Sous l`apparente vie trépidante des rues d`Abidjan, les victimes des violences post-électorales continuent d`en subir, en silence, les séquelles. Un an après ces terribles événements. A Abobo Anonkoi Kouté, le temps ne semble pas avoir érodé les douleurs. En témoigne l`image de dame Django née Antoinette Tanoh, la soixantaine, qui éclate en sanglots alors qu`elle relate le drame vécu par les siens au plus fort du règne du commando invisible. Il est environ 10h ce samedi 16 mai. Dans la cour familiale, où elle reçoit une équipe du Réseau ivoirien des femmes pour la réconciliation (Rifr) conduite par sa présidente, Mme Diomandé Fatou Fadiga, elle revient sur ces moments douloureux. Et fond en larmes. Mme Boli, une membre du Rifr, la serre contre elle comme pour la consoler. Avant de céder elle aussi à l`émotion. Emouvante scène de deux victimes des violences post-électorales ! La douleur encore enfouie dans le cœur, dame Django n`a pas voulu prendre part à la cérémonie publique relative à la réconciliation, qui se tenait au centre culturel du village d`Anonkoi Kouté. Comme elle, bien des habitants, notamment les femmes, refusent d`effectuer le déplacement. « Nous ne voulons pas d`une réconciliation de façade ; nous ne voulons pas de one man show », lâche-t-elle, à son domicile, entourée de quelques membres de sa famille. La présidente du Rifr se félicite de cette réaction qu`elle trouve sincère. Elle est ainsi confortée dans son choix de privilégier une sensibilisation de proximité, qui consiste à aller de domicile à domicile échanger avec les victimes de la guerre. C`est une Mme Django encore marquée par ces événements qui s`ouvre à ses hôtes. Cheveux blanchis, lunettes au visage et vêtue d`un ensemble pagne, son ton monte à mesure qu`elle remonte le temps. « Je sors rarement de cette cour parce que dès que je mets les pieds dehors, j`entends les cris, je revois les flammes », raconte-elle, montrant du doigt les ruines de la chambre de son petit frère, dont la femme a été brûlée vive. Il n`en reste que les murs et des morceaux de pagne jonchant le plancher. « Nous sommes 20 à dormir dans 6 chambres. J`ai travaillé pendant 31 ans et aujourd`hui, je dors au salon », dit-elle, écœurée.
Mme Django, du nom de son époux, raconte que le village a perdu 7 personnes, dont 2 femmes brûlées vives et 22 disparus. Elle s`offusque qu`aucune autorité ne soit venue les soutenir quand le village enterrait ses morts le 25 septembre 2011 : « Pourtant, l`Etat a enterré en grande pompe les 7 femmes tuées à Abobo. Donc les morts d`Anonkoi ne sont pas des morts ? ». Tout en parlant, elle interpelle rageusement Mme Diomandé, par ailleurs conseillère de Charles Konan Banny à la Commission dialogue, vérité et réconciliation (Cdvr). « Je n`ai pas de haine, c`est ma douleur que j`exprime . Evitons une réconciliation de façade qui va entraîner d`autres choses », lâche-t-elle, avant d`ajouter que, pour une réconciliation sincère, il faut que Burkinabé, Malien, Nigérien, Guinéen, l`Onuci, la Licorne, y soient tous associés. Touchée par le témoignage de dame Django, Mme Boli cherche les mots pour l`exhorter à tourner la page. Elle recourt à son propre vécu durant les moments de braise : « Je suis bété, ma fille a disparu quand la guerre a éclaté en 2002, une autre a été violée. Pourtant, je suis ici pour vous parler de réconciliation. Le pays a besoin de toutes ses filles et tous ses fils. Nous n`avons pas d`autre choix ». Pour sa part Mme Diomandé s`est adressée à dame Django en ces termes : « Le président Banny met les victimes au cœur du processus de réconciliation, c`est pourquoi quand j`ai été informée du mécontentement de certaines femmes, qui n`ont pas souhaité s`associer à la cérémonie, je me suis déplacée vers vous. Chacun de nous est responsable de ce qui est arrivé à la Côte d`Ivoire, c`est pourquoi nous devons tous participer à la remettre à l`endroit. Je vous invite donc à nous rejoindre dans la salle ». Il est un peu plus de 11h quand tout le monde se retrouve dans la salle du centre culturel. Là, dame Django revient à la charge : « Vous, vous mangez à votre faim », apostrophe-t-elle la table de séance où se tenait l`ex-ministre Odette Kouamé, membre du bureau central de la Cdvr. Vos enfants sont en Europe, ils étudient dans les universités prestigieuses et vous venez nous parler de réconciliation ».
