Songes et mensonges. C’est ainsi que l’on peut résumer la table-ronde que le Front populaire ivoirien a organisé samedi dernier à l’ancien quartier général de campagne de Laurent Gbagbo à la Riviera Attoban. Annoncé à grands battages médiatique, cette table-ronde qui est censée remplacer la « fête de la liberté » que célèbre l’ancien parti au pouvoir tous les 30 mars a été un vrai rendez-vous manqué. Quand l’on a parcouru les trois contributions, surtout celle lue par Séry Gbouagnon, l’actuel secrétaire national aux libertés et à la justice, il n’est pas excessif de dire que les compagnons de Laurent Gbagbo ont encore une fois raté une belle occasion de se taire. Dans sa contribution intitulée « L’état actuel des libertés citoyennes et de la démocratie en Côte d’Ivoire », le secrétaire national aux libertés et à la justice, parlant des libertés citoyennes sous Gbagbo écrit ceci : « L’issue des élections de 2000 a donné naissance à la deuxième République avec le président Laurent Gbagbo qui a entrepris des efforts de protection de l’exercice des libertés dont notamment : l’adoption de la loi instituant la dépénalisation des délits de presse est une avancée incontestable. En effet, le fait que les animateurs de la presse aient été soustraits aux peines privatives de liberté a favorisé l’expansion de la presse. Cette loi administre la preuve de la liberté d’expression, d’opinion d’une part et permet de rendre des activités des groupements et partis politiques, des syndicats et groupements sociaux sans ostracisme ». Mieux, il continue sur sa lancée en écrivant que : « Les marches et les meetings ne sont plus interdits ni réprimés. Les syndicats usent des moyens légaux à leur disposition pour défendre les intérêts des travailleurs y compris la grève sans que le ciel ne leur tombe sur la tête ». En d’autres termes, le secrétaire national aux libertés et à la justice au FPI dit que sous Laurent Gbagbo, on pouvait manifester et critiquer le régime sans rien risquer.
Marcher égale à se faire tuer
Ce qui est loin de la réalité. De mémoire d’Ivoirien, Laurent Gbagbo, de tous les présidents de la République qui se sont succédé à la tête de la Côte d’Ivoire, est celui qui a le plus muselé les libertés individuelles. Ecrire que sous le régime FPI, « les marches et les meetings ne sont plus interdits ni réprimés » est un gros mensonge. Dès sa prise de fonction, en tant que chef d’Etat, le chef de fil des frontistes s’est violemment opposé aux marches. Alors que dans l’opposition, il en a fait son sport favori.
Sous Laurent Gbagbo, manifester son mécontentement dans la rue, c’était signer son arrêt de mort. Le 26 octobre 2000, la marche des militants du RDR pour réclamer de nouvelles élections s’est soldée par le charnier de Yopougon. « L’armée fera son travail », avait lancé Laurent Gbagbo. La suite, on la connait. 57 corps retrouvés dans un terrain vague non loin de la prison civile d’Abidjan. En décembre 2000, la candidature du président Alassane Ouattara aux législatives est invalidée. Les militants du RDR exténués devant tant d’injustice et d’arbitraire, décident de manifester. La marche sur la RTI que les militants projettent est réprimée dans le sang. 302 personnes sont interpellées et conduites à l’école de police de Cocody. Beaucoup subissent des sévices corporels quand trois des six filles arrêtées sont violées. Interrogée sur la question, la Première dame d’alors, Mme Simone Gbagbo, rétorque ceci : « Elles ont un peu cherché ce qui leur est arrivé ». Selon le rapport de Human Right Watch, la répression a fait 85 morts. En mars 2004, l’opposition face à la non-application des accords de Linas Marcoussis, décide d’organiser une marche pacifique. Le 25 mars, jour de la marche, les militants et sympathisants de l’opposition n’ont pas le temps de sortir de chez eux qu’ils sont massacrés par les sbires du régime FPI. Bilan des massacres : 500 morts, selon les partis de l’opposition et 120 morts selon l’ONU qui a diligenté une équipe sur le terrain pour enquêter. A la suite de répression sauvage, Laurent Gbagbo prend un décret pour interdire les marches et autres manifestation de rue pour trois mois. Ce décret sera à plusieurs reprises prolongé. En février 2010, prétextant d’une fraude sur la liste électorale à la CEI, Laurent Gbagbo dissout à la fois la Commission électorale indépendante et le gouvernement. Cette double dissolution pousse les partis de l’opposition a organiser à travers le pays des marches de protestation. La plupart de ces marches sont systématiquement réprimées dans le sang. Au total, ce sont 13 personnes qui sont tuées par les Forces de défense et de sécurité au cours de ces manifestations. Que dire des manifestations d’étudiants et des marches contre la vie chère, toutes sauvagement réprimées. Ou encore, la marche du 16 décembre 2010 et les autres manifestations pacifiques contre le hold-up de Laurent Gbagbo pendant la crise postélectorale. Et cette liste, il faut le préciser, n’est pas exhaustive.
