Extirpés de leur domicile pour certains, surpris pour d’autres dans la rue et abattus pendant les heures chaudes de la crise post électorale par des miliciens et mercenaires proches de l’ancien régime, de nombreux citoyens ont été enterrés dans les quartiers. Pour la simple raison qu’il était impossible, en raison de la grande insécurité qui régnait dehors, de se rendre dans un cimetière pour un enterrement. Plus d’un an après ces moments tragiques, la quasi-totalité de ces corps continuent de reposer loin des nécropoles, toujours aux côtés des siens.
Attécoubé 3, Mossikro. Dimanche 5 août. Il est 16 heures passé de quelques minutes, lorsque nous faisons notre entrée dans la concession où habite Maman Traoré, la cinquantaine. Elle nous accueille le sourire aux lèvres et nous invite à nous asseoir. Au cours des civilités, l’hôte fait des bénédictions à n’en point finir. Mais lorsque nous l’interrogeons sur les circonstances de la mort de son époux, sa mine se déforme et elle fond en larmes. « Il venait de Yopougon ‘’camp militaire’’ lorsqu’il a été abattu par les miliciens. Quand j’ai appris que son corps gisait dans le sang, j’ai pris mon courage à deux mains et avec nos deux enfants, je suis allé chercher le corps dans une brouette », raconte-t-elle tristement avant de montrer du doigt la tombe de son défunt époux, située à une cinquantaine de mètres seulement de la véranda de la bâtisse où elle loge. Un monticule rectangulaire de quelques centimètres de haut rempli de granite. A la question de savoir pourquoi le défunt a été enterré à cet endroit, elle explique que pendant les moments chauds, vu qu’il était impossible de se rendre dans un cimetière pour effectuer un enterrement, les habitants du quartier ont procédé à l’inhumation à cet endroit, à sa demande. Et depuis lors, c’est là que repose Koumaré Ibrahim, son malheureux époux. Comme lui, de nombreuses personnes abattues au moment de la crise postélectorale par les mercenaires et miliciens, ont été enterrées au milieu des habitations. Dans des fosses communes ou dans des tombes individuelles. « En plus des victimes extirpées de chez elles et abattues, beaucoup sont tombés au niveau des barrages qui avaient été dressés, on s’en souvient, partout dans les quartiers, à l’appel des autorités d’alors. Et comme on ne pouvait pas aller au cimetière, les gens se débrouillaient comme ils pouvaient pour enterrer leurs proches, en plein quartiers», relate Abdramane Traoré, responsable local de la section du Collectif des victimes en Côte d’Ivoire (CVCI) à Mossikro.
Une proximité qui gêne
A Doukouré Antenne, un sous-quartier de Yopougon, où nous nous sommes rendus après, une fosse commune se trouvant sur un air de jeu, jouxte les domiciles à quelques encablures de la grande mosquée du quartier. Fofana Vassindou, témoin oculaire ayant participé au creusement de la fosse puis à l’ensevelissement des corps, précise que la tombe de fortune, à peine de 3 mètres de longueur sur 1,5 m de profondeur, abrite 27 corps au total. Pour lui, il est inadmissible que ces dépouilles soient encore à ce jour dans le quartier. « Qu’on enlève ces corps, parce que c’est choquant et révoltant de voir ça», s’indigne-t-il. Le vieux Djiré Noko Oumar, amputé d’un pied, les béquilles en main, conte tristement que son fils Abdoulaye Djiré, abattu à bout portant sous ses yeux, fait partie des 27 corps enterrés dans cette fosse commune. Il souligne que la présence de cette fosse dans le quartier est assez gênante. « Qu’on exhume ces corps et qu’à chaque fois qu’on voit la fosse, on se rappelle de ce qui s’est passé », coupe-t-il. A quelques centaines de mètres de là, la ruelle cahoteuse et boueuse qui part de là et conduit aux fins fonds du quartier mène à une tombe individuelle située à l’entrée d’une cour. Une simple élévation ovale longue seulement de quelques centimètres de haut permet de distinguer le lieu où a été enterré un jeune homme abattu a proximité de là. A deux pas de là, des briques noircies par la fumée. Celles-ci faisant office de foyer, servent aux femmes de la cour voisine à faire leur cuisine. A notre arrivée sur les lieux, dame Diomandé Koko a maille à partie avec des enfants qui tiennent à s’amuser sur cette petite élévation de terre. « Vous voyez que les enfants s’amusent sur cette tombe. Ce n’est pas bon pour eux. Et même pour nous les adultes, c’est gênant de voir que c’est quelqu’un qu’on côtoyait tous les jours qui repose là», nous lance notre interlocutrice. « Il y a une autre tombe de l’autre côté », relève un jeune homme qui a tenu à s’exprimer sous le sceau de l’anonymat. On le voit, les populations de divers quartiers d’Abidjan continuent de vivre à ce jour au milieu de tombes individuelles et même de fosses communes où ont été enterrées de nombreuses victimes de la crise postélectorale pendant les moments chauds. La raison principale : il était impossible en cette période de se rendre dans un cimetière pour effectuer un enterrement du fait de la menace des miliciens et autres mercenaires à la solde de l’ancien régime.
