(…) Honorables députés,
Mesdames et Messieurs,
Ce vendredi 15 mars 2013, me voici à Kinshasa en République Démocratique du Congo.
Me voici donc aujourd’hui dans ce prestigieux Palais du Peuple Congolais, votre maison de verre. Ce lieu qui symbolise pour vous le rassemblement de toutes les forces vives de la Nation.
Ce moment évidemment est historique. En effet, depuis nos indépendances en 1960, de mémoire de parlementaire, c’est la toute première fois que nos deux Institutions se retrouvent dans un élan de fraternité et d’amitié sur cette terre du Congo où tous les grands rêves d’humanité de l’Afrique ont sans cesse été formulés et fertilisés.
Avant d’aller plus loin dans mon propos, permettez-moi, au nom de la Représentation nationale ivoirienne de vous adresser, chers Collègues, mes chaleureuses salutations.
Je veux tout particulièrement remercier mon ami et frère, le Président Aubin MINAKOU, qui m’a fait l’honneur de m’inviter à la présente cérémonie d’ouverture. L’accueil et les nombreuses attentions dont nous sommes l’objet, je peux vous le dire, sont à la hauteur de la grande et longue amitié qui unit nos deux pays.
En nous invitant dans votre pays, Monsieur le Président, vous venez de sceller le nécessaire rapprochement entre nos deux institutions. Ma délégation et moi-même vous en sommes infiniment reconnaissants.
Je n’oublierai pas de saluer à votre suite le Président du Sénat, Monsieur Kengo Wa Dondo, qui nous a fait l’estime de nous recevoir ce matin même, ma délégation et moi.
A présent, je veux m’acquitter de l’agréable devoir de vous transmettre, chers parlementaires congolais, les remerciements appuyés du Président de la République de Côte d’Ivoire, Son Excellence Alassane OUATTARA qui est très sensible à l’honneur qui est fait à son pays et qui nous a demandé de renouveler ses amitiés à son homologue, frère et ami, Son Excellence Joseph KABILA.
Mesdames et Messieurs les députés,
Chers Collègues,
En ce jour si important pour votre Assemblée nationale, sur cette terre de culture, terre de la musique africaine, terre de la célébration esthétique de la vie, laissez-moi débuter mes propos par de belles notes, que dis-je, des notes adoucissantes.
L’art musical congolais est aujourd’hui de renommée mondiale. Quel Africain n’a-t-il pas dans sa tendre jeunesse été bercé par les sons plaisants de la rumba congolaise ?
Célébration de la vie, du corps, de la grâce et de la dextérité, la musique congolaise a transcendé, comme rien d’autre dans notre continent, toutes les frontières et toutes les barrières.
Désormais patrimoine mondial, les grands artistes congolais sont devenus de véritables ambassadeurs de l’Afrique à travers la planète.
N’est-ce pas que la musique congolaise nous dit que le Congo a une grande carte à jouer dans l’avenir du monde ? Qui n’a pas compris que la grandeur de l’art congolais est la promesse d’autres éveils nécessaires ?
Honorables députés,
Mesdames et Messieurs,
C’est de ce grand Congo, terre riche de toutes les promesses que l’on peut offrir à l’homme et que pourtant les frustrations, les indignations et les inégalités n’ont pas épargnées, que je suis venu vous parler.
Comment ne pas avoir du ressentiment quand on vit dans un continent longtemps voué aux gémonies et confiné dans les placards de l’histoire !
Ce n’est pas ici le lieu d’évoquer une nouvelle fois ce qu’a pu avoir d’impardonnable, le double crime commis par certains occidentaux à travers la traite négrière dont certains historiens avertis nous disent qu’elle a constitué le plus grand génocide de tous les temps, comme à travers la colonisation dont on attend, et à juste titre, d’écrire les effets désastreux sur notre continent.
Chacun comprendra que l’on ne peut effacer d’un trait de plume ces drames douloureux dont ont été victimes nos ancêtres et, c’est pourquoi, tant d’intellectuels et d’hommes politiques de renom ont adhéré avec enthousiasme au Panafricanisme.
Le thème panafricaniste – affirmation solennelle que l’Africain est du monde comme tous les humains - s’éveilla au cœur des diasporas noires des Antilles, des Amériques et d’Europe comme la prise de conscience d’un refus d’humanité qu’il fallait combler par l’affirmation de la dignité de l’homme noir, qu’il fût d’Afrique ou des diasporas, en vertu de sa sensibilité, de son imagination créatrice, de son intelligence avérée et de son farouche désir de réaliser sa liberté dans des sociétés émancipées de la haine de l’Autre Homme.
Les Dubois, Langston Huygues, Marcus Garvey, avaient montré le chemin de la réconciliation de l’Homme Noir avec lui-même. Dans ce cri de l’homme noir affirmant sa négritude avec Césaire et Senghor ou mieux sa tigritude, plus tard avec Wole Soyinka, s’exprimait le sentiment d’être toujours du côté des bannis de la terre et des laissés pour compte. Cela ne pouvait en effet que conduire, à un moment ou à un autre, à la montée en gamme d’une sourde, mais tenace revendication : celle de voir l’homme noir restauré dans sa dignité, celle de voir notre continent disposer des mêmes chances que tous les autres, pour participer, à armes égales, au banquet de la mondialisation.
Honorables Députés,
Il s’agissait donc, pour les fondateurs de ce mouvement, qui furent les véritables « résistants », les authentiques « rebelles » de notre continent en voie d’émancipation, de résister à l’oppression. Ils inspirèrent une glorieuse lignée.
Je ne ferais ici qu’évoquer les grandes figures : Haïlé Sélassié, Kwame Nkrumah, Félix-Houphouët-Boigny, Ruben Um Nyobé, Patrice Lumumba, Sékou Touré, Barthélémy Boganda, Amilcar Cabral, Samora Machel, Kenneth Kaunda, Gamal Abdel Nasser, Jomo Kenyatta, Nelson Mandela, Habib Bourguiba ou Thomas Sankara, qui, chacun avec son style particulier et les moyens dont il disposait à l’époque, se sont inscrits dans cette dynamique historique.
