Vedette du reggae en Côte d’Ivoire, Fadal Dey n’en demeure pas moins un artiste engagé. Entre deux rendez-vous, il a bien voulu aborder, sans faux fuyants, les questions brûlantes de l’heure : la réconciliation, la cherté de la vie, la lutte contre le piratage des œuvres de l’esprit… Entretien à bâtons rompus !
L.P : Comment expliquez-vous que « Méa Culpa », votre dernier album n’ait pas connu le succès escompté ?
Fadal Dey : C’est l’album qui a marché le plus dans ma carrière…
LP : Pourtant, on ne l’a pas senti sur le marché…
FD : J’en viens. C’est l’album le plus piraté de ma carrière. Il est sorti en 2010 sous l’ancien régime et était censuré à la télévision nationale. Ce qui fait que tout le monde cherchait à l’avoir. On ne savait pas où en trouver. Le distributeur avait peur. Même le producteur, à un certain moment, a freiné ses ardeurs. Il y a eu aussi une réunion sur moi à la Présidence. L’album ne passait donc pas du tout sur les chaînes nationales. Du coup, il a commencé à être piraté. Même dans le village de mon producteur, des gens lui ont présenté l’œuvre piratée piratée en disant que c’est bon. Ils ne savaient pas que c’est lui qui l’avait produite. Jusqu’en Guinée et au Mali, où j’ai passé six mois d’exil, l’album était piraté.
L.P : Cela a été, semble t-il, un coup dur pour vous et votre producteur…
FD : Mon producteur a investi 27 millions de FCFA, sur cette œuvre. Aujourd’hui, il est découragé, car c’est du business. Quand tu investis une telle somme, il faut qu’en retour, tu puisses, à défaut de faire des bénéfices, rentrer dans tes fonds. Cela n’a pas été le cas, avec cet album, tout simplement parce qu’il y a eu trop de piratage. C’est pourquoi, je ne joue pas avec la lutte contre le piratage des œuvres de l’esprit.
L.P : Justement, ce phénomène semble avoir la peau dure…
FD : Peut-être que vous n’allez pas l’écrire, mais je vais le dire. Je pense que le ministre de la Culture et de la Francophonie a démissionné devant la lutte contre la piraterie.
LP : Pourquoi cette accusation si forte ?
FD : Depuis qu’il est là, montrez-moi un seul acte qu’il a posé en faveur des artistes dans la lutte contre les pirates. Il n’y en a pas. Le premier acte majeur qu’il a posé c’est d’enlever Gadji Céli (ex-PCA du Burida). Le second, c’est de suspendre le Conseil d’Administration du Burida. Aujourd’hui, c’est lui seul qui dirige le Burida.
LP : N’êtes-vous pas là en train de régler des problèmes de personnes quand on sait que vous étiez très proche de Gadji Céli ?
FD : Non, je suis désolé. Il ne s’agit pas de cela. Dès qu’il y a eu le changement de pouvoir, ceux qui n’étaient pas pro-Gadji sont allés voir le ministre pour lui dire qu’il avait détourné de l’argent, fait ceci et cela. Et dans le feu de cette action, le ministre a pris des décisions. Et dix mois plus tard, il notait que Gadji avait été sali, et qu’il ne devait rien au Burida. Et que bien au contraire, c’est le Burida qui lui devait de l’argent. Il a reconnu s’être trompé. Je vais au-delà de cette question. Il m’a reçu une fois M. le ministre, en janvier 2012. Je profite de l’opportunité que vous m’offrez pour lui dire merci pour cela. Je lui ai proposé mes solutions pour la lutte contre le piratage des œuvres de l’esprit.
L.P : Que lui avez-vous dit ?
FD : Qu’on souhaiterait d’abord le voir sur le terrain. Nos CD sont versés devant la Mairie d’Abobo, au Carrefour Siporex de Yopougon, au Grand Carrefour de Koumassi, ainsi qu’à Adjamé. Je lui ai dit qu’on souhaiterait le voir sur le terrain, ramasser les CD piratés avec les forces de l’ordre et lancer un message fort du genre : «Le pouvoir a changé, nous ne voulons plus voir ça en Côte d’Ivoire». Le reste serait venu naturellement. Ensuite, je lui ai demandé de proposer une loi au Parlement qui condamne fermement ce fléau. Il m’a dit : «Fadal Dey, je te donne trois mois pour éradiquer la piraterie en Côte d’Ivoire. Cela fait aujourd’hui un an. Billy Billy vient de sortir un album qui est piraté un peu partout. C’est le cas aussi pour la dernière œuvre de Bétika. C’est pourquoi, je dis que le ministre a démissionné devant la lutte contre la piraterie.