YOPOUGON KOWEIT VIT DANS LA HANTISE
Elle arrache les applaudissements de la salle. Un autre intervenant, du nom de Tono Kodia Eubêbe. Ce dernier ne cache pas sa douleur : « Le village est meurtri, défiguré. Mais quand vous passez, vous ne vous en rendez pas compte. Mais, entrez dans les cours et vous verrez que c`est la catastrophe ». Puis lui aussi s`insurge contre les cérémonies festives sur la place publique sur fond de réconciliation. « Ta femme est morte, ta femme a été brûlée et on te dit de venir danser ? », déplore Tono Kodia, dont l`intervention est également vivement saluée. La commissaire Odette Kouamé, elle aussi, se félicite de la richesse et de la sincérité de son témoignage. Avant que l`équipe se retire d`Anonkoi Kouté, le chef du village, Antoine Dogoua Akéo, interpelle les émissaires de Banny : « Votre méthode basée sur la thérapie de la parole vous a permis de cerner la profondeur du drame que nous avons vécu. Pensez aussi à la réparation qui va de pair avec la thérapie de la parole. Ma mission, c`est d`amener tout le monde au pardon, pas à l`oubli ». Quand la caravane quitte le village pour Yopougon Koweit, elle laisse des populations encore hantées par les atrocités subies et qui attendent réparation. Dans le sous-quartier de Yopougon Koweit, où nous arrivons aux alentours de 15h30 après un détour par Abobo Sagbé, le décor n`est pas non plus à la joie. Certes, il n`y aura pas de larmes versées, mais toujours cette douleur sourdee et qui est trahie par l`expression du visage. A Sikasso, une bourgade perdue dans le fin fond de Koweit, les habitants se relèvent péniblement des horreurs des violences post-électorales. Ici la vie reprend ses droits : les enfants s`amusent, vont chercher de l`eau à la fontaine publique.
Derrière ce rideau, remonte les souvenirs douloureux des heures chaudes de la guerre, dès qu`on évoque ces moments avec les habitants. L`un deux raconte que deux sages du village ont été froidement abattus par des miliciens le 9 avril. On nous montre une photo de restes d`ossements humains. « C`est ce qui est resté de leurs corps quand nous sommes revenus au village après avoir pris la fuite », témoigne un habitant tout en montrant du doigt la tombe où ont été enterrés ces restes des vieux Taoré Adama et son ami Diallo Aboulaye. Malgré ce drame, la fille de Traoré Adama, Traoré Niéré Fatoumata, se dit prête à pardonner. « Il faut se réconcilier pour ne pas retomber dans les mêmes choses. Plus jamais ça ! », répond-elle à Mme Diomandé, qui l`exhorte à s`engager dans la réconciliation. Les autres habitants invitent inlassablement les visiteurs à constater de visu le dénuement dans lequel ils sont réduits à vivre après que leurs maisons ont été dévastées. « On est prêts pour la réconciliation, mais il faut qu`on fasse quelque chose pour nous, car on a tout perdu », crient-ils en chœur.
