à la pédagogie par objectif (Ppo), dans le primaire et le secondaire général, et d’utilisation des TICs dans l’enseignement supérieur. Cela permettra indubitablement aux enseignants du primaire et du secondaire général (dont la majorité semble peu comprendre la Fpc) de mieux dispenser leurs cours et à leurs élèves de mieux les assimiler, augmentant ainsi les taux de réussite scolaires. Quant à l’utilisation des TICs au supérieur, son impact positif sur la qualité des enseignements est évident. Par exemple, il est plus efficace d’expliquer à un étudiant de physique la propagation de la lumière d’une source à un récepteur par vidéo-projection plutôt qu’avec des droites tracées sur un tableau noir. Enfin l’adéquation formation-emploi précède l’augmentation du taux de placement des diplômés sur le marché de l’emploi, phénomène dont l’impact positif sur l’Evs est évoqué plus haut. D’ailleurs, l’adéquation formation-emploi fait partie des défis majeurs de l’école. A elle seule, elle justifie les énormes sacrifices consentis par l’Etat et les ménages en faveur du secteur éducation-formation. En effet, elle fait de l’école un véritable creuset de formation du citoyen agent de développement, producteur de richesses dont une partie est d’ailleurs réinvestie dans le système éducatif, pour l’amélioration de la qualité de celui-ci.
III – Les solutions du président Ouattara
Les stratégies d’accroissement de l’efficience du système éducatif adoptées par le Président Ouattara sont consignées dans le volet Education de son Programme de Gouvernement. Actuellement mises en œuvre par les trois ministères en charge du secteur éducation-formation, elles consistent à accroître l’espérance de vie scolaire, par les deux stratégies énumérées ci-dessus : quantitative et qualitative.
Au niveau quantitatif, rien que pour cette année 2012, il s’agit de :
-La construction de 1.500 classes du primaire ;
-La construction de 11 collèges à base 4 (4 classes pour chacun des 4 niveaux d’un collège donné) ;
-Le recrutement de 5.000 élèves-maîtres à former dans les Cafop ;
-Le recrutement de 3.000 professeurs contractuels, dont un bon nombre seront définitivement recrutés par la suite, pour combler le déficit d’enseignants dans le secondaire général public ;
-La réhabilitation et le rééquipement des trois universités publiques (Cocody, Abobo-Adjamé, Bouaké) et des deux Unités Régionales d’Enseignement Supérieur (Daloa, Korhogo) ;
-Les études techniques en vue de la construction de 5 nouvelles universités publiques (Daloa, Korhogo, Man, Bondoukou, San-Pedro) et d’une ville universitaire comparable aux grands campus américains ;
-Etc.
Au niveau qualitatif, l’accent est mis sur l’amélioration de la qualité de l’enseignement via la résolution des problèmes structurels de l’école, notamment l’augmentation des nombres d’infrastructures et d’enseignants (évoquée ci-dessus), l’introduction des TICs dans les différents ordres d’enseignement (en projet) et l’adéquation formation-emploi, par l’application généralisée du système Lmd (Licence-Master-Doctorat) dans le supérieur (projet en marche) et l’implication du secteur privé dans la gestion des lycées professionnels (en étude) et dans la définition des curricula dans le secondaire technique, la formation professionnelle et le supérieur (projet débuté).
Au-delà des deux stratégies ci-dessus, la politique d’éducation mise en œuvre par le gouvernement du président Ouattara vise un objectif majeur : l’école gratuite et obligatoire jusqu’à l’âge de 15 ans. Ce chantier entamé par des actions telles que la suppression des droits d’inscription et la mise à disposition gratuite des kits et manuels scolaires dans le primaire public, contribuera à augmenter sensiblement l’espérance de vie scolaire.
Ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses solutions adoptées par le président Ouattara pour accroître l’efficience de notre système éducatif.
Dr Diawara Adama
Conseiller Education-Formation-Recherche Scientifique à la Présidence de la République
Le présent article vise à : (i) Comparer le coefficient d’efficience du système éducatif ivoirien à ceux des autres pays de la région ouest africaine ; (ii) Analyser les stratégies d’accroissement possibles de l’efficience du système éducatif ivoirien ; (iii) Indiquer les solutions prévues en la matière par le président Ouattara.
