Il est toujours difficile, sans tomber dans le panégyrique complaisant, de parler de l’ami que l’on vient de perdre. La mort possède cette vertu hypocrite de gommer les défauts du disparu. Aussi ne me livré-je à cet exercice que dans des cas, où la valeur de l’homme dont je suis amené à évoquer le souvenir le place à mes yeux, hors des normes du commun.
Paul-Antoine Bohoun Bouabré fait partie de ces exceptions. J’en parlerai donc comme je le sens, avec mon cœur, mais aussi avec l’état de ma raison.
C’est mon ami Léonard Pépé Guédé qui me l’a présenté un jour. D’emblée je fus séduit par la personnalité de cet Ivoirien passionnément amoureux de son pays, mais également épris de culture française. N’avait-il pas fait ses études en France, jusqu’à ce doctorat de Sciences Economiques qui en fit le collaborateur recherché des plus hauts dirigeants de son pays ? J’aime les esprits curieux de tout, clairs, précis, qui vont droit au but. Paul-Antoine avait ces qualités, doublées d’une rapidité de raisonnement qui «décoiffait» parfois, mais qu’il savait tempérer d’un trait d’humour, et sans jamais se départir de la plus grande courtoisie. Par expérience personnelle, j’apprécie également les hommes qui ne sont pas totalement absorbés par leurs charges professionnelles, et qui savent se ménager du temps pour leur vie privée, et d’abord pour leur famille. Ce catholique fervent me parlait souvent de ses enfants, nombreux, dont il s’occupait beaucoup. Comme j’essaie de le faire des miens.
Je ne retracerai pas en détail les étapes d’une carrière politique entièrement consacrée au service de son pays et de ses concitoyens, et qui le mena à occuper successivement les fonctions de ministre du Commerce, de l’Economie et des Finances et enfin de ministre d’Etat chargé du Plan et du Développement. D’autres le feront sans doute dans ces pages. Pour ma part, je voudrais insister sur ce qui me paraît l’essentiel, mieux, le sens même de son action.
Comme le Général de Gaulle se faisait une certaine idée de la France, en donnant au mot «certaine» le sens le plus fort, Paul-Antoine Bohoun Bouabré avait une conception très nette des relations qui devaient s’établir entre notre pays et ses anciennes colonies. Cette conception n’avait rien à voir avec la «France Afrique», dont personne n’a oublié les tares ou les méfaits, et dont il n’est pas complètement sûr que toutes les traces aient disparu…. Les régimes corrompus, dont les responsables ne pensaient qu’à grossir leur fortune personnelle au détriment du bien-être des peuples, ce n’était vraiment pas son «affaire». Aimant profondément la France, mais jalousement attaché à l’indépendance de la Côte d’Ivoire, il a lutté sans relâche pour assainir enfin des rapports que l’habitude ou la «tradition» avaient pervertis.
Certes, il n’était pas seul à mener ce combat, mais il se montrait peut-être plus sourcilleux que d’autres. Ce qui lui a valu quelquefois des inimitiés ou des animosités, et souvent des incompréhensions, y compris du côté français. Il maintenait cependant le cap, même quand il dut assurer la gestion des affaires du pays à l’époque difficile où la Côte d’Ivoire fut confrontée à une véritable guerre civile. La France avait d’ailleurs eu, à plusieurs reprises, à se féliciter de l’action de Paul-Antoine Bohoun-Bouabré, quand il s’était employé, par exemple, en 2004, à faire baisser la tension entre nos deux pays provoquée par la crise dite des «aéronefs», ou à jouer les messieurs bons offices auprès de hauts responsables politiques français.
Mais, comme il s’agit d’un souvenir personnel, j’aurai garde d’oublier la part qui fut la sienne au moment de la renégociation de la dette ivoirienne avec le FMI, car j’en fus le témoin direct. J’avais pu, en cette circonstance délicate, faciliter les contacts de Paul-Antoine avec le directeur général du Fonds, Dominique Strauss-Kahn. Au bout de ces démarches, la Côte d’Ivoire devint éligible au programme en faveur des pays pauvres très endettés. J’ai mesuré à cette occasion l’étendue de ses capacités, à la fois comme expert et comme diplomate.
Un homme, un père, un patriote intelligent et ouvert, tel était Paul-Antoine Bohoun Bouabré. La Côte d’Ivoire a perdu un homme d’Etat, la France, un ami, et nous un précieux compagnon des bons et des mauvais jours.