Assane NIADA
Mme Django, du nom de son époux, raconte que le village a perdu 7 personnes, dont 2 femmes brûlées vives et 22 disparus. Elle s`offusque qu`aucune autorité ne soit venue les soutenir quand le village enterrait ses morts le 25 septembre 2011 : « Pourtant, l`Etat a enterré en grande pompe les 7 femmes tuées à Abobo. Donc les morts d`Anonkoi ne sont pas des morts ? ». Tout en parlant, elle interpelle rageusement Mme Diomandé, par ailleurs conseillère de Charles Konan Banny à la Commission dialogue, vérité et réconciliation (Cdvr). « Je n`ai pas de haine, c`est ma douleur que j`exprime . Evitons une réconciliation de façade qui va entraîner d`autres choses », lâche-t-elle, avant d`ajouter que, pour une réconciliation sincère, il faut que Burkinabé, Malien, Nigérien, Guinéen, l`Onuci, la Licorne, y soient tous associés. Touchée par le témoignage de dame Django, Mme Boli cherche les mots pour l`exhorter à tourner la page. Elle recourt à son propre vécu durant les moments de braise : « Je suis bété, ma fille a disparu quand la guerre a éclaté en 2002, une autre a été violée. Pourtant, je suis ici pour vous parler de réconciliation. Le pays a besoin de toutes ses filles et tous ses fils. Nous n`avons pas d`autre choix ». Pour sa part Mme Diomandé s`est adressée à dame Django en ces termes : « Le président Banny met les victimes au cœur du processus de réconciliation, c`est pourquoi quand j`ai été informée du mécontentement de certaines femmes, qui n`ont pas souhaité s`associer à la cérémonie, je me suis déplacée vers vous. Chacun de nous est responsable de ce qui est arrivé à la Côte d`Ivoire, c`est pourquoi nous devons tous participer à la remettre à l`endroit. Je vous invite donc à nous rejoindre dans la salle ». Il est un peu plus de 11h quand tout le monde se retrouve dans la salle du centre culturel. Là, dame Django revient à la charge : « Vous, vous mangez à votre faim », apostrophe-t-elle la table de séance où se tenait l`ex-ministre Odette Kouamé, membre du bureau central de la Cdvr. Vos enfants sont en Europe, ils étudient dans les universités prestigieuses et vous venez nous parler de réconciliation ».
YOPOUGON KOWEIT VIT DANS LA HANTISE
Elle arrache les applaudissements de la salle. Un autre intervenant, du nom de Tono Kodia Eubêbe. Ce dernier ne cache pas sa douleur : « Le village est meurtri, défiguré. Mais quand vous passez, vous ne vous en rendez pas compte. Mais, entrez dans les cours et vous verrez que c`est la catastrophe ». Puis lui aussi s`insurge contre les cérémonies festives sur la place publique sur fond de réconciliation. « Ta femme est morte, ta femme a été brûlée et on te dit de venir danser ? », déplore Tono Kodia, dont l`intervention est également vivement saluée. La commissaire Odette Kouamé, elle aussi, se félicite de la richesse et de la sincérité de son témoignage. Avant que l`équipe se retire d`Anonkoi Kouté, le chef du village, Antoine Dogoua Akéo, interpelle les émissaires de Banny : « Votre méthode basée sur la thérapie de la parole vous a permis de cerner la profondeur du drame que nous avons vécu. Pensez aussi à la réparation qui va de pair avec la thérapie de la parole. Ma mission, c`est d`amener tout le monde au pardon, pas à l`oubli ». Quand la caravane quitte le village pour Yopougon Koweit, elle laisse des populations encore hantées par les atrocités subies et qui attendent réparation. Dans le sous-quartier de Yopougon Koweit, où nous arrivons aux alentours de 15h30 après un détour par Abobo Sagbé, le décor n`est pas non plus à la joie. Certes, il n`y aura pas de larmes versées, mais toujours cette douleur sourdee et qui est trahie par l`expression du visage. A Sikasso, une bourgade perdue dans le fin fond de Koweit, les habitants se relèvent péniblement des horreurs des violences post-électorales. Ici la vie reprend ses droits : les enfants s`amusent, vont chercher de l`eau à la fontaine publique.
Derrière ce rideau, remonte les souvenirs douloureux des heures chaudes de la guerre, dès qu`on évoque ces moments avec les habitants. L`un deux raconte que deux sages du village ont été froidement abattus par des miliciens le 9 avril. On nous montre une photo de restes d`ossements humains. « C`est ce qui est resté de leurs corps quand nous sommes revenus au village après avoir pris la fuite », témoigne un habitant tout en montrant du doigt la tombe où ont été enterrés ces restes des vieux Taoré Adama et son ami Diallo Aboulaye. Malgré ce drame, la fille de Traoré Adama, Traoré Niéré Fatoumata, se dit prête à pardonner. « Il faut se réconcilier pour ne pas retomber dans les mêmes choses. Plus jamais ça ! », répond-elle à Mme Diomandé, qui l`exhorte à s`engager dans la réconciliation. Les autres habitants invitent inlassablement les visiteurs à constater de visu le dénuement dans lequel ils sont réduits à vivre après que leurs maisons ont été dévastées. « On est prêts pour la réconciliation, mais il faut qu`on fasse quelque chose pour nous, car on a tout perdu », crient-ils en chœur.
Assane NIADA