COULIBALY Zoumana
Ph : A. Messmer
Légendes
Djiré Noko Oumar : Le fils de cet handicapé a été abattu à bout portant sous ses yeux
Feu Koumaré Ibrahim : Le corps de cet homme criblé de balles a été ramené à Mossikro dans un pousse-pousse par son épouse et ses enfants
Fosse commune Doukouré : Les habitants de Doukouré côtoient à longueur de journée cette fosse commune
Tombe individuelle Doukouré : Cette tombe rappelle tout le temps aux riverains les tristes souvenirs des moments chauds de la crise à Doukouré
Tombe Mossikro : Koumaré Ibrahim abattu par les miliciens repose dans sa cour aux côtés de son épouse et de sa progéniture
Attécoubé 3, Mossikro. Dimanche 5 août. Il est 16 heures passé de quelques minutes, lorsque nous faisons notre entrée dans la concession où habite Maman Traoré, la cinquantaine. Elle nous accueille le sourire aux lèvres et nous invite à nous asseoir. Au cours des civilités, l’hôte fait des bénédictions à n’en point finir. Mais lorsque nous l’interrogeons sur les circonstances de la mort de son époux, sa mine se déforme et elle fond en larmes. « Il venait de Yopougon ‘’camp militaire’’ lorsqu’il a été abattu par les miliciens. Quand j’ai appris que son corps gisait dans le sang, j’ai pris mon courage à deux mains et avec nos deux enfants, je suis allé chercher le corps dans une brouette », raconte-t-elle tristement avant de montrer du doigt la tombe de son défunt époux, située à une cinquantaine de mètres seulement de la véranda de la bâtisse où elle loge. Un monticule rectangulaire de quelques centimètres de haut rempli de granite. A la question de savoir pourquoi le défunt a été enterré à cet endroit, elle explique que pendant les moments chauds, vu qu’il était impossible de se rendre dans un cimetière pour effectuer un enterrement, les habitants du quartier ont procédé à l’inhumation à cet endroit, à sa demande. Et depuis lors, c’est là que repose Koumaré Ibrahim, son malheureux époux. Comme lui, de nombreuses personnes abattues au moment de la crise postélectorale par les mercenaires et miliciens, ont été enterrées au milieu des habitations. Dans des fosses communes ou dans des tombes individuelles. « En plus des victimes extirpées de chez elles et abattues, beaucoup sont tombés au niveau des barrages qui avaient été dressés, on s’en souvient, partout dans les quartiers, à l’appel des autorités d’alors. Et comme on ne pouvait pas aller au cimetière, les gens se débrouillaient comme ils pouvaient pour enterrer leurs proches, en plein quartiers», relate Abdramane Traoré, responsable local de la section du Collectif des victimes en Côte d’Ivoire (CVCI) à Mossikro.
Une proximité qui gêne
A Doukouré Antenne, un sous-quartier de Yopougon, où nous nous sommes rendus après, une fosse commune se trouvant sur un air de jeu, jouxte les domiciles à quelques encablures de la grande mosquée du quartier. Fofana Vassindou, témoin oculaire ayant participé au creusement de la fosse puis à l’ensevelissement des corps, précise que la tombe de fortune, à peine de 3 mètres de longueur sur 1,5 m de profondeur, abrite 27 corps au total. Pour lui, il est inadmissible que ces dépouilles soient encore à ce jour dans le quartier. « Qu’on enlève ces corps, parce que c’est choquant et révoltant de voir ça», s’indigne-t-il. Le vieux Djiré Noko Oumar, amputé d’un pied, les béquilles en main, conte tristement que son fils Abdoulaye Djiré, abattu à bout portant sous ses yeux, fait partie des 27 corps enterrés dans cette fosse commune. Il souligne que la présence de cette fosse dans le quartier est assez gênante. « Qu’on exhume ces corps et qu’à chaque fois qu’on voit la fosse, on se rappelle de ce qui s’est passé », coupe-t-il. A quelques centaines de mètres de là, la ruelle cahoteuse et boueuse qui part de là et conduit aux fins fonds du quartier mène à une tombe individuelle située à l’entrée d’une cour. Une simple élévation ovale longue seulement de quelques centimètres de haut permet de distinguer le lieu où a été enterré un jeune homme abattu a proximité de là. A deux pas de là, des briques noircies par la fumée. Celles-ci faisant office de foyer, servent aux femmes de la cour voisine à faire leur cuisine. A notre arrivée sur les lieux, dame Diomandé Koko a maille à partie avec des enfants qui tiennent à s’amuser sur cette petite élévation de terre. « Vous voyez que les enfants s’amusent sur cette tombe. Ce n’est pas bon pour eux. Et même pour nous les adultes, c’est gênant de voir que c’est quelqu’un qu’on côtoyait tous les jours qui repose là», nous lance notre interlocutrice. « Il y a une autre tombe de l’autre côté », relève un jeune homme qui a tenu à s’exprimer sous le sceau de l’anonymat. On le voit, les populations de divers quartiers d’Abidjan continuent de vivre à ce jour au milieu de tombes individuelles et même de fosses communes où ont été enterrées de nombreuses victimes de la crise postélectorale pendant les moments chauds. La raison principale : il était impossible en cette période de se rendre dans un cimetière pour effectuer un enterrement du fait de la menace des miliciens et autres mercenaires à la solde de l’ancien régime.
COULIBALY Zoumana
Ph : A. Messmer
Légendes
Djiré Noko Oumar : Le fils de cet handicapé a été abattu à bout portant sous ses yeux
Feu Koumaré Ibrahim : Le corps de cet homme criblé de balles a été ramené à Mossikro dans un pousse-pousse par son épouse et ses enfants
Fosse commune Doukouré : Les habitants de Doukouré côtoient à longueur de journée cette fosse commune
Tombe individuelle Doukouré : Cette tombe rappelle tout le temps aux riverains les tristes souvenirs des moments chauds de la crise à Doukouré
Tombe Mossikro : Koumaré Ibrahim abattu par les miliciens repose dans sa cour aux côtés de son épouse et de sa progéniture