L.P : Le ministre a doté l’an dernier la brigade de lutte contre le piratage des œuvres de l’esprit, d’un local et de véhicules. Ce qui est un signal fort…
FD : C’est bien beau. Mais, ce n’est pas ce qu’on lui demande.
LP : Que voulez-vous alors ?
FD : Ce qu’on veut, c’est qu’il soit actif sur le terrain.
LP : Ne vaut-il pas mieux attaquer le mal à la racine comme veut le faire le ministre plutôt que d’initier des actions d’éclat ?
FD : Ce ne sont pas des actions d’éclat. Même si elles le sont, je pense que cela peut faire douter les pirates. Vous savez, l’Ivoirien ne croit que quand il voit. L’ancien ministre des Sports (ndlr, Michel Legré) s’est battu pour que les anciennes gloires du sport soient rémunérées. On n’avait jamais vu ça en Côte d’Ivoire. J’en profite pour dire merci au Président de la République pour ce geste. Les séminaires sur le piratage des œuvres de l’esprit, c’est du gaspillage d’argent. En quoi, cela profite t-il aux artistes ? Je voudrais que le ministre de la Culture et de la Francophonie s’inspire du Président de la République qui a de grands projets pour la Côte d’Ivoire, mais, en même temps, il propose des solutions immédiates. Il a annoncé l’autoroute d’Abidjan qui va s’étendre jusqu’ à Ouagadougou, au Burkina Faso. Le chemin de fer qui s’étendra à Niamey, au Niger. Ce sont des projets à long terme. D’ici là, il ne ferme pas les yeux devant les nids de poule à travers la ville d’Abidjan. C’est ce que le ministre de la Culture doit faire. On a beau construire une grande usine de pressage de CD en Côte d’Ivoire, si les pirates existent, le problème ne sera pas résolu. Aujourd’hui, les studios d’enregistrement sont peu fréquentés. Toutes les maisons de distribution sont en train de fermer. Personne ne veut aujourd’hui investir dans la musique. J’avoue que l’arrivée de Maurice Bandaman, pour qui j’ai beaucoup de respect, au ministère de la Culture et de la Francophonie a été un espoir pour moi. Parce qu’il est un artiste. Mais, hélas, le piratage des œuvres de l’esprit persiste et a même pris des proportions inquiétantes, alors que les deux gros réseaux de la piraterie, à savoir sur le Campus et à la Sorbonne ont été démantelés. Je ne comprends pas.
LP : Au-delà de la personne du ministre de la Culture et de la Francophonie, n’est-ce pas le Gouvernement qui doit prendre à bras le corps la lutte contre le piratage des œuvres de l’esprit?
FD : Qui représente les artistes au Gouvernement ? C’est lui. C’est donc lui qui doit nous donner des signaux forts sur le terrain. Si rien n’est fait d’ici quelques mois contre ce fléau, c’est l’arrêt de mort des artistes qu’on aura signé. Nous sommes aujourd’hui devenus pratiquement des mendiants. Quand on nous donne 100 ou 200 000 FCFA quelque part, on est content, alors que nous sommes des gens riches. Nous sommes un peu plus de 20 millions d’habitants en Côte d’Ivoire. Mon souhait est que le ministre puisse se battre pour qu’un million d’Ivoiriens achètent au moins un CD original. Même si nous arrivons à vendre 500 000 CD, ce serait suffisant pour les artistes.
L.P : Vous disiez tantôt être allé en exil au Mali durant la crise postélectorale de 2010-2011. Pourquoi ?