Liberté d’expression et de la presse
Pour ce qui concerne la liberté de la presse, certes sur Laurent Gbagbo, la dépénalisation des délits de presse empêchait le régime d’envoyer les journalistes d’aller en prison. Mais c’est sous Laurent Gbagbo qu’il y a eu les pires exactions sur les journalistes et les journaux de l’opposition. C’est sous le FPI que Jean Hellène a été froidement abattu près de la sureté nationale. C’est sous le FPI que Guy André Kieffer a été enlevé le 16 avril 2004 sur le parking du supermarché Prima. Aujourd’hui, malgré tous les efforts consentis pour le retrouver, il est toujours porté disparu. En outre, dès son accession au pouvoir, le régime FPI a tout de suite affiché son aversion pour la contradiction et la liberté d’expression. Le 16 octobre 2002, de jeunes miliciens à la solde du régime encadrés par des gendarmes font une descente musclée à la rédaction du journal « Le Patriote » et menacent les journalistes du « Nouveau Réveil ». Ces actes de vandalisme contraints les deux journaux de suspendre leur parution. Le 1er mars 2003, les membres d’une équipe de France 2, chaine de télévision française, sont molestés à la présidence de la République, alors qu’ils venaient couvrir une conférence de presse de Laurent Gbagbo. Ils sont menacés de mort par des hommes en uniforme au palais. Le 3 novembre 2004, en prélude de l’opération « Dignité », les radios internationales BBC, RFI, Africa n°1 voient leurs émissions sur la bande FM suspendues pendant que les « jeunes patriotes » déchirent les journaux de l’opposition tels que « Le Patriote », « 24 heures », « le Jour Plus », « Le Libéral Nouveau » et « Le Nouveau Réveil ». Le lendemain, jour du lancement de l’offensive militaire des FDS dans le centre et le nord de la Côte d’Ivoire, les rédactions de « Le Patriote » et « 24 heures » sont incendiés par des « jeunes patriotes » encadrés par des forces de l’ordre. « Le Libéral Nouveau » et « Le Nouveau Réveil » sont aussi victimes de casses. A cela, il faut ajouter les fréquentes convocations à la Brigade des recherches et à la DST dont on fait l’objet les journalistes proches de l’opposition.
Liberté syndicale
Pour ce qui est de la liberté syndicale, il suffit d’évoquer le cas de la FESCI pour voir combien de fois il était difficile d’exercer ce droit. Sous Laurent Gbagbo, la création d’un mouvement syndical en milieu estudiantin était perçue comme un acte de guerre. L’étudiant Habib Dodo a été assassiné parce qu’il projetait tout simplement de créer un autre syndicat d’étudiants. L’étudiante Nathalie Soro a été violée par des éléments de la FESCI pour avoir affiché son militantisme à l’AGEECI, un autre mouvement syndical estudiantin. Et tout cela en toute impunité. Quand aux autres syndicats forts comme le SYNESCI, le SYNACASCI et centrale comme la FESACI à défaut de les contrôler, le pouvoir FPI a suscité des dissidences en leur sein. Rien que pour les empêcher de revendiquer de meilleures conditions de vie et travail pour leurs membres qui était considéré, sous le régime Gbagbo, comme un danger pour le régime. Une des preuves de l’absence de liberté syndicale sous le régime FPI a été l’arrestation de Marius Comoé, secrétaire général du Mouvement des Instituteurs pour la Défense de leurs Droits (MIDD) et de trois autres de ses camarades le 12 avril 2006 par la police au groupe scolaire Amon d’Aby au Plateau sous autre du ministre de l’Education nationale d’alors, Amani N’Guessan. Il accusait ce mouvement qu’il considérait « illégal » de « subversion, violence et voies de fait, faux et usage de faux ». Ce mouvement avait lancé une grève qui avait paralysé plusieurs établissements du pays pour réclamer des primes de logement. S’étendre sur les violations des libertés individuelles et citoyennes au cours de la décennie de règne du FPI serait fastidieux et cet article ne suffirait pas. Tant le FPI, qui avait fait de ces valeurs son principal argument de conquête du pouvoir d’Etat, les a transformés à l’épreuve du terrain en moyens de répression pour faire taire toute contradiction à son pouvoir. Il était important de rappeler ces quelques exemples pour mettre à nu les intentions malhonnêtes d’un parti qui fait tout en ce moment pour se refaire une virginité politique ou se faire passer aux yeux de l’opinion pour la victime. Alors qu’il est en grande partie responsable du désastre qu’a connu la Côte d’Ivoire ces dix dernières années. Mais, c’est peine perdue pour les camarades de Laurent Gbagbo, car l’Histoire est un témoignage. Et comme le dit le Sage : « Malheur aux menteurs quand les contemporains sont encore du monde des vivants ».