Lorsque NKRUMAH écrit, en 1964, « Africa must unite », lorsque Joseph Ki-ZERBO, en 1989, se fixe comme objectif de « promouvoir un développement endogène en Afrique », ou encore lorsque Cheikh Anta DIOP parle, en 1974, d’ « Etat fédéral d’Afrique noire », ils s’inscrivent chers collègues, en faux contre les conceptions concurrentes qui réfutaient la nécessité d’un gouvernement unitaire africain immédiat. D’autres, tels Sédar Senghor ou Houphouët-Boigny, prônaient une intégration économique et sociale préalable à l’intégration politique progressive et maîtrisée du continent africain.
En fait, l’idéologie panafricaniste est loin d’avoir fait à ce jour, dans les textes mêmes de ses premiers promoteurs comme dans leur pratique, l’unanimité intellectuelle et historique. Au panafricanisme révolutionnaire des marxistes-léninistes africains, au panafricanisme traditionnaliste des défenseurs de l’authenticité nègre, répondait le panafricanisme républicain des libéraux, sans oublier le panafricanisme démocratique des sociaux-démocrates africains, aujourd’hui rassemblés dans l’Internationale Socialiste. Certains surfaient du reste allègrement et inconsciemment entre ces différentes variantes, sans la moindre conscience de se dédire sans cesse.
Ce que je soulignerai et avec insistance, c’est à quel point l’engagement de tous ces précurseurs a contribué à faire naître un processus de promotion de l’Afrique et nous a permis d’être aujourd’hui un continent à part entière, au lieu d’être un continent entièrement à part, ravalé à un rôle subalterne de fournisseur gracieux et bénévole de ressources naturelles et de main d’œuvre à bon marché.
Chers Collègues,
Il nous incombe de leur être reconnaissants, pour avoir permis, à travers les revendications contestataires et les prises de position révolutionnaires dont ils étaient coutumiers, d’imposer peu à peu l’idéal du Panafricanisme, conçu comme un mouvement destiné à unifier l’Afrique et à encourager un sentiment de solidarité entre les Africains.
Excellence Monsieur le Président,
Honorables Collègues Députés,
Si vous me le permettez, je voudrais, sur cette question du Panafricanisme, vous livrer le fond de ma pensée.
J’ai, en effet, le sentiment que ce terme recouvre des aspects parfois contradictoires, et qu’il mérite d’être clarifié, si l’on veut lever toutes les ambiguïtés.
C’est pourquoi je me propose de mettre en évidence le fait que ce splendide idéal d’une Afrique plus unie et plus solidaire comporte, comme toutes les belles idées que l’imagination humaine a eu à inventer, des aspects qui peuvent s’avérer contreproductifs et dangereux.
Il peut en effet s’inspirer de deux conceptions opposées de notre rapport au passé :
Selon la première, que je qualifierai d’ « idéologie du repli identitaire», ce que l’Afrique est en droit de faire, c’est de prendre ses distances avec les anciennes puissances coloniales, de tourner le dos aux pays occidentaux. C’est un panafricanisme dogmatique, qui préconise le repli défensif des Africains sur leurs identités closes, comme panacée aux traumatismes du passé. La haine de l’Occident est le seul fonds de commerce de ce panafricanisme identitaire.
Combien de penseurs et de politiciens se contentent ainsi d’accuser les esclavagistes et autres colonisateurs, dans l’espoir que la magie des formules incantatoires sur l’oppression, la persécution, la dépossession et l’aliénation, suffira à nous tirer d’affaire ?
Dans cette logique du ressentiment et de vengeance, les Occidentaux sont considérés comme responsables de tous nos maux, d’où la nécessité d’adopter, à leur égard, une posture défensive qui, tôt ou tard, devient agressive, voire violente.
La seconde conception, je la qualifierai au contraire d’ «idéologie de l’illustration ». Oui, ce que je me propose de faire, avec la plus grande modestie et la plus claire conscience de mes lacunes en la matière, c’est de montrer qu’il ne suffit pas de « défendre » l’identité de l’Afrique, mais qu’il faut aussi encourager les Africains à « s’illustrer » c’est-à-dire à rendre visibles et tangibles les efforts qu’ils consentent pour réhabiliter notre continent. L’identité humaine est une donnée dynamique, qui s’atteste certes par la continuité d’un socle pertinent de valeurs, mais aussi par le renouveau des grandes œuvres qui permettent de faire face aux aspérités variables de l’Histoire. L’identité, comme les frontières, sont des lieux de rencontres, de dépassement de soi vers l’Autre, et non des lieux de refoulement aveugle de la différence. Notre continent veut-il enfin se pénétrer de ces vérités fondamentales ?
Il y a trop de bonnes âmes qui sont pétries de bonnes intentions, mais qui se contentent bien souvent d’accuser les autres d’être responsables de toutes les calamités qui s’abattent sur leurs têtes et se complaisent et se consolent en proférant des discours qui se réduisent à des invectives et à des revendications.
Cette manière de faire est le refus même de penser et de pratiquer un panafricanisme autocritique qui nous enjoindrait de condamner et de combattre chez nous-mêmes, Africains, ce que nous nous empressons de condamner et de combattre si aisément chez les autres. L’absence d’une vision panafricaine autocritique, lucide et féconde, en quête de solutions modernes à nos problèmes, voilà le lit préféré de la haine de la démocratie à travers tout le continent !
Pis encore, le panafricanisme dogmatique hait la démocratie en la qualifiant d’escroquerie occidentale exportée par les ex-colons pour détruire les peuples africains par le parlementarisme, les élections piégées, l’alternance démocratique et la défense des droits humains. Rien que cela ! Au nom du panafricanisme, on a, hélas, voulu déguiser le refus inavoué du pluralisme politique dans une conception dite de la démocratie populaire qui n’était ni plus ni moins que le retour – via le centralisme – à la dictature du parti unique par les débordements du populisme.
Cette démarche malheureuse éloigne l’Afrique des enjeux réels de la marche du monde.