FD : J’ai reçu des menaces de mort. Un de mes voisins, qui habitait dans le même immeuble que moi à Yopougon, a vu une liste de personnes à abattre par les miliciens. Et j’étais le troisième. C’est ainsi qu’il m’a alerté. J’ai aussitôt fui. Et lorsque je suis sorti du pays, Jim Kamson, qui est un frère, est tombé un jour sur cette liste, et il a appelé au studio où je travaillais souvent pour savoir si j’étais à Abidjan. On lui a répondu que j’étais hors de la Côte d’Ivoire, il a demandé mon numéro et m’a appelé pour me dire qu’il venait de voir mon nom sur cette liste. J’étais effectivement le troisième à être abattu tout simplement parce qu’on me considérait comme un «Alassaniste», quelqu’un qui chante pour Alassane Ouattara. Le Rhdp ne m’a pas aussi trop aidé. Certains de ses militants avaient réalisé un clip vidéo montrant des images de Gbagbo, Blé Goudé et d’autres caciques du FPI avant leur arrivée au pouvoir et aussi celles qui les montraient avec des rondeurs quand ils étaient aux affaires. Et en musique de soutien, ils ont utilisé ma chanson «Méa Culpa». Le clip, qui était intitulé «Le Combat du RHDP pour la libération totale de la Côte d’Ivoire», a été mis en ligne sur youtube. Du coup, c’est comme si on m’avait livré aux tueurs de l’ancien régime alors que j’habitais à Yopougon, sans garde rapprochée. Il fallait donc que je sorte du pays.
L.P : Après la crise postélectorale, le pays court après la réconciliation. Croyez-vous sincèrement en en ce processus dans cette Côte d’Ivoire profondément divisée ?
FD : Il faut que les gens arrêtent. La réconciliation, on ne la fait pas pour le Président de la République ou encore un régime quelconque. On ne la fait pas non plus pour les beaux yeux de quelqu’un. On la fait d’abord pour soi-même. La réconciliation, c’est pour soi-même. La stabilité, le développement dans un pays profitent d’abord aux citoyens que nous sommes. Il ne s’agit pas de dire qu’on ne veut pas qu’Alassane Ouattara gouverne en paix. S’il y a la guerre, qui seront les premières victimes ? Ce sont les pauvres populations qui mourront car les gouvernants se barricaderont quelque part en toute sécurité. Il ne s’agit pas d’une question de croire ou non en la réconciliation, elle est obligatoire. C’est pour nous qu’on la fait. Qu’on le veuille ou pas, on est obligé d’aller à cette réconciliation. Parce qu’on est obligé de vivre ensemble. Il n’y a pas d’Ivoiriens du Nord ou du Sud, encore moins d’Est ou d’Ouest. Personne n’a demandé à vivre sur cette terre. C’est Dieu qui nous a mis ici et les Blancs ont tracé les frontières. Nous devons donc apprendre à vivre ensemble dans le respect mutuel.
L.P : Mais, derrière les appels à la réconciliation, il y a eu des attaques. Cela n’est-il pas de nature à mettre mal le processus de réconciliation ?
FD : Ces attaques, nous les condamnons fermement. En même temps, je voudrais dire à leurs auteurs que nous avons un seul pays. Si on doit passer tout le temps à s’attaquer, on ne s’en sortira pas. Quand cette crise a commencé, des enfants qui avaient dix ans, en ont vingt aujourd’hui. Ceux qui avaient vingt, en ont en ce moment quarante. Et ils continuent de dormir dans les salons de leurs oncles à Abidjan. Pensez-vous qu’on va passer toute notre vie à ça ? Aujourd’hui, qu’on l’ait aimé ou pas, qu’on ait voté pour lui ou pas, reconnaissons que le Président de la République est en train de faire un bon travail. En tout cas, pour la génération future, de bonnes bases sont en train d’être posées. Je pense que cela mérite respect et considération. Les gens diront, ah, il est du même groupe ethnique que lui. Ce n’est pas ça. Il n’y a que les aveugles qui ne voient pas. C’est clair, ça se voit, c’est frappant et c’est net. Donc, je souhaite que ceux qui n’ont pas voté pour lui et qui s’adonnent à ces attaques, qu’ils s’organisent pour pouvoir « monter » quelqu’un qui va l’affronter dans les urnes. Aujourd’hui, les armes n’ont plus leur place. La Côte d’Ivoire a plus que besoin de paix. A commencer par eux-mêmes. Les armes n’ont plus leur place non seulement en Côte d’Ivoire mais dans toute l’Afrique. Sans passion, je crois que le Président Alassane Ouattara est en train de montrer une autre manière de gouverner. Et cela commence à porter fruit partout en Afrique. Avant, les grandes institutions comme la CEDEAO et l’UA s’alignaient derrière les décisions de l’Occident. Aujourd’hui, c’est la CEDEAO qui prend une décision et l’Occident suit. Avant de venir au pouvoir, il a dit qu’il bâtirait des institutions fortes. C’est ce qui est en train d’être fait. La CEDEAO est aujourd’hui devenue forte. Quand une décision est prise, elle est prise. Qu’on laisse le Président Ouattara travailler. Même si vous ne l’aimez pas, laissez le travailler. D’ici 5 ou 10 ans, cela va porter ses fruits.