Jean-Claude Coulibaly
Marcher égale à se faire tuer
Ce qui est loin de la réalité. De mémoire d’Ivoirien, Laurent Gbagbo, de tous les présidents de la République qui se sont succédé à la tête de la Côte d’Ivoire, est celui qui a le plus muselé les libertés individuelles. Ecrire que sous le régime FPI, « les marches et les meetings ne sont plus interdits ni réprimés » est un gros mensonge. Dès sa prise de fonction, en tant que chef d’Etat, le chef de fil des frontistes s’est violemment opposé aux marches. Alors que dans l’opposition, il en a fait son sport favori.
Sous Laurent Gbagbo, manifester son mécontentement dans la rue, c’était signer son arrêt de mort. Le 26 octobre 2000, la marche des militants du RDR pour réclamer de nouvelles élections s’est soldée par le charnier de Yopougon. « L’armée fera son travail », avait lancé Laurent Gbagbo. La suite, on la connait. 57 corps retrouvés dans un terrain vague non loin de la prison civile d’Abidjan. En décembre 2000, la candidature du président Alassane Ouattara aux législatives est invalidée. Les militants du RDR exténués devant tant d’injustice et d’arbitraire, décident de manifester. La marche sur la RTI que les militants projettent est réprimée dans le sang. 302 personnes sont interpellées et conduites à l’école de police de Cocody. Beaucoup subissent des sévices corporels quand trois des six filles arrêtées sont violées. Interrogée sur la question, la Première dame d’alors, Mme Simone Gbagbo, rétorque ceci : « Elles ont un peu cherché ce qui leur est arrivé ». Selon le rapport de Human Right Watch, la répression a fait 85 morts. En mars 2004, l’opposition face à la non-application des accords de Linas Marcoussis, décide d’organiser une marche pacifique. Le 25 mars, jour de la marche, les militants et sympathisants de l’opposition n’ont pas le temps de sortir de chez eux qu’ils sont massacrés par les sbires du régime FPI. Bilan des massacres : 500 morts, selon les partis de l’opposition et 120 morts selon l’ONU qui a diligenté une équipe sur le terrain pour enquêter. A la suite de répression sauvage, Laurent Gbagbo prend un décret pour interdire les marches et autres manifestation de rue pour trois mois. Ce décret sera à plusieurs reprises prolongé. En février 2010, prétextant d’une fraude sur la liste électorale à la CEI, Laurent Gbagbo dissout à la fois la Commission électorale indépendante et le gouvernement. Cette double dissolution pousse les partis de l’opposition a organiser à travers le pays des marches de protestation. La plupart de ces marches sont systématiquement réprimées dans le sang. Au total, ce sont 13 personnes qui sont tuées par les Forces de défense et de sécurité au cours de ces manifestations. Que dire des manifestations d’étudiants et des marches contre la vie chère, toutes sauvagement réprimées. Ou encore, la marche du 16 décembre 2010 et les autres manifestations pacifiques contre le hold-up de Laurent Gbagbo pendant la crise postélectorale. Et cette liste, il faut le préciser, n’est pas exhaustive.
