A travers cette interview, Mohamed Sylla dit son inquiétude ainsi que celle de son parti sur les atteintes à la loi fondamentale de la Côte d’Ivoire par le régime en place. A LIDER on se plaint de ce que le Président Alassane Ouattara violerait constamment la Constitution ivoirienne. Sur quoi reposent vos récriminations ? Pour répondre à votre question il faut tout de suite se dire que la première année de la gouvernance du président Ouattara est marquée par une succession impressionnante de violation de la Constitution. On a l’impression que pour le Président Ouattara, la constitution est une liste de suggestions vis-à-vis desquelles il n’a aucune obligation. Je vous donne quelques exemples. Tout d’abord sur la question de l’unité nationale. L’article 34 de la Constitution dispose que : « le Président de la République est le Chef de l`Etat. Il incarne l`unité nationale ». Mais ce qu’il nous a été donné de voir est qu’à la place de l’unité nationale le président Ouattara prône plutôt le « rattrapage » ethnique dans tous les compartiments de l’administration estimant que les populations du Nord avaient été discriminées sous le mandat de son prédécesseur. A l’heure où la Côte d’Ivoire sort d’une crise qui l’a plus que jamais divisée, l’idéologie du rattrapage ethnique achève d’approfondir la déchirure. C’est très grave. Les dernières réactions du PDCI appelant à « une gestion participative et inclusive des affaires de la nation » nous confortent dans cette position. Ensuite, sur la question des libertés et de la justice, il y a également un problème. En effet la Constitution ivoirienne en son article 22 dispose que ‘’nul ne peut être arbitrairement détenu. Tout prévenu est présumé innocent jusqu`à ce que sa culpabilité ait été établie à la suite d`une procédure lui offrant les garanties indispensables à sa défense ‘’. Dans la réalité c’est tout le contraire. Depuis Avril 2011, de nombreuses arrestations de personnalités politiques de l’opposition, de l’armée et de la société civile ont eu cours en dehors de toutes procédures légales. Ils ont tous été déclarés coupables avant même d’être jugés et ont été déportés à l’intérieur de leur pays ou dans les maisons d’arrêt à Abidjan. Où est donc l’Etat de droit proclamé quotidiennement alors que des citoyens ivoiriens sont détenus illégalement sans jugement ? Le cas des Institutions de la République est aussi très édifiant. Quel constat faites-vous, justement, à ce niveau ? Le constat sur ce point est que toutes les institutions sans exceptions ont été bafouées. Par exemple, la Constitution n’autorise pas le chef de l’Etat à décréter la fin du mandat du Parlement. C’est ce que le président a fait dès son accession au pouvoir. La dissolution de fait de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire est totalement illégale. Dans le même sens, le Conseil Constitutionnel a été réorganisé par la seule volonté du Président en violation de la constitution. En effet, alors que le mandat de l’ancien président de cette institution qui, au demeurant est celui qui a investi Alassane Ouattara, n’avait pas encore expiré, un nouveau président de l’Institution a été nommé pour 3 ans alors que les textes prévoient un mandat de 6 ans. Le comble c’est que cette réorganisation a été faite sans respecter le quota de nominations qui revient au Président de l’Assemblée Nationale comme le stipule l’article 89 de la Constitution. Cette pratique est reconduite au Conseil Economique et Social. Alors que la loi prévoit que les membres du Conseil Economique et Social sont nommés, et qu’ensuite ceux-ci élisent un Président, le Président de la République a pris une ordonnance pour nommer le Président du Conseil Economique et Social, ce qui est une première dans notre pays. Comme vous le voyez aucune institution n’a échappé à la déferlante anticonstitutionnelle du Président Ouattara. L’exemple le plus récent est la quasi nomination de Guillaume Soro au perchoir de l’Assemblée Nationale alors que celui-ci n’avait pas l’âge requis selon les dispositions constitutionnelles. Enfin, vous remarquerez que ces violations ont été faites, pour beaucoup, par ordonnances. Ce qui est encore une violation de la constitution puisque selon la loi constitutionnelle, la prise des ordonnances est soumise à l’autorisation de l’Assemblée nationale. Or depuis un an, le Président a fait des ordonnances, le mode principal de gouvernance sans jamais recourir au Parlement ni au Conseil Constitutionnel. Tout est illégal, des nominations des présidents des institutions, l’adoption du budget 2011, la dissolution des communes au nouveau code des télécommunications. Même l’ordonnance de création de la CDVR n’y échappe pas. Le constat est clair, la République est fortement abîmée en seulement un an de gestion du Président Ouattara. Le regard de LIDER sur le fonctionnement de la justice ivoirienne… Dans un Etat de droit, le rôle de l’Etat est de maintenir les balances de la justice égales pour tous. Il faut se demander alors si la Côte d’Ivoire est un Etat de droit. Rien n’est moins sûr. En réalité, l’Etat n’existe quasiment pas