Ce qui me gêne dans cette attitude, je vous le dis franchement ce n’est pas seulement le fait qu’elle soit fallacieuse et paresseuse :
Qu’elle soit paresseuse, car le peuple noir se trouve en quelque sorte dispensé d’avoir à faire ses preuves et à y mettre du sien, puisqu’il n’est pas le coupable mais la victime ;
Qu’elle soit fallacieuse, car il est clair que, dans tout drame historique, ceux qui se proclament souvent victimes ont malheureusement tendance à oublier leur propre part de responsabilité ;
Chers collègues,
Non, ce qui me gêne encore bien davantage, c’est le fait que l’idéologie du panafricanisme dogmatique recèle de redoutables et inquiétants présupposés.
Ainsi la belle idée d’un rassemblement des différents pays d’Afrique en une entité unie et solidaire, destinée à mettre fin à l’oppression dont leurs populations ont été trop longtemps les victimes, fait-elle place à une forme d’exclusion et d’apartheid inversés :
Me référant donc à ce que j’ai nommé l’idéologie de l’illustration, je voudrais à présent partager avec vous, non pas en donneur de leçons, l’expérience ivoirienne.
Si je me penche à nouveau sur ce tragique épisode de l’histoire de mon pays, ce n’est pas de gaieté de cœur, croyez-le bien, mais par obligation, tant la crise ivoirienne nous donne l’exemple de ce qu’il ne faut surtout pas faire !
C’est pour moi une obligation que de dire et de redire à tous mes interlocuteurs : faites ce qui vous paraît bien, mais de grâce, ne faites pas comme certains d’entre nous !
En quelques mots, voici en effet comment les choses se sont passées dans mon pays :
Nommé Premier Ministre, dans le cadre de l’Accord Politique de Ouagadougou, j’ai consacré toute mon énergie, de 2007 à 2010, à finaliser le processus complexe de l’identification biométrique de la population et à organiser les élections.
Celles-ci se sont avérées, de l’avis de tous les observateurs qualifiés, mais aussi, ne l’oublions pas, de celui de l’immense majorité des Ivoiriennes et des Ivoiriens, quelles que soient leurs appartenances ethniques ou politiques, parfaitement conformes aux exigences les plus sévères de la démocratie.
Pour faire vite, disons que les fichiers électoraux ont été validés, la sélection des candidats inclusive, le taux de participation des électeurs, élevé à 81%, le dépouillement et le décompte des voix, transparent, et la proclamation des résultats du premier tour, sereinement, acceptée par tous.
Comment se fait-il, dès lors, juste quelques jours après, qu’il en ait été tout autrement, lors de la proclamation des résultats du second tour, alors que les mêmes procédures et les mêmes acteurs étaient en place ?
Il n’y a qu’une explication possible, c’est que le Président sortant n’a pas accepté sa défaite et s’est arrogé, de façon arbitraire et unilatérale, le droit de refuser de se soumettre au verdict des urnes.
Il n’y a pas à tergiverser : ne confondons pas le feu et la fumée et reconnaissons que l’ancien Président est le seul responsable et coupable de la crise postélectorale et de ses dramatiques conséquences pour la population, et notamment pour les Ivoiriens et les étrangers les plus vulnérables et les plus démunis.
Tout cela, chacun le sait pertinemment et c’est pourquoi, on ne peut que s’interroger et s’inquiéter du soutien que l’ancien Président a pu recevoir de la part de ses militants déçus, ce qui peut se concevoir, mais également de la part d’une certaine presse, de certaines chancelleries, et de certains africains au nom d’un pseudo-panafricaniste.
Par quelle distorsion de la vérité historique a-t-on pu accepter de considérer qu’un régime qui entend expulser de son sol tous les étrangers, peut se targuer d’appartenir au courant libérateur du panafricanisme ?
Sont-ils panafricanistes, ces Ivoiriens qui ont massacré le Burkinabé et le Malien, pour la simple et bonne raison qu’ils étaient Burkinabé et Malien ?
Qu’est donc devenu le rêve d’une Afrique sans entraves et sans frontières?
Qu’est devenu cet esprit d’unité et de solidarité, censé être à la base de notre « Africanité » ?
À l’opposé de ces dérives aux détestables relents xénophobes, je continue à croire que nous sommes capables de donner un corps à ce rêve d’union et de donner une âme à cet élan de solidarité qui nous est si naturel qu’il n’est pas de blessure que subisse l’un de nos frères, qui ne nous affecte et ne nous interpelle.
Ma conception, je dirais même ma conviction, c’est que l’Afrique a un brillant avenir devant elle, mais à la stricte condition que chacun des États et chacun des citoyens qui en composent le paysage complexe et contrasté, s’efforce d’apporter sa propre contribution à la construction de notre continent. Et cela ne peut se faire sans exercice suffisant de la pensée autocritique. VUMBI Yoka Mudimbé, un de vos compatriotes, philosophe, nous invite à juste titre à pratiquer ce qu’il a appelé, la double excommunication, c’est-à-dire, la critique de nous-mêmes en même temps que celle des autres. Or y a-t-il meilleur régime politique pour la pensée critique que la démocratie ?
L’expérience des crises ivoiriennes et africaines au sens large, nous apprend clairement que l’urgence de notre temps, ce n’est ni la haine, ni la vengeance, mais la démocratie.
Contrairement à ce que certains croient, la démocratie ne s’importe pas. Elle émerge de la force morale du compromis entre filles et fils du même pays. La démocratie est la fille aînée du dialogue direct entre pouvoirs et oppositions. Voilà pourquoi il n’y a pas au monde deux démocraties identiques, car chacune doit exprimer le désir d’élévation partagé humblement par tous les acteurs conscients d’une société donnée. Approprions-nous donc la démocratie, sans honte ni prétention. C’est l’affaire même de notre avenir.
Cette forme de régime politique, la moins pire d’entre toutes, quand on regarde l’histoire, a l’avantage d’organiser entre les partis en concurrence dans une société donnée, une concurrence pacifique en vue de l’accession au pouvoir, de la gestion du pouvoir et de la transmission du pouvoir. La démocratie économise les vies humaines, émancipe et intègre les dominés, stimule l’inventivité des hommes et accompagne leur bien-être harmonieux. La loi juste, incarnée par la constitution démocratique, qui doit être un manifeste d’inclusion, de tolérance, de fraternité, d’égalité et de liberté, cette loi donc, devient l’arbitre des intérêts particuliers et la gardienne de l’intérêt général.