I – Le coefficient d’efficience du système éducatif ivoirien – Comparaison avec la moyenne ouest africaine
De façon générale, l’efficience d’un système correspond à la relation entre les ressources mobilisées pour faire fonctionner le système et les résultats générés par ce dernier. Ainsi, le coefficient d’efficience du système éducatif est le rapport entre l’espérance de vie scolaire et le montant des ressources publiques allouées au secteur de l’éducation, exprimé en pourcentage du Produit Intérieur Brut (Pib). L’espérance de vie scolaire (Evs), ou durée moyenne de scolarisation, est définie comme le nombre total d`années d`instruction qu`un enfant d`un certain âge peut s’attendre à recevoir à l’avenir. Elle se calcule en sommant les taux de scolarisation des différents âges, de l’âge de l’enfant considéré, à l’âge limite supérieur théorique de scolarisation. Plus le coefficient d’efficience du système éducatif d’un pays est élevé, plus ce pays est efficient (efficace) dans l’usage des ressources publiques pour assurer une bonne couverture scolaire de sa population jeune.
Les coefficients d’efficience 2006 des systèmes éducatifs de la Côte d’Ivoire et de neuf autres Etats ouest africains indiquent que (voir tableau 1) :
1. Les dépenses publiques courantes d’éducation (hors dette) de notre pays s’élèvent à 4,1% de son PIB. Cette valeur est supérieure à la moyenne de celles des 9 pays comparateurs de la région ouest africaine, qui est de 3,39%. Comparée aux 7 autres Etats francophones de la région ouest-africaine considérés ici, la Côte d’Ivoire consacre une plus grande proportion de ses ressources publiques au secteur éducatif. Seuls les deux pays anglophones considérés (ce n’est guère un hasard !) affectent à l’éducation autant de part de leurs ressources publiques que la Côte d’Ivoire (cas de la Gambie) ou beaucoup plus (cas du Ghana).
2. L’espérance de vie scolaire (à 6 ans) en Côte d’Ivoire est de 5,5 années. Cela signifie qu’un enfant (de 6 ans) qui entame sa classe de CP1, peut espérer passer 5,5 ans dans le système éducatif, c’est-à-dire achever la classe de CM1 (et même commencer la classe de CM2) avant d’abandonner l’école (s’il ne redouble pas de classe). Cette espérance de vie scolaire est plus faible que la moyenne de celles des 9 pays comparateurs, qui est de 5,77 années.
3. Le coefficient d’efficience du système éducatif ivoirien (1,34 années pour 1% du PIB) est inférieur au coefficient d’efficience moyen des 9 pays comparateurs (1,75 années pour 1% du Pib). Cela est logique, puisque comparée en moyenne à ces 9 autres Etats de la région, la Côte d’Ivoire consacre une plus grande partie de son PIB à l’éducation (4,1% du Pib contre 3,39% du PIB), pour une espérance de vie scolaire pourtant plus faible (5,5 années contre 5,77 années). Le système éducatif ivoirien est donc peu efficient dans l’usage des ressources publiques allouées au secteur. Son coefficient d’efficience ne dépasse nettement que ceux du Niger et du Mali, deux pays francophones qui, comparés à la Côte d’Ivoire, consacrent beaucoup moins d’argent à l’éducation, en valeur absolue comme en valeur relative par rapport au Pib.
Pays Dépenses publiques courantes d’éducation (en % du Pib) Espérance de vie scolaire (en années) Coefficient d’efficience
(en années pour 1% du Pib)
Côte d’Ivoire (CI) 4,1 5,5 1,34
Guinée 2,0 5,2 2,60
Niger 2,6 2,9 1,12
Burkina Faso 2,8 4,2 1,50
Bénin 3,3 6,8 2,06
Mali 3,4 4,2 1,24
Togo 3,4 8,7 2,56
Mauritanie 3,6 6,0 1,67
Gambie 4,1 6,9 1,68
Ghana 5,3 7,0 1,32
Moyenne 9 pays hors CI 3,39 5,77 1,75
Tableau 1 : Coefficient d’efficience du système éducatif en Afrique de l’Ouest, en 2006
Sources : Rapport d’Etat du Système Educatif Ivoirien (Mai 2009) et calculs personnels
II – Stratégies d’accroissement de l’efficience du système éducatif ivoirien
Le coefficient d’efficience du système éducatif étant un rapport, son accroissement est induit par une croissance de son numérateur (l’espérance de vie scolaire) ou/et une décroissance de son dénominateur (la part du Pib allouée aux dépenses publiques d’éducation). Analysons ces deux stratégies d’accroissement du coefficient d’efficience, dans le cas du système éducatif ivoirien.