au sens d’une entité politique qui impulse l’action et ayant la parfaite maîtrise des affaires. La conséquence est nette : lorsque les lois ne règnent pas, ce sont les hommes qui règnent. Et quand les hommes règnent, c’est la porte ouverte à toutes les dérives autocratiques. Il y a là matière à s’inquiéter parce qu’à ce jour aucune personnalité du camp du Président n’a été interpellée alors que plusieurs rapports d’organisations internationales désignent plusieurs d’entre eux comme étant responsables des crimes de guerre. Le gouvernement a beau tenter d’expliquer qu’il faut laisser la justice faire son travail mais cet argument ne résiste pas longtemps surtout quand on voit la célérité avec laquelle le cas des opposants à Ouattara a été traité. La vérité est que la justice des vainqueurs est la norme puisque les amis et proches du régime ne sont pas inquiétés. Selon le rapport de l’année 2011 d’Amnesty International, des crimes de guerres et crimes contre l’humanité ont été commis tant par les milices et les mercenaires libériens n à la solde de l’ancien régime, que par les FRCI et des Dozos fidèles à l’actuel Président. Même après la fin de la crise les exactions commises par les FRCI continuent de s’accumuler. Au lieu de protéger nos frontières ou d’assurer la sécurité des biens et des personnes, elles sont plutôt devenues un facteur de peur et de mort pour les populations, sans que le pouvoir ne semble désireux ou capable d’y mettre fin. Les populations de Vavoua, Sikensi, Arrah, Kotobi, Azaguié, Katiola, Bouaké, Tai etc… peuvent en témoigner. Le Président Ouattara affirme que tous les auteurs de crimes seront égaux devant la loi pourtant la vérité est différente. La justice ivoirienne qui n’était pas compétente jusque-là, l’est subitement devenue dès lors que les proches de M. Ouattara ont été mis en cause. A un moment, il faudra que des proches du chef de l’Etat ayant commis des crimes soient arrêtés et jugés. Il en va de la crédibilité de la justice nationale et internationale. Il n’est pas normal que l’ex-Président soit le seul à être à la Haye. Que dites-vous de la première année de gouvernance du président Ouattara ? Un an après l’accession de Ouattara au pouvoir le moins que l’on puisse dire est que la démocratie ivoirienne n’est pas en grande forme. Depuis un an le président Ouattara a, au nom de ses solutions, bousculé les institutions. Au sein de l’Etat, les rapports entre le pouvoir exécutif, le Parlement et l’autorité judiciaire ont été dénaturés, avec une concentration extrême des pouvoirs au Palais Présidentiel. Avancée démocratique notable, le frère du Président lui-même est à la tête d’un obscur ministère des affaires dites présidentielles et cumule ces fonctions avec celles de trésorier du RDR et de trésorier de la Présidence. Désormais, les affaires de la République se gèrent en famille, chez les Ouattara. En réalité tout va mal contrairement à ce que l’on veut nous faire croire. Au niveau de la qualité de la vie et du pouvoir d’achat, de l’accès à la santé, de l’éducation, de la sécurité, de l’emploi, de la maîtrise de l’endettement, de la croissance négative de notre économie, l’augmentation prochaine du carburant et de l’électricité, absolument tous les indicateurs sont en berne. Les Ivoiriens ne voient pas encore les solutions annoncées du Président. Les Ivoiriens n’ont certainement jamais été aussi inquiets pour leur avenir. Les solutions du Président ne sont-elles pas devenues des problèmes ? Cette question taraude les Ivoiriens. Votre commentaire sur la dernière sortie du ministre Hamed Bakayoko qui a brandi les preuves de la déstabilisation du régime ? Les révélations de Hamed Bakayoko et en général la situation délétère que nous vivons depuis quelques jours ressemblent, à quelques détails près, à du déjà vu entre 2001 et septembre 2002. Je pense qu’il faut sortir de la logique de la belligérance et de la violence politiques. L`université est fermée et bientôt de nouveaux bacheliers vont rejoindre les générations précédentes pour lesquelles les études se sont arrêtées au Bac. Des milliers d`enfants n`ont pas pu passer les examens de fin d`année par manque d`extraits de naissance, des colonies entières d`immigrants illégaux viennent occuper des forêts classées dans l`ouest du pays, le coût de la vie est devenu insupportable. Telles devraient être nos priorités. Il faut s’attaquer aux vraies questions qui rassemblent et intéressent les Ivoiriens. Au lieu de concentrer nos énergies dans la destruction de l’autre, nous devons plutôt les diriger vers la résolution des problèmes de nos compatriotes. Il faut que le pouvoir s’active pour réconcilier les Ivoiriens car c’est main dans la main que les Ivoiriens pourront reconstruire leur pays. Entretien réalisé par Valery Foungbé
Politique Publié le lundi 18 juin 2012 | Trait d’Union
Politique nationale/Mohamed Sylla (LIDER), Délégué National aux Réformes Institutionnelles: «Les solutions de Ouattara sont devenues des problèmes»
© Trait d’Union Par DRTroisième pont d`Abidjan : Les travaux du pont en cours d`exécution
Vendredi 18 mai 2012. Abidjan