La crise ivoirienne m’a convaincu que l’émergence durable d’un grand pays, de nos jours, passe nécessairement par l’émergence de la démocratie. Or, ce théorème n’est-il pas vrai pour tous nos pays africains ? N’est-ce pas dans l’unité autour des lois justes, sans exclusion, ni chauvinisme, dans un désir commun des pouvoirs en place et de leurs oppositions républicaines d’aller vers l’émergence, qui fait la force des grandes nations humanistes contemporaines ?
Nous, Africains, avons besoin de trouver le bon chemin pour aller vers la citoyenneté sans rester prisonniers de certains effets pervers de nos tribus. Cela ne passe-t-il pas par l’esprit de l’unité qui ne signifie pas forcément l’unanimité, mais suggère plutôt la convergence de tous vers l’essentiel, c’est-à-dire le vivre ensemble harmonieux des femmes, hommes et enfants d’un même pays ?
L’Unité de la Nation passe encore pour une fiction dans bien des esprits en Afrique, non pas simplement parce que la nation nous a été imposée souvent de l’extérieur, mais aussi parce que nous pensons trop souvent la nation à partir de nos particularismes. L’Africain doit penser en citoyen pour être à la hauteur des défis planétaires qui le tutoient.
Or, qui dit citoyenneté, dit bien entendu démocratie.
C’est donc la démocratie qui sauvera la Côte d’Ivoire, tout comme c’est la démocratie, pratiquée comme art royal du compromis fécond, qui élèvera le Congo au firmament de ses espérances légitimes d’exemplarité. Rien, je dis rien, mes chers frères et sœurs, n’est impossible aux enfants d’un pays qui s’asseyent et discutent intelligemment et fraternellement de son avenir, sans esprit de roublardise ni de tromperie. Voilà ce que ma modeste expérience me suggère de proposer à tous les acteurs de ce pays de référence, afin que la politique congolaise rejoigne la musique congolaise, dans une de ces rumbas merveilleuses dont seuls les Congolais ont le secret. Tel est mon souhait le plus profond !
Excellence, Monsieur le Président,
Honorables Collègues Députés,
La puissance politique dans ce monde est d’abord l’affaire des Etats-Continents bien structurés et intégrés par une architecture politique efficace. La Chine s’élève aujourd’hui dans l’économie mondiale du fond de ses plus de 9 millions de km2. Les Etats-Unis ont bâti leur prospérité sur près de 10 millions de km2. La démocratie brésilienne, s’élève sur près de 8 millions de km2 de terres prodigieuses. L’Inde que l’on présente, en raison de son milliard d’habitants, comme la plus grande démocratie au monde se dresse sur plus de 3 millions de km2 de terres. Le Congo, notre grand Congo, n’est pas à montrer d’un doigt. C’est le plus grand des éléphants étatiques de notre continent, avec plus de 2 millions de km2 riches de tout ce que Dieu et la Nature ont voulu céder aux hommes. N’est-ce pas la démocratie, toujours plus forte, unifiant encore et encore les filles et fils de cette terre africaine, qui mettra en branle le potentiel naturel, social, culturel, économique et spirituelle de l’Etat-Continent ?
Je vous le dis : Comme la Chine, quand le Congo s’éveillera de toutes les forces et de tous les génies que la Providence et la nature lui ont si généreusement offerts, l’Afrique s’élèvera à partir de son puissant moteur congolais au diapason de la responsabilité planétaire de l’humanité. L’Afrique souhaite que son Etat-continent, ce providentiel Congo que les lettres de Lumumba tracèrent avec élégance, s’enracine dans ses valeurs et donne, tel le majestueux fleuve qui unit cette ville à Brazzaville, toute la mesure de sa puissance.
L’Afrique attend le Congo, parce que le Congo est l’Afrique en majesté, promesse d’autosuffisance et de respectabilité dans le concert des Nations, promesse de dignité retrouvée dans les capacités des lois justes de protéger les hommes et de favoriser les œuvres bienfaisantes du commerce parmi les nations policées à travers l’Histoire. L’Afrique, continent originaire de l’Homme, a besoin d’être portée et sublimée par l’exemplarité de son Etat le plus continental, le Congo pour replacer l’humanité africaine à la place exemplaire que son rang requiert. Il y a dans ce pays, de quoi opérer la révolution industrielle, la révolution démocratique, la révolution écologique et la révolution géostratégique de notre continent tout entier.
Excellence, Monsieur le Président,
Honorables Collègues Députés,
Me voici parvenu aux derniers vœux de mon discours. Ne nous contentons pas de révéler la paille dans l’œil de nos voisins, quand nous avons une poutre dans le nôtre.
Le champ d’application de cette exigence d’unité et de solidarité qui nous concerne, c’est celui de la coopération interparlementaire.
Je n’en connais pas tous les arcanes, mais ce que je sais en revanche, c’est que votre Parlement y est directement impliqué et c’est pourquoi je compte beaucoup sur votre expérience et sur votre expertise pour nous enseigner.
Sachez que, concrètement, l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire n’est pas seulement disposée à entretenir des relations formelles avec son institution-sœur Congolaise, mais également résolue à les renforcer et à les diversifier.
Nous pensons en effet que les perspectives ouvertes par une coopération Sud-Sud ne concernent pas seulement nos Exécutifs nationaux ou nos échanges économiques et commerciaux, mais également les relations qui doivent exister entre nos instances législatives respectives.
Quel meilleur outil de rapprochement peut-il exister entre deux peuples, que par la médiation de ses Parlementaires, qui sont eux-mêmes l’expression directe des populations vivantes qu’ils représentent ?
C’est pourquoi, je me réjouis que nous ayons pu envisager dans le cadre de cette visite, la mise en place prochaine d’un groupe parlementaire d’amitié ivoiro-congolais.
Vous pouvez compter sur l’engagement entier de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire pour réaliser cet objectif commun.
En vous remerciant une nouvelle fois pour la chaleur de l’accueil que vous avez bien voulu nous réserver, à la Délégation que j’ai l’honneur de conduire et à moi-même, je vous souhaite la meilleure réussite pour vos travaux, au cours de la présente législature et pour un meilleur devenir de votre nation, et de l’amitié indéfectible entre les peuples Congolais et Ivoirien.
Je vous remercie.