L.P : En attendant, les Ivoiriens se plaignent que la vie est chère…
FD : J’en suis conscient. J’ai d’ailleurs composé une chanson intitulée «Président, les gens parlent». C’est clair que les gens souffrent. Si le Président Ouattara veut dompter le peuple ivoirien, il faut lui donner à manger. L’Ivoirien, quand son ventre est rempli, il n’a plus de problème. Houphouët-Boigny le disait : « Un homme qui a faim n’est pas un homme libre ». Aujourd’hui, tout est cher, même le prix du gaz vient d’être augmenté. La vie est vraiment chère, il faut qu’il se penche sur cette question. C’est une requête que j’adresse au Président de la République. S’il réussit cela, personne ne va le critiquer. Mieux, tout le monde l’applaudira. Il faut qu’il fasse l’effort pour que les prix des denrées de première nécessité baissent. Je pense au riz, au lait, au sucre, au poisson, au vivrier.
L.P : Que dites-vous concrètement dans la chanson qui va bientôt sortir ?
FD : Je dis. Président, les gens parlent. Président, ça parle beaucoup. Les gens disent que la vie est devenue chère. C’est dur pour nous. La piraterie bat son plein. Les démobilisés deviennent des coupeurs de route. J’interpelle un peu le Chef de l’Etat sur ces difficultés que les Ivoiriens vivent en ce moment. Nous, artistes, sommes la voix du peuple auprès des Gouvernants. C’est notre devoir de leur porter les préoccupations des populations, afin qu’ils y trouvent des solutions.
Réalisée par Y. Sangaré
L.P : Comment expliquez-vous que « Méa Culpa », votre dernier album n’ait pas connu le succès escompté ?
Fadal Dey : C’est l’album qui a marché le plus dans ma carrière…
LP : Pourtant, on ne l’a pas senti sur le marché…
FD : J’en viens. C’est l’album le plus piraté de ma carrière. Il est sorti en 2010 sous l’ancien régime et était censuré à la télévision nationale. Ce qui fait que tout le monde cherchait à l’avoir. On ne savait pas où en trouver. Le distributeur avait peur. Même le producteur, à un certain moment, a freiné ses ardeurs. Il y a eu aussi une réunion sur moi à la Présidence. L’album ne passait donc pas du tout sur les chaînes nationales. Du coup, il a commencé à être piraté. Même dans le village de mon producteur, des gens lui ont présenté l’œuvre piratée piratée en disant que c’est bon. Ils ne savaient pas que c’est lui qui l’avait produite. Jusqu’en Guinée et au Mali, où j’ai passé six mois d’exil, l’album était piraté.
L.P : Cela a été, semble t-il, un coup dur pour vous et votre producteur…
FD : Mon producteur a investi 27 millions de FCFA, sur cette œuvre. Aujourd’hui, il est découragé, car c’est du business. Quand tu investis une telle somme, il faut qu’en retour, tu puisses, à défaut de faire des bénéfices, rentrer dans tes fonds. Cela n’a pas été le cas, avec cet album, tout simplement parce qu’il y a eu trop de piratage. C’est pourquoi, je ne joue pas avec la lutte contre le piratage des œuvres de l’esprit.
L.P : Justement, ce phénomène semble avoir la peau dure…
FD : Peut-être que vous n’allez pas l’écrire, mais je vais le dire. Je pense que le ministre de la Culture et de la Francophonie a démissionné devant la lutte contre la piraterie.
LP : Pourquoi cette accusation si forte ?