2 -1 La décroissance de la part du PIB allouée aux dépenses publiques d’éducation
Certes, du point de vue purement mathématique, la décroissance de la part du Pib allouée aux dépenses publiques d’éducation entraîne une augmentation du coefficient d’efficience, dans le cas où cette décroissance ne s’accompagne pas d’une chute (importante) de l’espérance de vie scolaire. Malheureusement, dans le cas de la Côte d’Ivoire, la diminution des dépenses publiques d’éducation pourrait entraîner un effondrement de l’espérance de vie scolaire. En effet, une telle politique pourrait induire au moins l’une des deux situations dommageables suivantes :
1. Le sous-investissement voire le manque d’investissement dans la réhabilitation des structures d’enseignement existantes et la construction des nouvelles salles de cours. Dans le présent contexte de sortie de crise, où l’insuffisance antérieure des structures d’enseignement a été exacerbée par les destructions de salles de cours liées aux affrontements armés, cela empêchera la scolarisation d’une partie de la population jeune, entraînant ainsi un affaissement des taux de scolarisation aux trois degrés d’enseignement (primaire, secondaire et supérieur) et partant, celui de l’espérance de vie scolaire (Evs). En outre, notre pays s’éloignera inexorablement de deux objectifs majeurs du millénaire : l’école pour tous (Ept) et la réduction de la pauvreté.
2. La réduction des budgets alloués aux activités qui ont un impact positif direct sur la rétention des jeunes à l’école voire leur réussite scolaire : le fonctionnement des cantines scolaires et des restaurants universitaires, le paiement des bourses d’études, la mise à disposition des kits et manuels scolaires, etc. Ce qui engendrera probablement une augmentation des taux d’abandon de l’école aux différents âges scolaires, donc une diminution de l’Evs. Sans parler du gaspillage des ressources de l’Etat investies dans la formation des jeunes qui quittent prématurément le système éducatif, surtout si ces derniers abandonnent l’école avant d’avoir atteint la classe de 3e, le niveau minimal requis pour savoir lire de façon irréversible.
Aux deux situations sus mentionnées, sources d’une chute inévitable de l’Evs, donc d’une (possible) décroissance du coefficient d’efficience du système éducatif, il faut ajouter une troisième situation qui pourrait advenir dans le cadre d’une politique de réduction des dépenses publiques d’éducation : la diminution de la masse salariale du corps enseignant. Cette option correspond à la baisse du nombre d’enseignants (scénario totalement irresponsable, vu la croissance exponentielle actuelle du nombre d’apprenants) ou à la réduction des salaires nominaux des enseignants, provocation suprême d’un corps en attente plutôt de l’application intégrale des décrets d’augmentation des salaires signés en sa faveur par l’ancien régime. Le deuxième scénario génèrera donc inévitablement une turbulence sociale qui, dans le contexte post-crise actuel, correspond à un saut dans l’inconnu, avec tous les risques d’explosion sociopolitique que cela comporte. Même si cette turbulence venait à être endiguée, elle induirait certainement une démotivation des enseignants et partant, une baisse de la qualité de la formation, qui entraînerait à son tour des aberrations telles que la situation paradoxale suivante que l’on constate aujourd’hui : pendant qu’un nombre inouï de jeunes diplômés sont au chômage, les entreprises de la place, lasses de rechercher certaines compétences localement, sont obligées d’aller recruter à l’étranger des agents qualifiés, qui rapatrient généralement dans leurs pays respectifs une grande partie de leurs importants émoluments (bonjour la fuite de notre masse monétaire !).