Guillaume Kigbafori SORO
Président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire
Mesdames et Messieurs,
Ce vendredi 15 mars 2013, me voici à Kinshasa en République Démocratique du Congo.
Me voici donc aujourd’hui dans ce prestigieux Palais du Peuple Congolais, votre maison de verre. Ce lieu qui symbolise pour vous le rassemblement de toutes les forces vives de la Nation.
Ce moment évidemment est historique. En effet, depuis nos indépendances en 1960, de mémoire de parlementaire, c’est la toute première fois que nos deux Institutions se retrouvent dans un élan de fraternité et d’amitié sur cette terre du Congo où tous les grands rêves d’humanité de l’Afrique ont sans cesse été formulés et fertilisés.
Avant d’aller plus loin dans mon propos, permettez-moi, au nom de la Représentation nationale ivoirienne de vous adresser, chers Collègues, mes chaleureuses salutations.
Je veux tout particulièrement remercier mon ami et frère, le Président Aubin MINAKOU, qui m’a fait l’honneur de m’inviter à la présente cérémonie d’ouverture. L’accueil et les nombreuses attentions dont nous sommes l’objet, je peux vous le dire, sont à la hauteur de la grande et longue amitié qui unit nos deux pays.
En nous invitant dans votre pays, Monsieur le Président, vous venez de sceller le nécessaire rapprochement entre nos deux institutions. Ma délégation et moi-même vous en sommes infiniment reconnaissants.
Je n’oublierai pas de saluer à votre suite le Président du Sénat, Monsieur Kengo Wa Dondo, qui nous a fait l’estime de nous recevoir ce matin même, ma délégation et moi.
A présent, je veux m’acquitter de l’agréable devoir de vous transmettre, chers parlementaires congolais, les remerciements appuyés du Président de la République de Côte d’Ivoire, Son Excellence Alassane OUATTARA qui est très sensible à l’honneur qui est fait à son pays et qui nous a demandé de renouveler ses amitiés à son homologue, frère et ami, Son Excellence Joseph KABILA.
Mesdames et Messieurs les députés,
Chers Collègues,
En ce jour si important pour votre Assemblée nationale, sur cette terre de culture, terre de la musique africaine, terre de la célébration esthétique de la vie, laissez-moi débuter mes propos par de belles notes, que dis-je, des notes adoucissantes.
L’art musical congolais est aujourd’hui de renommée mondiale. Quel Africain n’a-t-il pas dans sa tendre jeunesse été bercé par les sons plaisants de la rumba congolaise ?
Célébration de la vie, du corps, de la grâce et de la dextérité, la musique congolaise a transcendé, comme rien d’autre dans notre continent, toutes les frontières et toutes les barrières.
Désormais patrimoine mondial, les grands artistes congolais sont devenus de véritables ambassadeurs de l’Afrique à travers la planète.
N’est-ce pas que la musique congolaise nous dit que le Congo a une grande carte à jouer dans l’avenir du monde ? Qui n’a pas compris que la grandeur de l’art congolais est la promesse d’autres éveils nécessaires ?
Honorables députés,
Mesdames et Messieurs,
C’est de ce grand Congo, terre riche de toutes les promesses que l’on peut offrir à l’homme et que pourtant les frustrations, les indignations et les inégalités n’ont pas épargnées, que je suis venu vous parler.
Comment ne pas avoir du ressentiment quand on vit dans un continent longtemps voué aux gémonies et confiné dans les placards de l’histoire !
Ce n’est pas ici le lieu d’évoquer une nouvelle fois ce qu’a pu avoir d’impardonnable, le double crime commis par certains occidentaux à travers la traite négrière dont certains historiens avertis nous disent qu’elle a constitué le plus grand génocide de tous les temps, comme à travers la colonisation dont on attend, et à juste titre, d’écrire les effets désastreux sur notre continent.
Chacun comprendra que l’on ne peut effacer d’un trait de plume ces drames douloureux dont ont été victimes nos ancêtres et, c’est pourquoi, tant d’intellectuels et d’hommes politiques de renom ont adhéré avec enthousiasme au Panafricanisme.
Le thème panafricaniste – affirmation solennelle que l’Africain est du monde comme tous les humains - s’éveilla au cœur des diasporas noires des Antilles, des Amériques et d’Europe comme la prise de conscience d’un refus d’humanité qu’il fallait combler par l’affirmation de la dignité de l’homme noir, qu’il fût d’Afrique ou des diasporas, en vertu de sa sensibilité, de son imagination créatrice, de son intelligence avérée et de son farouche désir de réaliser sa liberté dans des sociétés émancipées de la haine de l’Autre Homme.
Les Dubois, Langston Huygues, Marcus Garvey, avaient montré le chemin de la réconciliation de l’Homme Noir avec lui-même. Dans ce cri de l’homme noir affirmant sa négritude avec Césaire et Senghor ou mieux sa tigritude, plus tard avec Wole Soyinka, s’exprimait le sentiment d’être toujours du côté des bannis de la terre et des laissés pour compte. Cela ne pouvait en effet que conduire, à un moment ou à un autre, à la montée en gamme d’une sourde, mais tenace revendication : celle de voir l’homme noir restauré dans sa dignité, celle de voir notre continent disposer des mêmes chances que tous les autres, pour participer, à armes égales, au banquet de la mondialisation.
Honorables Députés,
Il s’agissait donc, pour les fondateurs de ce mouvement, qui furent les véritables « résistants », les authentiques « rebelles » de notre continent en voie d’émancipation, de résister à l’oppression. Ils inspirèrent une glorieuse lignée.
Je ne ferais ici qu’évoquer les grandes figures : Haïlé Sélassié, Kwame Nkrumah, Félix-Houphouët-Boigny, Ruben Um Nyobé, Patrice Lumumba, Sékou Touré, Barthélémy Boganda, Amilcar Cabral, Samora Machel, Kenneth Kaunda, Gamal Abdel Nasser, Jomo Kenyatta, Nelson Mandela, Habib Bourguiba ou Thomas Sankara, qui, chacun avec son style particulier et les moyens dont il disposait à l’époque, se sont inscrits dans cette dynamique historique.
