Consulté la semaine dernière par la Commission dialogue, vérité et réconciliation (Cdvr), en même temps que d’autres éminents intellectuels du pays, Barthélémy Kotchi, président de l'Académie des sciences et cultures d'Afrique et diaspora (Ascad), confie sa conception de la réconciliation nationale.
Après l’audience que vous et certains ‘’anciens‘’ avez eue avec le président de la Cdvr, Charles Konan Banny, des observateurs du processus de paix se sont demandé : ‘’Que peuvent les anciens à la réconciliation nationale‘’ ? Que répondez-vous ?
Les anciens ne peuvent pas grand-chose. Ils ne peuvent quelque chose qu’avec les Ivoiriens, parce qu’il faut qu’ils parlent et que les anciens aussi en fassent autant. Ce sont ces deux discours qui peuvent faire avancer la Côte d’Ivoire. Alors, je pense que les Ivoiriens ont parlé, ce d’autant plus que, d’après ce que j’ai appris, notre jeune frère Banny a fait d’abord le tour de la Côte d’Ivoire. J’espère que les Ivoiriens lui ont parlé.
Le fait que vous soyez consultés n’est-il pas la preuve que vos voix manquent au discours pour réconcilier les Ivoiriens ?
Ils (Les membres de la Cdvr, ndlr) ont leurs raisons de nous associer. Mais je pense que c’est parce que nous sommes des anciens et que nous avons traversé plusieurs époques et vécu des expériences différentes. Et je pense aussi que la Commission a bien fait d’interroger ceux que vous appelez les anciens. Il est vrai qu’ils ne parlaient presque pas. D’ailleurs, certains n’ont pas parlé. Le peu que quelques uns ont dit peut, peut-être, aider pour la réconciliation.
Si vous et l’ensemble de ces anciens devriez aller vers la population pour lui parler de réconciliation, que lui diriez-vous ?
Avons-nous vraiment besoin d’aller vers la population et comment le ferions-nous ? D’autres personnes l’ont déjà fait. Banny, par exemple, est allé vers la population et a recueilli ses aspirations.
Des Ivoiriens disent qu’il faut d’abord le pardon et la justice après. D’autres veulent la justice et le pardon ensuite ? Quelle est la meilleure formule de la réconciliation ?
Si on n’a pas entendu quelqu’un, comment peut-on faire la justice ?
Vous optez donc pour la justice d’abord ?
Il faut bien entendre d’abord une personne jugée fautive. A supposer que moi je vous ai offensé, si vous ne m’entendez pas, comment pouvez-vous appliquer la justice ? Il faut donc entendre les personnes qui ont fauté après quoi elles peuvent demander pardon.
Sous quelle forme entrevoyez-vous alors ce pardon ?
Il faut se référer à l’histoire. Le président Houphouet-Boigny l’avait fait en 1963. Il s’était rendu compte qu’il avait emprisonné des jeunes gens, des Ivoiriens. Parmi eux, d’autres ont fait quatre ou cinq mois de prison. Mais il s’était rendu compte qu’il avait fait une erreur et il a demandé pardon. C’est ce qui est bien. Quand un homme a joué un rôle important dans le pays, et qu’il a commis des erreurs au cours de la situation dans laquelle il s’est trouvé, et qu’il reconnaît, il est à moitié pardonné. Certainement le Premier ministre Banny voulait surtout savoir en quoi ceux qui ont dirigé le pays ont commis des fautes à l’endroit de la population. Et à partir de là, faire en sorte que les Ivoiriens se pardonnent pour pouvoir aller de l’avant.
Quelle doit être la formule la plus adéquate du pardon, puisque le pays a connu l’expérience du Forum de la réconciliation nationale qui n’a pas porté ses fruits, selon une partie de l’opinion nationale ?
Cette deuxième rencontre dirigée par le Premier ministre, Seydou Diarra, avait pour but d’entendre les Ivoiriens. Elle a été une bonne initiative. Mais ce que je regrette, c’est que le résultat de ce forum n’a pas été publié. Si les Ivoiriens ont été invités à se parler, à dire qu’ils ont été offensés et pourquoi ils l’ont été, il faut bien en tirer une conclusion. Et porter cette conclusion à tout le monde. Mais on s’est séparés sans rien dire. On a retenu tout ce que les Ivoiriens se sont dit. Pourtant, on avait fait l’effort de savoir qui a été offensé, en quoi il l’a été…
Vous suggérez que soient rendus publics les griefs, les complaintes et les rancunes que les Ivoiriens ont les uns contre les autres ?
Oui, si les dirigeants ont fait du tort aux dirigés et qu’il en a été de même pour les dirigés, en ce moment, les premiers peuvent dire qu’effectivement ils ont commis quelques manquements et demander pardon. Un grand homme a dit : «Partout où il y a l’homme, il y a l’homélie». Ce qui veut dire que partout où il y a l’homme, on trouve l’homme avec ses défauts et ses qualités. Mais il s’est trouvé à un moment donné que les défauts sont devenus plus importants que les qualités. Si les uns ont compris qu’ils ont offensé les autres, il faut qu’ils demandent pardon. Ainsi, nous irons sur de nouvelles bases.