FD : Depuis qu’il est là, montrez-moi un seul acte qu’il a posé en faveur des artistes dans la lutte contre les pirates. Il n’y en a pas. Le premier acte majeur qu’il a posé c’est d’enlever Gadji Céli (ex-PCA du Burida). Le second, c’est de suspendre le Conseil d’Administration du Burida. Aujourd’hui, c’est lui seul qui dirige le Burida.
LP : N’êtes-vous pas là en train de régler des problèmes de personnes quand on sait que vous étiez très proche de Gadji Céli ?
FD : Non, je suis désolé. Il ne s’agit pas de cela. Dès qu’il y a eu le changement de pouvoir, ceux qui n’étaient pas pro-Gadji sont allés voir le ministre pour lui dire qu’il avait détourné de l’argent, fait ceci et cela. Et dans le feu de cette action, le ministre a pris des décisions. Et dix mois plus tard, il notait que Gadji avait été sali, et qu’il ne devait rien au Burida. Et que bien au contraire, c’est le Burida qui lui devait de l’argent. Il a reconnu s’être trompé. Je vais au-delà de cette question. Il m’a reçu une fois M. le ministre, en janvier 2012. Je profite de l’opportunité que vous m’offrez pour lui dire merci pour cela. Je lui ai proposé mes solutions pour la lutte contre le piratage des œuvres de l’esprit.
L.P : Que lui avez-vous dit ?
FD : Qu’on souhaiterait d’abord le voir sur le terrain. Nos CD sont versés devant la Mairie d’Abobo, au Carrefour Siporex de Yopougon, au Grand Carrefour de Koumassi, ainsi qu’à Adjamé. Je lui ai dit qu’on souhaiterait le voir sur le terrain, ramasser les CD piratés avec les forces de l’ordre et lancer un message fort du genre : «Le pouvoir a changé, nous ne voulons plus voir ça en Côte d’Ivoire». Le reste serait venu naturellement. Ensuite, je lui ai demandé de proposer une loi au Parlement qui condamne fermement ce fléau. Il m’a dit : «Fadal Dey, je te donne trois mois pour éradiquer la piraterie en Côte d’Ivoire. Cela fait aujourd’hui un an. Billy Billy vient de sortir un album qui est piraté un peu partout. C’est le cas aussi pour la dernière œuvre de Bétika. C’est pourquoi, je dis que le ministre a démissionné devant la lutte contre la piraterie.
L.P : Le ministre a doté l’an dernier la brigade de lutte contre le piratage des œuvres de l’esprit, d’un local et de véhicules. Ce qui est un signal fort…
FD : C’est bien beau. Mais, ce n’est pas ce qu’on lui demande.
LP : Que voulez-vous alors ?
FD : Ce qu’on veut, c’est qu’il soit actif sur le terrain.
LP : Ne vaut-il pas mieux attaquer le mal à la racine comme veut le faire le ministre plutôt que d’initier des actions d’éclat ?
FD : Ce ne sont pas des actions d’éclat. Même si elles le sont, je pense que cela peut faire douter les pirates. Vous savez, l’Ivoirien ne croit que quand il voit. L’ancien ministre des Sports (ndlr, Michel Legré) s’est battu pour que les anciennes gloires du sport soient rémunérées. On n’avait jamais vu ça en Côte d’Ivoire. J’en profite pour dire merci au Président de la République pour ce geste. Les séminaires sur le piratage des œuvres de l’esprit, c’est du gaspillage d’argent. En quoi, cela profite t-il aux artistes ? Je voudrais que le ministre de la Culture et de la Francophonie s’inspire du Président de la République qui a de grands projets pour la Côte d’Ivoire, mais, en même temps, il propose des solutions immédiates. Il a annoncé l’autoroute d’Abidjan qui va s’étendre jusqu’ à Ouagadougou, au Burkina Faso. Le chemin de fer qui s’étendra à Niamey, au Niger. Ce sont des projets à long terme. D’ici là, il ne ferme pas les yeux devant les nids de poule à travers la ville d’Abidjan. C’est ce que le ministre de la Culture doit faire. On a beau construire une grande usine de pressage de CD en Côte d’Ivoire, si les pirates existent, le problème ne sera pas résolu. Aujourd’hui, les studios d’enregistrement sont peu fréquentés. Toutes les maisons de distribution sont en train de fermer. Personne ne veut aujourd’hui investir dans la musique. J’avoue que l’arrivée de Maurice Bandaman, pour qui j’ai beaucoup de respect, au ministère de la Culture et de la Francophonie a été un espoir pour moi. Parce qu’il est un artiste. Mais, hélas, le piratage des œuvres de l’esprit persiste et a même pris des proportions inquiétantes, alors que les deux gros réseaux de la piraterie, à savoir sur le Campus et à la Sorbonne ont été démantelés. Je ne comprends pas.