Lorsque NKRUMAH écrit, en 1964, « Africa must unite », lorsque Joseph Ki-ZERBO, en 1989, se fixe comme objectif de « promouvoir un développement endogène en Afrique », ou encore lorsque Cheikh Anta DIOP parle, en 1974, d’ « Etat fédéral d’Afrique noire », ils s’inscrivent chers collègues, en faux contre les conceptions concurrentes qui réfutaient la nécessité d’un gouvernement unitaire africain immédiat. D’autres, tels Sédar Senghor ou Houphouët-Boigny, prônaient une intégration économique et sociale préalable à l’intégration politique progressive et maîtrisée du continent africain.
En fait, l’idéologie panafricaniste est loin d’avoir fait à ce jour, dans les textes mêmes de ses premiers promoteurs comme dans leur pratique, l’unanimité intellectuelle et historique. Au panafricanisme révolutionnaire des marxistes-léninistes africains, au panafricanisme traditionnaliste des défenseurs de l’authenticité nègre, répondait le panafricanisme républicain des libéraux, sans oublier le panafricanisme démocratique des sociaux-démocrates africains, aujourd’hui rassemblés dans l’Internationale Socialiste. Certains surfaient du reste allègrement et inconsciemment entre ces différentes variantes, sans la moindre conscience de se dédire sans cesse.
Ce que je soulignerai et avec insistance, c’est à quel point l’engagement de tous ces précurseurs a contribué à faire naître un processus de promotion de l’Afrique et nous a permis d’être aujourd’hui un continent à part entière, au lieu d’être un continent entièrement à part, ravalé à un rôle subalterne de fournisseur gracieux et bénévole de ressources naturelles et de main d’œuvre à bon marché.
Chers Collègues,
Il nous incombe de leur être reconnaissants, pour avoir permis, à travers les revendications contestataires et les prises de position révolutionnaires dont ils étaient coutumiers, d’imposer peu à peu l’idéal du Panafricanisme, conçu comme un mouvement destiné à unifier l’Afrique et à encourager un sentiment de solidarité entre les Africains.
Excellence Monsieur le Président,
Honorables Collègues Députés,
Si vous me le permettez, je voudrais, sur cette question du Panafricanisme, vous livrer le fond de ma pensée.
J’ai, en effet, le sentiment que ce terme recouvre des aspects parfois contradictoires, et qu’il mérite d’être clarifié, si l’on veut lever toutes les ambiguïtés.
C’est pourquoi je me propose de mettre en évidence le fait que ce splendide idéal d’une Afrique plus unie et plus solidaire comporte, comme toutes les belles idées que l’imagination humaine a eu à inventer, des aspects qui peuvent s’avérer contreproductifs et dangereux.
Il peut en effet s’inspirer de deux conceptions opposées de notre rapport au passé :
Selon la première, que je qualifierai d’ « idéologie du repli identitaire», ce que l’Afrique est en droit de faire, c’est de prendre ses distances avec les anciennes puissances coloniales, de tourner le dos aux pays occidentaux. C’est un panafricanisme dogmatique, qui préconise le repli défensif des Africains sur leurs identités closes, comme panacée aux traumatismes du passé. La haine de l’Occident est le seul fonds de commerce de ce panafricanisme identitaire.
Combien de penseurs et de politiciens se contentent ainsi d’accuser les esclavagistes et autres colonisateurs, dans l’espoir que la magie des formules incantatoires sur l’oppression, la persécution, la dépossession et l’aliénation, suffira à nous tirer d’affaire ?
Dans cette logique du ressentiment et de vengeance, les Occidentaux sont considérés comme responsables de tous nos maux, d’où la nécessité d’adopter, à leur égard, une posture défensive qui, tôt ou tard, devient agressive, voire violente.
La seconde conception, je la qualifierai au contraire d’ «idéologie de l’illustration ». Oui, ce que je me propose de faire, avec la plus grande modestie et la plus claire conscience de mes lacunes en la matière, c’est de montrer qu’il ne suffit pas de « défendre » l’identité de l’Afrique, mais qu’il faut aussi encourager les Africains à « s’illustrer » c’est-à-dire à rendre visibles et tangibles les efforts qu’ils consentent pour réhabiliter notre continent. L’identité humaine est une donnée dynamique, qui s’atteste certes par la continuité d’un socle pertinent de valeurs, mais aussi par le renouveau des grandes œuvres qui permettent de faire face aux aspérités variables de l’Histoire. L’identité, comme les frontières, sont des lieux de rencontres, de dépassement de soi vers l’Autre, et non des lieux de refoulement aveugle de la différence. Notre continent veut-il enfin se pénétrer de ces vérités fondamentales ?
Il y a trop de bonnes âmes qui sont pétries de bonnes intentions, mais qui se contentent bien souvent d’accuser les autres d’être responsables de toutes les calamités qui s’abattent sur leurs têtes et se complaisent et se consolent en proférant des discours qui se réduisent à des invectives et à des revendications.
Cette manière de faire est le refus même de penser et de pratiquer un panafricanisme autocritique qui nous enjoindrait de condamner et de combattre chez nous-mêmes, Africains, ce que nous nous empressons de condamner et de combattre si aisément chez les autres. L’absence d’une vision panafricaine autocritique, lucide et féconde, en quête de solutions modernes à nos problèmes, voilà le lit préféré de la haine de la démocratie à travers tout le continent !
Pis encore, le panafricanisme dogmatique hait la démocratie en la qualifiant d’escroquerie occidentale exportée par les ex-colons pour détruire les peuples africains par le parlementarisme, les élections piégées, l’alternance démocratique et la défense des droits humains. Rien que cela ! Au nom du panafricanisme, on a, hélas, voulu déguiser le refus inavoué du pluralisme politique dans une conception dite de la démocratie populaire qui n’était ni plus ni moins que le retour – via le centralisme – à la dictature du parti unique par les débordements du populisme.
Cette démarche malheureuse éloigne l’Afrique des enjeux réels de la marche du monde.
Ce qui me gêne dans cette attitude, je vous le dis franchement ce n’est pas seulement le fait qu’elle soit fallacieuse et paresseuse :
Qu’elle soit paresseuse, car le peuple noir se trouve en quelque sorte dispensé d’avoir à faire ses preuves et à y mettre du sien, puisqu’il n’est pas le coupable mais la victime ;
Qu’elle soit fallacieuse, car il est clair que, dans tout drame historique, ceux qui se proclament souvent victimes ont malheureusement tendance à oublier leur propre part de responsabilité ;
Chers collègues,
Non, ce qui me gêne encore bien davantage, c’est le fait que l’idéologie du panafricanisme dogmatique recèle de redoutables et inquiétants présupposés.
