Paix et réconciliation. Voici deux mots qui sont sur toutes les lèvres, ou presque, en Côte d’Ivoire. On peut même dire sans risque de se tromper que ce sont les mots à la mode. Pourtant, à décrypter, à froid, l’approche des uns et l’attitude des autres, on se convainc tout de suite d’un manque de volonté manifeste de tous les acteurs politiques ivoiriens d’aller à la paix et à la réconciliation. Que l’on soit au pouvoir ou dans l’opposition (significative), on donne l’impression d’être préoccupé par la question de la réconciliation. Mais, dans le fond, la réalité est tout autre. Entre ce qu’ils disent, ce qu’ils pensent et ce qu’ils font…il y a un grand fossé. Tous, sciemment, troublent l’eau de la réconciliation, pour y nager. Ils se livrent, les uns et les autres, à des pieux mensonges. Parce qu’ils tirent les marrons du feu de cette situation de ni paix ni guerre. Le Rassemblement des Républicains ( Rdr) et ses alliés du Rassemblement des Houphouetistes pour la démocratie et la paix ( Rhdp), au pouvoir et sa principale opposition, c'est-à-dire le Front populaire ivoirien ( Fpi), jouent à cache-cache, sur «tempo» de ruse et de mauvaise foi. Les repères sont là, à profusion, pour soutenir cette thèse. D’abord, du côté du pouvoir. En s’installant dans sa logique de justice à double vitesse, le régime Ouattara ne donne aucune chance à la réconciliation. S’il est vrai que la justice et la réconciliation ne sont pas incompatibles, il est aussi inadmissible, foncièrement malveillant et choquant, que le marteau du juge ne s'abatte que sur un seul camp. Celui de l’opposition. Un autre impair politique et non des moindres qui enlève, à la réconciliation, toute son essence, c’est le manque de moyens et d’indépendance de la fameuse Commission, dialogue, vérité et réconciliation (Cdvr). Selon l’article 1 de l’ordonnance n°2011 -167 du 13 Juillet 2011, la Commission dialogue vérité et réconciliation de Charles Konan Banny agit «sous l'autorité du Président de la République». En soit, ce n’est pas mauvais. Mais, comme pour couper l’herbe sous les pieds de Charles Konan Banny, le Président de la République a fait créer, un Cadre permanent du dialogue républicain (Cpdr) que pilote son Premier ministre Jeannot Ahoussou Kouadio et dont les travaux ont été lancés le 27 avril 2012 à Grand-Bassam. Le Front populaire ivoirien (Fpî), s’est refusé de signer les conclusions des assises de Grand-Bassam, parce qu’il n’est pas membre de cette autre instance qui vient se chevaucher avec la Cdvr. Aujourd’hui, avec la naissance de ce Cadre permanent de dialogue républicain logé à la Primature, on peut s’interroger sur les marges de manœuvre de la Cdvr qui apparaît, à nos yeux, comme un mort-né. Quelle attitude le président Ouattara attend du Fpi dont les dirigeants en prison pour certains et en exil pour d’autres ? Comment peut-il discuter avec des gens dont les maisons sont toujours occupées par des dozos et des éléments des Frci ? Comment peut-on attendre une posture républicaine de la part des gens qui ne peuvent même pas user de leur droit constitutionnel, à savoir manifester et dont les responsables sont pris et jetés en prison au terme de procès quelquefois expéditifs? On en est toujours à s'interroger sur les motivations du refus de la Présidence de la République d’un feu vert au président de la Cdvr pour aller rencontrer Laurent Gbagbo à la Cpi. Le président Ouattara, de notre point de vue, gagnerait à changer de fusil d’épaule s’il veut donner une chance à la réconciliation et à une paix durable. De son côté, le Front populaire ivoirien (Fpi) et ses dirigeants doivent d’abord et avant tout accepter la légitimité du Président de la République et les Institutions qu’il incarne. De ce principe, qui se veut le premier «commandement» de la réconciliation, découlera tout le reste. Il faut que les militants et les dirigeants du Front populaire ivoirien, une fois pour toutes, se départissent de l’idée reçue, des pensées sombres, que le Dr Alassane Ouattara est arrivé au pouvoir «par un coup d’Etat de la France». C’est à ce niveau que réside le nœud du problème… Dans cette dynamique, ils doivent s’affranchir du dictat des faucons et de tous les activistes aveuglés par une soif de vendetta. Ils doivent impérativement abandonner leur posture guerrière, leur attitude plaintive et revendicative pour traduire dans les actes, cette recommandation de Laurent Gbagbo, lancée du fond de sa chambre de l’hôtel du Golf, le 11 avril 2011, peu après sa capture. En s’épongeant, Laurent Gbagbo recommandait, notamment «qu’on tourne la page militaire pour passer au règlement civil et politique de la crise». C’est vrai, la bonne foi est une vertu rare en politique, mais ici, l’enjeu de la réconciliation est tel que c’est la vie de la nation ivoirienne qui est en jeu. Il est politiquement maladroit de la part des frontistes, d’accepter l’idée d’une réconciliation tout en cachant dans le dos, une épée. Et le dernier rapport des Experts de l’Onu sur la Côte d’Ivoire est là pour mettre à nu leurs sombres desseins. Les pro-Gbagbo clament régulièrement que «la lutte armée ne fait pas partie de leur philosophie» et pourtant, d'après les cinq experts de l'Onu, plusieurs dignitaires de l'ancien régime continuent d'organiser la déstabilisation de la Côte d'Ivoire. Aussi surréaliste que cela puisse paraître, selon ce rapport, une connexion a été établie ces derniers mois entre ces exilés ivoiriens et la junte malienne, mais aussi avec les jihadistes d'Ansar Dine qui occupent le nord Mali. «Un ennemi commun peut susciter des rapprochements inattendus», ironise un observateur. Bien qu’ils aient tous nié en bloc ces accusations, il reste qu’il n’y a pas de fumée sans feu. L’ex-parti au pouvoir devrait, dès à présent, s’imposer une discipline démocratique qui passe par le respect des Institutions et des personnes qui en détiennent les clés. Dans le cas contraire, la réconciliation ne restera qu’une vue de l’esprit.
COULIBALY Vamara
COULIBALY Vamara