Liberté d’expression et de la presse
Pour ce qui concerne la liberté de la presse, certes sur Laurent Gbagbo, la dépénalisation des délits de presse empêchait le régime d’envoyer les journalistes d’aller en prison. Mais c’est sous Laurent Gbagbo qu’il y a eu les pires exactions sur les journalistes et les journaux de l’opposition. C’est sous le FPI que Jean Hellène a été froidement abattu près de la sureté nationale. C’est sous le FPI que Guy André Kieffer a été enlevé le 16 avril 2004 sur le parking du supermarché Prima. Aujourd’hui, malgré tous les efforts consentis pour le retrouver, il est toujours porté disparu. En outre, dès son accession au pouvoir, le régime FPI a tout de suite affiché son aversion pour la contradiction et la liberté d’expression. Le 16 octobre 2002, de jeunes miliciens à la solde du régime encadrés par des gendarmes font une descente musclée à la rédaction du journal « Le Patriote » et menacent les journalistes du « Nouveau Réveil ». Ces actes de vandalisme contraints les deux journaux de suspendre leur parution. Le 1er mars 2003, les membres d’une équipe de France 2, chaine de télévision française, sont molestés à la présidence de la République, alors qu’ils venaient couvrir une conférence de presse de Laurent Gbagbo. Ils sont menacés de mort par des hommes en uniforme au palais. Le 3 novembre 2004, en prélude de l’opération « Dignité », les radios internationales BBC, RFI, Africa n°1 voient leurs émissions sur la bande FM suspendues pendant que les « jeunes patriotes » déchirent les journaux de l’opposition tels que « Le Patriote », « 24 heures », « le Jour Plus », « Le Libéral Nouveau » et « Le Nouveau Réveil ». Le lendemain, jour du lancement de l’offensive militaire des FDS dans le centre et le nord de la Côte d’Ivoire, les rédactions de « Le Patriote » et « 24 heures » sont incendiés par des « jeunes patriotes » encadrés par des forces de l’ordre. « Le Libéral Nouveau » et « Le Nouveau Réveil » sont aussi victimes de casses. A cela, il faut ajouter les fréquentes convocations à la Brigade des recherches et à la DST dont on fait l’objet les journalistes proches de l’opposition.
Liberté syndicale
Pour ce qui est de la liberté syndicale, il suffit d’évoquer le cas de la FESCI pour voir combien de fois il était difficile d’exercer ce droit. Sous Laurent Gbagbo, la création d’un mouvement syndical en milieu estudiantin était perçue comme un acte de guerre. L’étudiant Habib Dodo a été assassiné parce qu’il projetait tout simplement de créer un autre syndicat d’étudiants. L’étudiante Nathalie Soro a été violée par des éléments de la FESCI pour avoir affiché son militantisme à l’AGEECI, un autre mouvement syndical estudiantin. Et tout cela en toute impunité. Quand aux autres syndicats forts comme le SYNESCI, le SYNACASCI et centrale comme la FESACI à défaut de les contrôler, le pouvoir FPI a suscité des dissidences en leur sein. Rien que pour les empêcher de revendiquer de meilleures conditions de vie et travail pour leurs membres qui était considéré, sous le régime Gbagbo, comme un danger pour le régime. Une des preuves de l’absence de liberté syndicale sous le régime FPI a été l’arrestation de Marius Comoé, secrétaire général du Mouvement des Instituteurs pour la Défense de leurs Droits (MIDD) et de trois autres de ses camarades le 12 avril 2006 par la police au groupe scolaire Amon d’Aby au Plateau sous autre du ministre de l’Education nationale d’alors, Amani N’Guessan. Il accusait ce mouvement qu’il considérait « illégal » de « subversion, violence et voies de fait, faux et usage de faux ». Ce mouvement avait lancé une grève qui avait paralysé plusieurs établissements du pays pour réclamer des primes de logement. S’étendre sur les violations des libertés individuelles et citoyennes au cours de la décennie de règne du FPI serait fastidieux et cet article ne suffirait pas. Tant le FPI, qui avait fait de ces valeurs son principal argument de conquête du pouvoir d’Etat, les a transformés à l’épreuve du terrain en moyens de répression pour faire taire toute contradiction à son pouvoir. Il était important de rappeler ces quelques exemples pour mettre à nu les intentions malhonnêtes d’un parti qui fait tout en ce moment pour se refaire une virginité politique ou se faire passer aux yeux de l’opinion pour la victime. Alors qu’il est en grande partie responsable du désastre qu’a connu la Côte d’Ivoire ces dix dernières années. Mais, c’est peine perdue pour les camarades de Laurent Gbagbo, car l’Histoire est un témoignage. Et comme le dit le Sage : « Malheur aux menteurs quand les contemporains sont encore du monde des vivants ».
Jean-Claude Coulibaly