Notons tout de même que la diminution du budget étatique alloué au secteur éducatif peut aller de pair avec le maintien voire l’augmentation de l’espérance de vie scolaire, donc une croissance du coefficient d’efficience, dans les deux cas suivants :
- La réduction des dépenses publiques d’éducation est compensée par la croissance des apports financiers des apprenants ou de leurs parents. Mais peut-on sérieusement envisager ce cas de figure dans une Côte d’Ivoire meurtrie où la paupérisation des masses a atteint un niveau si dramatique ?
- L’économie réalisée par l’Etat sur le budget du secteur éducatif provient de la suppression des gaspillages dans le secteur tels que les détournements de deniers publics et le paiement d’accessoires de salaires fantaisistes (heures « complémentaires » indues, perdiems de missions et de réunions inutiles, etc.). Cette démarche nécessite la mise en œuvre d’une politique de rigueur voire de répression, qui est assez délicate en ces temps de réconciliation nationale.
2-2 La croissance de l’espérance de vie scolaire
L’espérance de vie scolaire (Evs), ou durée moyenne de scolarisation, peut être augmentée selon deux stratégies :
2-2-1 La stratégie quantitative
Elle consiste à accroître les nombres de structures d’accueil et d’enseignants, en vue d’augmenter mécaniquement les taux de scolarisation aux différents âges scolaires, donc l’Evs. Cette stratégie ne tient pas compte des taux de redoublement. Elle peut donc occulter une dégradation parfois grave de la qualité de l’enseignement. C’est le cas dans nos universités publiques, où les taux de scolarisation aux différents âges sont gonflés par les taux ahurissants de redoublement, de triplement, voire plus, liés au fameux « parapluie atomique », qui autorise un étudiant du second cycle (licence et maîtrise) à s’inscrire à l’université autant de fois qu’il le souhaite, et à la non moins galvaudée formation individuelle permanente (Fip), qui permet à un étudiant du premier cycle (première et deuxième années) de reprendre sa classe autant de fois qu’il le désire. Le nombre d’années-étudiants, c’est-à-dire le nombre moyen d’années qu’un étudiant met à obtenir son diplôme, est donc largement supérieur au nombre théorique d’années nécessaires : par exemple, sur 239 étudiants officiellement autorisés à s’inscrire en PC1 (1ère année de Physique-Chimie) en 1999-2000, seuls 7 (soit 2,93%) ont obtenu leur maîtrise sans aucun redoublement. Imaginez le gaspillage des ressources étatiques et l’engorgement du système d’enseignement universitaire que cela engendre !
La stratégie quantitative nécessite une croissance des ressources étatiques allouées au secteur éducatif, voire une augmentation de la part du Pib affectée aux dépenses publiques d’éducation (dans l’hypothèse où le taux de croissance des dépenses publiques d’éducation dépasse celui du Pib). Si le taux de cette augmentation de la part du Pib allouée aux dépenses publiques d’éducation est inférieur à celui de l’augmentation de l’Evs obtenue mécaniquement, le coefficient d’efficience du système éducatif croît. Le financement supplémentaire du système lié à la stratégie quantitative, doit donc obéir à cette contrainte.
2-2-2 La stratégie qualitative
Elle consiste à augmenter la qualité de l’enseignement, c’est-à-dire les rendements interne et externe du système éducatif. Il s’agit, en d’autres termes, d’accroître les taux de réussite aux différents niveaux d’étude, ainsi que la compétence des diplômés et partant, leur taux de placement sur le marché de l’emploi.
L’accroissement des taux de réussite propulse les apprenants vers les niveaux d’étude élevés, tout comme l’augmentation du taux d’accès des diplômés à l’emploi constitue une source de motivation pour les apprenants, donc un catalyseur qui les pousse à achever leurs études. Ainsi, l’augmentation de la qualité de l’enseignement contribue à accroître la durée moyenne de scolarisation, c’est-à-dire l’espérance de vie scolaire (Evs). Mais ce vaste chantier que constitue le processus d’augmentation des rendements interne et externe, nécessite la résolution des problèmes structurels de l’école, notamment : le manque d’infrastructures et d’enseignants, l’inadaptation des méthodes d’enseignement et l’inadéquation formation-emploi.