Que répondez-vous donc à ceux des Ivoiriens qui pensent que la réconciliation dans le contexte actuel est une illusion ?
Est-ce le moment ? C’est la question que je me pose, puisque des Ivoiriens sont en prison. Le moment est-il opportun ? C’est lorsqu’on aura sorti tout le monde de prison – parce qu’ils auront été punis – après avoir purgé leurs peines, que commence la réconciliation. Mais pendant qu’on fait la réconciliation, des Ivoiriens sont en prison.
Vous dites pourtant qu’il faut entendre un fautif avant de lui pardonner. Comment est-ce possible de pardonner sans passer par la justice ?
La réconciliation ne peut se passer de la justice. Sinon où allons-nous ? Si on pense que des gens ont commis des erreurs très graves –parce que c’est de cela qu’il s’agit – il faut les juger. C’est quand ils auront été jugés, condamnés s’ils ont tort, qu’on doit leur pardonner. S’ils sont pardonnés ou à moitié pardonnés, c’est en ce moment qu’on peut faire la réconciliation.
S’il faut attendre que les fautifs purgent leurs peines, ne laisse-t-on pas la société ivoirienne se désagréger, chacun ayant des griefs ? Est-ce qu’on n’expose pas le pays à un risque de résurgence d’un conflit ?
A un moment donné, il faut sortir les gens de prison. Une fois cela fait, on peut se dire que ceux qui ont commis des fautes ont purgé leurs peines totalement ou en partie. En ce moment là, on leur dit qu’à cause de la situation du pays, il faut qu’on se parle.
Comment qualifiez-vous la réconciliation entreprise ces jours?
C’est aller trop vite, parce que je ne pense pas qu’on puisse faire la réconciliation alors que des Ivoiriens se retrouvent en prison. Avec qui se réconcilie-t-on ? Est-ce avec ceux qui ont commis des fautes ou ceux qui sont libres ? Je pense que c’est l’heure du pardon.
Que voulez-vous qu’on retienne au juste de votre conception de la réconciliation ?
Les Ivoiriens ont besoin d’être ensemble, nous avons eu une longue marche. Une marche pendant laquelle des personnes ont commis des erreurs. Mais on ne peut pas rester dans les erreurs et vouloir se réconcilier. Pourquoi la violence ? Les Ivoiriens n’étaient pas violents. Que s’est-il passé ? Des gens ont-ils été frustrés parce qu’on a commis des erreurs à leur endroit ? Il faut faire cette analyse d’abord avant qu’on puisse se pardonner.
Entretien réalisé par Bidi Ignace
Après l’audience que vous et certains ‘’anciens‘’ avez eue avec le président de la Cdvr, Charles Konan Banny, des observateurs du processus de paix se sont demandé : ‘’Que peuvent les anciens à la réconciliation nationale‘’ ? Que répondez-vous ?
Les anciens ne peuvent pas grand-chose. Ils ne peuvent quelque chose qu’avec les Ivoiriens, parce qu’il faut qu’ils parlent et que les anciens aussi en fassent autant. Ce sont ces deux discours qui peuvent faire avancer la Côte d’Ivoire. Alors, je pense que les Ivoiriens ont parlé, ce d’autant plus que, d’après ce que j’ai appris, notre jeune frère Banny a fait d’abord le tour de la Côte d’Ivoire. J’espère que les Ivoiriens lui ont parlé.
Le fait que vous soyez consultés n’est-il pas la preuve que vos voix manquent au discours pour réconcilier les Ivoiriens ?
Ils (Les membres de la Cdvr, ndlr) ont leurs raisons de nous associer. Mais je pense que c’est parce que nous sommes des anciens et que nous avons traversé plusieurs époques et vécu des expériences différentes. Et je pense aussi que la Commission a bien fait d’interroger ceux que vous appelez les anciens. Il est vrai qu’ils ne parlaient presque pas. D’ailleurs, certains n’ont pas parlé. Le peu que quelques uns ont dit peut, peut-être, aider pour la réconciliation.
Si vous et l’ensemble de ces anciens devriez aller vers la population pour lui parler de réconciliation, que lui diriez-vous ?
Avons-nous vraiment besoin d’aller vers la population et comment le ferions-nous ? D’autres personnes l’ont déjà fait. Banny, par exemple, est allé vers la population et a recueilli ses aspirations.
Des Ivoiriens disent qu’il faut d’abord le pardon et la justice après. D’autres veulent la justice et le pardon ensuite ? Quelle est la meilleure formule de la réconciliation ?
Si on n’a pas entendu quelqu’un, comment peut-on faire la justice ?
Vous optez donc pour la justice d’abord ?
Il faut bien entendre d’abord une personne jugée fautive. A supposer que moi je vous ai offensé, si vous ne m’entendez pas, comment pouvez-vous appliquer la justice ? Il faut donc entendre les personnes qui ont fauté après quoi elles peuvent demander pardon.