Ainsi la belle idée d’un rassemblement des différents pays d’Afrique en une entité unie et solidaire, destinée à mettre fin à l’oppression dont leurs populations ont été trop longtemps les victimes, fait-elle place à une forme d’exclusion et d’apartheid inversés :
Me référant donc à ce que j’ai nommé l’idéologie de l’illustration, je voudrais à présent partager avec vous, non pas en donneur de leçons, l’expérience ivoirienne.
Si je me penche à nouveau sur ce tragique épisode de l’histoire de mon pays, ce n’est pas de gaieté de cœur, croyez-le bien, mais par obligation, tant la crise ivoirienne nous donne l’exemple de ce qu’il ne faut surtout pas faire !
C’est pour moi une obligation que de dire et de redire à tous mes interlocuteurs : faites ce qui vous paraît bien, mais de grâce, ne faites pas comme certains d’entre nous !
En quelques mots, voici en effet comment les choses se sont passées dans mon pays :
Nommé Premier Ministre, dans le cadre de l’Accord Politique de Ouagadougou, j’ai consacré toute mon énergie, de 2007 à 2010, à finaliser le processus complexe de l’identification biométrique de la population et à organiser les élections.
Celles-ci se sont avérées, de l’avis de tous les observateurs qualifiés, mais aussi, ne l’oublions pas, de celui de l’immense majorité des Ivoiriennes et des Ivoiriens, quelles que soient leurs appartenances ethniques ou politiques, parfaitement conformes aux exigences les plus sévères de la démocratie.
Pour faire vite, disons que les fichiers électoraux ont été validés, la sélection des candidats inclusive, le taux de participation des électeurs, élevé à 81%, le dépouillement et le décompte des voix, transparent, et la proclamation des résultats du premier tour, sereinement, acceptée par tous.
Comment se fait-il, dès lors, juste quelques jours après, qu’il en ait été tout autrement, lors de la proclamation des résultats du second tour, alors que les mêmes procédures et les mêmes acteurs étaient en place ?
Il n’y a qu’une explication possible, c’est que le Président sortant n’a pas accepté sa défaite et s’est arrogé, de façon arbitraire et unilatérale, le droit de refuser de se soumettre au verdict des urnes.
Il n’y a pas à tergiverser : ne confondons pas le feu et la fumée et reconnaissons que l’ancien Président est le seul responsable et coupable de la crise postélectorale et de ses dramatiques conséquences pour la population, et notamment pour les Ivoiriens et les étrangers les plus vulnérables et les plus démunis.
Tout cela, chacun le sait pertinemment et c’est pourquoi, on ne peut que s’interroger et s’inquiéter du soutien que l’ancien Président a pu recevoir de la part de ses militants déçus, ce qui peut se concevoir, mais également de la part d’une certaine presse, de certaines chancelleries, et de certains africains au nom d’un pseudo-panafricaniste.
Par quelle distorsion de la vérité historique a-t-on pu accepter de considérer qu’un régime qui entend expulser de son sol tous les étrangers, peut se targuer d’appartenir au courant libérateur du panafricanisme ?
Sont-ils panafricanistes, ces Ivoiriens qui ont massacré le Burkinabé et le Malien, pour la simple et bonne raison qu’ils étaient Burkinabé et Malien ?
Qu’est donc devenu le rêve d’une Afrique sans entraves et sans frontières?
Qu’est devenu cet esprit d’unité et de solidarité, censé être à la base de notre « Africanité » ?
À l’opposé de ces dérives aux détestables relents xénophobes, je continue à croire que nous sommes capables de donner un corps à ce rêve d’union et de donner une âme à cet élan de solidarité qui nous est si naturel qu’il n’est pas de blessure que subisse l’un de nos frères, qui ne nous affecte et ne nous interpelle.
Ma conception, je dirais même ma conviction, c’est que l’Afrique a un brillant avenir devant elle, mais à la stricte condition que chacun des États et chacun des citoyens qui en composent le paysage complexe et contrasté, s’efforce d’apporter sa propre contribution à la construction de notre continent. Et cela ne peut se faire sans exercice suffisant de la pensée autocritique. VUMBI Yoka Mudimbé, un de vos compatriotes, philosophe, nous invite à juste titre à pratiquer ce qu’il a appelé, la double excommunication, c’est-à-dire, la critique de nous-mêmes en même temps que celle des autres. Or y a-t-il meilleur régime politique pour la pensée critique que la démocratie ?
L’expérience des crises ivoiriennes et africaines au sens large, nous apprend clairement que l’urgence de notre temps, ce n’est ni la haine, ni la vengeance, mais la démocratie.
Contrairement à ce que certains croient, la démocratie ne s’importe pas. Elle émerge de la force morale du compromis entre filles et fils du même pays. La démocratie est la fille aînée du dialogue direct entre pouvoirs et oppositions. Voilà pourquoi il n’y a pas au monde deux démocraties identiques, car chacune doit exprimer le désir d’élévation partagé humblement par tous les acteurs conscients d’une société donnée. Approprions-nous donc la démocratie, sans honte ni prétention. C’est l’affaire même de notre avenir.
Cette forme de régime politique, la moins pire d’entre toutes, quand on regarde l’histoire, a l’avantage d’organiser entre les partis en concurrence dans une société donnée, une concurrence pacifique en vue de l’accession au pouvoir, de la gestion du pouvoir et de la transmission du pouvoir. La démocratie économise les vies humaines, émancipe et intègre les dominés, stimule l’inventivité des hommes et accompagne leur bien-être harmonieux. La loi juste, incarnée par la constitution démocratique, qui doit être un manifeste d’inclusion, de tolérance, de fraternité, d’égalité et de liberté, cette loi donc, devient l’arbitre des intérêts particuliers et la gardienne de l’intérêt général.