L’accroissement des nombres d’infrastructures et d’enseignants est la réponse appropriée aux problèmes d’effectifs pléthoriques dans les classes et de faiblesse du taux d’encadrement, facteurs indéniables de dégradation de la qualité de l’enseignement. Son impact sur l’efficience du système éducatif a été évoqué plus haut. L’adaptation des méthodes d’enseignement aux objectifs pédagogiques recherchés est synonyme de révision de la formation par compétence (Fpc) voire de retour à la pédagogie par objectif (Ppo), dans le primaire et le secondaire général, et d’utilisation des TICs dans l’enseignement supérieur. Cela permettra indubitablement aux enseignants du primaire et du secondaire général (dont la majorité semble peu comprendre la Fpc) de mieux dispenser leurs cours et à leurs élèves de mieux les assimiler, augmentant ainsi les taux de réussite scolaires. Quant à l’utilisation des TICs au supérieur, son impact positif sur la qualité des enseignements est évident. Par exemple, il est plus efficace d’expliquer à un étudiant de physique la propagation de la lumière d’une source à un récepteur par vidéo-projection plutôt qu’avec des droites tracées sur un tableau noir. Enfin l’adéquation formation-emploi précède l’augmentation du taux de placement des diplômés sur le marché de l’emploi, phénomène dont l’impact positif sur l’Evs est évoqué plus haut. D’ailleurs, l’adéquation formation-emploi fait partie des défis majeurs de l’école. A elle seule, elle justifie les énormes sacrifices consentis par l’Etat et les ménages en faveur du secteur éducation-formation. En effet, elle fait de l’école un véritable creuset de formation du citoyen agent de développement, producteur de richesses dont une partie est d’ailleurs réinvestie dans le système éducatif, pour l’amélioration de la qualité de celui-ci.
III – Les solutions du président Ouattara
Les stratégies d’accroissement de l’efficience du système éducatif adoptées par le Président Ouattara sont consignées dans le volet Education de son Programme de Gouvernement. Actuellement mises en œuvre par les trois ministères en charge du secteur éducation-formation, elles consistent à accroître l’espérance de vie scolaire, par les deux stratégies énumérées ci-dessus : quantitative et qualitative.
Au niveau quantitatif, rien que pour cette année 2012, il s’agit de :
-La construction de 1.500 classes du primaire ;
-La construction de 11 collèges à base 4 (4 classes pour chacun des 4 niveaux d’un collège donné) ;
-Le recrutement de 5.000 élèves-maîtres à former dans les Cafop ;
-Le recrutement de 3.000 professeurs contractuels, dont un bon nombre seront définitivement recrutés par la suite, pour combler le déficit d’enseignants dans le secondaire général public ;
-La réhabilitation et le rééquipement des trois universités publiques (Cocody, Abobo-Adjamé, Bouaké) et des deux Unités Régionales d’Enseignement Supérieur (Daloa, Korhogo) ;
-Les études techniques en vue de la construction de 5 nouvelles universités publiques (Daloa, Korhogo, Man, Bondoukou, San-Pedro) et d’une ville universitaire comparable aux grands campus américains ;
-Etc.
Au niveau qualitatif, l’accent est mis sur l’amélioration de la qualité de l’enseignement via la résolution des problèmes structurels de l’école, notamment l’augmentation des nombres d’infrastructures et d’enseignants (évoquée ci-dessus), l’introduction des TICs dans les différents ordres d’enseignement (en projet) et l’adéquation formation-emploi, par l’application généralisée du système Lmd (Licence-Master-Doctorat) dans le supérieur (projet en marche) et l’implication du secteur privé dans la gestion des lycées professionnels (en étude) et dans la définition des curricula dans le secondaire technique, la formation professionnelle et le supérieur (projet débuté).
Au-delà des deux stratégies ci-dessus, la politique d’éducation mise en œuvre par le gouvernement du président Ouattara vise un objectif majeur : l’école gratuite et obligatoire jusqu’à l’âge de 15 ans. Ce chantier entamé par des actions telles que la suppression des droits d’inscription et la mise à disposition gratuite des kits et manuels scolaires dans le primaire public, contribuera à augmenter sensiblement l’espérance de vie scolaire.
Ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses solutions adoptées par le président Ouattara pour accroître l’efficience de notre système éducatif.
Dr Diawara Adama
Conseiller Education-Formation-Recherche Scientifique à la Présidence de la République