J’ai voulu par ce témoignage lui rendre, hélas de façon posthume, un peu de ce qu’il m’a apporté au fil de nos rencontres.
Pierre Weill
Fondateur et Ancien Président du Groupe TNS-SOFRES Paris ( France)
Paul-Antoine Bohoun Bouabré fait partie de ces exceptions. J’en parlerai donc comme je le sens, avec mon cœur, mais aussi avec l’état de ma raison.
C’est mon ami Léonard Pépé Guédé qui me l’a présenté un jour. D’emblée je fus séduit par la personnalité de cet Ivoirien passionnément amoureux de son pays, mais également épris de culture française. N’avait-il pas fait ses études en France, jusqu’à ce doctorat de Sciences Economiques qui en fit le collaborateur recherché des plus hauts dirigeants de son pays ? J’aime les esprits curieux de tout, clairs, précis, qui vont droit au but. Paul-Antoine avait ces qualités, doublées d’une rapidité de raisonnement qui «décoiffait» parfois, mais qu’il savait tempérer d’un trait d’humour, et sans jamais se départir de la plus grande courtoisie. Par expérience personnelle, j’apprécie également les hommes qui ne sont pas totalement absorbés par leurs charges professionnelles, et qui savent se ménager du temps pour leur vie privée, et d’abord pour leur famille. Ce catholique fervent me parlait souvent de ses enfants, nombreux, dont il s’occupait beaucoup. Comme j’essaie de le faire des miens.
Je ne retracerai pas en détail les étapes d’une carrière politique entièrement consacrée au service de son pays et de ses concitoyens, et qui le mena à occuper successivement les fonctions de ministre du Commerce, de l’Economie et des Finances et enfin de ministre d’Etat chargé du Plan et du Développement. D’autres le feront sans doute dans ces pages. Pour ma part, je voudrais insister sur ce qui me paraît l’essentiel, mieux, le sens même de son action.
Comme le Général de Gaulle se faisait une certaine idée de la France, en donnant au mot «certaine» le sens le plus fort, Paul-Antoine Bohoun Bouabré avait une conception très nette des relations qui devaient s’établir entre notre pays et ses anciennes colonies. Cette conception n’avait rien à voir avec la «France Afrique», dont personne n’a oublié les tares ou les méfaits, et dont il n’est pas complètement sûr que toutes les traces aient disparu…. Les régimes corrompus, dont les responsables ne pensaient qu’à grossir leur fortune personnelle au détriment du bien-être des peuples, ce n’était vraiment pas son «affaire». Aimant profondément la France, mais jalousement attaché à l’indépendance de la Côte d’Ivoire, il a lutté sans relâche pour assainir enfin des rapports que l’habitude ou la «tradition» avaient pervertis.
Certes, il n’était pas seul à mener ce combat, mais il se montrait peut-être plus sourcilleux que d’autres. Ce qui lui a valu quelquefois des inimitiés ou des animosités, et souvent des incompréhensions, y compris du côté français. Il maintenait cependant le cap, même quand il dut assurer la gestion des affaires du pays à l’époque difficile où la Côte d’Ivoire fut confrontée à une véritable guerre civile. La France avait d’ailleurs eu, à plusieurs reprises, à se féliciter de l’action de Paul-Antoine Bohoun-Bouabré, quand il s’était employé, par exemple, en 2004, à faire baisser la tension entre nos deux pays provoquée par la crise dite des «aéronefs», ou à jouer les messieurs bons offices auprès de hauts responsables politiques français.
Mais, comme il s’agit d’un souvenir personnel, j’aurai garde d’oublier la part qui fut la sienne au moment de la renégociation de la dette ivoirienne avec le FMI, car j’en fus le témoin direct. J’avais pu, en cette circonstance délicate, faciliter les contacts de Paul-Antoine avec le directeur général du Fonds, Dominique Strauss-Kahn. Au bout de ces démarches, la Côte d’Ivoire devint éligible au programme en faveur des pays pauvres très endettés. J’ai mesuré à cette occasion l’étendue de ses capacités, à la fois comme expert et comme diplomate.
Un homme, un père, un patriote intelligent et ouvert, tel était Paul-Antoine Bohoun Bouabré. La Côte d’Ivoire a perdu un homme d’Etat, la France, un ami, et nous un précieux compagnon des bons et des mauvais jours.
J’ai voulu par ce témoignage lui rendre, hélas de façon posthume, un peu de ce qu’il m’a apporté au fil de nos rencontres.
Pierre Weill
Fondateur et Ancien Président du Groupe TNS-SOFRES Paris ( France)