La crise ivoirienne m’a convaincu que l’émergence durable d’un grand pays, de nos jours, passe nécessairement par l’émergence de la démocratie. Or, ce théorème n’est-il pas vrai pour tous nos pays africains ? N’est-ce pas dans l’unité autour des lois justes, sans exclusion, ni chauvinisme, dans un désir commun des pouvoirs en place et de leurs oppositions républicaines d’aller vers l’émergence, qui fait la force des grandes nations humanistes contemporaines ?
Nous, Africains, avons besoin de trouver le bon chemin pour aller vers la citoyenneté sans rester prisonniers de certains effets pervers de nos tribus. Cela ne passe-t-il pas par l’esprit de l’unité qui ne signifie pas forcément l’unanimité, mais suggère plutôt la convergence de tous vers l’essentiel, c’est-à-dire le vivre ensemble harmonieux des femmes, hommes et enfants d’un même pays ?
L’Unité de la Nation passe encore pour une fiction dans bien des esprits en Afrique, non pas simplement parce que la nation nous a été imposée souvent de l’extérieur, mais aussi parce que nous pensons trop souvent la nation à partir de nos particularismes. L’Africain doit penser en citoyen pour être à la hauteur des défis planétaires qui le tutoient.
Or, qui dit citoyenneté, dit bien entendu démocratie.
C’est donc la démocratie qui sauvera la Côte d’Ivoire, tout comme c’est la démocratie, pratiquée comme art royal du compromis fécond, qui élèvera le Congo au firmament de ses espérances légitimes d’exemplarité. Rien, je dis rien, mes chers frères et sœurs, n’est impossible aux enfants d’un pays qui s’asseyent et discutent intelligemment et fraternellement de son avenir, sans esprit de roublardise ni de tromperie. Voilà ce que ma modeste expérience me suggère de proposer à tous les acteurs de ce pays de référence, afin que la politique congolaise rejoigne la musique congolaise, dans une de ces rumbas merveilleuses dont seuls les Congolais ont le secret. Tel est mon souhait le plus profond !
Excellence, Monsieur le Président,
Honorables Collègues Députés,
La puissance politique dans ce monde est d’abord l’affaire des Etats-Continents bien structurés et intégrés par une architecture politique efficace. La Chine s’élève aujourd’hui dans l’économie mondiale du fond de ses plus de 9 millions de km2. Les Etats-Unis ont bâti leur prospérité sur près de 10 millions de km2. La démocratie brésilienne, s’élève sur près de 8 millions de km2 de terres prodigieuses. L’Inde que l’on présente, en raison de son milliard d’habitants, comme la plus grande démocratie au monde se dresse sur plus de 3 millions de km2 de terres. Le Congo, notre grand Congo, n’est pas à montrer d’un doigt. C’est le plus grand des éléphants étatiques de notre continent, avec plus de 2 millions de km2 riches de tout ce que Dieu et la Nature ont voulu céder aux hommes. N’est-ce pas la démocratie, toujours plus forte, unifiant encore et encore les filles et fils de cette terre africaine, qui mettra en branle le potentiel naturel, social, culturel, économique et spirituelle de l’Etat-Continent ?
Je vous le dis : Comme la Chine, quand le Congo s’éveillera de toutes les forces et de tous les génies que la Providence et la nature lui ont si généreusement offerts, l’Afrique s’élèvera à partir de son puissant moteur congolais au diapason de la responsabilité planétaire de l’humanité. L’Afrique souhaite que son Etat-continent, ce providentiel Congo que les lettres de Lumumba tracèrent avec élégance, s’enracine dans ses valeurs et donne, tel le majestueux fleuve qui unit cette ville à Brazzaville, toute la mesure de sa puissance.
L’Afrique attend le Congo, parce que le Congo est l’Afrique en majesté, promesse d’autosuffisance et de respectabilité dans le concert des Nations, promesse de dignité retrouvée dans les capacités des lois justes de protéger les hommes et de favoriser les œuvres bienfaisantes du commerce parmi les nations policées à travers l’Histoire. L’Afrique, continent originaire de l’Homme, a besoin d’être portée et sublimée par l’exemplarité de son Etat le plus continental, le Congo pour replacer l’humanité africaine à la place exemplaire que son rang requiert. Il y a dans ce pays, de quoi opérer la révolution industrielle, la révolution démocratique, la révolution écologique et la révolution géostratégique de notre continent tout entier.
Excellence, Monsieur le Président,
Honorables Collègues Députés,
Me voici parvenu aux derniers vœux de mon discours. Ne nous contentons pas de révéler la paille dans l’œil de nos voisins, quand nous avons une poutre dans le nôtre.
Le champ d’application de cette exigence d’unité et de solidarité qui nous concerne, c’est celui de la coopération interparlementaire.
Je n’en connais pas tous les arcanes, mais ce que je sais en revanche, c’est que votre Parlement y est directement impliqué et c’est pourquoi je compte beaucoup sur votre expérience et sur votre expertise pour nous enseigner.
Sachez que, concrètement, l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire n’est pas seulement disposée à entretenir des relations formelles avec son institution-sœur Congolaise, mais également résolue à les renforcer et à les diversifier.
Nous pensons en effet que les perspectives ouvertes par une coopération Sud-Sud ne concernent pas seulement nos Exécutifs nationaux ou nos échanges économiques et commerciaux, mais également les relations qui doivent exister entre nos instances législatives respectives.
Quel meilleur outil de rapprochement peut-il exister entre deux peuples, que par la médiation de ses Parlementaires, qui sont eux-mêmes l’expression directe des populations vivantes qu’ils représentent ?
C’est pourquoi, je me réjouis que nous ayons pu envisager dans le cadre de cette visite, la mise en place prochaine d’un groupe parlementaire d’amitié ivoiro-congolais.
Vous pouvez compter sur l’engagement entier de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire pour réaliser cet objectif commun.
En vous remerciant une nouvelle fois pour la chaleur de l’accueil que vous avez bien voulu nous réserver, à la Délégation que j’ai l’honneur de conduire et à moi-même, je vous souhaite la meilleure réussite pour vos travaux, au cours de la présente législature et pour un meilleur devenir de votre nation, et de l’amitié indéfectible entre les peuples Congolais et Ivoirien.
Je vous remercie.
Guillaume Kigbafori SORO
Président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire