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Art et Culture Publié le mercredi 6 juin 2012 | Le Patriote

Interview / Rose-Marie Guiraud (chorégraphe) “Allons-y à la réconciliation quels que soient nos problèmes”

© Le Patriote Par Assoumou
Reconciliation nationale par l`art: Rose Marie Guiraud anime sa première conférence de presse
Vendredi 27 avril 2012. Abidjan. Ecole de danse et d`échanges culturels (EDEC), Cocody Riviera 3. A peine rentré d`un long exil américain, la prêtresse de la danse et de la chorégraphie ivoiriennes, Marie Rose Guiraud a affronté les questions de la presse nationale
C’est une icône de la danse en Côte d’Ivoire. Rose-Marie Guiraud, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, est rentrée au pays, après 14 années passées aux Etats-Unis. Dans cet entretien, elle donne les raisons de ce come-back, dévoile ses projets pour l’EDEC (Ecole de Danse et d’Echanges Culturels) et insiste sur la nécessité pour les Ivoiriens de se donner la main pour reconstruire la Côte d’Ivoire. Elle n’occulte surtout pas les rumeurs, relatives à son départ du pays en 1998.


Le Patriote : Vous venez de regagner la Côte d’Ivoire après un long séjour aux Etats-Unis. Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez franchi le portail de l’EDEC ?
Rose-Marie Guiraud : Ce que j’ai ressenti, c’est la satisfaction d’être chez soi. La joie de retrouver mes enfants que j’avais laissés ici. Je n’ai pas senti cette émotion seulement en franchissant le portail de mon école. Déjà, depuis l’aéroport, dès ma descente de l’avion, j’ai senti la joie et la paix m’envahir. Et toute ma crainte relative à ce qui s’est passé dans le pays, a aussitôt disparu. Et c’est cette joie que je porte aujourd’hui.



L.P. : Comment se sont passées les retrouvailles avec vos enfants ?
RMG : C’était très dur. Il y avait beaucoup d’émotion. Ils ont vécu la guerre loin de leur maman. Dieu merci aucun d’eux n’a perdu la vie ni pris les armes. Cette crise a mis à l’épreuve mes enfants. Ils ont grandi et gagné en maturité. C’est donc avec fierté que je les ai retrouvés. Et j’ai ressenti tout ce qu’une mère peut ressentir pour ses enfants. Et, il y a eu des larmes, c’était émouvant.



L.P : Avec le recul, n’avez-vous pas le sentiment de les avoir quelque peu abandonnés ?
RMG : Non, pas du tout. Je suis allée aux Etats-Unis pour me soigner. Et même étant là-bas, j’étais en contact permanent avec eux ici. Et quand le pays traversait une situation difficile, je leur envoyais de temps en temps de l’argent pour qu’ils se nourrissent et surtout pour ne pas qu’ils prennent des armes pour manger. Ces enfants sont ceux de la Côte d’Ivoire. Ils sont aussi obligés de rester dans l’école parce que c’est de là qu’on vient les chercher pour aller honorer des contrats ailleurs, parfois hors de la Côte d’Ivoire. Ils ne sont donc pas à l’école pour m’attendre uniquement. D’ailleurs, tous ceux qui ont obtenus des contrats sont partis. Malheureusement, quand ils partent, c’est là qu’ils ont des parents. Et moi, je suis oubliée. Les enfants que j’ai élevés ici, valent plus de mille. Beaucoup d’entre eux sont toujours en contact même s’ils sont éparpillés dans le monde. S’ils avaient pensé pendant la crise à envoyer un peu d’argent à leurs frères restés ici à l’école, on n’aurait même pas pensé à moi. Je ne peux pas tout faire seule. J’espère que cette crise va permettre à certains d’entre eux de comprendre que ce n’est pas un sac de riz qu’il faut envoyer à leurs frères, mais plutôt les moyens pour qu’ils payent l’eau et l’électricité, leurs costumes afin de pouvoir suivre leurs traces.



L.P. : Vous avez tantôt dit être allée aux Etats Unis pour vous soigner. Mais, ici, d’aucuns ont pensé que vous aviez plutôt fui vos créanciers, à qui vous deviez beaucoup d’argent…
RMG : Je n’ai pas de réponse à donner à ces personnes qui disent ces choses-là. Leur intention est de me nuire. Et certains le font parce qu’ils pensent être en concurrence avec moi alors que je ne suis en concurrence avec personne. Quand tu va dans ton champ pour faire de la culture vivrière, tu ne penses pas à ton voisin. Tu penses plutôt à ce que tu va manger avec tes enfants. Je ne vais contre personne. Je me bats plutôt contre la faim, la prostitution des jeunes, bref contre tout ce qui peut être négatif dans mon pays. Je ne me préoccupe pas de ce que les gens disent. Vous savez en Côte d’Ivoire, il y a des gens qui ont tué, mais, ils sont revenus. Pourquoi voulez vous que je reste quelque part parce que je dois à quelqu’un ? Non. Tout ce qui se raconte est faux. Je suis allée aux Etats-Unis parce que j’étais malade. Je ne me vois pas moi fille de ce pays partir à l’étranger parce que je dois à quelqu’un ? Ecoutez soignons réaliste. J’ai ma villa au II Plateaux, mon école à la Riviera III Pensez vous que si j’étais vraiment endettée, je ne pouvais pas vendre quelque chose pour rembourser ceux à qui je dois ? Les gens voulaient me nuire.


L.P. : De quoi souffriez-vous ?
RMG : Le Lupus. C’est une maladie qui a été découverte par les Canadiens. Elle est très rare. Sa particularité est qu’elle utilise tes propres défenses immunitaires pour t’attaquer. Je vous rappelle que je souffre déjà de l’arthrose et du rhumatisme depuis l’enfance. Et cela s’est répercuté avec l’âge sur mon corps. Avec cette maladie, il arrivait par moment que mes genoux enflent. Du coup, je ne pouvais pas marcher. J’avoue que c’est dur à vivre.


L.P. : Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
RMG : Dieu merci, je vais mieux. Depuis que je suis rentrée au pays, ça va de plus en plus mieux. Mais, je dois faire beaucoup attention. Je ne dois pas longtemps rester au soleil sinon je tombe malade. Je peux être bloquée n’importe où ? Cela dit, il y a certaines choses que je ne peux pas faire comme par exemple me pommader toute seule. Surtout quand je dois passer la pommade sur mon dos. Et c’est mon mari qui m’aide à le faire. Cela veut dire que le lupus n’est pas du jeu. Je suis vraiment malade.


L.P. : Est-ce à dire que vous ne pourrez plus danser ?
RMG : Oh ! Non. Je suis obligée de danser. Je dois le faire pour me maintenir. Sans la danse je m’ankylose absolument. La danse fait partie de ma thérapie.


L.P. : Maintenant que vous êtes au pays, quels sont vos projets imminents ?
RMG : Dans l’immédiat, je souhaite la réhabilitation de l’EDEC.


L.P : Combien cela va-t-il coûter?
RMG : Pour l’instant, je ne peux pas avancer de chiffres de peur de me tromper. Nous sommes en train de faire l’évaluation. Elle n’est pas encore finie. Je ne peux donc pas vous donner de montant. Sinon je pense que la réhabilitation de l’EDEC ne sera pas coûteuse, comme serait celle de mon logement à Cocody- Les deux Plateaux. Néanmoins, l’EDEC a besoin d’être retouchée. Il nous faut par exemple un petit théâtre, une sorte de dôme qui peut contenir entre 1000 et 1500 personnes. Ensuite, je m’attaquerai à mon festival qui va se dérouler à l’Ouest de la Côte d’Ivoire précisément à Kouibly.


L.P : C’est pour quand ?
RMG : Nous n’avons pas encore fixé de date. Mais, j’espère qu’elle va se tenir cette année, vers la fin de 2012. Quand la pluie aura cessé. Nous allons informer les autorités en premier lieu le Président Alassane Ouattara qui m’a demandée de rentrer au pays afin d’apporter ma contribution à la reconstruction du pays.


L.P. : A propos, comment comptez-vous oeuvrer pour la réconciliation des Ivoiriens ?
RMG : On dit que l’art adoucit les m?urs. Et nous artistes, notre manière d’adoucir les m?urs, c’est d’utiliser la danse traditionnelle pour apaiser les c?urs de nos parents. Je ne viens pas en vedette, mais pour apporter quelque chose. Les gens, qui pleurent à l’Ouest, ne connaissent pas le vedettariat. Ils connaissent leur douleur. Ce que nous voulons faire c’est de les amener à effacer cette douleur. Nous voulons tenir leurs mains et leur faire comprendre que nous croyons en eux. C’est de ça qu’ils ont besoin.


L.P : Qu’avez-vous à dire aux Ivoiriens qui ne croient pas à la réconciliation ?
RMG : Nous savons ce que nous disons, et ce que nous souhaitons. Je suis sûre que quelque part mêmes ceux qui disent qu’ils ne croient pas à la réconciliation, veulent la paix pour la Côte d’Ivoire. Je ne pense pas qu’ils veuillent revivre encore ce qu’ils ont vécu. Au plus profond de lui-même, chacun de nous veut la liberté, veut que ses enfants aillent tranquillement à l’école et réussissent. Les guerres, il y en a eu partout dans le monde entier. Ce n’est pas chez nous seulement qu’elle a eu lieu. Si nous n’apprenons pas à nous pardonner et à vivre ensemble, c’est que nous sommes véritablement perdus. Les Ivoiriens doivent se réconcilier. C’est en se réconciliant que le perdant d’hier peut être le gagnant d’aujourd’hui. C’est en se réconciliant que deux personnes qui ne se comprenaient pas, vont se comprendre. La réconciliation est indispensable. Le chef de l’Etat a appelé avec humilité tous les Ivoiriens à la réconciliation. Nous devons tous y aller sans hésiter. Nous devons saisir cette main tendue pour nous réconcilier. Et panser nos plaies. Allons-y à la réconciliation quels que soient nos problèmes. Réglons-les ensemble. Et la Côte d’Ivoire repartira de bon pied. Il y va de notre bonheur à tous.


L.P. Est-ce un retour définitif au pays ?
RMG : Oui. Mais, je serais amené à voyager souvent. Pour des raisons de santé. Car, je souffre d’une maladie chronique. Elle ne guérit pas complètement. Mais, avec la chaleur et l’amour que tout le monde m’a apportés, j’oublie souvent ma maladie.

Réalisée par Y. Sangaré
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