Sous quelle forme entrevoyez-vous alors ce pardon ?
Il faut se référer à l’histoire. Le président Houphouet-Boigny l’avait fait en 1963. Il s’était rendu compte qu’il avait emprisonné des jeunes gens, des Ivoiriens. Parmi eux, d’autres ont fait quatre ou cinq mois de prison. Mais il s’était rendu compte qu’il avait fait une erreur et il a demandé pardon. C’est ce qui est bien. Quand un homme a joué un rôle important dans le pays, et qu’il a commis des erreurs au cours de la situation dans laquelle il s’est trouvé, et qu’il reconnaît, il est à moitié pardonné. Certainement le Premier ministre Banny voulait surtout savoir en quoi ceux qui ont dirigé le pays ont commis des fautes à l’endroit de la population. Et à partir de là, faire en sorte que les Ivoiriens se pardonnent pour pouvoir aller de l’avant.
Quelle doit être la formule la plus adéquate du pardon, puisque le pays a connu l’expérience du Forum de la réconciliation nationale qui n’a pas porté ses fruits, selon une partie de l’opinion nationale ?
Cette deuxième rencontre dirigée par le Premier ministre, Seydou Diarra, avait pour but d’entendre les Ivoiriens. Elle a été une bonne initiative. Mais ce que je regrette, c’est que le résultat de ce forum n’a pas été publié. Si les Ivoiriens ont été invités à se parler, à dire qu’ils ont été offensés et pourquoi ils l’ont été, il faut bien en tirer une conclusion. Et porter cette conclusion à tout le monde. Mais on s’est séparés sans rien dire. On a retenu tout ce que les Ivoiriens se sont dit. Pourtant, on avait fait l’effort de savoir qui a été offensé, en quoi il l’a été…
Vous suggérez que soient rendus publics les griefs, les complaintes et les rancunes que les Ivoiriens ont les uns contre les autres ?
Oui, si les dirigeants ont fait du tort aux dirigés et qu’il en a été de même pour les dirigés, en ce moment, les premiers peuvent dire qu’effectivement ils ont commis quelques manquements et demander pardon. Un grand homme a dit : «Partout où il y a l’homme, il y a l’homélie». Ce qui veut dire que partout où il y a l’homme, on trouve l’homme avec ses défauts et ses qualités. Mais il s’est trouvé à un moment donné que les défauts sont devenus plus importants que les qualités. Si les uns ont compris qu’ils ont offensé les autres, il faut qu’ils demandent pardon. Ainsi, nous irons sur de nouvelles bases.
Que répondez-vous donc à ceux des Ivoiriens qui pensent que la réconciliation dans le contexte actuel est une illusion ?
Est-ce le moment ? C’est la question que je me pose, puisque des Ivoiriens sont en prison. Le moment est-il opportun ? C’est lorsqu’on aura sorti tout le monde de prison – parce qu’ils auront été punis – après avoir purgé leurs peines, que commence la réconciliation. Mais pendant qu’on fait la réconciliation, des Ivoiriens sont en prison.
Vous dites pourtant qu’il faut entendre un fautif avant de lui pardonner. Comment est-ce possible de pardonner sans passer par la justice ?
La réconciliation ne peut se passer de la justice. Sinon où allons-nous ? Si on pense que des gens ont commis des erreurs très graves –parce que c’est de cela qu’il s’agit – il faut les juger. C’est quand ils auront été jugés, condamnés s’ils ont tort, qu’on doit leur pardonner. S’ils sont pardonnés ou à moitié pardonnés, c’est en ce moment qu’on peut faire la réconciliation.
S’il faut attendre que les fautifs purgent leurs peines, ne laisse-t-on pas la société ivoirienne se désagréger, chacun ayant des griefs ? Est-ce qu’on n’expose pas le pays à un risque de résurgence d’un conflit ?
A un moment donné, il faut sortir les gens de prison. Une fois cela fait, on peut se dire que ceux qui ont commis des fautes ont purgé leurs peines totalement ou en partie. En ce moment là, on leur dit qu’à cause de la situation du pays, il faut qu’on se parle.
Comment qualifiez-vous la réconciliation entreprise ces jours?
C’est aller trop vite, parce que je ne pense pas qu’on puisse faire la réconciliation alors que des Ivoiriens se retrouvent en prison. Avec qui se réconcilie-t-on ? Est-ce avec ceux qui ont commis des fautes ou ceux qui sont libres ? Je pense que c’est l’heure du pardon.
Que voulez-vous qu’on retienne au juste de votre conception de la réconciliation ?
Les Ivoiriens ont besoin d’être ensemble, nous avons eu une longue marche. Une marche pendant laquelle des personnes ont commis des erreurs. Mais on ne peut pas rester dans les erreurs et vouloir se réconcilier. Pourquoi la violence ? Les Ivoiriens n’étaient pas violents. Que s’est-il passé ? Des gens ont-ils été frustrés parce qu’on a commis des erreurs à leur endroit ? Il faut faire cette analyse d’abord avant qu’on puisse se pardonner.
Entretien réalisé par Bidi Ignace