LP : Au-delà de la personne du ministre de la Culture et de la Francophonie, n’est-ce pas le Gouvernement qui doit prendre à bras le corps la lutte contre le piratage des œuvres de l’esprit?
FD : Qui représente les artistes au Gouvernement ? C’est lui. C’est donc lui qui doit nous donner des signaux forts sur le terrain. Si rien n’est fait d’ici quelques mois contre ce fléau, c’est l’arrêt de mort des artistes qu’on aura signé. Nous sommes aujourd’hui devenus pratiquement des mendiants. Quand on nous donne 100 ou 200 000 FCFA quelque part, on est content, alors que nous sommes des gens riches. Nous sommes un peu plus de 20 millions d’habitants en Côte d’Ivoire. Mon souhait est que le ministre puisse se battre pour qu’un million d’Ivoiriens achètent au moins un CD original. Même si nous arrivons à vendre 500 000 CD, ce serait suffisant pour les artistes.
L.P : Vous disiez tantôt être allé en exil au Mali durant la crise postélectorale de 2010-2011. Pourquoi ?
FD : J’ai reçu des menaces de mort. Un de mes voisins, qui habitait dans le même immeuble que moi à Yopougon, a vu une liste de personnes à abattre par les miliciens. Et j’étais le troisième. C’est ainsi qu’il m’a alerté. J’ai aussitôt fui. Et lorsque je suis sorti du pays, Jim Kamson, qui est un frère, est tombé un jour sur cette liste, et il a appelé au studio où je travaillais souvent pour savoir si j’étais à Abidjan. On lui a répondu que j’étais hors de la Côte d’Ivoire, il a demandé mon numéro et m’a appelé pour me dire qu’il venait de voir mon nom sur cette liste. J’étais effectivement le troisième à être abattu tout simplement parce qu’on me considérait comme un «Alassaniste», quelqu’un qui chante pour Alassane Ouattara. Le Rhdp ne m’a pas aussi trop aidé. Certains de ses militants avaient réalisé un clip vidéo montrant des images de Gbagbo, Blé Goudé et d’autres caciques du FPI avant leur arrivée au pouvoir et aussi celles qui les montraient avec des rondeurs quand ils étaient aux affaires. Et en musique de soutien, ils ont utilisé ma chanson «Méa Culpa». Le clip, qui était intitulé «Le Combat du RHDP pour la libération totale de la Côte d’Ivoire», a été mis en ligne sur youtube. Du coup, c’est comme si on m’avait livré aux tueurs de l’ancien régime alors que j’habitais à Yopougon, sans garde rapprochée. Il fallait donc que je sorte du pays.
L.P : Après la crise postélectorale, le pays court après la réconciliation. Croyez-vous sincèrement en en ce processus dans cette Côte d’Ivoire profondément divisée ?
FD : Il faut que les gens arrêtent. La réconciliation, on ne la fait pas pour le Président de la République ou encore un régime quelconque. On ne la fait pas non plus pour les beaux yeux de quelqu’un. On la fait d’abord pour soi-même. La réconciliation, c’est pour soi-même. La stabilité, le développement dans un pays profitent d’abord aux citoyens que nous sommes. Il ne s’agit pas de dire qu’on ne veut pas qu’Alassane Ouattara gouverne en paix. S’il y a la guerre, qui seront les premières victimes ? Ce sont les pauvres populations qui mourront car les gouvernants se barricaderont quelque part en toute sécurité. Il ne s’agit pas d’une question de croire ou non en la réconciliation, elle est obligatoire. C’est pour nous qu’on la fait. Qu’on le veuille ou pas, on est obligé d’aller à cette réconciliation. Parce qu’on est obligé de vivre ensemble. Il n’y a pas d’Ivoiriens du Nord ou du Sud, encore moins d’Est ou d’Ouest. Personne n’a demandé à vivre sur cette terre. C’est Dieu qui nous a mis ici et les Blancs ont tracé les frontières. Nous devons donc apprendre à vivre ensemble dans le respect mutuel.
L.P : Mais, derrière les appels à la réconciliation, il y a eu des attaques. Cela n’est-il pas de nature à mettre mal le processus de réconciliation ?
FD : Ces attaques, nous les condamnons fermement. En même temps, je voudrais dire à leurs auteurs que nous avons un seul pays. Si on doit passer tout le temps à s’attaquer, on ne s’en sortira pas. Quand cette crise a commencé, des enfants qui avaient dix ans, en ont vingt aujourd’hui. Ceux qui avaient vingt, en ont en ce moment quarante. Et ils continuent de dormir dans les salons de leurs oncles à Abidjan. Pensez-vous qu’on va passer toute notre vie à ça ? Aujourd’hui, qu’on l’ait aimé ou pas, qu’on ait voté pour lui ou pas, reconnaissons que le Président de la République est en train de faire un bon travail. En tout cas, pour la génération future, de bonnes bases sont en train d’être posées. Je pense que cela mérite respect et considération. Les gens diront, ah, il est du même groupe ethnique que lui. Ce n’est pas ça. Il n’y a que les aveugles qui ne voient pas. C’est clair, ça se voit, c’est frappant et c’est net. Donc, je souhaite que ceux qui n’ont pas voté pour lui et qui s’adonnent à ces attaques, qu’ils s’organisent pour pouvoir « monter » quelqu’un qui va l’affronter dans les urnes. Aujourd’hui, les armes n’ont plus leur place. La Côte d’Ivoire a plus que besoin de paix. A commencer par eux-mêmes. Les armes n’ont plus leur place non seulement en Côte d’Ivoire mais dans toute l’Afrique. Sans passion, je crois que le Président Alassane Ouattara est en train de montrer une autre manière de gouverner. Et cela commence à porter fruit partout en Afrique. Avant, les grandes institutions comme la CEDEAO et l’UA s’alignaient derrière les décisions de l’Occident. Aujourd’hui, c’est la CEDEAO qui prend une décision et l’Occident suit. Avant de venir au pouvoir, il a dit qu’il bâtirait des institutions fortes. C’est ce qui est en train d’être fait. La CEDEAO est aujourd’hui devenue forte. Quand une décision est prise, elle est prise. Qu’on laisse le Président Ouattara travailler. Même si vous ne l’aimez pas, laissez le travailler. D’ici 5 ou 10 ans, cela va porter ses fruits.
L.P : En attendant, les Ivoiriens se plaignent que la vie est chère…
FD : J’en suis conscient. J’ai d’ailleurs composé une chanson intitulée «Président, les gens parlent». C’est clair que les gens souffrent. Si le Président Ouattara veut dompter le peuple ivoirien, il faut lui donner à manger. L’Ivoirien, quand son ventre est rempli, il n’a plus de problème. Houphouët-Boigny le disait : « Un homme qui a faim n’est pas un homme libre ». Aujourd’hui, tout est cher, même le prix du gaz vient d’être augmenté. La vie est vraiment chère, il faut qu’il se penche sur cette question. C’est une requête que j’adresse au Président de la République. S’il réussit cela, personne ne va le critiquer. Mieux, tout le monde l’applaudira. Il faut qu’il fasse l’effort pour que les prix des denrées de première nécessité baissent. Je pense au riz, au lait, au sucre, au poisson, au vivrier.
L.P : Que dites-vous concrètement dans la chanson qui va bientôt sortir ?
FD : Je dis. Président, les gens parlent. Président, ça parle beaucoup. Les gens disent que la vie est devenue chère. C’est dur pour nous. La piraterie bat son plein. Les démobilisés deviennent des coupeurs de route. J’interpelle un peu le Chef de l’Etat sur ces difficultés que les Ivoiriens vivent en ce moment. Nous, artistes, sommes la voix du peuple auprès des Gouvernants. C’est notre devoir de leur porter les préoccupations des populations, afin qu’ils y trouvent des solutions.
Réalisée par Y. Sangaré